Rappel de la procédure
I. Dans l'affaire T 59/87 "Additif réduisant le frottement" (JO OEB 1988, 347), la chambre de recours "Chimie" 3.3.1 a, par sa décision en date du 26 avril 1988, soumis d'office trois questions de droit à la Grande Chambre de recours en vertu de l'article 112(1) a) CBE, à savoir :
(i) Dans le cas o" il est présenté au cours d'une procédure d'opposition des modifications des revendications entraînant un changement de catégorie de ces revendications (en l'espèce : remplacement d'une revendication portant sur un "composé" par une revendication portant sur l'"utilisation dans un but déterminé de ce composé dans une composition"), quelles sont les considérations qui doivent inspirer la décision relative à l'admissibilité de ces modifications au regard des dispositions de l'article 123(3) CBE ? En particulier, dans quelle mesure convient-il de tenir compte des législations nationales des Etats contractants en matière de contrefaçon ?
(ii) Est-il possible, au cours de la procédure d'opposition, de modifier un brevet comportant des revendications relatives à un "composé" et à une "composition comprenant ce procédé", de manière à ce que l'objet des revendications devienne "l'utilisation" dans un but précis "de ce composé dans une composition" ?
(iii) Une revendication portant sur l'utilisation d'un composé dans un but précis, ne relevant pas du domaine médical, est-elle nouvelle, au sens où l'entend l'article 54 CBE, par rapport à un document antérieur qui divulgue la mise en oeuvre de ce même composé dans un but différent, ne relevant pas du domaine médical, la nouveauté de la revendication résidant de ce fait uniquement dans le but dans lequel le composé est utilisé ?
II. Dans une notification en date du 14 octobre 1988, un avis préliminaire a été émis à propos de la question (i), et les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur toutes les questions. S'agissant de la question (iii), il leur a été signalé que dans le recours G 6/88, également en instance, une question identique pour le fond avait été soumise à la Grande Chambre, par décision T 208/88 en date du 20 juillet 1988.
Les deux parties ont présenté une première série d'observations, l'une le 1er, l'autre le 23 février 1989, et d'autres observations ultérieurement dans leur réponse en date respectivement du 30 mai et du 5 juin 1989. Toutes deux ont requis une procédure orale en vertu de l'article 116 CBE.
III. Question (i) :
Dans la notification en date du 14 octobre 1988, il était indiqué que la "protection conférée" par un brevet doit être déterminée conformément aux dispositions de l'article 69 CBE et de son protocole interprétatif, et est distincte des "droits conférés" par un brevet qui, en vertu de l'article 64(1) CBE, doivent être déterminés par les législations nationales des Etats contractants désignés. Par conséquent, en application de l'article 123(3) CBE, la question à examiner est celle de savoir s'il y a extension de l'objet protégé par la revendication, tel que défini par ses caractéristiques techniques.
La requérante a fait valoir qu'il n'existait pas de ligne de démarcation très stricte entre les différentes catégories de revendications et entre la protection qu'elles confèrent. Les considérations appelées par les dispositions de l'article 123(3) CBE étaient celles qu'avait développées la Grande Chambre dans la notification précitée.
L'intimée a soutenu que la portée d'une revendication d'"utilisation" d'un article est plus limitée que celle d'une revendication relative dès le départ à un "article", et qu'il n'était pas nécessaire de tenir compte des législations nationales en matière de contrefaçon, pour le motif exposé dans ladite notification.
IV. Question (ii) :
La requérante, invoquant la décision T 378/86 (JO OEB 1988, 386), a affirmé que la protection conférée par une revendication de "produit" englobe celle conférée par une revendication d'"utilisation", et a fait valoir en outre que la transformation d'une revendication portant sur un produit en tant que tel en une revendication portant sur une utilisation constituait par conséquent un disclaimer.
L'intimée a répondu qu'une telle modification ne contrevenait pas à l'article 123(3) CBE, et qu'elle pouvait être admise à condition qu'une telle utilisation soit exposée dans le texte du fascicule de brevet tel qu'il a été déposé à l'origine et tel qu'il a été délivré, et que l'utilisation soit nouvelle et implique une activité inventive.
V. Question (iii) :
(a) Dans les premières observations qu'elle a formulées, la requérante a prétendu que l'utilisation ou le but envisagé tel qu'exprimé dans les revendications confère un caractère de nouveauté à l'objet de ces revendications, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence constante des chambres de recours, rendue conformément à la CBE.
Les conclusions présentées par l'auteur du recours G 6/88 ont été reprises par la requérante dans la présente espèce.
(b) Dans les premières observations qu'elle a présentées, l'intimée a affirmé que c'est à tort que la chambre de recours avait conclu, dans la décision T 231/85 (JO 1989,74), que la divulgation d'une substance n'est pas opposable à la nouveauté d'une utilisation inconnue jusqu'ici de cette substance, même si la nouvelle utilisation ne requiert pas d'autre réalisation technique.
Elle a par ailleurs déclaré que la décision T 231/85 ne tenait pas compte des dispositions de l'article 52(2) CBE, aux termes desquelles les découvertes sont exclues des inventions brevetables au sens de l'article 52(1) CBE.
En ce qui concerne les faits dans la présente espèce, l'intimée a en outre indiqué qu'en soi l'"utilisation" décrite antérieurement conduisait aussi à la nouvelle utilisation revendiquée, de sorte qu'il était impossible au titulaire du brevet de faire valoir des droits sur la base de la revendication d'utilisation proposée.
Elle a allégué qu'il était de l'intérêt légitime du public que les inventions du type de celles dont il est question ici ne soient pas brevetables, le public devant pouvoir se servir des divulgations antérieures sans risquer d'être poursuivi pour contrefaçon d'une invention divulguée dans un brevet ultérieur, lorsqu'il s'agit d'une simple découverte d'une nouvelle propriété ou utilisation.
(c) Dans sa réponse, la requérante a indiqué notamment que la question (iii) concernait le problème de la nouveauté aux termes de l'article 54 CBE, et non celui de la brevetabilité en vertu de l'article 52 CBE.
(d) A l'appui de ses conclusions précédentes relatives au problème de la nouveauté, l'intimée a développé des considérations relatives à la doctrine dite "du contenu intrinsèque" (doctrine of inherency).
Elle a prétendu que la revendication proposée n'était pas nouvelle, la nouvelle utilisation n'impliquant pas un nouveau mode de réalisation, et qu'il serait conforme aux législations et aux pratiques de presque tous les Etats contractants de constater le manque de nouveauté, la principale raison en étant que l'utilisation de l'additif divulguée antérieurement en vue de prévenir la formation de rouille était aussi, en soi, une utilisation comme additif réduisant le frottement.
VI. (a) Au cours de la procédure orale qui a eu lieu le 26 juin 1989, la requérante a fait observer que la requête en modification qu'elle avait formulée en vue d'introduire la revendication d'"utilisation" avait été à l'origine de la procédure engagée devant la Grande Chambre (cf. décision T 59/87), et qu'elle se fondait sur l'argumentation développée dans la décision G 5/83, notamment au point 21.
S'agissant de la question de la nouveauté du but poursuivi par l'invention, elle a indiqué que la question essentielle était de savoir si le but était ou non d'ordre technique : dans l'affirmative, il y avait nouveauté, même si le mode de réalisation de ce but était identique à un mode de réalisation connu antérieurement.
Par ailleurs, elle a contesté sur trois points les observations formulées précédemment par l'intimée dans sa réponse :
(i) la relation établie entre "nouveauté du but" et "découverte" ;
(ii) les difficultés que rencontrerait selon l'intimée le titulaire du brevet qui voudrait faire valoir des droits sur la base d'une revendication d'utilisation en vue d'un but nouveau ;
(iii) la doctrine du contenu intrinsèque.
(b) Dans sa réponse, l'intimée s'est également appuyée sur la décision G 5/83. Elle a insisté sur la distinction existant entre "nouvelle utilisation d'une chose ancienne pour un but nouveau" et "utilisation ancienne d'une chose ancienne pour un but nouveau". Ce dernier type de revendication n'était généralement jamais admissible. Une telle revendication conférerait une protection sur une base subjective, ce qui n'est pas conforme à la législation en matière de contrefaçon.
Au terme de la procédure orale, la Grande Chambre a réservé sa décision.
VII. Par lettre en date du 3 août 1989, le Président de l'Office européen des brevets a présenté par écrit au président de la Grande Chambre de recours une demande motivée en vue d'être invité à présenter ses observations sur des questions d'intérêt général que soulevait la question (iii), conformément à l'article 11bis du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours qui est entré en vigueur le 7 juillet 1989 (JO OEB 1989, 362).
Par lettre en date du 13 septembre 1989, le président de la Grande Chambre a répondu au Président de l'Office que la Grande Chambre avait décidé de ne pas l'inviter à présenter ses observations, du fait notamment que le point de droit en question avait été soumis pour la première fois à la Grande Chambre le 26 avril 1988, qu'une procédure orale avait eu lieu le 26 juin 1989, et que la Grande Chambre était déjà parvenue à un stade avancé de ses délibérations en vue d'une prise de décision.
Motifs de la décision
Rappel et introduction
1.Dans la présente affaire, une chambre de recours a soumis trois questions à la Grande Chambre de recours, deux points de droit d'importance fondamentale ayant été soulevés au cours de la procédure relative au cas d'espèce dont cette chambre avait eu à connaître. Le premier a trait essentiellement à l'interprétation qu'il convient de donner de l'article 123(3) CBE, notamment dans le cas où il est présenté au cours d'une procédure d'opposition des modifications des revendications entraînant un changement de catégorie de ces revendications ; le second concerne essentiellement l'interprétation qu'il convient de donner de l'article 54 CBE, notamment lorsque la seule caractéristique nouvelle d'une revendication d'utilisation réside dans le but assigné à cette utilisation.
Etant donné la finalité assignée par l'article 112 CBE à la saisine de la Grande Chambre de recours, il est bon, dans un cas tel que celui dont il est question ici, que la Grande Chambre n'aborde pas de manière trop restrictive les questions qui lui ont été soumises, mais les examine et y réponde de façon à clarifier les points de droit qu'elles recouvrent.
2. Les deux points de droit soulevés ici concernent l'interprétation et la portée des revendications de brevet.
2.1. Avant l'entrée en vigueur de la CBE en 1978, le rôle joué par les revendications de brevet pour la détermination de la protection conférée par un brevet a évolué de manière différente au sein des systèmes nationaux de brevets des pays devenus entre temps des Etats contractants. Ces évolutions différentes étaient le reflet en quelque sorte de conceptions nationales différentes en ce qui concerne la protection par brevet.
En particulier, la mesure dans laquelle le texte des revendications déterminait l'étendue de la protection conférée variait considérablement d'un pays à l'autre, ce qui a entraîné des différences non négligeables dans la manière dont les demandeurs rédigeaient leurs revendications.
Dans certains pays, notamment en Allemagne, la protection conférée par un brevet dépendait dans la pratique moins du texte même des revendications que de ce qui était perçu sur la base du concept inventif général comme étant l'apport de l'inventeur en matière technique, tel que divulgué dans le brevet. Dans d'autres pays, en particulier au Royaume-Uni, il était très important de formuler les revendications de manière précise, car elles devaient délimiter ce qui était protégé et ce qui ne l'était pas, afin de préserver la sécurité juridique.
La manière de rédiger les revendications a bien entendu évolué de façon différente selon les pays, en fonction du rôle plus ou moins important qu'elles jouaient dans chacun. Dans un pays comme le Royaume-Uni, le texte des revendicationsdevait, bien évidemment, donner une définition beaucoup plus précise de l'objet de la protection recherchée que dans des pays tels que l'Allemagne où il était plus approprié d'indiquer en quoi consistait essentiellement le concept inventif.
2.2. Il existe deux types fondamentaux de revendications, à savoir les revendications portant sur une chose (par exemple : produit, dispositif) et les revendications portant sur une activité physique (par exemple : méthode, procédé, utilisation). Ces deux types fondamentaux de revendications sont parfois désignés comme constituant les deux "catégories" possibles de revendications. Toutefois, dans la présente décision, le terme "catégorie" est utilisé pour désigner d'une manière générale les différentes classifications possibles de revendications.
A l'intérieur des deux types fondamentaux de revendications mentionnés ci-dessus, différentes sous-classes sont possibles (par exemple : composé, composition, machine ; ou méthode de fabrication, procédé d'obtention d'un composé, méthode d'essai, etc.). En outre, il peut également y avoir des revendications comportant des caractéristiques relatives les unes à des activités physiques, et les autres à des choses. Entre les différentes formes possibles de revendications, les lignes de démarcation sont floues.
2.3. Les trois questions qui ont été soumises à la Grande Chambre de recours concernent les revendications "d'utilisation", c'est-à-dire les revendications définissant l'"utilisation du composé X dans un but précis", ou rédigées de façon similaire.
Le fait de reconnaître ou de découvrir une propriété jusque-là inconnue d'un composé connu, cette propriété produisant un effet technique nouveau, peut à l'évidence constituer un apport utile et inventif en matière technique.
Dans des pays comme l'Allemagne, on a cherché communément pendant de nombreuses années à protéger de telles inventions au moyen de revendications "d'utilisation". Dans des pays tels que le Royaume-Uni, il était rare avant 1978 que les demandes de brevet et les brevets contiennent de telles revendications d'utilisation ; une revendication de ce type aurait normalement été formulée en termes de principales étapes physiques composant l'"activité" à protéger.
2.4. Même après l'entrée en vigueur de la CBE, les demandes de brevet européen provenant des différents Etats contractants ont continué d'une manière générale à comprendre des revendications rédigées comme il était d'usage dans ces Etats contractants (cf. supra).
Toutefois, la question des conditions exigées pour la rédaction et la modification des revendications des demandes européennes de brevet et des brevets européens, ainsi que la question de la brevetabilité des inventions qui font l'objet de ces revendications, ne peuvent être tranchées que dans le cadre du droit institué par la CBE. La question du rôle que doivent jouer les revendications est d'une importance cruciale pour le fonctionnement du système du brevet européen.
2.5. L'article 84 CBE stipule que les revendications d'une demande de brevet européen "définissent l'objet de la protection demandée". La règle 29(1) CBE prévoit en outre que les revendications "doivent définir, en indiquant les caractéristiques techniques de l'invention, l'objet de la demande pour lequel la protection est recherchée". La formulation adoptée dans une revendication doit donc essentiellement viser à satisfaire à ces exigences, compte tenu de la nature particulière de l'invention concernée et également du but que poursuivent ces revendications.
Selon la CBE, les revendications ont pour but de permettre la détermination de l'étendue de la protection conférée par le brevet (ou la demande de brevet) (article 69 CBE), et donc aussi la détermination des droits du titulaire du brevet dans les Etats contractants désignés (article 64 CBE), eu égard aux conditions requises pour la brevetabilité aux articles 52 à 57 CBE.
Par conséquent, les caractéristiques techniques de l'invention sont les caractéristiques physiques qui lui sont essentielles.
Si l'on considère les deux types fondamentaux de revendications évoqués ci-dessus au point 2.2, les caractéristiques techniques indiquées dans une revendication portant sur une chose sont les paramètres physiques de cette chose, et les caractéristiques techniques indiquées dans une revendication portant sur une activité sont les étapes physiques qui définissent l'activité en question. Dans un certain nombre de décisions des chambres de recours, il a été constaté que dans certains cas, les caractéristiques techniques peuvent être définies en termes de fonctions (cf. par exemple T 68/85, JO OEB 1987, 228 ; T 139/85 EPOR*) 1987, 229). (*Ndt : EPOR = European Patent Office Reports, ESC Publishing Limited Oxford)
2.6. Il ressort de ce qui précède que l'objet d'une invention revendiquée comporte deux aspects : premièrement, la catégorie ou le type de revendications, et deuxièmement, les caractéristiques techniques qui constituent l'objet technique de l'invention.
3. Questions i) et ii)
Les deux premières questions soumises à la Grande Chambre recouvrant un même point de droit, elles vont être examinées en même temps.
3.1. La première question a trait à une proposition de modification des revendications impliquant un "changement de catégorie". Dans cette question, le mot "catégorie" est utilisé pour établir une distinction entre une revendication relative à un "composé" ou à une "composition" d'une part, et une revendication d'"utilisation" (d'une composition comprenant ce composé) d'autre part ; si l'on parle de "changement" de catégorie, c'est parce que la modification proposée introduit dans le brevet une revendication d'"utilisation", revendication qui n'existait pas antérieurement.
3.2. L'article 123(3) CBE prévoit que "..., les revendications du brevet européen ne peuvent être modifiées de façon à étendre la protection" ; en d'autres termes, ce qu'il faut considérer, c'est l'ensemble des revendications avant modification par comparaison avec l'ensemble des revendications après que les modifications proposées ont été apportées.
Il convient en outre de noter que rien dans l'article 123 CBE n'autorise à penser qu'une modification impliquant un changement de catégorie de revendication doit être considérée différemment d'une autre modification proposée au cours de la procédure d'opposition. Au contraire, les considérations inspirant une décision relative à l'admissibilité d'une modification impliquant un changement de catégorie de revendication sont, en principe, les mêmes que pour une décision portant sur l'admissibilité de toute autre proposition de modification au regard de l'article 123(3) CBE.
3.3. Dans la question i), en particulier, il est demandé à la Grande Chambre dans quelle mesure il doit être tenu compte des législations nationales des Etats contractants en matière de contrefaçon lorsque l'on a à décider de l'admissibilité de modifications au regard de l'article 123(3) CBE.
Ainsi qu'il a été indiqué plus haut au point 2.5, l'étendue de la protection conférée par un brevet doit être déterminée par interprétation de la teneur des revendications, et les droits du titulaire du brevet sont fonction de la protection qui est conférée. Il convient cependant de distinguer nettement entre la protection et les droits que confère un brevet européen. La protection conférée par le brevet est déterminée par la teneur des revendications (article 69(1) CBE), et notamment par les catégories auxquelles appartiennent ces revendications, ainsi que par les caractéristiques techniques indiquées dans celles-ci. C'est l'article 69 CBE et son protocole interprétatif qui doivent être appliqués à cet égard dans les procédures devant l'OEB comme dans les procédures menées dans les Etats contractants, chaque fois qu'il est nécessaire de déterminer l'étendue de la protection conférée.
En revanche, les droits qu'un brevet européen confère à son titulaire (article 64(1) CBE) sont ceux que la législation nationale d'un Etat contractant désigné peut conférer au titulaire, par exemple en ce qui concerne la question de savoir quels actes de tiers constituent une contrefaçon du brevet, et en ce qui concerne les remèdes existant en matière de contrefaçon.
Autrement dit, d'une manière générale, déterminer l'"étendue de la protection conférée" par un brevet en vertu de l'article 69(1) CBE, c'est déterminer ce qui est protégé, en termes de catégorie de revendication et de caractéristiques techniques, tandis que déterminer les "droits conférés" par un brevet, question qui relève uniquement de la compétence des Etats contractants désignés, c'est déterminer comment est protégé l'objet du brevet.
Il s'ensuit que, lorsqu'il s'agit de décider de l'admissibilité d'une modification des revendications d'un brevet proposée au cours d'une procédure d'opposition (que cette modification implique ou non un changement de catégorie des revendications), ce qui doit être pris en considération et ce qu'il convient de trancher, c'est la question de savoir s'il y a extension de l'objet protégé par les revendications, défini par les catégories auxquelles elles appartiennent ainsi que par les caractéristiques techniques qu'elles indiquent. Pour prendre cette décision, il n'est pas nécessaire en revanche de tenir compte des législations nationales des Etats contractants en matière de contrefaçon.
4. Lorsque l'on examine si une modification qu'il est proposé d'apporter aux revendications est susceptible d'étendre la protection conférée, il convient, dans un premier temps, de déterminer l'étendue de la protection conférée par le brevet avant cette modification : il est indispensable de savoir clairement quelle serait la protection conférée par le brevet en l'absence d'une telle modification avant de pouvoir décider si la modification proposée est de nature à étendre cette protection.
L'étendue de la protection doit être déterminée conformément à l'article 69(1) CBE et à son protocole interprétatif, qui peut servir de guide pour l'interprétation des caractéristiques techniques indiquées dans la revendication. Les Etats contractants, qui voyaient dans ce protocole une partie intégrante de la CBE, l'ont adopté pour disposer d'un mécanisme d'harmonisation des différentes approches suivies au niveau national pour la rédaction et l'interprétation des revendications (cf. point 2.1 supra.). Il est bien évident que le rôle central que jouent les revendications dans le cadre de la CBE serait ébranlé si la protection et, par suite, les droits conférés dans les différents Etats contractants désignés variaient considérablement du fait des traditions purement nationales d'interprétation des revendications : et le protocole, ajouté à la CBE à titre de complément et destiné en premier lieu à offrir une voie moyenne pour l'interprétation des revendications des brevets européens pendant toute leur durée d'existence, constituait un compromis entre les différentes approches suivies au niveau national pour l'interprétation et la détermination de l'étendue de la protection conférée ("... qui assure à la fois une protection équitable au demandeur et un degré raisonnable de certitude aux tiers").
Manifestement, le but visé par le protocole est d'éviter que l'on ne mette trop l'accent sur la formulation littérale des revendications, lorsqu'on les considère en les coupant du contexte dans lequel elles apparaissent à l'intérieur du brevet, et également d'éviter à l'inverse que l'on ne mette trop l'accent sur le concept inventif général ressortant du texte du brevet, comparé à l'état de la technique pertinent, sans qu'il soit tenu suffisamment compte par ailleurs de la formulation des revendications qui est elle aussi un moyen de définition.
C'est cette approche de l'interprétation des revendications que doit adopter l'OEB pour la détermination aux fins de l'article 123(3) CBE de l'étendue de la protection conférée.
4.1 D'une manière générale, la question à examiner dans le cadre de l'article 123(3) CBE est celle de savoir si l'objet défini par les revendications se trouve étendu ou au contraire restreint du fait de la modification apportée à ces revendications.
Une proposition de modification peut impliquer un changement de catégorie de revendication, ou un changement des caractéristiques techniques de l'invention, ou les deux. Chaque type de modification doit être considéré séparément.
Dans le cas d'un changement dans les caractéristiques techniques de l'invention revendiquée, si ces caractéristiques techniques se voient définies de façon plus étroite, une fois la modification apportée, l'étendue de la protection conférée est moindre ; si à l'inverse la modification apportée conduit à une définition moins étroite de ces caractéristiques techniques, il y a extension de la protection. En clair, si la modification apportée entraîne des changements dans les caractéristiques techniques, qui font que, après la modification, l'objet technique des revendications a une portée autre que l'objet technique avant la modification, on se trouve alors en bonne logique devant une extension de la protection.
Dans le cas d'un changement de catégorie de revendication (au sens où ce terme a été utilisé plus haut au point 3.1), il convient de comparer la protection conférée avant la modification par les catégories de revendications utilisées dans le brevet avec la protection conférée par la nouvelle catégorie de revendications introduite du fait de la modification qui a été apportée. Les considérations qui interviennent lorsqu'il est statué sur l'admissibilité de ce type de modification revêtent une importance capitale pour la réponse à apporter aux deux premières questions dont a été saisie la Grande Chambre.
5. Dans le cas de la situation de fait à laquelle il est fait référence dans la question ii), une telle modification est proposée d'ordinaire lorsque l'idée fondamentale qui a présidé à la rédaction de la demande, puis à la délivrance du brevet était que le composé est nouveau en tant que tel. Le jeu de revendications du brevet comporte donc des revendications relatives au composé et (le cas échéant) des revendications relatives à une composition comprenant ce composé (c.-à-d. des revendications relatives à une chose). L'utilisation ainsi découverte de ce composé ou de cette composition est normalement décrite dans le brevet, mais peut très bien ne pas être expressément revendiquée.
S'il est démontré dans l'exposé des motifs d'une opposition que le composé en tant que tel est déjà compris dans l'état de la technique, mais que l'utilisation du composé exposée dans le brevet ne l'est pas, le titulaire du brevet peut alors proposer une modification impliquant un changement de catégorie de revendication, de façon à introduire des revendications relatives à l'utilisation (divulguée) du composé (c.-à-d. des revendications relatives à une activité). Dans ce cas, du fait de ce changement de catégorie, les revendications comporteront des caractéristiques techniques supplémentaires.
La première question à examiner en pareil cas est celle de la protection conférée par une revendication portant sur une chose en tant que telle, un composé par exemple. Il est généralement admis comme un principe de base de la CBE qu'un brevet qui revendique une chose en tant que telle confère une protection absolue à cette chose ; et cela, en toutes circonstances et dans n'importe quel contexte (et donc confère une telle protection à toutes les utilisations de cette chose, connues ou inconnues). Il s'ensuit que, s'il peut être démontré que cette chose (un composé par exemple) est déjà comprise dans l'état de la technique (du fait par exemple qu'elle intervient dans une activité particulière), alors une revendication relative à cette chose en tant que telle est dénuée de nouveauté. Il s'ensuit également qu'une revendication relative à une utilisation particulière d'un composé n'est véritablement une revendication relative à cette chose (au composé) que si cette chose est utilisée au cours de l'activité physique particulière (l'utilisation), laquelle constitue dans la revendication une caractéristique technique supplémentaire. Une telle revendication confère donc une protection moindre qu'une revendication relative à la chose en tant que telle.
Une modification apportée à un brevet européen au cours de la procédure d'opposition, par simple changement de catégorie d'une revendication relative à une chose en tant que telle (un composé ou une composition, par exemple), qui devient une revendication relative à une activité physique impliquant l'utilisation de cette chose, n'étend donc pas la protection conférée par le brevet, et est par conséquent admissible.
5.1. La Chambre a examiné par ailleurs si, en vertu de l'article 64(2) CBE, une modification conduisant, par exemple, à transformer une revendication de composé en une revendication d'utilisation de ce composé entraîne une extension de la protection conférée. On pourrait notamment considérer que cette revendication d'"utilisation" équivaut, sur le plan conceptuel, à une revendication relative à un "procédé comportant une étape au cours de laquelle est utilisé le composé", et que l'article 64(2) CBE a pour effet d'étendre la protection au "produit" obtenu par ce procédé (quel qu'il soit) ; il y aurait ainsi extension de la protection au sens de l'article 123(3) CBE du fait de cette transformation d'une revendication relative à une chose (le composé) en une revendication relative à une chose différente (le "produit" obtenu par le procédé dans lequel est utilisé le composé).
Toutefois, la Chambre estime que dans le cas d'un changement de catégorie de revendication conduisant à une revendication d'"utilisation", l'application de l'article 64(2) CBE n'entraîne pas normalement une telle extension. En effet, il ne vise pas les brevets revendiquant l'utilisation d'un procédé en vue d'obtenir un effet donné (ce qui est l'objet normal d'une revendication d'utilisation), mais les brevets européens dont l'objet technique est un procédé d'obtention d'un produit ; il est stipulé dans cet article que, dans un tel brevet, la protection est conférée non seulement au procédé d'obtention revendiqué, mais aussi au produit obtenu directement par ce procédé.
Donc, dès lors qu'une revendication d'utilisation définit en réalité l'utilisation d'une chose particulière comme une utilisation en vue d'obtenir un "effet", et non comme une utilisation en vue d'obtenir un "produit", elle ne constitue pas une revendication de procédé au sens de l'article 64(2) CBE.
6. Question iii)
6.1. Les problèmes juridiques soulevés par la brevetabilité dans le cas de revendications portant sur l'utilisation nouvelle d'une substance connue ont fait l'objet des sept premières décisions (G 1/83 à G 7/83), qu'a dû rendre la Grande Chambre de recours (les décisions G 1/83, G 5/83 et G 6/83 ont été publiées respectivement en allemand, en anglais et en français dans le JO OEB 1985, 60, 64, 67). Ces décisions portent toutes sur la brevetabilité des indications médicales ultérieures d'une substance ayant déjà une première indication médicale connue, et sur le type de revendication qu'il conviendrait d'adopter pour protéger une telle invention. Ces décisions ont sensiblement la même teneur. Pour la présente décision, il suffira de se référer à la décision correspondante G 5/83, rédigée en anglais.
Les deux parties ayant cité la décision G5/83 et s'étant fondées sur son argumentation, la Grande Chambre a examiné dans quelle mesure le raisonnement développé dans ladite décision pouvait s'appliquer à la question de droit posée en la présente espèce.
La question de droit dont a été saisie la Grande Chambre dans l'affaire G5/83 avait été posée essentiellement en relation avec les dispositions de l'article 52(4) CBE, première phrase, qui excluent spécialement de la brevetabilité "les méthodes de traitement.... du corps humain ou animal", et de l'article 54(5) CBE, qui prévoit une exception à cette règle d'exclusion. Le raisonnement suivi dans la décision G5/83 vise donc avant tout à répondre à la question juridique de l'admissibilité de revendications ayant pour objet un type particulier d'invention dans le domaine de la médecine humaine ou vétérinaire. Dans cette décision, la ratio decidendi (les motifs nécessaires au soutien du dispositif) ne vise pour l'essentiel que la question de l'interprétation qu'il convient de donner des articles 52(4) et 54(5) CBE replacés dans leur contexte.
Dans ce domaine technique, la revendication d'utilisation de type classique est exclue par l'article 52(4) CBE. Cependant, l'article 54(5) CBE prévoit expressément une exception aux dispositions générales relatives à la nouveauté (articles 54(1) à (5) CBE) pour la première indication d'une substance ou d'une composition dans le domaine de la médecine humaine ou vétérinaire, en admettant les revendications relatives à des substances ou compositions faisant l'objet d'une telle indication. Dans la décision G 5/83, il s'agissait d'une exception limitée à apporter aux règles générales régissant la nouveauté dans le cas de la deuxième indication thérapeutique (et des indications ultérieures), mais il a été précisé expressément que le principe spécial ainsi posé pour l'appréciation de la nouveauté ne valait que pour les revendications portant sur l'utilisation d'une substance ou composition dans une méthode visée par l'article 52(4) CBE. La Grande Chambre de recours partage cette opinion dans la présente espèce et ne peut donc accepter les arguments que la requérante a avancés en se fondant sur la décision G 5/83.
La décision G 5/83 conduit à faire bénéficier l'inventeur d'une nouvelle indication d'un médicament connu d'une protection analogue, mais restreinte comparée à celle qui peut normalement être accordée pour une nouvelle utilisation non thérapeutique. La brevetabilité d'une deuxième utilisation non thérapeutique d'un produit a été clairement admise dans son principe lorsqu'il s'agit d'une utilisation nouvelle, qui implique une activité inventive (Cf. point 21 des motifs de ladite décision). La brevetabilité de la deuxième utilisation (ou de l'utilisation ultérieure) d'une substance ou d'une composition pour l'obtention d'un médicament destiné à une utilisation thérapeutique donnée, qui est nouvelle et implique une activité inventive, a elle aussi été admise. En effet, bien que la disposition de l'article 52(4) excluant de la brevetabilité les méthodes thérapeutiques (au motif que ces méthodes ne sont pas susceptibles d'application industrielle) conduise à faire considérer comme inadmissibles les revendications portant sur l'utilisation d'une substance à des fins thérapeutiques (cf. point 13 des motifs de la décision G 5/83), de telles revendications seraient sans nul doute admissibles (car susceptibles d'application industrielle) dans le cas d'une utilisation non thérapeutique. C'est ainsi qu'une revendication portant sur l'"utilisation de X pour le traitement de la maladie A chez les mammifères" ne peut être admise, à la différence d'une revendication portant sur l'"utilisation de X pour le traitement de la maladie B chez les céréales" (revendication admissible).
En revanche, la question de droit soumise à la Grande Chambre dans la présente espèce ne concerne pas les inventions médicales. Il s'agit d'une question de caractère général, portant essentiellement sur l'interprétation de l'article 54(1) et (2) CBE.
6.2. La question iii) implique que la seule caractéristique nouvelle indiquée dans la revendication en cause réside dans le but dans lequel est utilisé le composé. Toutefois, la question de l'interprétation de l'article 54(1) et (2) CBE et celle de l'étendue de la protection qui peut (ou non) être accordée pour des inventions relatives à une utilisation ultérieure non thérapeutique revêtant une importance générale, il conviendrait que la Grande Chambre examine de manière plus générale la question posée, en étudiant en particulier s'il existe d'autres interprétations possibles dans le cas de ces revendications d'utilisation.
7. Comme indiqué ci-dessus aux points 2 à 2.5 de l'introduction, les revendications d'un brevet européen doivent clairement définir les caractéristiques techniques de l'invention et, par conséquent, son objet technique, afin de permettre de déterminer la protection conférée par le brevet et d'apprécier par rapport à l'état de la technique si l'invention revendiquée est nouvelle, entre autres. Pour pouvoir être considérée comme nouvelle, l'invention revendiquée doit se distinguer de l'état de la technique par au moins une caractéristique technique essentielle.
Donc, lorsqu'il s'agit de décider si une revendication est nouvelle, il est essentiel d'analyser tout d'abord cette revendication afin de déterminer quelles sont les caractéristiques techniques qu'elle comporte.
7.1. En ce qui concerne le type de revendication dans la présente espèce, la requérante a déclaré (cf. ci-dessus point VI.a)) que si le nouveau but revendiqué est "d'ordre technique", l'objet de la revendication doit être considéré comme nouveau même si le mode de réalisation (c'est-à-dire la série de démarches) permettant de parvenir au nouveau but revendiqué est identique au mode de réalisation connu permettant de parvenir à un but connu.
L'intimée a répondu (cf. ci-dessus point VI.b)) qu'il convenait d'établir une distinction entre une revendication portant sur "l'utilisation nouvelle d'une chose ancienne dans un but nouveau" et une revendication ayant pour objet "l'utilisation ancienne d'une chose ancienne dans un but nouveau". Alors que la première revendication pourrait être considérée comme nouvelle, la deuxième ne devrait jamais l'être, car sa seule "caractéristique" nouvelle réside dans une nouveauté "purement intellectuelle" dépourvue d'"effet technique".
La Grande Chambre de recours estime pour sa part que la distinction établie par l'intimée est fondamentale et qu'il est possible de la développer ainsi : lorsque la revendication porte sur l'utilisation d'une chose connue dans un but nouveau, la première question qui se pose est de savoir quelles sont les caractéristiques techniques indiquées dans la revendication. Si la revendication indique, parmi ses caractéristiques techniques, un "nouveau mode de réalisation" permettant de parvenir au nouveau but, sous la forme d'une activité physique comportant des démarches qui dans l'état de la technique ne sont pas mises en relation avec la chose connue, la revendication est incontestablement nouvelle du fait de la présence de cette caractéristique technique.
Dans le cas où une revendication porte sur une utilisation d'une chose connue dans un but nouveau, la première question qui se pose est à nouveau de savoir quelles sont les caractéristiques techniques de l'invention revendiquée. Si dans l'état de la technique le "mode de réalisation" permettant de parvenir au nouveau but est déjà mis en relation avec la chose connue, et si les seules caractéristiques techniques indiquées dans la revendication sont la mise en relation de la chose (connue) avec le mode de réalisation (ancien), la revendication ne comporte pas de caractéristique technique nouvelle. Dans ce cas, la "nouveauté" de l'invention revendiquée n'existe que dans l'esprit de la personne exécutant cette invention : elle a donc un caractère subjectif et non objectif, et ne peut être prise en considération pour la détermination de la nouveauté au regard de l'article 54(1) et (2) CBE.
7.2. Dans le cas d'une revendication portant sur une utilisation nouvelle d'un composé connu (le but nouveau poursuivi par cette utilisation étant la seule caractéristique technique susceptible de présenter un caractère de nouveauté), la Grande Chambre estime donc que si la revendication, correctement interprétée, ne comporte pas de caractéristique technique témoignant de la nouveauté de cette utilisation, et que dans le texte de la revendication faisant valoir la nouveauté de cette utilisation sans définir de caractéristique technique, cette nouveauté a un caractère purement intellectuel, la revendication n'indique pas de caractéristique technique nouvelle et est inadmissible au regard de l'article 54(1) et (2) CBE (car les seules caractéristiques techniques indiquées dans la revendication sont connues).
7.3. Dans le cas d'une revendication n'indiquant pas de caractéristique technique nouvelle, il n'est évidemment pas nécessaire d'examiner si l'invention revendiquée concerne une découverte (comme le prétend l'intimée - cf. supra, point V.b)) ou si elle est exclue par ailleurs de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) CBE.
8. Selon la formulation que revêt une revendication donnée, l'interprétation exposée ci-dessus n'est cependant pas la seule que l'on puisse avancer dans le cas d'une revendication portant sur l'utilisation nouvelle d'un composé connu.
Dans certains cas, il peut s'avérer indispensable d'examiner et de trancher la question de savoir si une invention revendiquée constitue une découverte au sens de l'article 52(2)a) CBE. Pour cela, il est essentiel d'analyser tout d'abord la revendication en vue de déterminer quelles sont les caractéristiques techniques qu'elle indique. S'il apparaît clairement alors que l'invention revendiquée concerne une découverte ou un autre élément exclu "en tant que tel" (article 52(3) CBE), elle est exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 52(2) CBE. A cet égard, comme il a été affirmé dans la décision T 208/84 (JO OEB 1987, 14) (il s'agissait dans cette affaire d'une méthode mathématique et non d'une découverte, mais le principe posé reste valable), le fait que l'idée ou le concept qui sous-tend l'objet de la revendication constitue une découverte n'implique pas nécessairement que l'objet revendiqué soit une découverte "en tant que telle".
Dans certains cas, il se peut que des objections soient soulevées concurremment au titre des articles 54(1) et (2) et 52(2) et (3) CBE. Il s'agit toutefois d'objections distinctes.
9. Dans le cas où le texte d'une revendication définit clairement une nouvelle utilisation d'un composé connu, la revendication, considérée à la lumière de la formulation utilisée dans le reste du brevet, sera interprétée normalement comme comportant comme caractéristique technique l'obtention d'un nouvel effet technique sous-tendant la nouvelle utilisation. A cet égard, et compte tenu des développements figurant ci-dessus aux points 2.1 et 2.2, il conviendra de ne pas perdre de vue les principes posés dans le protocole interprétatif de l'article 69 CBE, ainsi qu'il a été souligné au point 4 ci-dessus. Ainsi, lorsqu'on se trouve en présence d'une telle revendication d'utilisation et qu'il est décrit dans le brevet un effet technique particulier sous-tendant une telle utilisation, l'interprétation correcte de cette revendication, conformément au protocole, voudra que la revendication comporte implicitement comme caractéristique technique une caractéristique d'ordre fonctionnel ; il sera dit, par exemple, que le composé produit réellement l'effet particulier.
9.1. A titre d'exemple de revendications devant être interprétées de cette façon, on peut citer celles dont il est question dans la décision T 231/85 (JO OEB 1989, 74). Les revendications en question définissent l'"utilisation" (de certains composés) "en vue de la lutte contre les champignons et d'un traitement préventif contre les champignons" - et la demande enseigne le mode de traitement permettant d'obtenir cet effet. Le document (1) publié antérieurement décrit l'utilisation de ces mêmes composés en vue d'influencer la croissance des plantes. Dans la demande visée par la décision susmentionnée comme dans le document (1), les traitements ont été exécutés de la même manière (par conséquent, les modes de réalisation étaient les mêmes).
La division d'examen avait conclu que l'invention revendiquée était dépourvue de nouveauté, au motif apparemment que le mode de réalisation était identique à celui indiqué dans le document (1) et que, par conséquent, l'effet revendiqué soustendant l'utilisation en vue de la lutte contre les champignons était nécessairement obtenu par le traitement décrit dans le document (1). En revanche, la chambre de recours avait estimé que l'invention revendiquée était nouvelle, en faisant valoir que l'enseignement technique ("Lehre") divulgué par la demande était différent de celui contenu dans le document (1), et que l'utilisation était inconnue jusque là, même si le mode de réalisation était identique.
Compte tenu de ce qui vient d'être exposé au sujet de l'interprétation des revendications (cf. point 9 ci-dessus), la Grande Chambre estime que la revendication en question devrait normalement être interprétée, en vertu du protocole interprétatif de l'article 69 CBE, comme comprenant implicitement la caractéristique technique fonctionnelle suivante :
les composés indiqués ont effectivement pour effet (c'est-à-dire pour fonction) de lutter contre les champignons lorsqu'ils sont utilisés conformément au mode de réalisation décrit. Cette caractéristique fonctionnelle est une caractéristique technique qui qualifie l'invention ; et il convient de considérer que la revendication d'utilisation est une revendication qui comporte des caractéristiques techniques concernant à la fois une chose (le composé et sa nature) et une activité physique (le mode de réalisation). Autrement dit, si l'on suit la méthode indiquée dans le protocole pour l'interprétation des revendications, une revendication portant sur "l'utilisation d'un composé A dans le but B" ne doit pas être interprétée littéralement comme comportant pour seules caractéristiques techniques "le composé" et "le mode de réalisation permettant de parvenir au but B" ; il convient de l'interpréter (le cas échéant) comme comportant également comme caractéristique technique la fonction qui consiste dans la réalisation du but B (ce qui constitue le résultat technique). La Grande Chambre juge que cette interprétation est conforme à l'objectif poursuivi par le protocole interprétatif de l'article 69 CBE.
Si dans un brevet donné, une telle revendication a été correctement interprétée comme comportant une telle caractéristique technique fonctionnelle, il reste encore une question à trancher, celle de la nouveauté de l'invention revendiquée.
10. Aux termes de l'article 54(2) CBE, l'état de la technique est constitué par "tout ce qui a été rendu accessible au public... par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen". Ainsi, quels que soient les moyens physiques utilisés pour rendre l'information accessible au public (par exemple : description écrite ou orale, usage, description par image à l'aide d'un film ou d'une photographie, etc., ou combinaison de ces différents moyens), la question de savoir ce qui a été rendu accessible au public est une question de fait qui se pose à chaque fois.
Le terme "accessible" donne à penser que, pour que l'absence de nouveauté puisse être constatée, toutes les caractéristiques techniques combinées dans l'invention revendiquée doivent avoir été communiquées au public ou ouvertes à l'inspection publique.
Dans le cas d'une "description écrite" ouverte à l'inspection publique, c'est notamment l'information contenue dans cette description qui est rendue accessible. Dans certains cas, en outre, l'information qui est en fait contenue dans la description écrite, l'enseignement par exemple des modes d'exécution d'un procédé, donne également accès à d'autres informations qui résultent nécessairement de l'application de cet enseignement (cf. décision T 12/81 Diastéréoisomères, JO OEB 1982, 296, points 7 à 10 des motifs ; décision T 124/87, Copolymers EPOR 1989, 33 ; et décision T 303/86 Flavour Concentrates, EPOR 1989, 95, par exemple).
Toutefois, dans chacun de ces cas, il convient d'établir une distinction entre ce qui est effectivement rendu accessible, et ce qui reste ignoré ou n'est pas rendu accessible d'une autre manière. A cet égard, il convient également de souligner la différence qui existe entre l'absence de nouveauté et l'absence d'activité inventive : une information équivalant à l'invention revendiquée peut avoir été "rendue accessible" (absence de nouveauté), ou peut ne pas l'avoir été, mais être évidente (nouveauté, mais absence d'activité inventive), ou encore ne pas avoir été rendue accessible et ne pas être évidente (nouveauté et existence d'une activité inventive). Il en découle donc en particulier que ce qui est resté ignoré peut néanmoins être évident.
10.1. Comme cela a été indiqué ci-dessus aux points Vb) et d), l'intimée a allégué qu'il y avait absence de nouveauté lorsqu'un composé, par exemple, a été décrit auparavant comme ayant fait l'objet d'une certaine utilisation, mais dans un but différent de celui poursuivi par l'utilisation revendiquée, et que l'utilisation décrite antérieurement a eu, intrinséquement, le même effet technique que celle revendiquée (doctrine dite du "contenu intrinsèque"). Elle a également fait valoir à cet égard les problèmes de contrefaçon qui peuvent se poser au cas où il ne serait pas conclu alors à l'absence de nouveauté, la personne procédant à l'utilisation décrite antérieurement risquant en particulier d'être poursuivie pour atteinte à un brevet déposé ultérieurement.
En réponse à ces allégations, la Grande Chambre voudrait souligner qu'en vertu de l'article 54(2) CBE, la question est de savoir ce qui a été "rendu accessible" au public, et non pas ce qui pouvait être "contenu intrinsèquement" dans ce qui a été rendu accessible (par une description écrite antérieure, ou dans l'utilisation antérieure, par exemple). Selon la CBE, l'utilisation non révélée du fait qu'elle n'a pas été mise à la disposition du public ne constitue pas un motif de récusation de la validité d'un brevet européen. A cet égard, les dispositions de la CBE peuvent différer de celles des législations nationales antérieures de certains Etats contractants et même des législations nationales actuelles de certains Etats non-contractants. En conséquence, la question du "contenu intrinsèque" ne se pose pas en tant que telle dans le cadre de l'article 54 CBE. La question des droits fondés sur l'utilisation antérieure d'une invention relève du droit national (cf. article 38 de la Convention sur le brevet communautaire, qui n'est pas encore entrée en vigueur).
Par ailleurs, en ce qui concerne les problèmes de contrefaçon évoqués ci-dessus, il convient de noter que la décision G5/83 poserait des problèmes analogues dans le domaine médical.
10.2. A titre d'exemple, on peut citer une nouvelle fois à cet égard la décision T 231/85. Si les revendications sont interprétées comme indiqué au point 9.1 ci-dessus, la question qui se pose pour l'appréciation de la nouveauté est de savoir si le document (1) a rendu accessible au public la caractéristique technique résidant dans le fait qu'utilisés conformément à la description, les composés avaient pour effet de permettre de lutter contre les champignons.
Dans cette décision, la chambre de recours avait fait référence à l'utilisation "inconnue jusqu'ici" de ces composés en vue de lutter contre les champignons, ainsi qu'à l'enseignement entraînant "sans... qu'on le sache un effet de protection" (le procédé de traitement des plantes à l'aide de ces composés ("le mode de réalisation") étant toutefois le même). Ainsi, bien que le document (1) ait décrit le traitement de plantes par les composés en vue d'en influencer la croissance, lequel traitement, une fois mis en oeuvre, aurait nécessairement et intrinsèquement constitué une utilisation de ces composés en vue de lutter contre les champignons, il apparaît que dans la revendication la caractéristique technique mentionnée ci-dessus sous-tendant une telle utilisation n'a pas été rendue accessible au public par la description écrite antérieure contenue dans le document (1).
10.3. La réponse à apporter à la question iii) peut donc se résumer comme suit : dans le cas d'une revendication portant sur une nouvelle utilisation d'un composé connu, cette nouvelle utilisation peut correspondre à l'obtention d'un effet technique qui vient d'être découvert et qui est décrit dans le brevet. Il convient alors de considérer l'obtention de cet effet technique comme étant une caractéristique technique fonctionnelle indiquée dans la revendication (par exemple, l'obtention de cet effet technique dans un contexte particulier). Si cette caractéristique technique n'a pas été rendue accessible au public antérieurement par les moyens indiqués à l'article 54(2) CBE, l'invention revendiquée est nouvelle, bien qu'en soi cet effet technique ait déjà pu être obtenu au cours de la mise en oeuvre de ce qui a été précédemment rendu accessible au public.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit : La Grande Chambre de
recours apporte les réponses suivantes aux questions de droit qui lui ont été soumises :
i) La présentation, au cours de la procédure d'opposition, de modifications des revendications d'un brevet délivré, modifications entraînant un changement de catégorie de ces revendications, n'appelle pas d'objection au titre de l'article 123(3) CBE, à condition que cette modification n'ait pas pour effet d'étendre la protection conférée par l'ensemble des revendications, interprétées conformément à l'article 69 CBE et à son protocole interprétatif. A cet égard, il n'y a pas lieu de tenir compte des législations nationales des Etats contractants en matière de contrefaçon.
ii) Une modification par laquelle les revendications du brevet délivré portant sur "un composé" et sur "une composition comprenant ce composé" deviennent des revendications portant sur "l'utilisation" dans un but précis de "ce composé dans une composition" n'appelle pas d'objection au titre de l'article 123(3) CBE.
iii) Une revendication portant sur l'utilisation d'un composé connu dans un but précis, reposant sur un effet technique décrit dans le brevet, doit être interprétée comme comportant du fait de cet effet technique une caractéristique technique d'ordre fonctionnel. Elle n'appelle donc pas d'objection au titre de l'article 54(1) CBE, à condition que cette caractéristique technique n'ait pas été rendue accessible au public auparavant.