European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2024:T251018.20240531 | ||||||||
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Date de la décision : | 31 Mai 2024 | ||||||||
Numéro de l'affaire : | T 2510/18 | ||||||||
Numéro de la demande : | 10734771.8 | ||||||||
Classe de la CIB : | C07D 493/08 A61K 31/336 A61P 31/06 |
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Langue de la procédure : | FR | ||||||||
Distribution : | C | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
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Titre de la demande : | SIMALIKALACTONE E ET SON UTILISATION COMME MEDICAMENT | ||||||||
Nom du demandeur : | Institut de Recherche pour le Développement | ||||||||
Nom de l'opposant : | Fondation Danielle Mitterrand - France Libertés/ Burelli, M. Thomas/ Costes, M. Cyril |
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Chambre : | 3.3.02 | ||||||||
Sommaire : | - | ||||||||
Dispositions juridiques pertinentes : | |||||||||
Mot-clé : | Exceptions à la brevetabilité - invention contraire aux bonnes moeurs (non) Exceptions à la brevetabilité - invention contraire à l'ordre public (non) Nouveauté des substances d'origine naturelle Activité inventive |
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Exergue : |
Savoirs traditionnels - L'article 53a) CBE (point 2 des raisons) Nouveauté des substances d'origine naturelle (point 3 des raisons) |
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Décisions citées : |
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Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
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Exposé des faits et conclusions
I. Le recours formé par les opposants (ci-après les requérants) se fonde sur la décision de la division d'opposition selon laquelle l'opposition formée à l'égard du brevet européen n° 2 443 126 a été rejetée.
II. Les moyens de preuve D1 à D71 étaient notamment cités dans la procédure d'opposition. Pour la liste consolidée de ces documents, il est fait référence à l'annexe de la décision de la division d'opposition en date du 30 juillet 2018, disponible dans le dossier en ligne. Les documents figurant dans cette liste et spécifiquement invoqués dans la présente décision sont les suivants :
D2 : M. Vigneron et al., Journal of
Ethnopharmacology 98 (2005), 351-360,
D3 : S. Bertani et al., Journal of
Ethnopharmacology 98 (2005), 45-54,
D4 : S. Bertani et al., Journal of
Ethnopharmacology 108 (2006), 155-157,
D5 : S. Bertani et al., Journal of
Ethnopharmacology 111 (2007), 40-42,
D43: E. O. Ajaiyeoba et al., Journal of
Ethnopharmacology 67 (1999), 321-325,
D54: J. Lindgaard, "Des chercheurs français sur le
paludisme accusés de biopiraterie", article
publié par mediapart.fr le 25 janvier 2016,
D55: J. Lindgaard, "A son tour, la Guyane accuse des
chercheurs de biopiraterie", article publié par
mediapart.fr le 31 janvier 2016
III. Dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, les motifs de la décision contestée concernant la requête principale (le brevet tel que délivré) peuvent être résumés comme suit:
- l'invention telle que revendiquée n'était pas contraire à l'ordre public ou aux bonnes m½urs au sens de l'article 53a) CBE,
- du fait qu'il n'a pas été prouvé que la molécule SkE était présente dans les extraits de D2, D3, ou D5, l'objet revendiqué était nouveau, et
- en partant de D43 comme l'art antérieur le plus proche, l'objet des revendications impliquait une activité inventive.
IV. Avec le mémoire exposant les motifs du recours, les requérants ont déposé les documents suivants:
Annexe 1: une lettre de C. Yanawana Pierre,
adressée au Professeur H. Rogez, de
l'Université fédérale du Pará, au
Brésil, et
Annexe 2: un certificat d'analyse.
V. Aux fins de la préparation de la procédure orale, la chambre a envoyé une notification selon l'article 15(1) RPCR, dans laquelle elle a exprimé un avis préliminaire.
VI. La procédure orale a eu lieu par visioconférence le 25 avril 2024. Pendant la procédure orale, entre autres les objections des requérants contre la requête principale (le brevet tel que délivré) ont été discutées. En ce qui concerne cette requête principale, le président de la chambre a informé les parties que la chambre n'était pas en mesure de rendre une décision sur la nouveauté et l'activité inventive pendant la procédure orale. Le président de la chambre a donc clos les débats et a annoncé que la décision de la chambre serait envoyée avec les motifs détaillés.
VII. Requêtes pertinentes pour la présente décision
Les requérants ont requis l'annulation de la décision de la division d'opposition et la révocation du brevet dans son intégralité.
Le titulaire du brevet ("l'intimé") a requis le rejet du recours, impliquant le maintien du brevet tel que délivré.
VIII. Les revendications pertinentes de la requête principale (le brevet tel que délivré) sont indiquées ci-dessous dans les motifs de la décision.
IX. Les moyens invoqués par les parties, dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, sont indiqués ci-dessous dans les motifs de la décision.
Motifs de la décision
Requête principale (le brevet tel que délivré)
1. Introduction - le brevet en cause
1.1 Le brevet en cause a pour objet une molécule, la Simalikalactone E (ci-après la SkE), qui peut être extraite de la plante Quassia amara, ainsi que son utilisation comme médicament dans la prévention et le traitement du paludisme (brevet, paragraphe [0001]).
1.2 Il a été reconnu dans le brevet que la plante Quassia amara avait été utilisée en médecine traditionnelle contre les fièvres et le paludisme dans tout le nord-ouest de l'Amazonie et jusqu'en Amérique centrale. L'intimé a identifié et isolé la SkE en utilisant un procédé spécifique à partir des feuilles (matures séchées) de Quassia amara. Cette molécule s'est avérée active contre le paludisme (brevet, paragraphe [0011] et revendications 7 et 8).
1.3 La revendication 1 de la requête principale (brevet tel que délivré) est libellée comme suit:
"Molécule répondant à la formule 1 ci-dessous:
FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE
1.4 L'objet des revendications 2 à 6 de la requête principale concerne un médicament comprenant la molécule de la revendication 1.
1.5 Les revendications 7 et 8 de la requête principale sont libellées comme suit:
"7. Procédé d'isolement de la SkE selon la revendication 1 à partir de feuilles de Quassia amara.
8. Procédé selon la revendication 7 concernant l'isolement de la SkE à partir de feuilles matures séchées de Quassia amara, qui comprend les étapes suivantes : les feuilles matures séchées de Q.amara sont broyées et extraites par du méthanol, cet extrait est dissous dans un système biphasique à base de n-heptane, acétate d'éthyle, méthanol, eau, la phase inférieure est recueillie et son volume est réduit de moitié par évaporation sous pression réduite, cette solution est extraite avec de l'acétate d'éthyle, l'acétate d'éthyle est évaporé, le résidu obtenu est dissous dans du chloroforme et lavé à l'aide d'une solution aqueuse légèrement basique, la phase organique est recueillie, séchée et concentrée sous pression réduite, cet extrait est dissous dans de l'acétate d'éthyle et lavé à l'eau, la phase organique est évaporée sous pression réduite et le résidu obtenu est élué par de l'acétate d'éthyle à travers une colonne de silice."
2. Ordre public - article 100a) et 53a) CBE
2.1 Les requérants ont indiqué que l'exploitation commerciale de l'invention revendiquée était contraire aux bonnes m½urs et à l'ordre public selon l'article 53a) CBE, dans la mesure où elle n'était pas conforme à la morale ni à l'ensemble des normes acceptées et profondément ancrées dans la culture européenne. Ces normes concernent celles qui encadrent la recherche avec les communautés autochtones et locales ainsi que l'utilisation de leurs savoirs traditionnels.
2.2 En détail, selon les requérants, au début des années 2000, l'intimé a mené des recherches sur les remèdes traditionnels antipaludiques auprès des populations de la Guyane française. Dans le cadre de ce projet, une enquête a été conduite en 2001. 117 personnes issues de différentes communautés de la Guyane ont répondu à ce questionnaire. Les remèdes traditionnels utilisés pour le traitement du paludisme ont été recueillis. Le projet a permis l'identification de 45 recettes curatives impliquant l'utilisation de 27 espèces de plantes. Les chercheurs ont étudié ces remèdes traditionnels et ont par la suite concentré leurs efforts sur l'étude la plante Quassia amara. Ainsi, les chercheurs sont parvenus à l'identification d'une molécule antipaludique, la SkE.
2.3 Ces observations n'ont pas été contestées par l'intimé et peuvent donc être considérées comme des faits.
2.4 Selon les requérants, les comportements contraires aux normes acceptées, notamment celles qui encadrent la recherche avec les communautés autochtones ainsi que l'utilisation de leurs savoirs traditionnels, constituaient une tromperie à l'égard des communautés autochtones et locales et un abus de leur confiance pour le développement de l'invention en cause. En effet, c'était grâce à l'apport des savoirs traditionnels que les chercheurs de l'intimé sont parvenus à identifier la molécule SkE. Néanmoins, les membres des communautés autochtones contactés par l'intimé n'ont pas été informés de manière complète et transparente de la nature du projet de recherche, de ses objectifs, du dépôt du brevet, et d'autres risques et avantages du projet pour les membres des communautés et leurs savoirs. De plus, leur consentement à propos du recueil de ces savoirs et de leur utilisation n'a pas été approuvé, ceci étant même confirmé par l'intimé dans des articles de presse (D54 et D55). Aucun partage des avantages n'a été organisé entre les détenteurs de ces savoirs et les chercheurs de l'intimé. Les membres des communautés n'ont eu ni la possibilité, ni le droit de décider de l'utilisation de leurs savoirs. En conséquence, les communautés ont perdu le contrôle de la circulation de leurs savoirs avec la violation de tous les droits intellectuels sur ces savoirs.
2.5 La tromperie et l'abus de confiance de la part de l'intimé ont généré un climat délétère pour la recherche au sein des communautés autochtones et locales. L'exploitation commerciale de l'invention revendiquée était de nature à engendrer de graves troubles à l'ordre public et à mettre en péril les relations de confiance entre les communautés autochtones et locales et les chercheurs, avec des conséquences graves pour l'avancement de la science. La protection conférée par la revendication 1 du brevet contesté permettrait à l'intimé d'empêcher aux populations autochtones d'utiliser les feuilles de Quassia amara pour la préparation de leurs remèdes traditionnels. Le rejet massif et généralisé de l'invention revendiquée a été documenté avec des moyens de preuve comprenant les réactions des représentants autochtones et d'autres autorités publiques en Guyane française et en France. Ces témoignages permettraient d'apprécier la perception du public à l'égard des objets revendiqués.
2.6 L'article 53 CBE concerne des exceptions à la brevetabilité. Selon le paragraphe a), les brevets européens ne sont pas délivrés pour les inventions dont l'exploitation commerciale serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes m½urs, une telle contradiction ne pouvant être déduite du seul fait que l'exploitation est interdite, dans tous les États contractants ou dans plusieurs d'entre eux, par une disposition légale ou réglementaire.
2.7 Les requérants ont donc argumenté que l'invention revendiquée rentrait dans le cadre de l'exception prévue à l'article 53a) CBE.
2.8 La chambre ne partage pas cet avis. Comme indiqué par l'intimé, aucune des allégations des requérants ne concerne l'exploitation commerciale de l'invention, condition préalable pour conclure que l'invention serait exclue en vertu de l'article 53 CBE. Au contraire, l'invention revendiquée dans la requête principale concerne:
- la molécule SkE (revendication 1),
- un médicament comprenant la molécule SkE (revendications 2 à 6), et
- le procédé d'isolement de la SkE selon la revendication 1 à partir des feuilles de Quassia amara (revendications 7 et 8).
2.9 Comme l'a fait valoir l'intimé, l'exploitation commerciale de cette molécule, du médicament la comprenant et de son procédé d'isolement n'est pas contraire à la morale, aux bonnes m½urs ou à l'ordre public. Bien au contraire, il y a un grand besoin de médicaments contre le paludisme, et trouver de nouveaux médicaments antipaludiques est une mission dont le but est de soigner les populations à risques et de sauver des vies.
2.10 Les arguments des requérants à cet égard n'ont pas convaincu la chambre. En citant la décision T 356/93, les requérants ont avancé que le respect des bonnes m½urs et de l'ordre public doit être examiné dans chaque cas d'espèce :
"La question de savoir si une invention revendiquée constitue une exception à la brevetabilité au sens de l'article 53a) CBE devra être tranchée au fond selon le cas d'espèce, sur la base des notions d'ordre public et de bonnes m½urs, ... . La bonne approche consiste à examiner les faits particuliers de chaque affaire et à vérifier, à la lumière de ces faits, si cette affaire est fondée." (motifs, point 13, traduit de l'anglais).
2.11 Les requérants ont ensuite avancé que, comme dans la décision G 2/06 de la Grande Chambre des recours, lors de l'examen de conformité d'une demande de brevet à l'ordre public et aux bonnes m½urs, l'OEB ne pouvait pas s'en tenir aux seules revendications telles que formulées dans la demande de brevet. En ce sens, donc, dans le cas d'espèce, il fallait examiner non seulement le libellé explicite des revendications, mais également "l'invention". Pour les requérants, "l'invention" qui sous-tend la revendication 1 comprenait les étapes préalables au développement de l'invention et requises pour son exploitation, à savoir la manière, décrite ci-dessus, dont la SkE a été découverte par l'intimé. Donc, le comportement de l'intimé pendant le développement de l'invention et décrit ci-dessus (la tromperie et abus de confiance, etc) était lié à l'exploitation commerciale de l'invention. Il fallait alors examiner ce comportement pour le respect des bonnes m½urs et de l'ordre public dans le cas d'espèce de l'invention revendiquée.
2.12 La chambre ne partage pas cet avis. La décision G 2/06 concernait une revendication portant sur une culture cellulaire spécifique comprenant des cellules souches embryonnaires. Pour déterminer si cette revendication a été exclue de la brevetabilité, la Grande Chambre a conclue que la règle 28c) CBE, qui concerne des exceptions à la brevetabilité conformément à l'article 53a) CBE pour les inventions biotechnologiques, ne se référait pas aux "revendications", mais à une "invention" dans le contexte de son exploitation:
"... cette règle ne se réfère pas aux "revendications", mais à une "invention" dans le contexte de son exploitation. Il convient d'examiner non seulement le libellé explicite des revendications, mais également l'enseignement technique de la demande dans son ensemble eu égard à la manière de mettre en ½uvre l'invention. Avant d'utiliser les cultures de cellules souches embryonnaires humaines, il faut les produire. Dans l'affaire soumise à la Grande Chambre, le seul enseignement relatif à la manière de mettre en ½uvre l'invention en vue d'obtenir des cultures de cellules souches embryonnaires humaines est l'utilisation (impliquant leur destruction préalable) d'embryons humains."(motifs, point 22)
2.13 De la même manière que la règle 28c) CBE, l'article 53a) CBE se réfère à une "invention" et non à des "revendications". Cependant, dans le cas de G 2/06, les éléments susceptibles de nuire à l'ordre public et aux bonnes m½urs, à savoir la destruction d'embryons humains, était une condition préalable à la préparation des cultures revendiquées. Par conséquent, cette condition préalable était également une exigence pour l'exploitation commerciale de l'invention.
2.14 Dans le cas d'espèce, le développement original de l'invention et le processus historique par lequel la molécule SkE a été découverte et isolée n'ont aucun rapport avec l'exploitation commerciale des présentes revendications, qui requièrent uniquement l'isolement du SkE à partir de la plante Quassia amara et son administration aux patients. Le développement d'une invention est donc distinct de son exploitation commerciale une fois qu'elle a été réalisée.
2.15 Aucune preuve n'a été apportée par les requérants que cet isolement et son administration seraient contraires à l'ordre public ou aux bonnes m½urs.
2.16 Par écrit, mais surtout au cours de la procédure orale devant la chambre, les requérants ont également cité la décision de la division d'opposition dans l'affaire "relaxin" (JO OEB 1995, 388), et la décision T 315/03.
2.17 La décision "relaxin" a été citée par les requérants dans le même contexte que G 2/06. La revendication 1 concernait un fragment d'ADN codant pour la préporelaxine H2 humaine. Dans cette décision, il a été mis en avant que l'objet du brevet était contraire aux dispositions de l'article 53a) CBE, dans la mesure où il portait sur un fragment d'ADN codant pour la relaxine H2 humaine (motifs, point 6.1). Les opposants dans cet affaire ont fait valoir que pour reproduire, et donc pour exploiter l'invention, il fallait prélever des tissus sur une femme enceinte, ce qui était une atteinte au droit à l'autodétermination de chaque être humain (point 6.1 des motifs, a) et b)). La division d'opposition a considéré que, vu le fait que les femmes donneuses (d'ADN) avaient accepté d'agir ainsi dans le cadre d'opérations gynécologiques qui s'imposaient, il n'y avait aucune raison de considérer cela comme immoral. De plus, il n'y avait pas à recommencer la procédure visant à isoler l'ADN pour réaliser l'invention car il était possible de synthétiser chimiquement le fragment d'ADN codant pour la relaxine H2 humaine (motifs, 6.3.1 et 6.3.2). Il n'était donc pas considéré que le brevet attaqué enfreignait l'article 53a) CBE.
2.18 Dans le cas d'espèce, les requérants ont fait valoir que, puisque le consentement était nécessaire dans l'affaire de la relaxine pour conclure que l'objet revendiqué n'était pas exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 53a) CBE, il devait en être de même dans le cas d'espèce. Puisque le consentement des communautés autochtones n'avait pas été obtenu comme indiqué ci-dessus, l'objet revendiqué devrait être exclu de la brevetabilité.
2.19 La chambre ne partage pas cet avis. Cette décision n'indique pas que l'objet revendiqué aurait été exclu de la brevetabilité si le consentement n'avait pas été obtenu. Spécifiquement, puisqu'il a été décidé que l'isolement de l'ADN initiale avait été effectué avec le consentement des femmes enceintes. Il n'était donc pas nécessaire pour la division d'opposition de déterminer si l'isolement sans consentement, même si en tant que tel, il aurait été contraire à l'ordre public ou aux bonnes m½urs, aurait été pertinent pour l'objet revendiqué, dont l'exploitation commerciale ne nécessitait plus une telle étape, et que l'objet revendiqué aurait donc été exclu de la brevetabilité selon l'article 53a) CBE.
2.20 Il est plutôt indiqué dans la décision que, contrairement aux arguments des opposants au sujet de la reproductibilité de l'invention, il n'y avait pas à recommencer la procédure visant à isoler l'ADN pour réaliser l'invention, car l'on pouvait simplement synthétiser chimiquement le fragment d'ADN codant pour la relaxine H2 humaine (motifs, 6.3.2), et ce n'était qu'au stade initial de l'invention qu'une femme a été présente, en tant que donneuse volontaire de l'ADN de la relaxine (motifs, 6.3.3). Par conséquent, il semblerait que dans l'affaire de la relaxine, bien que cela ne soit pas explicitement indiqué dans la décision, le prélèvement des cellules des femmes enceintes n'était pas nécessaire pour l'exploitation commerciale de l'invention.
2.21 Par conséquent, cette décision n'appuie pas les arguments des requérants en ce qui concerne l'article 53a) CBE.
2.22 Les requérants ont également cité la décision T 315/03. Cette décision concerne des inventions ne pouvant faire l'objet d'un brevet en vertu de l'article 53a) CBE parce qu'elles relevaient de l'une des catégories énoncées dans la règle 28 CBE, qui concerne des exceptions à la brevetabilité conformément à l'article 53a) CBE pour les inventions biotechnologiques. Elle a été citée par les requérants pour avancer qu'une invention ne relevant pas de l'une des catégories visées à la règle 28 CBE doit être examinée au regard de l'article 53a) CBE.
La chambre est d'accord. Toutefois, comme indiqué ci-dessus, l'exception à la brevetabilité prévue à l'article 53a) CBE concerne l'exploitation commerciale de l'invention, et non la manière dont elle a été découverte ou mise au point.
2.23 Par conséquent, même si le comportement de l'intimé pendant la découverte et le développement de l'invention tel qu'il a été décrit par les requérants ci-dessus, était considéré comme étant contraire aux bonne m½urs et à l'ordre public, ceci ne concerne pas l'exploitation commerciale de l'invention, et donc ne constitue pas une raison pour exclure l'invention revendiquée de la brevetabilité en vertu de l'article 53a) CBE.
2.24 La chambre conclut donc que le brevet contesté n'enfreint pas l'article 53a) CBE. Le motif d'opposition de l'article 100a) en combinaison avec l'article 53a) CBE ne s'oppose donc pas au maintien du brevet tel que délivré.
3. Nouveauté - articles 100a) et 54 CBE
3.1 Les requérants ont avancé que l'objet des revendications 1 à 6 telles que délivrées manquait de nouveauté vis-à-vis des documents D2, D3 et D5.
3.2 D2 est un article qui décrit une étude sur les remèdes antipaludiques utilisés en Guyane française. Il ressort de l'étude que l'espèce la plus utilisée est Quassia amara seule ou en combinaison avec d'autres espèces végétales (D2, page 357, "Table 1", et colonne de droite, deuxième paragraphe). D2 décrit que cette plante est utilisée sous forme de décoctions dans l'eau, les ingrédients étant généralement placés dans un pot en aluminium et portés à l'ébullition pendant un certain temps (page 357, colonne de droite, troisième paragraphe). La décoction est ensuite administrée par voie orale ou est appliquée sur le corps du patient (page 357, dernier paragraphe ; page 358, premier paragraphe). D2 ne décrit aucune molécule active et ne décrit donc pas explicitement la molécule SkE.
3.3 D3 est un article qui concerne l'évaluation de l'activité antipaludique de 23 espèces différentes de plantes utilisées en Guyane française dont la Quassia amara (résumé; page 46, avant-dernier paragraphe; page 47, table 1, 'Quassia amara L.'). D3 décrit que la décoction préparée avec les feuilles fraîches de Quassia amara n'est pas toxique à 1000 mg/jour et peut être administrée sans problème pendant plusieurs jours, quel que soit le principe actif (D3, point 4.6, pages 51 et 52). La décoction de feuilles de Quassia amara est donc présentée comme un remède antipaludique intéressant (page 52, colonne de gauche, premier paragraphe). Comme le document D2, D3 ne décrit aucune molécule active, et ne décrit donc pas explicitement la molécule SkE.
3.4 D5 est un article qui concerne l'effet de l'âge des feuilles de Quassia amara et l'état de dessication sur l'activité antipaludique d'infusions traditionnelles préparées à partir des feuilles à différents états de maturité et de fraîcheur (voir page 41, point 2.2, 'Sample preparation'). Dans une étude antérieure, la molécule Simalikalactone D "SkD" avait été identifiée comme le composé actif (page 40, 'Introduction'). Quatre infusions ont étés préparées avec des jeunes feuilles fraîches (FJ), des jeunes feuilles séchées (DJ), des feuilles matures fraîches (FM) et des feuilles matures séchées (DM). Les concentrations de la SkD dans chaque préparation et leur activité antipaludique ont été comparées (voir page 41, colonne de droite, dernier paragraphe et 'Tableau 1'). L'infusion préparée avec les jeunes feuilles fraîches (FJ) est la plus active et contient une quantité significative de SkD (4.63myg/ml ; page 42, colonne de gauche, premier paragraphe). Il est également indiqué dans D5 que l'infusion de jeunes feuilles séchées possède une activité in vivo très puissante qui ne semble pas provenir uniquement de la molécule SkD (page 42, point 4, 'Conclusions').
D5 ne décrit aucune autre molécule exerçant une activité antipaludique, et donc ne décrit pas explicitement la molécule SkE.
3.5 Les documents D2, D3 et D5 ne divulguent donc pas explicitement la molécule SkE ou SkE en combinaison avec d'autres composés. Ces documents divulguent plutôt des remèdes traditionnels antipaludiques, c.a.d. des préparations dérivées des feuilles ou des tiges d'une plante particulière, Quassia amara.
3.6 Les requérants ont fait valoir que les documents D2, D3 et D5 divulguaient des préparations contenant la SkE. Dans ce contexte, les requérants ont soumis avec le mémoire exposant les motifs du recours l'annexe 2, pour montrer, en utilisant la spectrométrie de masse de haute résolution, la présence de la molécule SkE dans l'extrait aqueux de feuilles de Quassia amara, en concluant donc que la SkE devait être également présente dans les extraits de D2, D3 et D5.
3.7 Les requérants ont argumenté que la revendication 1 de la requête principale n'était pas limitée à la SkE sous forme "isolée". Elle conférait donc une protection absolue à la molécule SkE, en toute circonstance et dans n'importe quel contexte, cette protection s'étendant donc à toute préparation, voire toute partie de plante, notamment les feuilles et extraits de Quassia amara contenant la molécule SkE. Donc, les extraits de D2, D3 et D5 entraient dans la portée de la revendication 1 de la requête principale, et détruisaient donc la nouveauté de l'objet revendiqué.
3.8 Comme indiqué par la chambre pendant la procédure orale, elle partage l'avis des requérants concernant la portée de la revendication 1. Donc, toutes les compositions contenant la molécule SkE y compris les extraits de D2, D3 et D5, dans la mesure où ils contiennent la molécule SkE, sont couvertes par la portée de la revendication 1.
3.9 Cependant, la question de savoir si les extraits de D2, D3 ou D5 entrent dans la portée de la revendication 1 n'est pas le critère correct pour évaluer si l'objet de cette revendication est nouveau.
3.10 Selon l'article 84 CBE, les revendications définissent l'objet de la protection demandée. Selon la règle 43(1) CBE, les revendications doivent définir, en indiquant les caractéristiques techniques de l'invention, l'objet pour lequel la protection est recherchée. Les caractéristiques techniques de la revendication 1 sont les caractéristiques structurelles de la molécule SkE.
3.11 Selon l'article 54(1) et (2) CBE, une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique. L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet, ou la date de priorité, si applicable (cf. article 89 CBE).
3.12 Pour évaluer si l'objet d'une revendication a été rendu accessible au public et donc manque de nouveauté, la "norme de référence" est devenue l'approche communément utilisée comme pour l'ajout d'éléments (article 123(2) CBE) et la validité d'une priorité revendiquée (article 87 CBE) (cf. G 1/16, point 17 des motifs). C'est donc le seul critère à appliquer.
3.13 Selon la norme de référence, une revendication manque de nouveauté si, compte tenu des connaissances générales de la personne du métier, son objet est divulgué dans l'art antérieur explicitement ou implicitement, mais directement et sans ambiguïté.
3.14 Donc, même si l'on accepte la présence de SkE dans les extraits de D2, D3 et D5, et même en interprétant la portée de la revendication 1 de la manière la plus large possible, comme les requérants le font valoir, par exemple pour inclure la plante Quassia amara et ses extraits divulgués en D2, D3 et D5, une divulgation directe et sans ambiguïté des caractéristiques techniques de la revendication 1, voire de la molécule SkE seule ou en combinaison avec d'autres composés, est toujours nécessaire pour conclure un manque de nouveauté.
3.15 Comme indiqué ci-dessus, la molécule SkE seule ou en combinaison avec d'autres composés n'est pas explicitement divulguée dans les documents D2, D3 et D5.
3.16 En outre, il n'est pas non plus question de divulgation implicite de la molécule SkE ou de sa combinaison avec d'autres composés dans ces documents. Conformément à la jurisprudence constante des chambres de recours, un document de l'état de la technique détruit la nouveauté de l'objet revendiqué si celui-ci découle directement et sans ambiguïté de ce document, y compris les caractéristiques implicites pour la personne du métier. Cependant, une divulgation alléguée ne peut être considérée comme "implicite" que si la personne du métier constate d'emblée qu'aucun autre élément que la caractéristique implicite alléguée fait partie de l'objet divulgué (voir par exemple la Jurisprudence des Chambres de recours de l'Office européen des brevets, 10**(e) édition 2022, I.C.4.3). Cette situation ne s'applique pas à la molécule SkE et sa combinaison avec d'autres composés.
3.17 Le fait que la molécule SkE puisse être contenue dans les extraits de D2, D3 et D5 n'équivaut pas non plus à une divulgation implicite. Selon la décision de la Grande Chambre de recours dans l'affaire G 2/88 (points 10 et 10.1 des motifs), la question qui se pose est de savoir ce qui a été rendu accessible au public, et non pas ce qui pouvait être contenu intrinsèquement dans ce qui a été rendu accessible au public. Même si cette décision concernait une utilisation, il en va de même dans le cas présent: la présence de la molécule SkE dans les feuilles de Quassia amara ou leur décoction n'a pas été rendue accessible au public par les extraits de D2, D3 ou D5.
3.18 Il n'y a pas non plus de divulgation implicite de l'objet de la revendication 1 compte tenu de la décision de la Grande Chambre de recours dans l'affaire G 1/92. Selon cette décision:
"La composition chimique d'un produit fait partie de l'état de la technique dès lors que ce produit en tant que tel est accessible au public et qu'il peut être analysé et reproduit par l'homme du métier, indépendamment de la question de savoir s'il est possible de déceler des raisons particulières pour analyser cette composition" (conclusion, point 1)
3.19 Dans le cas présent, pour que l'art antérieur rende accessible au public la molécule SkE seule ou en combinaison avec d'autres composés, il est nécessaire que la personne du métier identifie la SkE dans les extraits de D1, D3 ou D5. Étant donné que l'identification de la SkE représente un effort excessif et donc implique une activité inventive (voir ci-dessous la discussion concernant l'activité inventive), la SkE ne fait pas partie de l'état de la technique accessible au public. Par conséquent, également à la lumière de la décision G 1/92, l'objet revendiqué n'est pas implicitement divulgué dans D2, D3 ou D5.
3.20 La chambre a également pris connaissance de la saisine de la Grande Chambre de recours dans la décision T 438/19. Dans cette affaire, la question de la possibilité d'utiliser le produit en question (ENGAGE**(®) 8400) dans l'analyse de l'activité inventive a été pertinente (motifs de la décision, point 24). En l'espèce, la question est différente, à savoir si la divulgation d'un produit divulgue nécessairement les composants de l'extrait, plus particulièrement la molécule SkE, qui étaient inconnus avant la date effective de dépôt du brevet. En l'espèce, comme indiqué ci-dessus, il ne peut y avoir de divulgation implicite de la SkE dans lesdits extraits, au moins parce que leur identification impliquerait un effort excessif pour la personne du métier.
3.21 Par conséquent, la SkE n'a pas été divulguée dans les documents D2, D3 et D5, et la molécule n'a pas été rendue accessible au public par l'utilisation des feuilles de Quassia amara pour préparer des remèdes divulguées dans ces documents.
3.22 Les autres arguments des requérants n'ont pas convaincu la chambre. Les requérants ont fait valoir que l'objet d'une revendication ne pouvait pas être considéré comme nouveau s'il était contrefait par une utilisation existante, par exemple, par les extraits de D2, D3 ou D5. En d'autres termes, la protection conférée par le brevet donnerait à l'intimé le droit d'interdire aux populations autochtones d'utiliser les feuilles de Quassia amara pour la préparation de leurs remèdes traditionnels.
3.23 La chambre n'est pas d'accord. Une question similaire s'est posée dans l'affaire G 2/88. En effet, il a été avancé que des problèmes de contrefaçon peuvent se poser au cas où il ne serait pas conclu alors à l'absence de nouveauté: la personne procédant à l'utilisation décrite antérieurement risquant en particulier d'être poursuivie pour atteinte à un brevet déposé ultérieurement. En réponse à ces allégations, la Grande Chambre de recours a souligné qu'en vertu de l'article 54(2) CBE, la question était de savoir ce qui a été "rendu accessible" au public, et non pas ce qui pouvait être "contenu intrinsèquement" dans ce qui a été rendu accessible. En conséquence, la question du "contenu intrinsèque" ne se posait pas en tant que telle dans le cadre de l'article 54 CBE. La Grande Chambre de recours a noté également que la question des droits fondés sur l'utilisation antérieure d'une invention relève du droit national (point 10.1 des motifs).
3.24 L'objet de la revendication 1 de la requête principale, et donc également l'objet des revendications 2 à 6, est donc nouveau. Le motif d'opposition de l'article 100a) en combinaison avec l'article 54 CBE ne s'oppose donc pas au maintien du brevet tel que délivré.
4. Activité inventive - articles 100a) et 56 CBE
4.1 Les requérants ont fait valoir que l'objet des revendications 1 à 8 était dépourvu d'activité inventive en partant du document D43 comme constituant l'état de la technique le plus proche.
4.2 D43 concerne l'évaluation de l'activité antipaludique de deux plantes dont la Quassia amara chez la souris. Dans le document D43 des extraits obtenus à partir des feuilles et de la tige séchées de Quassia amara (résumé) ont été préparés. Selon D43, l'extrait des feuilles dans l'hexane et du méthanol présente une grande activité sur le Plasmodium berghei, un parasite impliqué dans le paludisme. Les résultats présentés dans le tableau 1 (page 323) montrent que les extraits de Quassia amara dans le méthanol ont une forte activité antipaludique. Il est décrit que les animaux testés avec ces extraits méthanoliques ont une durée de vie plus longue (page 324, colonne de droite, deuxième paragraphe). D43 indique également qu'il serait intéressant d'isoler les composants actifs de ces plantes pour développer des médicaments antipaludiques potentiels (page 324, colonne de droite, troisième paragraphe).
4.3 L'objet des revendications 1 à 8 se distingue de D43 par la molécule SkE, son utilisation comme médicament, et son procédé d'isolement.
4.4 Le problème technique objectif
4.4.1 Selon les requérants, l'effet technique de la SkE revendiquée était de concentrer le principe qui porte l'essentiel de l'activité antipaludique de l'extrait de feuilles de Quassia amara. Le problème technique objectif à résoudre était de fournir une préparation pour le traitement du paludisme.
4.4.2 La chambre n'est pas d'accord. Bien que la portée de la revendication 1 puisse inclure des préparations comme indiqué ci-dessus, les caractéristiques techniques de la revendication se rapportent à un composé spécifique. Par conséquent, le problème technique objectif doit également inclure la fourniture d'un composé. En outre, comme indiqué par l'intimé, et non contesté par les requérants, la molécule SkE a une faible toxicité (voir paragraphe 35 du brevet).
4.4.3 Le problème technique objectif peut donc être formulé essentiellement comme le propose l'intimé, à savoir de fournir un composé spécifique, ou une préparation comprenant un composé spécifique ayant une bonne activité antipaludique et une toxicité faible.
4.5 Évidence
4.6 Les requérants ont fait valoir qu'en partant de D43 seul ou en combinaison avec D4 ou D5, la personne du métier, en mettant en place des procédures classiques et routinières de séparation de composés, serait inévitablement tombée sur la molécule SkE. Dans ce contexte, les requérants se sont référés aux spectres de l'annexe 2, qui montraient qu'il y a peu de composés différents présents dans une décoction/infusion aqueuse de Quassia amara et que la molécule SkE y était présente en quantité importante.
4.6.1 La chambre ne partage pas cet avis. D'abord, la chambre note que l'intimé accepte que D43 suggère à la personne du métier d'isoler les composés actifs à partir des plantes testées. On peut également accepter que D5, cité par les requérants à cet égard, suggère également à la personne du métier de rechercher d'autres composés actifs à partir de Quassia amara.
4.6.2 Cependant, comme le fait valoir l'intimé, il n'y a aucune motivation en D43 qui aurait pu inciter la personne du métier à mettre en place un procédé d'isolement qui comprend l'ordre et l'enchaînement des techniques et des étapes nécessaires pour arriver à un composé dont l'identité n'était pas connue, la molécule SkE. Plus précisément, les étapes nécessaires pour isoler la SkE sont décrites dans le brevet (paragraphes [0042] et [0043]) et sont détaillées dans la revendication 8 de la requête principale. Ce processus nécessite les étapes suivantes:
- les feuilles matures séchées de Quassia amara sont broyées et extraites par du méthanol,
- cet extrait est dissous dans un système biphasique à base de n-heptane, d'acétate d'éthyle, de méthanol, d'eau, la phase inférieure est recueillie et son volume est réduit de moitié par évaporation sous pression réduite,
- cette solution est extraite avec de l'acétate d'éthyle, l'acétate d'éthyle est évaporé, le résidu obtenu est dissous dans du chloroforme et lavé à l'aide d'une solution aqueuse légèrement basique,
- la phase organique est recueillie, séchée et concentrée sous pression réduite, cet extrait est dissous dans de l'acétate d'éthyle et lavé à l'eau,
- la phase organique est évaporée sous pression réduite et le résidu obtenu est élué par de l'acétate d'éthyle à travers une colonne de silice.
4.7 Comme l'intimé l'a fait valoir, bien que les techniques de séparation liquide-liquide et chromatographique avec une colonne de silice soient connues et classiques en elles-mêmes, les systèmes de solvants spécifiques utilisés et l'ordre des étapes revendiquées pour isoler la SkE ne peuvent pas être considérés comme routiniers. Plus spécifiquement, la définition des conditions exactes pour chaque étape ainsi que l'enchaînement et l'ordre chronologique d'utilisation de ces étapes pour arriver à isoler la SkE, une molécule inconnue, d'un mélange complexe, et identifier son activité ne peut être découvert que sur la base d'une longue série d'expérimentations et d'échecs. Comme indiqué par l'intimé, pour isoler la SkE, il a fallu utiliser un fractionnement bioguidé, ce qui implique selon les résultats biologiques, des techniques et des conditions expérimentales appropriées à chaque étape de l'isolement. Il est donc injustifié de conclure que l'isolement défini dans le brevet pourrait se faire de manière routinière. Il n'est donc pas crédible que la personne du métier, en mettant en place des procédures classiques de séparation serait inévitablement tombée sur la molécule SkE, comme les requérants le font valoir.
4.8 Comme indiqué ci-dessus, les requérants ont fait référence à l'annexe 2 pour montrer que la molécule SkE avait été trouvée dans une simple décoction/infusion aqueuse de Quassia amara (Annexe 2, première page, "Procédure"), qu'il y avait peu de composés différents présents dans la décoction, et que la molécule SkE y était présente en quantité importante. En utilisant la spectrométrie de masse de haute résolution, la masse de l'ion moléculaire [M+H]+ obtenue à m/z 579,2816 correspondait à celle de la SkE ajoutée d'un atome de hydrogène, montrant la présence de la SkE dans l'extrait analysé. Donc, l'annexe 2 montrait que la molécule SkE aurait pu être retrouvée par la personne du métier dans un extrait aqueux, et donc que son isolation aurait été routinière pour la personne du métier.
4.9 La chambre ne partage pas cet avis. Comme argumenté par l'intimé, l'annexe 2 soumise par les requérants montre, a posteriori, l'existence de la molécule SkE dans son environnement naturel en mélange avec d'autres molécules en ayant déjà connaissance de la structure chimique et ses caractéristiques spectrométriques, puisque toutes ces informations étaient déjà décrites dans le brevet.
4.10 Plus particulièrement, l'annexe montre l'identification, dans un mélange, de la molécule SkE dont l'existence n'était pas connue avant qu'elle ne soit isolée, identifiée, caractérisée et son activité démontrée par l'intimé. Sans les données spectrométriques divulguées dans le brevet et dans la publication de 2014 cité dans l'annexe 2 (page 2, dernière paragraphe), la personne du métier n'aurait pu savoir si la SkE se trouvait dans le mélange et quelle était sa formule et sa structure.
4.11 De plus, comme noté par l'intimé, aucun des trois chromatogrammes (en phase liquide à ultra-haute performance - annexe 2, page 2, deuxième paragraphe) de l'infusion analysés dans l'annexe 2 en mode BPI (Base Peak Intensity; intensité du pic de base) qui détectent une gamme de masse entre m/z de 50 à 1200, ne permet la détection de la SkE car aucun des trois chromatogrammes ne montre un pic à 6 minutes correspondant à la SkE (l'annexe 2, cinquième page). Pour identifier la SkE, il a fallu travailler en mode SIM (Single Ion Monitoring; surveillance d'un ion unique), pour pouvoir détecter le pic qui correspond à la SkE à un temps de rétention de 6 minutes (l'annexe 2, sixième page). Comme l'a expliqué l'intimé, ce pic et donc la molécule SkE n'étaient clairement identifiable dans le chromatogramme que parce que le détecteur de masse avait été programmé pour ne voir qu'elle. Donc, cela montre que sans l'information comprise entre autres dans le brevet, il n'y a aucune raison de conclure que l'auteur de l'annexe 2 aurait identifié le SkE dans l'extrait testé.
4.12 Par conséquent, les démarches effectuées par l'auteur de l'annexe 2 ne correspondent pas à la situation de la personne du métier avant la date de priorité du brevet, seulement cette dernière étant pertinente pour l'évaluation de l'activité inventive. Donc, le fait que la SkE ait été identifiée dans les essais de l'annexe 2 ne rend pas crédible le fait que la personne du métier, en mettant en place des procédures classiques de séparation, serait inévitablement tombée sur la molécule SkE.
4.13 Les requérants ont également avancé qu'il n'y avait pas d'activité inventive lorsqu'il y avait un espoir raisonnable de réussite au vu des documents de l'état de la technique. Dans le cas présent, la personne du métier aurait suivi l'enseignement du document D43, comprenant une incitation à chercher les composants actifs des feuilles de Quassia amara, et aurait utilisé les techniques habituelles d'extraction et d'isolation de composés afin d'isoler et d'identifier les composés actifs avec une espérance de réussite raisonnable.
4.14 La chambre n'est pas d'accord. Comme avancé par l'intimé, il n'y a aucune incitation ni en D43 ni dans les autres documents, en particulier D5 cités par les requérants, qui pourrait laisser prévoir le composé SkE à isoler à partir de nombreux autres composés existant dans la plante Quassia amara, et l'activité et la toxicité dudit composé. En effet, comme indiqué par l'intimé, l'utilisation de feuilles sèches et matures (utilisées pour isoler la SkE selon le brevet) est découragée dans D5 par l'identification de ces feuilles comme étant les moins actives contre le Plasmodium falciparum ("...activity would have been denied to DM extract"; page 41, colonne de droite, "Results and discussion"). Il n'y a aucune incitation dans D43, D4, D5 ou dans les autres documents selon laquelle la personne du métier aurait mis en place l'ordre et l'enchaînement des différentes techniques et étapes nécessaires pour isoler la molécule SkE. Par conséquent, rien ne permet de conclure que la personne du métier à partir du document D43 et souhaitant résoudre le problème technique objectif susmentionné, aurait eu un espoir raisonnable de réussite.
4.15 Les requérants ont également soumis que même si la personne du métier n'avait aucun espoir particulier de réussite, vu la motivation en D43 de rechercher des composants actifs de la plante Quassia amara, il aurait au moins tenté une approche "try and see". Donc, en mettant en ½uvre les techniques d'extraction et d'isolation habituelles, la personne du métier n'aurait eu aucune difficulté à isoler la molécule SkE.
4.16 La chambre n'est pas d'accord au moins pour la raison que, comme indiqué ci-dessus, les étapes nécessaires pour arriver à la molécule SkE ne sont pas considérées comme routinières ou habituelles.
4.17 Par conséquent, l'objet de la revendication 1 implique une activité inventive. La même conclusion s'applique aux revendications 2 à 6, qui dépendent de la revendication 1 et concernent un médicament comprenant la molécule SkE, et aux revendications 7 et 8 qui concernent le procédé d'isolement de la SkE. Le motif d'opposition de l'article 100a) CBE en combinaison avec l'article 56 CBE ne s'oppose donc pas au maintien du brevet tel que délivré.
4.18 Aucun motif d'opposition invoqué s'opposant au maintien du brevet, le recours doit être rejeté.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit
Le recours est rejeté.