Rappel de la procédure
I. Dans la décision T 401/88 (JO OEB 1990, 297), il est dit qu'une modification demandée, qui entraîne une extension inadmissible de l'objet de la demande au sens de l'article 123(2) CBE et à laquelle il n'est pas fait droit, ne peut pas non plus être admise en tant que correction effectuée au titre de la règle 88, deuxième phase CBE. Comme lorsqu'il s'agit d'une modification dont l'admissibilité s'apprécie conformément à l'article 123(2) CBE, une erreur ne peut être rectifiée que si, pour l'homme du métier, le contenu des pièces déposées initialement appelle impérativement une telle correction. C'est en effet ce qui découle de l'article 138(1)c) CBE, qui prévoit qu'un brevet européen est déclaré nul si son objet s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée, et également de l'article 164(2) CBE, aux termes duquel en cas de divergence entre le texte de la Convention et le texte du règlement d'exécution le premier de ces textes fait foi.
II. Dans la décision J 4/85 (JO OEB 1986, 205), il est constaté que pour l'application de la règle 88 CBE, il est indispensable de tenir compte de tous les faits et preuves qui permettent d'établir immédiatement, au moment de l'examen de la demande de correction, l'intention du demandeur, et donc de ne pas limiter l'examen à la demande de brevet proprement dite et aux documents déposés avec elle. Le document de priorité est un élément important pour l'établissement de l'intention du demandeur et doit être pris en considération même s'il n'a pas été déposé avec la demande de brevet européen. La correction d'une erreur a pour résultat de rétablir la demande sous la forme dans laquelle il a été déterminé que le demandeur avait eu l'intention de la déposer, la correction prenant ainsi effet "rétroactivement" à la date de dépôt de la demande.
III. Le Président de l'OEB a soumis le 7 décembre 1989 à la Grande Chambre de recours les questions de droit suivantes, afin d'assurer une application uniforme du droit et en raison de l'importance fondamentale de ces questions :
"1. En cas de requête en rectification selon la règle 88, deuxième phrase CBE, est-il possible de faire valoir des pièces qui n'ont été produites qu'après la date de dépôt pour prouver qu'aucun texte autre que celui résultant de la rectification n'a pu être envisagé par le demandeur ?
2. Doit-on autoriser une telle rectification même dans le cas où la modification demandée constituerait une extension (inadmissible) au sens de l'article 123(2) CBE par rapport aux éléments divulgués dans les pièces effectivement produites à la date du dépôt ?"
IV. Le Président de l'OEB estime que les décisions T 401/88 et J 4/85 (points I et II supra) sont contradictoires. En outre, dans sa question soumise à la Grande Chambre ainsi que dans son avis en date du 23 juillet 1991, le Président de l'OEB développe en substance les points suivants :
- Selon la CBE, les possibilités et les limites prévues en matière d'octroi de la protection par brevet sont essentiellement liées à la divulgation effectuée auprès de l'OEB à une date de référence précise, la date de dépôt. Le droit au brevet ne naît qu'à la divulgation de l'invention auprès de l'OEB à la date de dépôt. De même, la limite prévue, dans l'intérêt des tiers, à l'article 123(2) CBE quant à l'octroi possible de la protection conférée par le brevet est exclusivement liée à ce qui a été divulgué à la date de dépôt.
- La jurisprudence établie par la chambre de recours juridique dans sa décision J 4/85 (point II supra) peut entraîner des situations où les textes ainsi corrigés des brevets délivrés seraient exposés à un risque élevé de nullité, dans la mesure où, aux termes de l'article 138(1)c) CBE, le fait que l'objet du brevet européen s'étende au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée représente une cause de nullité.
- Les instances nationales d'annulation, loin d'être liées par le fait que l'OEB, lors de la procédure de délivrance, attribue à un document produit effectivement après la date de dépôt l'effet d'une divulgation initiale, sont libres d'interpréter l'article 138 CBE lorsqu'elles estiment que pour la question d'une extension inadmissible de l'objet de l'invention, seuls sont déterminants les éléments divulgués dans les pièces effectivement produites auprès de l'Office à la date de dépôt.
- La réponse de la Grande Chambre de recours aux questions de droit qui lui sont soumises revêtira eu égard à l'harmonisation de la pratique une importance décisive pour la compréhension du sens et des limites de l'interdiction d'étendre l'objet d'une demande de brevet ou d'un brevet, dans le cadre du système du brevet européen en général. Il conviendrait que la Chambre trace une ligne de conduite qui puisse être adoptée par les instances compétentes des Etats contractants.
- Une correction peut avoir lieu à deux conditions, entre lesquelles il faut distinguer : premièrement, le demandeur ne doit pas se distancier, par le biais d'une requête en rectification, de ce qu'il a voulu exprimer à la date de dépôt ; deuxièmement, une rectification portant sur la description, les revendications ou les dessins ne doit pouvoir être admise sur la base de pièces produites après la date de dépôt que si la modification demandée ne constitue pas une extension inadmissible au sens de l'article 123(2) CBE par rapport aux éléments divulgués dans les pièces effectivement produites ou dont dispose l'OEB à la date de dépôt.
- Le demandeur peut justifier une rectification au sens de la règle 88, deuxième phrase CBE, à la lumière des pièces qui ont déjà été produites à la date de dépôt, mais également en recourant à des moyens de preuve qu'il ne produit que plus tard, par exemple au moment où il présente sa requête en rectification, dans la mesure où ces moyens sont de nature à prouver son intention initiale.
- Ce serait contredire, d'une part, l'importance qu'attache notamment l'article 123(2) CBE à la divulgation initiale faite effectivement auprès de l'OEB pour la brevetabilité des inventions et la validité des brevets européens et, d'autre part, le principe de la primauté de l'article 123(2) CBE sur la règle 88 CBE (c'est-à-dire de la Convention sur le règlement d'exécution) que de faire en sorte que le texte de la demande de brevet et du brevet délivré ensuite puisse, après une rectification, être tel qu'il ne soit pas possible pour l'homme du métier d'en déduire le même contenu que des pièces effectivement produites à la date de dépôt.
Motifs de l'avis
1. Si la description, une revendication ou un dessin figurant dans une demande de brevet européen comporte une erreur à la date de dépôt, la correction de cette erreur en vertu de la règle 88, deuxième phrase CBE a pour effet de modifier la demande de brevet européen telle qu'elle a été déposée. Si le texte d'une demande de brevet européen ou d'un brevet européen qui a été modifié par rapport au texte de la demande telle qu'elle a été déposée fait l'objet d'une rectification conformément à la règle 88, deuxième phrase CBE, il en va de même pour ce texte. Il s'agit de deux cas spéciaux de modification au sens de l'article 123 CBE, qui sont subordonnés de la même manière à l'interdiction d'étendre l'objet de la demande de brevet ou du brevet visée à l'article 123(2) CBE.
Ce qui précède appelle les observations suivantes :
1.1 La règle 88 CBE figure au chapitre V de la septième partie du règlement d'exécution de la Convention, qui comprend les règles 86 à 89 CBE. Cette partie du règlement d'exécution correspond à la septième partie de la Convention (articles 113 à 134 CBE).
1.2 Les règles contenues dans le règlement d'exécution suivent généralement l'ordre des articles de la Convention. Le chapitre V de la septième partie de ce règlement comporte des dispositions d'application de l'article 123 CBE (Modifications), dans la mesure où le contenu d'une demande de brevet européen telle qu'elle a été déposée est concerné. Les règles 86 et 88, deuxième phrase CBE représentent de telles dispositions d'application.
1.3 L'article 123(1) CBE permet d'arrêter dans le règlement d'exécution de la Convention les conditions dans lesquelles une demande de brevet européen ou un brevet européen peut être modifié. Par ailleurs, aux termes de l'article 123(2) CBE, qui sont impératifs, des modifications de ce type ne sont admissibles que si l'objet de la demande de brevet européen modifiée ou du brevet européen modifié ne s'étend pas au-delà du contenu de la demande de brevet européen telle qu'elle a été déposée. Les dispositions du règlement d'exécution de la Convention qui régissent les conditions mentionnées à l'article 123(1) CBE sont donc assujetties de façon générale à l'article 123(2) CBE, dans la mesure où elles concernent le contenu de la demande de brevet européen telle qu'elle a été déposée. Comme en outre l'article 123 CBE ne distingue pas entre des modifications par voie de rectification et d'autres modifications, il englobe également les premières.
1.4 La notion de "contenu de la demande", utilisée à l'article 123(2) CBE, se rapporte aux parties d'une demande de brevet européen qui sont déterminantes pour la divulgation de l'invention, à savoir la description, les revendications et les dessins, parties qui sont également citées à la règle 88, deuxième phrase CBE. Par conséquent, l'interdiction d'étendre l'objet d'une demande de brevet ou d'un brevet visée à l'article 123(2) CBE s'applique également à une correction selon la règle 88, deuxième phrase CBE.
1.5 Cette interprétation concorde également avec l'importance que la Convention confère au contenu d'une demande de brevet européen telle qu'elle a été déposée, c'est-à-dire à la date de dépôt, eu égard à ses effets juridiques.
1.6 Toute transgression de l'interdiction d'étendre l'objet d'une demande de brevet ou d'un brevet visée à l'article 123(2) CBE constitue à la fois un motif d'opposition (art. 100 c) CBE) et une cause de nullité (art. 138(1)c) CBE), et ce, qu'elle résulte d'une correction (règle 88, deuxième phrase CBE) ou de toute autre modification (règle 86 CBE). La validité d'un brevet européen délivré ne devrait pas être compromise par le fait qu'une correction selon la règle 88, deuxième phrase CBE constitue une extension inadmissible au sens de l'article 123(2) CBE.
2. La règle 88, deuxième phrase CBE, dispose que "la rectification doit s'imposer à l'évidence, en ce sens qu'il apparaît immédiatement qu'aucun texte autre que celui résultant de la rectification n'a pu être envisagé par le demandeur". Pour interpréter cette condition attachée à une correction selon la règle 88, deuxième phrase CBE, il y a lieu de tenir compte du fait que l'interdiction d'étendre l'objet d'une demande de brevet ou d'un brevet instituée par l'article 123(2) CBE s'applique également à une telle correction (cf. point 1.4 supra). Cela signifie que lorsqu'il s'agit de déterminer ce que l'auteur de la requête (le demandeur ou le titulaire du brevet) avait vraiment l'intention d'exprimer à la place de l'information erronée, à la date de dépôt ou lors d'une modification conformément à l'article 123 CBE, il importe de se fonder sur ce que l'homme du métier pouvait objectivement déduire de la description, des revendications et des dessins d'une demande de brevet européen à la date de dépôt, le but étant d'exclure que des éléments de preuve ne contribuent à étendre la divulgation au-delà de ce qui peut être objectivement reconnu à la date de dépôt comme étant l'intention de l'auteur de la requête.
L'exigence posée à la règle 88, deuxième phrase CBE, selon laquelle une rectification doit s'imposer à l'évidence, suppose en outre que l'information erronée puisse également être reconnue objectivement. L'homme du métier doit donc être en mesure de reconnaître objectivement et sans équivoque l'information erronée en se fondant sur les connaissances générales dans le domaine considéré.
3. Par conséquent, les parties d'une demande de brevet européen ou d'un brevet européen concernant la divulgation (la description, les revendications et les dessins) ne peuvent faire l'objet d'une correction en vertu de la règle 88, deuxième phrase CBE que dans les limites de ce que l'homme du métier est objectivement en mesure, à la date du dépôt, de déduire directement et sans équivoque de l'ensemble de ces documents tels qu'ils ont été déposés, en se fondant sur les connaissances générales dans le domaine considéré.
4. Une correction en vertu de la règle 88, deuxième phrase CBE revêt uniquement le caractère d'une constatation. L'information corrigée ne fait qu'exprimer ce que l'homme du métier pouvait déjà déduire à la date de dépôt, en se fondant sur les connaissances générales dans le domaine considéré, des parties d'une demande de brevet européen, prise dans son ensemble, qui concernent la divulgation. Par conséquent, cela n'affecte en rien le contenu de la demande de brevet européen telle qu'elle a été déposée. Dans ces conditions, on ne saurait parler d'un quelconque effet rétroactif. Vu qu'une correction admissible en vertu de la règle 88, deuxième phrase CBE ne revêt ainsi que le caractère d'une constatation, elle ne transgresse pas non plus l'interdiction d'étendre l'objet d'une demande de brevet ou d'un brevet visée à l'article 123(2) CBE.
5. Pour qu'une correction selon la règle 88, deuxième phrase CBE puisse être effectuée, les parties d'une demande de brevet européen ou d'un brevet européen qui concernent la divulgation doivent donc comporter, à la date de dépôt ou à la suite d'une modification conformément à l'article 123 CBE, une erreur tellement manifeste qu'il ne fait aucun doute pour l'homme du métier que l'information en question n'est pas correcte et qu'il n'est pas pensable, en toute objectivité, qu'il faille la lire comme telle. Si, en revanche, il est permis de douter que l'on ait vraiment affaire à une information erronée, la correction est exclue. Il en va de même lorsqu'une information erronée ne se révèle qu'à la lumière de la rectification proposée.
6. Les parties d'une demande de brevet européen, telle qu'elle a été déposée, qui concernent la divulgation doivent alors permettre à l'homme du métier, sur la base des connaissances générales existant à la date de dépôt dans le domaine considéré, de déterminer directement et sans équivoque le contenu exact de ce que l'auteur de la requête avait vraiment l'intention d'exprimer à la place de l'information erronée, à la date de dépôt ou lors d'une modification conformément à l'article 123 CBE, de telle sorte que pour cet homme du métier "il apparaît immédiatement qu'aucun texte autre que celui résultant de la rectification n'a pu être envisagé par le demandeur" (règle 88, deuxième phrase CBE). Si en revanche, il est permis de douter qu'aucun texte autre que celui résultant de la rectification n'a pu être envisagé par le demandeur, la correction ne peut avoir lieu.
7. Avant de pouvoir procéder à une correction en vertu de la règle 88, deuxième phrase CBE, il convient d'établir en fait ce que l'homme du métier déduirait, à la date de dépôt, des parties d'une demande de brevet européen concernant la divulgation. En raison de l'interdiction d'étendre l'objet d'une demande de brevet ou d'un brevet visée à l'article 123(2) CBE, il n'est possible de recourir à d'autres documents que la description, les revendications et les dessins que s'ils sont de nature à confirmer les connaissances générales existant à la date de dépôt. Un document qui ne satisfait pas à cette exigence ne saurait entrer en ligne de compte pour une correction selon la règle 88, deuxième phrase CBE, même s'il a été produit lors du dépôt de la demande de brevet européen. Il peut s'agir notamment d'un document de priorité, de l'abrégé, etc.
Dans certaines conditions, il est possible d'inclure dans la divulgation, intégralement ou non, par voie de référence, le contenu d'un document qui ne figure pas parmi les parties d'une demande de brevet européen concernant la divulgation. Toutefois, dans la présente procédure, la Grande Chambre de recours ne voit aucune raison de définir ces conditions.
8. Aux fins de démontrer ce qui constituait pour l'homme du métier, à la date de dépôt, les connaissances générales dans le domaine considéré, il est possible, en liaison avec une requête en rectification admissible, de se servir de tout moyen de preuve approprié qu'autorise la Convention, notamment dans le cadre des mesures d'instructions prévues à l'article 117(1) CBE. L'on peut par conséquent se fonder sur d'autres moyens de preuve que des documents.
9. Vu que les conditions requises pour prouver qu'aucun texte autre que celui résultant de la rectification n'a pu être envisagé par le demandeur dépendent essentiellement de la question de savoir s'il faut ou non passer outre à l'interdiction d'étendre l'objet d'une demande de brevet ou d'un brevet visée à l'article 123(2) CBE dans le cas d'une correction selon la règle 88, deuxième phrase CBE, la Grande Chambre répondra d'abord à la seconde question de droit, puis à la première.
CONCLUSION
Par ces motifs, la Grande Chambre de recours, en réponse aux questions posées par le Président de l'OEB, conclut :
1. Les parties d'une demande de brevet européen ou d'un brevet européen concernant la divulgation (la description, les revendications et les dessins) ne peuvent faire l'objet d'une correction en vertu de la règle 88, deuxième phrase CBE que dans les limites de ce que l'homme du métier est objectivement en mesure, à la date de dépôt, de déduire directement et sans équivoque de l'ensemble de ces documents tels qu'ils ont été déposés, en se fondant sur les connaissances générales dans le domaine considéré. Une telle correction revêt uniquement le caractère d'une constatation et ne transgresse donc pas l'interdiction d'étendre l'objet d'une demande de brevet ou d'un brevet visée à l'article 123(2) CBE.
2. Aux fins de démontrer ce qui constituait pour l'homme du métier, à la date de dépôt, les connaissances générales dans le domaine considéré, il est possible, dans le cadre d'une requête en rectification admissible, de se servir de tout moyen de preuve approprié.