Exposé des faits et conclusions
I. Le brevet européen n° 76 691, qui concerne certains polymères anhydrides et d'imide ainsi que leurs procédés de préparation, a été délivré à la société Rohm and Haas Company en 1986. Dans le délai de neuf mois prévu à l'article 99(1) CBE, la société BASF AG a fait opposition au brevet. Dans la déclaration visée à la règle 55c) CBE, l'opposant a demandé la révocation du brevet en ce qui concerne les polymères contenant des motifs d'anhydride, au motif que cet objet n'était pas brevetable aux termes des articles 52 à 57 CBE (motif cité à l'article 100a) CBE). L'opposant n'a en revanche pas attaqué au cours de la procédure d'opposition l'objet des revendications portant sur des polymères contenant des motifs d'imide. Dans une décision intermédiaire en date du 28 août 1989, la division d'opposition a maintenu le brevet sous une forme modifiée sur la base d'un jeu de onze revendications, dont les revendications 1 à 8 concernaient un polymère contenant des motifs d'imide et sa préparation, et les revendications 9 à 11 un polymère contenant des motifs d'anhydride et sa préparation.
II. L'opposant a interjeté appel contre la décision de la division d'opposition ; la chambre de recours 3.3.3 a statué sur ce recours (T 580/89) dans lequel l'opposant demandait l'annulation de la décision attaquée et la révocation du brevet dans son intégralité, faisant pour la première fois valoir que non seulement l'objet concernant des polymères anhydrides, mais également celui portant sur des polymères d'imide (y compris leur préparation) n'étaient pas brevetables.
III. De plus, un tiers a présenté, pendant la procédure de recours, des observations en vertu de l'article 115 CBE, concluant que les objets concernant les deux types de polymères susmentionnés n'étaient pas brevetables pour manque de nouveauté et d'activité inventive (en fait, ces observations avaient été présentées pendant la procédure devant la division d'opposition, mais n'avaient été versées au dossier qu'après la décision de la division d'opposition, laquelle n'en a donc pas tenu compte).
IV. Le titulaire du brevet a ensuite proposé de régler le recours en supprimant les revendications 9, 10 et 11 portant sur des polymères anhydrides, soutenant que la chambre ne devait formuler d'avis au sujet de la prétendue absence de validité des revendications 1 à 8, non contestées et portant sur des polymères d'imide (cf alinéa I supra), puisque cela donnerait lieu à un examen contraire aux dispositions de l'article 114(1) CBE, telles qu'interprétées par la chambre de recours 3.3.1 dans l'affaire T 9/87 (JO OEB 1989, 438).
V. En réponse, le tiers susmentionné a soumis de nouvelles observations soulignant que l'OEB était tenu envers le public de procéder à l'examen d'office des faits conformément à l'article 114(1) CBE, et faisant à ce sujet référence à la décision T 156/84 de la chambre de recours 3.4.1 (JO OEB 1988, 372). En maintenant sa position, le titulaire a fait valoir que l'article 99(1) CBE prévoyait un délai obligatoire qui deviendrait vide de sens si l'article 114 CBE pouvait s'appliquer à la présente espèce, comme le suggère l'opposant.
VI. Considérant que le problème ci-avant concernait une question de droit d'importance fondamentale au sens de l'article 112(1)a) CBE, la chambre de recours 3.3.3 a décidé le 29 août 1991 de soumettre les questions suivantes à la Grande Chambre de recours (numéro du recours G 9/91) :
1. La compétence d'une division d'opposition ou, en vertu de la règle 66(1) CBE, celle d'une chambre de recours, pour l'examen et la prise d'une décision concernant le maintien d'un brevet européen, conformément aux articles 101 et 102 CBE, dépend-elle de la mesure dans laquelle le brevet est mis en cause dans l'acte d'opposition, conformément à la règle 55c) CBE ?
2. S'il est répondu par l'affirmative à la première question, y a-t-il des exceptions ?
VII. Le 4 octobre 1991, le Président de l'OEB, faisant usage du pouvoir que lui confère l'article 112(1)b) CBE, a soumis la question suivante à la Grande Chambre de recours (numéro de recours G 10/91) :
Au cours de l'examen de l'opposition, la division d'opposition doit-elle examiner tous les motifs d'opposition énumérés à l'article 100 CBE, ou l'examen se limite-t-il aux motifs avancés par l'opposant dans le mémoire où il expose les motifs de son opposition ?
VIII. Parmi les motifs de cette saisine, le Président a notamment cité les décisions divergentes sur la question de droit ci- dessus, qui ont été rendues par la chambre de recours 3.3.1 dans les affaires T 320/88 (non publiée) et T 182/89 (JO OEB 1991, 391) d'une part, et par la chambre de recours 3.4.1 dans l'affaire T 493/88 (JO OEB 1991, 380) d'autre part. De l'avis du Président, cette divergence a engendré une incertitude juridique considérable sur la manière de conduire la procédure d'opposition selon la CBE. Il a en outre fait valoir que ni une obligation générale d'examiner tous les motifs d'opposition visés à l'article 100 CBE, ni une restriction aux seuls motifs invoqués par l'opposant ne constitueraient une solution appropriée. Il conviendrait plutôt de trouver une façon d'associer le but poursuivi par la procédure d'opposition, qui est de permettre à l'OEB de statuer sur la validité de brevets européens sur une base plus large que pendant la procédure de délivrance, et une solution pratique mettant la division d'opposition en mesure d'atteindre ce but.
IX. Dans sa question, le Président a aussi attiré l'attention sur l'étroite relation existant entre cette question de droit pour laquelle il a saisi la Grande Chambre de recours, et celle qui constitue l'objet de l'affaire G 9/91 (cf. point VI supra), en soulignant que le fondement global de l'opposition selon la règle 55 c) CBE est déterminé par la mesure dans laquelle le brevet européen est mis en cause, ainsi que par les motifs sur lesquels l'opposition se fonde.
X. Le 15 avril 1992, considérant que les questions de droit dont elle est saisie dans les affaires G 9/91 et G 10/91 sont analogues, la Grande Chambre de recours a décidé de les examiner au cours d'une procédure commune, en application de l'article 8 du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours.
XI. Dans une notification en date du 27 avril 1992, les parties à la procédure dans l'affaire G 9/91 (T 580/89) ont été informées de la saisine de la Grande Chambre par le Président de l'OEB dans l'affaire G 10/91, et invitées à présenter d'éventuelles observations devant la Grande Chambre. L'opposant (requérant) dans l'affaire G 9/91 a déposé des observations par lettre datée du 25 août 1992 ; le titulaire du brevet (intimé) a déclaré quant à lui qu'il n'avait pas l'intention d'en formuler.
XII. Le 30 novembre 1992, une procédure orale s'est tenue devant la Grande Chambre en présence de représentants de l'opposant (requérant) pour l'affaire G 9/91 et d'un représentant du Président de l'OEB pour l'affaire G 10/91 ; le titulaire du brevet (intimé) dans l'affaire G 9/91 a fait savoir qu'il ne souhaitait pas participer à la procédure orale.
Motifs de la décision
1. Les questions soumises à la Grande Chambre dans les présentes affaires portent sur des points fondamentaux relatifs aux procédures de recours et d'opposition au titre de la CBE.
2. En ce qui concerne la portée générale de l'opposition prévue par la CBE, il importe que la procédure n'ait lieu qu'après la délivrance du brevet européen, c'est-à-dire à un moment où son titulaire jouit, dans chacun des Etats contractants désignés, des mêmes droits que lui conférerait un brevet national délivré dans cet Etat (articles 64 et 99 CBE). Ainsi, l'opposant ne cherche pas, comme dans une opposition classique précédant la délivrance, à obtenir le rejet de la demande de brevet, mais la révocation du brevet délivré (en tout ou en partie), et l'annulation, dès l'origine, des effets prévus dans tous les Etats contractants désignés (article 68 CBE). De plus, étant donné que les motifs d'opposition (article 100 CBE) sont limités aux motifs de nullité prévus par la législation nationale (article 138 CBE) et qu'ils sont essentiellement les mêmes que ces derniers, il apparaît que le concept d'opposition après délivrance, prévu par la CBE, diffère considérablement de la notion classique d'opposition précédant la délivrance ; il présente en fait plusieurs caractéristiques importantes qui s'apparentent davantage au concept de la procédure de révocation traditionnelle (cf. Haertl dans GRUR INT, avril 1970, p. 99 : "La procédure d'opposition après délivrance s'apparente dans ses effets à une procédure européenne en annulation"). Cette caractéristique a été encore accentuée en ménageant, à un stade ultérieur de la préparation de la CBE, la possibilité de faire opposition à un brevet européen, même s'il a été renoncé à ce brevet pour tous les Etats contractants ou si celui-ci s'est éteint pour tous ces Etats (article 99(3) CBE ; cf. le rapport de M. Braendli figurant dans le procès-verbal de la Conférence diplomatique de Munich, publié par le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, p. 198 : "... que cette innovation permet de faire progresser la procédure d'opposition sur la voie d'une véritable procédure en nullité").
Dans ces conditions, on peut s'interroger sur la justesse de la déclaration, du moins en tant que généralisation, faite par la Grande Chambre de recours dans l'affaire G 1/84 (JO OEB 1985, 299, point 4 de l'exposé des motifs : "... l'on aurait tort de les considérer (les procédures d'opposition prévues par la CBE) comme des procédures essentiellement contentieuses qui opposent des parties en conflit et dans lesquelles l'instance qui rend la décision prend une position neutre, comme ce serait le cas dans une procédure d'annulation portée devant un tribunal national". Il convient de replacer dans le contexte particulier de l'affaire G 1/84 cette déclaration à laquelle il est parfois fait référence dans le débat portant sur les points discutés ici, à l'appui d'une vaste approche d'investigation par l'OEB. En tout état de cause, la Grande Chambre de recours, dans sa composition actuelle, estime que la procédure d'opposition après délivrance prévue par la CBE doit en principe être considérée comme une procédure contentieuse entre des parties défendant normalement des intérêts opposés, et auxquelles il faut accorder un traitement équitable.
3. Le propre de toute procédure d'opposition après délivrance est que l'office des brevets ne peut plus exercer d'action sur un brevet délivré, même s'il apparaît clairement après la délivrance du brevet que celui-ci n'est pas valable sauf si une opposition recevable est introduite. Si tel n'est pas le cas, le brevet ne peut être attaqué que dans le cadre d'une procédure de nullité devant un tribunal national. En d'autres termes, la compétence d'un office à statuer sur le brevet considéré sera fonction de l'action menée par l'opposant.
4. Un système d'opposition après délivrance peut être conçu de différentes façons. Il serait par exemple concevable de permettre à l'opposant de se limiter à présenter une simple requête en réexamen général de la demande de brevet telle que déposée, sur la base de quelques observations générales. Telle n'est cependant pas la conception de la procédure d'opposition après délivrance selon la CBE. Comme il ressort de l'article 99, ensemble la règle 55c) CBE, l'acte d'opposition doit entre autres comporter une déclaration précisant la mesure dans laquelle le brevet européen est mis en cause par l'opposition, les motifs sur lesquels l'opposition se fonde ainsi que les faits et justifications invoqués à l'appui de ces motifs. L'importance de cette condition est soulignée par le fait que son inobservation dans le délai de neuf mois fixé par l'article 99(1) CBE entraîne le rejet de l'opposition comme irrecevable en vertu de la règle 56(1) CBE, l'OEB perdant alors toute compétence pour statuer sur le brevet.
5. La question cruciale dans les affaires soumises ici à la Grande Chambre est donc de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure une division d'opposition ou une chambre de recours examinant une opposition ou un recours est tenue par la déclaration de l'opposant visée à la règle 55c) CBE, précisant la mesure dans laquelle le brevet est mis en cause par l'opposition et les motifs sur lesquels l'opposition se fonde. Autrement dit, est-ce que cette déclaration limite la compétence et les obligations de l'OEB dans l'examen de l'affaire, ou bien est-ce que cet examen peut ou doit aller au-delà de la portée de l'opposition et s'étendre à d'autres parties du brevet ainsi qu'à d'autres motifs d'opposition que ceux compris dans cette déclaration ? Autre question à examiner dans ce contexte : faut- il ou non appliquer les mêmes principes dans une procédure devant une division d'opposition et dans une procédure de recours, eu égard à la différence de nature juridique entre ces deux procédures ?
6. En vertu de l'article 101(2) CBE, l'examen de l'opposition doit se dérouler conformément aux dispositions du règlement d'exécution (c'est-à-dire des règles). Si l'on ne lit la règle 55c) CBE qu'en association avec la règle 56(1) CBE, l'on peut avoir l'impression que le contenu de la déclaration selon la règle 55c) CBE n'implique qu'une condition de forme concernant la recevabilité de l'opposition, sans autre effet juridique sur l'examen de l'opposition. Il semblerait que ce soit là le point de vue de l'opposant (requérant) dans l'affaire G 9/91. D'après la Grande Chambre, il s'agit là d'une conception trop restrictive de la fonction de la règle 55c) CBE, laquelle doit être considérée dans le cadre général de la CBE, en tenant compte du caractère particulier que revêt le système d'opposition après délivrance tel qu'exposé ci-avant. Vue sous ce jour, la règle 55c) CBE n'a de sens que si on l'interprète comme ayant la double fonction de régir (en combinaison avec d'autres dispositions) la recevabilité de l'opposition et d'établir simultanément le cadre de droit et de fait dans lequel l'examen quant au fond de l'opposition devra en principe se dérouler. Cette dernière fonction a ceci d'important qu'elle offre au titulaire du brevet une chance équitable de définir sa position à un stade précoce de la procédure.
7. Cela dit, il s'agit de savoir si le cadre général décrit ci- dessus pour le déroulement de l'examen quant au fond de l'opposition peut faire l'objet d'exceptions. De l'avis de la Chambre, il faut distinguer ici les deux principales exigences auxquelles doit satisfaire la déclaration selon la règle 55c) CBE, c'est-à-dire l'indication de la mesure dans laquelle le brevet européen est mis en cause, et celle des motifs d'opposition.
8. Il convient de noter au sujet de la première de ces deux exigences, qui est l'objet de la question soumise à la Grande Chambre dans l'affaire G 9/91 que, dans la pratique, il est plutôt inhabituel que l'opposition se limite à une partie (élément) du brevet. En règle générale, elle porte sur l'ensemble du brevet. Cela n'est parfois pas déclaré explicitement dans l'acte d'opposition, mais il en ressort implicitement que l'opposition porte sur le brevet dans sa totalité. Il peut y avoir des cas où l'acte d'opposition doit être interprété sur ce point, notamment lorsqu'il ne met explicitement en cause que certaines revendications (cf. décision du 20 juillet 1989 dans la décision T 192/88). Toutefois, la Grande Chambre ne voit aucune raison d'approfondir la question dans le contexte présent ; elle se bornera à examiner, pour l'essentiel, la situation dans laquelle il apparaît clairement à la lecture de la déclaration visée à la règle 55c) CBE que le brevet n'est mis en cause qu'en partie, comme le montre par exemple l'affaire portée devant la chambre de recours 3.3.3 statuant en l'espèce (cf. le point I supra, ainsi que le point 11 infra).
9. A noter également que la jurisprudence des chambres de recours en la matière est très limitée. En fait, il semblerait qu'il existe une seule décision - en l'occurrence la décision T 9/87 mentionnée au point IV supra - analysant de manière approfondie les incidences juridiques de la déclaration visée à la règle 55c) CBE, lorsque celle-ci limite la mesure dans laquelle le brevet européen est mis en cause. Dans cette décision, il est conclu que l'examen d'une opposition conformément aux dispositions de l'article 101 CBE est limité par la déclaration figurant dans l'acte d'opposition, qui précise la mesure dans laquelle le brevet est mis en cause par l'opposition. A cet égard, l'application de l'article 101 CBE prime celle de l'article 114(1) CBE. Il y est en outre indiqué que ni la division d'opposition, ni une chambre de recours n'ont l'obligation ou le pouvoir d'examiner et de trancher la question du maintien du brevet européen, excepté dans la mesure dans laquelle ce brevet est mis en cause par l'opposition. Il apparaît que l'idée sous- jacente de cette décision est principalement que la procédure d'opposition constitue une exception au principe inscrit dans la CBE selon lequel, une fois délivré, un brevet européen est soustrait à la compétence de l'OEB et devient un faisceau de brevets nationaux relevant de la juridiction des Etats contractants désignés. Dans les conclusions qu'il a fait valoir devant la Grande Chambre, l'opposant (requérant) a, dans l'affaire G 9/91, contesté cette décision, notamment pour ne pas avoir dûment tenu compte de l'importance prioritaire de l'article 114 CBE.
10. La conclusion de la Grande Chambre de recours se rapproche en l'espèce de celle tirée dans la décision T 9/87 susmentionnée. L'exigence posée à la règle 55c) CBE de préciser dans quelle mesure le brevet est mis en cause par l'opposition dans le délai fixé à l'article 99(1) CBE serait de toute évidence dénuée de sens si, ultérieurement, des parties du brevet autres que celles ainsi mises en cause pouvaient être librement introduites dans la procédure. Ceci serait contraire à la conception de base de l'opposition après délivrance telle que prévue par la CBE, et exposée ci-avant. En limitant son opposition à certains éléments du brevet, l'opposant s'abstient délibérément de faire usage du droit que lui confère la CBE de faire opposition aux autres éléments couverts par le brevet. Ces éléments ne sont donc, à proprement parler, soumis à aucune "opposition" au sens où l'entendent les articles 101 et 102 CBE, et il n'existe aucune "procédure" au sens des articles 114 et 115 CBE portant sur ces éléments non contestés. Par conséquent, l'OEB n'est absolument pas compétent pour les traiter.
11. Aussi doit-on répondre par l'affirmative à la première question soumise à la Grande Chambre dans l'affaire G 9/91. Néanmoins, même si l'opposition ne vise explicitement que l'objet d'une revendication indépendante d'un brevet européen, les objets de revendications qui dépendent d'une telle revendication indépendante peuvent, si celle-ci n'est pas admise dans la procédure d'opposition ou de recours, être également examinés quant à leur brevetabilité, à condition que leur validité soit, de prime abord, douteuse compte tenu des informations existantes (cf. T 293/88, JO OEB 1992, 220). Ces objets dépendants doivent être considérés comme implicitement couverts par la déclaration visée à la règle 55c) CBE (cf. point 8 supra).
12. S'agissant de la seconde exigence principale prévue par la règle 55c) CBE, c'est-à-dire l'indication des motifs sur lesquels l'opposition se fonde, question à l'origine de la saisine de la Grande Chambre dans l'affaire G 10/91, les problèmes soulevés diffèrent de ceux concernés par la première exigence (cf. supra) : alors que la question de la portée de l'opposition fait appel à la compétence formelle d'une division d'opposition ou d'une chambre de recours pour statuer sur une partie d'un brevet européen non contestée en temps utile, les problèmes relatifs aux motifs d'opposition concernent plutôt les principes de procédure qu'il s'agit d'appliquer dans la procédure d'opposition lorsqu'une opposition, fondée sur au moins un des motifs visés à l'article 100 CBE, a été valablement formée contre le brevet européen (ou une partie de celui-ci), conformément à la règle 55c) CBE. Dans ce dernier cas, le brevet (ou la partie concernée) fait déjà l'objet d'une attaque.
13. Comme le Président de l'OEB l'a fait observer, des avis très divergents ont été émis sur cette question de droit dans la jurisprudence des chambres de recours. En particulier, les décisions T 493/88 et T 182/89 constituent des points de vue incompatibles. Dans l'affaire T 493/88, l'idée soutenue est que les articles 101(1) et 102(2) CBE se réfèrent clairement à l'ensemble des motifs d'opposition énoncés à l'article 100a), b) et c) CBE, et ne contiennent aucune limitation du champ de l'examen à conduire par la division d'opposition aux seuls motifs d'opposition invoqués par l'opposant dans son acte d'opposition en vertu de la règle 55c) CBE ; toute interprétation opposée serait d'ailleurs en contradiction avec le principe de l'examen d'office établi par l'article 114(1) CBE. En d'autres termes, la division d'opposition a non seulement le droit, mais aussi le devoir d'examiner l'ensemble des motifs d'opposition énumérés à l'article 100 CBE, que l'opposant ait ou non, dans la déclaration visée à la règle 55c) CBE, fondé son opposition sur seulement un ou deux des trois motifs prévus. En revanche, dans l'affaire T 182/89, il a été conclu qu'il convenait en principe de ne pas interpréter l'article 114(1) CBE comme obligeant la division d'opposition ou une chambre de recours à vérifier s'il existe des éléments à l'appui de motifs d'opposition que l'opposant n'a pas correctement étayés, mais comme permettant à l'OEB d'examiner en détail les motifs d'opposition qui ont été à la fois invoqués et correctement étayés conformément à la règle 55c) CBE. Dans les arguments qu'il a fait valoir devant la Grande Chambre, l'opposant (requérant) a, dans l'affaire G 9/91, fermement souscrit à l'approche adoptée dans la décision T 493/88, considérant que l'autre approche risquait d'entraîner le maintien de brevets européens non valables, ce qui ôterait à la CBE une partie de son attrait.
14. De toute évidence, la position adoptée dans la décision T 493/88 n'est pas compatible avec le principe établi par la Grande Chambre de recours au point 6 ci-avant, fondé sur le concept d'opposition après délivrance selon la CBE. En outre, le fait que les articles 101(1) et 102(2) CBE fassent référence aux "motifs" d'opposition énumérés à l'article 100 CBE, c'est-à-dire à l'ensemble de ces motifs, ne peut être interprété comme impliquant qu'ils doivent toujours être tous examinés, quelles que soient les conclusions de l'opposant. Par analogie, une interprétation purement littérale de l'article 102(1) CBE rendrait par exemple impossible la révocation d'un brevet dans les cas où tous les motifs d'opposition mentionnés à l'article 100 CBE ne sont pas opposables au maintien du brevet, ce qui serait tout simplement absurde. Le pluriel "motifs" doit être uniquement considéré comme un moyen juridico-technique destiné à couvrir tout le champ possible de l'examen. Il va sans dire que la position adoptée dans l'affaire T 493/88 est contraire à l'intérêt général de l'efficacité de la procédure.
15. La position adoptée dans l'affaire T 182/89 s'aligne davantage sur le concept d'opposition après délivrance selon la CBE, tel qu'exposé ci-dessus. La Grande Chambre reconnaît que l'article 114(1) CBE ne constitue pas une base juridique imposant un examen des motifs d'opposition qui ne sont pas contenus dans la déclaration visée à la règle 55c) CBE. La question cruciale reste cependant de savoir si l'article 114(1) CBE habilite la division d'opposition ou une chambre de recours à examiner ces motifs.
16. Bien que le texte de l'article 114 CBE ne mentionne pas expressément les motifs d'opposition, il semblerait que l'on trouve dans les travaux préparatoires de la CBE des éléments permettant de conclure que le principe de l'examen d'office effectué par l'OEB, tel qu'il est énoncé à l'article 114 CBE, doit s'étendre aux motifs d'opposition, du moins dans des procédures portées devant la division d'opposition (cf. BR/87/71, point 9). Cette idée a d'ailleurs été reprise et appliquée par l'OEB (cf. Directives relatives à l'examen quant au fond, partie D, chapitre V). La Grande Chambre n'estime pas qu'il soit justifié de changer cette pratique, dans la mesure où elle concerne la procédure devant la division d'opposition. Cette pratique vise manifestement à éviter le maintien de brevets européens non valables. Ainsi, une division d'opposition peut, en application de l'article 114(1) CBE, soulever d'office un motif d'opposition qui ne soit pas couvert par la déclaration visée à la règle 55c) CBE, ou examiner un motif invoqué par l'opposant (ou mentionné par un tiers en vertu de l'article 115 CBE) après l'expiration du délai prévu à l'article 99(1) CBE. Parallèlement, la Grande Chambre tient à souligner qu'il ne devrait être procédé devant la division d'opposition à l'examen de motifs qui ne sont pas réellement compris dans la déclaration selon la règle 55c) CBE, à titre d'exception au principe établi par la Chambre au point 6 ci-avant, que dans des affaires où, de prime abord, il existe de solides raisons de croire que ces motifs sont pertinents et qu'ils s'opposeraient en totalité ou en partie au maintien du brevet européen. Il faut bien évidemment garder à l'esprit qu'il est possible de ne pas tenir compte des faits qui n'ont pas été invoqués ou des preuves qui n'ont pas été produites en temps utile à l'appui de nouveaux motifs, en vertu de l'article 114(2) CBE.
17. Bien que la question soumise à la Grande Chambre dans l'affaire G 10/91 soit, quant à la forme, limitée aux procédures portées devant la division d'opposition, il convient ici de clarifier la situation également en matière de procédure de recours (cf. règle 66(1) CBE).
18. La finalité de la procédure de recours inter partes est principalement d'offrir à la partie déboutée la possibilité de contester le bien-fondé de la décision de la division d'opposition. Il n'entre pas dans cette finalité d'examiner les motifs d'opposition sur lesquels la décision de la division d'opposition ne s'est pas fondée. De plus, contrairement au caractère purement administratif de la procédure d'opposition, la procédure de recours est à considérer comme une procédure judiciaire, comme l'a expliqué la Grande Chambre dans des décisions qu'elle a rendues récemment au sujet des affaires G 7/91 et G 8/91 (cf. point 7 des motifs). Cette procédure a par nature un caractère moins inquisitoire qu'une procédure administrative. Il est donc justifié, bien que l'article 114(1) CBE concerne aussi en principe la procédure de recours, d'appliquer d'une manière générale cette disposition de façon plus restrictive dans une telle procédure que dans la procédure d'opposition. En ce qui concerne en particulier des motifs d'opposition nouvellement invoqués, la Grande Chambre considère pour les raisons exposées ci-dessus qu'ils ne doivent en principe pas être présentés au stade du recours. Cette conception réduit également l'incertitude procédurale pour les titulaires de brevets qui seraient sinon confrontés à des complications imprévisibles à un stade très tardif de la procédure, avec comme risque la révocation du brevet, c'est-à-dire une perte de droits irrémédiable. Les opposants jouissent à cet égard d'une position plus confortable, puisqu'ils ont toujours la possibilité de déclencher une procédure d'annulation devant des tribunaux nationaux s'ils n'ont pas gain de cause devant l'OEB. Pourtant, une exception au principe susmentionné se justifie, en l'occurrence dans le cas où le titulaire du brevet accepte qu'un nouveau motif d'opposition soit pris en considération : volenti non fit injuria. Dans certains cas même, cela peut servir ses intérêts qu'un tel motif ne soit pas exclu de l'examen dans le cadre de la procédure centralisée devant l'OEB. Toutefois, pareil motif ne saurait évidemment être invoqué que par une chambre de recours ou, si c'est l'opposant qui l'invoque, n'être admis dans la procédure que si la chambre l'a déjà considéré comme étant de prime abord éminemment pertinent. Si un nouveau motif est admis dans la procédure, l'affaire doit, eu égard à la finalité susmentionnée de la procédure de recours, être renvoyée devant la première instance pour suite à donner, sauf s'il existe des raisons particulières de procéder autrement. On peut ajouter que si le titulaire du brevet n'accepte pas l'introduction d'un nouveau motif d'opposition, ce motif ne doit pas être examiné quant au fond dans la décision de la chambre de recours. Seul peut être mentionné le fait que la question a été soulevée.
19. Afin d'éviter tout malentendu, il importe en définitive de confirmer qu'en cas de modifications des revendications ou d'autres parties d'un brevet pendant une procédure d'opposition ou de recours, il faut examiner en détail si ces modifications sont compatibles avec les conditions posées par la CBE (eu égard par exemple aux dispositions de l'article 123(2) et (3) CBE).
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
La Grande Chambre de recours décide que les questions de droit qui lui ont été soumises doivent recevoir la réponse suivante :
La compétence d'une division d'opposition ou d'une chambre de recours pour examiner et trancher la question du maintien d'un brevet européen conformément aux articles 101 et 102 CBE dépend de la mesure dans laquelle il est mis en cause dans l'acte d'opposition prévu à la règle 55c) CBE. Toutefois, les objets de revendications qui dépendent d'une revendication indépendante peuvent, si celle-ci n'est pas admise dans la procédure d'opposition ou de recours, être également examinés quant à leur brevetabilité, à condition que leur validité soit, de prime d'abord, douteuse compte tenu des informations existantes.