T 1338/12 (Depôt micro-organisme/SEDERMA) of 14.12.2018

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2018:T133812.20181214
Date de la décision : 14 Décembre 2018
Numéro de l'affaire : T 1338/12
Numéro de la demande : 02702466.0
Classe de la CIB : C12P 21/00
A61K 8/99
Langue de la procédure : FR
Distribution : D
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Titre de la demande : COMPOSITION COSMETIQUE CONTENANT UN MELANGE DE PROTEINES OBTENU PAR FERMENTATION DE MICRO-ORGANISMES DE LA FAMILLE THERMUS THERMOPHILUS.
Nom du demandeur : SEDERMA
Centre National de la Recherche Scientifique
Nom de l'opposant : -
Chambre : 3.3.08
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 16
European Patent Convention 1973 Art 83
European Patent Convention Art 113(1)
European Patent Convention 1973 R 28
European Patent Convention 1973 R 88
European Patent Convention R 31
European Patent Convention R 33
European Patent Convention R 139
Mot-clé : Suffisance de l'exposé - depôt de matière biologique (non);
Correction d'une erreur (non);
Principe de la bonne foi et de la protection de la confiance légitime (non);
Exergue :

-

Décisions citées :
G 0003/89
G 0011/91
G 0002/93
G 0001/12
J 0007/80
J 0008/80
J 0006/91
J 0018/93
J 0017/96
J 0031/96
J 0017/97
J 0018/97
J 0003/01
T 2068/11
T 2542/12
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
T 1045/16

Exposé des faits et conclusions

I. Un recours a été formé par les requérants (la société SEDERMA et le Centre National de la Recherche Scientifique, CNRS) à l'encontre de la décision prise par la division d'examen en date du 16 janvier 2012, de refuser la demande de brevet européen no. 02 702 466.0, publiée comme demande internationale de brevet WO 02/066668. La division d'examen avait considéré que la demande n'était pas conforme aux exigences de l'article 83 CBE en conjonction avec les règles 31 et 33 CBE, et que le principe de la bonne foi ou encore de la protection de la confiance légitime n'était pas applicable en l'espèce.

II. Avec leur mémoire exposant les motifs du recours, les requérants ont sollicité l'annulation de la décision de la division d'examen et ont soumis cinq annexes à l'appui de leurs arguments. À titre subsidiaire, si la décision de la division d'examen n'était pas annulée, les requérants ont également sollicité le remboursement des taxes annuelles depuis 2003 jusqu'à 2012 et, dans tous les cas, la tenue d'une procédure orale suivant l'article 116 CBE.

III. Par une communication en date du 1er août 2018, jointe en annexe à la convocation à une procédure orale et émise en application des dispositions de l'article 15(1) du Règlement de Procédure des Chambres de Recours (RPCR), la chambre a exposé une opinion provisoire et non contraignante sur certains des points soulevés.

IV. Par un courrier en date du 7 décembre 2018, les requérants ont répondu à cette notification et, sans avancer aucune nouvelle argumentation ni commenter cette notification de la chambre, ont fait savoir qu'ils ne prendraient pas part à la procédure orale.

V. À l'issue de la procédure orale qui s'est tenue le 14 décembre 2018 en l'absence des requérants, la Chambre a rendu sa décision.

VI. La revendication 1 selon la seule requête servant de fondement à la décision de la division d'examen est libellée comme suit :

"1. Composition cosmétique ou dermopharmaceutique renfermant un mélange de protéines obtenues par fermentation de micro-organismes, puis extraction des protéines produites du milieu fermenté, caractérisée en ce que les micro-organismes sont issus d'eaux marines situées a proximité de sources hydrothermales de grande profondeur et sont de la famille Thermus thermophilus et de souche GY 1211 (enregistrée sous le numéro d'ordre I-2715 auprès de la Collection Nationale de Culture des Microorganismes (CNCM) de l'Institut Pasteur de Paris - France), les protéines obtenues étant thermostables jusqu'à 100°C."

VII. Les documents suivants sont cités dans la présente décision :

- "Contrôle de Conformité de la souche GY1211 avec le numéro d'ordre CNCM I-2715 déposé à la Collection Nationale de Cultures de Microorganismes (CNCM) le 5 septembre 2001 aux termes du Traité de Budapest au nom de C.N.R.S et Université de Bretagne-Occidentale", CNCM, Institut Pasteur, pages 1 et 2, 23 novembre 2001 (document soumis par les demandeurs/requérants avec le courrier du 20 mars 2008);

- "Pouvoir" soussigné par le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) en donnant pouvoir à la Société SEDERMA (Société d'Etudes Dermatologiques), page 1, 30 janvier 2001 (document soumis par les demandeurs/requérants avec le courrier du 20 mai 2010);

- "Règlement de Copropriété N°L00120" entre le CNRS et l'Université de Bretagne Occidentale avec la Société SEDERMA, pages 1 à 4 et 9, signée le 12 avril 2001 (CNRS), 16 mars 2001 (SEDERMA) et le 30 mars 2001 (Université) (document soumis par les demandeurs/requérants avec le courrier du 20 mai 2010);

- Annexe (1) : Requête PCT de la présente demande, déposée le 7 février 2002 par SEDERMA;

- Annexe (2) : Requête d'entrée dans la phase européenne, déposée le 8 septembre 2003;

- Annexe (3) : V.T. Marteinsson et al., FEMS Microbiol. Ecology, 18(1995), pages 163 à 174;

- Annexe (4) : Déclaration de disponibilité et maintien en vie de la souche GY1211, signée le 2 octobre 2006;

- Annexe (5) : Instructions de la Collection Nationale de Cultures de Microorganismes (CNCM).

VIII. Les arguments des requérants, dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, sont traités dans les motifs ci-après.

IX. Les requérants ont demandé par écrit l'annulation de la décision de rejet et, dans l'hypothèse dans laquelle il n'était pas fait droit à cette demande, le remboursement des taxes annuelles acquittées de 2003 à 2012.

Motifs de la décision

Article 113(1) CBE

1. Par leur décision de ne pas assister à la procédure orale et de ne pas présenter d'arguments de fond en réponse aux points soulevés dans la communication de la chambre, les requérants ont choisi de ne pas utiliser l'opportunité de commenter l'opinion provisoire de la chambre, que ce soit par écrit ou lors de la procédure orale, bien que cette opinion était à leur désavantage. Selon l'article 15(1) RPCR, la chambre n'est pas tenue de retarder une étape de la procédure, y compris sa décision, du seul fait de l'absence à la procédure orale d'une partie dûment convoquée qui peut alors être traitée comme s'appuyant sur sa cause écrite.

2. Au regard de ce qui précède, la présente décision repose sur les mêmes motifs, arguments et preuves sur lesquels était fondé l'avis provisoire de la chambre.

Les dispositions de la CBE pertinentes et l'objet de la demande

3. La division d'examen a décidé de refuser la demande de brevet pour manque de conformité avec l'article 83 CBE et la règle 13bis PCT en conjonction avec la règle 31 CBE (voir page 7, point 10 de la décision attaquée).

4. La demande de brevet a été déposée le 7 février 2002 par la société SEDERMA (le demandeur originaire unique) avec une date de priorité revendiquée au 21 février 2001.

5. Les textes révisés de la Convention sur le brevet européen révisée (CBE 2000) et de son Règlement d'exécution sont entrés en vigueur le 13 décembre 2007. Selon l'article 7(1) de l'acte portant révision de la CBE, le texte révisé de la convention "... ne s'applique pas ... aux demandes de brevet européen qui sont pendantes à cette date, à moins que le Conseil d'administration de l'Organisation européenne des brevets n'en dispose autrement" (JO OEB 2007, Edition spéciale n° 1, 196). Conformément à cet article 7 de l'Acte de révision de la Convention sur le brevet européen, le Conseil d'administration de l'Office européen des brevets a décidé des dispositions transitoires s'appliquant aux dispositions modifiées et aux nouvelles dispositions de la Convention sur le brevet européen. L'article 83 CBE 1973 n'est pas mentionné dans ces dispositions transitoires (JO OEB 2007, Edition spéciale n° 1, 197) et les dispositions applicables du règlement d'exécution de cet article pour un dépôt de matière biologique sont donc celles citées dans la règle 28 CBE 1973 (JO OEB 2007, Edition spéciale n° 1, 89, Article 2).

6. Contrairement à la division d'examen (voir page 7, point 10 de la décision attaquée), la chambre considère donc que la présente demande de brevet est régie par les dispositions légales et réglementaires de la "CBE 1973". En conséquence, la règle applicable concernant le dépôt de matière biologique par rapport à la présente demande de brevet est la règle 28 CBE 1973, telle que modifiée par décision du Conseil d'administration de l'OEB du 14 juin 1996, qui est entrée en vigueur le 1 octobre 1996 (OJ OEB 1996, 390) (voir aussi la décision T 2542/12 du 23 février 2016, point 18 des Motifs de la décision).

7. La règle 28 CBE 1973 concerne le dépôt de matière biologique. Selon cette règle: "lorsqu'une invention comporte l'utilisation d'une matière biologique ou qu'elle concerne une matière biologique, à laquelle le public n'a pas accès et qui ne peut être décrite dans la demande de brevet européen de façon à permettre à un homme du métier d'exécuter l'invention, celle-ci n'est considérée comme exposée conformément aux dispositions de l'article 83 que si ..." elle remplit les conditions définies aux alinéas (1) à (9).

8. Selon la page 3, lignes 3 et 4 de la demande, la souche Thermus thermophilus, variante GY1211, "est enregistrée sous le numéro d'ordre I-2715 auprès de la collection Nationale de Culture des Micro-organismes (CNCM) de l'Institut Pasteur de Paris". Avec la lettre en date du 20 mars 2008, le demandeur a fourni une copie du certificat de dépôt de la souche T. thermophilus, variante GY1211, auprès de l'Institut Pasteur de Paris. Selon ce certificat, la souche "a été déposé[e] à la CNCM le 5 septembre 2001 aux termes du Traité de Budapest" (caractères gras ajoutés par la chambre), c'est-à-dire avant la date de dépôt de la demande de brevet européen (7 février 2002). Les conditions définies aux alinéas (1)a) - (1)c) de la règle 28 CBE 1973 sont donc remplies.

9. Selon la copie du certificat de dépôt de la souche T. thermophilus, variante GY1211, cette souche "a été déposé[e] ... au nom de C.N.R.S et Université de Bretagne Occidentale", et donc différents du déposant originaire de la demande de brevet européen, à savoir la société SEDERMA. Selon l'alinéa (1)d) de la règle 28 CBE 1973 "lorsque la matière biologique a été déposée par une personne autre que le demandeur, le nom et l'adresse du déposant sont mentionnés dans la demande et est fourni à l'Office européen des brevets un document prouvant que le déposant a autorisé le demandeur à se référer dans la demande à la matière biologique déposée et a consenti sans réserve et de manière irrévocable à mettre la matière déposée à la disposition du public, conformément à la présente règle" (caractères gras ajoutés par la chambre). Par ailleurs, l'alinéa (2)a) de la règle 28 CBE 1973 prévoit expressément que "les indications mentionnées au paragraphe 1, ... lettre d) peuvent être communiquées ... dans un délai de seize mois à compter de la date de dépôt ou, si une priorité est revendiquée, à compter de la date de priorité, le délai étant réputé observé si les indications sont communiquées jusqu'à la fin des préparatifs techniques en vue de la publication de la demande de brevet européen".

10. Les alinéas (1)d) et (2)a) de la règle 28 CBE 1973 correspondent aux alinéas (1)d) et (2)a) de la règle 31 CBE 2000, respectivement. Comme mentionné dans la décision de la division d'examen, les conditions prévues par ces alinéas n'ont pas été remplies en l'espèce (voir points 12 et 13 de la décision attaquée).

11. La chambre considère que l'objet de l'alinéa (1)d) en conjonction avec l'alinéa (2)a) de la règle 28 CBE 1973, est d'assurer que la matière biologique déposée soit à la disposition du public sans aucune reserve ni restriction et de manière irrévocable au moment de la publication de la demande de brevet européen, dans le cas d'espèce le 29 août 2002 (ou 16 mois après la date de priorité, à savoir le 21 février 2001). Cette exigence correspond en fait à la condition de l'alinéa (3) de la règle 28 CBE 1973, à savoir que "à compter du jour de la publication de la demande de brevet européen, la matière biologique déposée est accessible à toute personne qui en fait la requête" (caractères gras ajoutés par la chambre). L'alinéa (3) de la règle 28 CBE 1973 correspond à l'alinéa (1) de la règle 33 CBE 2000 (voir points 12 et 13 de la décision attaquée).

12. En fait, selon une jurisprudence des chambres de recours déjà bien établie, si la matière biologique est accessible à l'homme du métier et à la disposition du public, sans aucune reserve ni restriction, c'est-à-dire si la matière biologique est suffisamment divulguée par d'autres moyens, le dépôt de la matière biologique n'est pas nécessaire pour remplir les conditions de l'article 83 CBE 1973 (voir, inter alia, T 2068/11 du 17 mars 2015, points 3 et 3.1 des Motifs de la décision). De l'avis de la chambre, la question qui se pose dans le cas d'espèce est de savoir si la condition prévue à l'alinéa (3) de la règle 28 CBE 1973 était en fait remplie ou, en d'autres termes, si la souche T. thermophilus, variante GY1211, était accessible à l'homme du métier ou à la disposition du public, sans aucune reserve ni restriction, à la date pertinente.

Les arguments des requérants

13. Les requérants font valoir, en substance, deux arguments à l'encontre de la décision de la division d'examen mentionnée ci-dessus, à savoir:

13.1 La souche T. thermophilus, variante GY1211, était à la disposition du public et accessible à toute personne qui en faisait la requête à la date de la publication de la demande de brevet européen, puisque l'existence de cette souche avait déjà été divulguée par des articles scientifiques publiés en 1995 et 1999 et donc avant la date de dépôt de la priorité de la demande de brevet européen (21 février 2001). Les informations contenues dans ces articles en complément des références de la souche données dans le texte de la publication de la demande de brevet européen auraient permis aux tiers de se procurer la souche auprès de plusieurs sources différentes, à savoir au moins le laboratoire LMM, puis la Souchothèque de Bretagne et l'Institut Pasteur.

13.2 Par lettre en date du 20 mai 2010, le demandeur a requis la correction d'une erreur matérielle conformément à la règle 139 CBE 2000, première phrase, en sollicitant le remplacement du nom du demandeur originaire unique (la société SEDERMA) par les noms des demandeurs conjoints SEDERMA et le CNRS (CENTRE NATIONAL de la RECHERCHE SCIENTIFIQUE) dans toutes les pièces de la demande de brevet européen telle que déposée. En date du 15 juin 2010, les demandeurs/requérants on été informés par l'OEB que la demande de correction selon la règle 139 CBE 2000 avait été acceptée. La correction d'erreur matérielle a évité de devoir fournir une déclaration d'autorisation et de consentement du dépôt de la matière biologique correspondant à la souche T. thermophilus, variante GY1211, conformément aux alinéas (1)d) et (2)a) de la règle 28 CBE 1973, puisque le déposant du dépôt est - et était déjà originairement - un des demandeurs de la demande de brevet européen. De plus, en l'espèce, à aucun moment l'insécurité juridique des tiers n'a été remise en question et aucune republication de la demande de brevet n'était nécessaire. Pour les tiers, les effets de la correction sont transparents.

14. La chambre, après avoir examiné les arguments des requérants, tient à souligner les points suivants:

Les publications scientifiques de 1995 et 1999

15. La chambre accepte, comme les requérants le font valoir, que l'homme du métier était informé de l'existence et des propriétés de la souche T. thermophilus, variante GY1211, par les publications scientifiques des années 1995 et 1999 (FEMS Microbiology Ecology, 18(1995), 163-174; et Extremophiles, 3(1999), 247-251). Par contre, aucune de ces publications ne divulgue l'institution de dépôt et le numéro de dépôt de cette souche, puisque elle n'a été déposée qu'en 2001 (voir point 8 ci-dessus).

15.1 La chambre ne partage pas l'argument des requérants selon lequel les auteurs d'une publication scientifique doivent mettre à disposition de la communauté scientifique, la matière biologique objet de la publication, aux fins de vérification des données de la publication. À la fin des années 90 et au début des années 2000, les conditions exigées pour la disponibilité et l'accessibilité de la matière biologique objet d'une publication scientifique étaient fortement dépendantes de la politique particulière de chaque journal scientifique et/ou des éditeur(s) d'un tel journal. Il n'y avait pas - et il n'y a pas encore aujourd'hui - une unanimité générale, commune à toutes les publications scientifiques et éditeurs de journaux scientifiques. Par ailleurs, aucune preuve n'a été produite montrant les conditions exigées par les éditeurs des journaux "FEMS Microbiology Ecology" et "Extremophiles" à la date pertinente.

15.2 Il est de même important de signaler que, même si les éditeurs d'un journal scientifique peuvent exiger des auteurs d'un article scientifique de mettre à disposition du public la matière biologique objet de la publication, ils ne peuvent pas s'assurer que tel est toujours le cas. La demande d'un échantillon de la matière biologique doit être adressée directement aux auteurs de l'article scientifique et donc la distribution de cette matière biologique reste toujours à la discrétion finale de ces auteurs. La chambre partage aussi l'analyse faite par la division d'examen quant à la disponibilité et l'accessibilité de la souche T. thermophilus, variante GY1211, auprès du laboratoire de microbiologie marine (LMM) et la Souchothèque de Bretagne (voir les points 4 à 7 de la décision attaquée; et, dans ce contexte, la lettre du demandeur en date du 23 septembre 2011 avec l'attestation de Monsieur Daniel Prieur).

16. À la lumière de ce qui précède, la chambre ne considère pas que les conditions mentionnées à l'alinéa (3) de la règle 28 CBE 1973 soient remplies par le seul fait que la souche T. thermophilus, variante GY1211, avait déjà été divulguée par deux publications scientifiques.

La publication de la présente demande de brevet européen

17. Avec la publication de la demande de brevet européen (29 août 2002), l'homme du métier est informé du numéro de dépôt de la souche T. thermophilus, variante GY1211, l'institution auprès de laquelle cette souche à été déposée (la Collection Nationale de Culture des Micro-organismes, CNCM) et les conditions de ce dépôt, à savoir aux termes du Traité de Budapest (voir point 8 ci-dessus). Avec cette information, l'homme du métier peut s'adresser non seulement aux déposants de la demande de brevet européen, mais aussi directement à l'OEB et/ou à l'institution auprès de laquelle la souche est déposée. Dans ce dernier cas, comme prévu par les règles de la CNCM, il aurait fallu s'adresser d'abord à l'OEB pour que l'Office "certifie qu'une demande faisant état du dépôt du microorganisme a été présentée auprès de cet Office ou que le requérant a le droit d'obtenir un tel échantillon en vertu du droit régissant en matière de brevets devant cet Office" (voir page 9 sous le sous-titre "Requêtes d'un Tiers" de l'Annexe 5 soumise avec le mémoire de recours). Cette exigence correspond aux alinéas (7) et (8) de la règle 28 CBE 1973.

18. Cependant, l'OEB n'aurait pas pu fournir un tel certificat parce que la société SEDERMA déposante de la demande de brevet européen n'avait pas satisfait aux conditions des alinéas (1)d) et (2)a) de la règle 28 CBE 1973 à la date pertinente (points 9 et 10 ci-dessus; mais voir aussi points ci-dessous). De plus, la chambre est aussi de l'avis provisoire que si le requérant de l'échantillon de la souche T. thermophilus, variante GY1211, s'était adressé directement à la société SEDERMA, la situation aurait été identique à celle considérée au point 15 ci-dessus pour les auteurs des publications scientifiques, puisque la distribution de la souche serait également restée à la discrétion finale de la société SEDERMA.

Correction conformément à la règle 139 CBE 2000 (règle 88 CBE 1973), première phrase

19. La première phrase de la règle 139 CBE 2000 (règle 88 CBE 1973, qui n'a pas été modifiée sur le fond) indique que "... les erreurs contenues dans toute pièce produite auprès de l'Office européen des brevets peuvent être rectifiées sur requête". Selon la jurisprudence des Chambres de recours, cette règle permet de corriger la désignation du demandeur, mais seulement dans certaines conditions (voir "La Jurisprudence des Chambres de recours de l'Office européen des brevets", 8e édition 2016, IV.A.5.2.2, 953).

19.1 Ces conditions sont décrites dans la décision J 7/80 (JO OEB 1981, 137). La chambre a décidé que l'erreur peut être corrigée en application de la règle 88 CBE 1973 si, tant le demandeur désigné de façon erronée que le véritable demandeur sont des sociétés appartenant au même groupe et que des preuves suffisantes soient fournies (voir point I du Sommaire). La décision J 7/80 se réfère notamment à la décision J 8/80 (JO OEB 1980, 293), dans laquelle la chambre a décidé que, dans le cas où l'erreur n'est pas évidente et qu'il n'est pas immédiatement discernable que rien d'autre ne pouvait être envisagé que ce qui est proposé dans la requête en correction, il doit être posé les exigences les plus grandes en ce qui concerne la charge de la preuve. Si les preuves apportées sont incomplètes, pas claires ou ambiguës, la requête en correction devra être rejetée (voir point 2 du Sommaire et points 4 à 6 des Motifs de la décision). Cette jurisprudence a été confirmée par la suite dans les décisions J 18/93 (JO OEB 1997, 326), J 17/96 du 3 décembre 1996, et J 31/96 du 25 novembre 1997, et résumée et commentée par la Grande Chambre dans la décision G 1/12 (OJ OEB 2014, A114; voir points 32 à 40 des Motifs de la décision).

19.2 Dans la décision J 31/96 (supra), la chambre tient à souligner l'importance de l'intention véritable ("true intention") à la date pertinente (voir dernier paragraphe du point 2 des Motifs de la décision; ainsi que point 4 des Motifs de la décision J 8/80, supra). Cette importance est aussi soulignée par les décisions J 17/97 et J 18/97 du 14 février 2002, dans lesquelles la chambre remarque que la règle 88 CBE 1973 ne peut pas être utilisée par quelqu'un dans le but d'obtenir une modification de son opinion ou un développement de ses intentions (voir point 2 des Motifs de la décision; ainsi que la décision J 6/91, JO OEB 1994, 349, point 3 des Motifs de la décision).

Est-ce que les conditions pour une correction conformément à la règle 139 CBE 2000 (règle 88 CBE 1973), première phrase, exigées par la jurisprudence des Chambres de Recours sont données en l'espèce?

20. En l'espèce, le demandeur originaire unique, à l'appui de la demande de correction conformément à la règle 139 CBE 2000, première phrase, soumise par lettre en date du 20 mai 2010, a fourni un "Pouvoir" soussigné par le CNRS en date du 30 janvier 2001, par lequel pouvoir est donné a la Société SEDERMA pour "faire toutes les démarches nécessaires à l'effet de déposer en France une demande de brevet d'invention de vingt années pour l'invention relative à la culture de la souche Gy 1211 et son milieu de fermentation". Par lettre en date du 15 juin 2010, la division d'examen, sans motiver sa décision, a notifié au demandeur originaire unique que la demande de correction conformément à la règle 139 CBE 2000, première phrase, avait été acceptée.

21. La chambre, après avoir examiné la preuve fournie par le demandeur originaire unique, tient à signaler les points suivants:

21.1 Le "Pouvoir" du 30 janvier 2001 signé par le CNRS a pour objet le "dépôt d'une demande en France en copropriété entre le CNRS et la Société SEDERMA" et, par ce "Pouvoir", le CNRS accepte que SEDERMA fasse "toutes les démarches nécessaires à l'effet de déposer en France une demande de brevet d'invention". Pourtant le "Règlement de copropriété" adjoint au "Pouvoir" n'est pas seulement signé par la société SEDERMA (16 mars 2001) et le CNRS (12 avril 2001), mais également par l'Université de Bretagne occidentale (UBO) (30 mars 2001), le CNRS et l'UBO étant désignés collectivement comme "Etablissements" (voir page 1; page 2, dernière ligne; et page 3, les articles 1 et 2). Par ailleurs, la souche T. thermophilus, variante GY1211, a été déposée conjointement par le CNRS et l'UBO auprès du CNCM le 5 septembre 2010.

Néanmoins, la requête en correction conformément à la règle 139 CBE 2000, première phrase, a été faite pour rajouter uniquement le CNRS comme demandeur de la demande de brevet, mais non pour y rajouter conjointement l'UBO.

21.2 Selon le "Règlement de copropriété" adjoint au "Pouvoir", la partie responsable des brevets, à savoir la société SEDERMA, peut "agir au nom de la copropriété pour tous les actes de gestion concernant les procédures de dépôt, d'extension, de délivrance et de maintien en vigueur des brevets" (voir le deuxième paragraphe et la dernière ligne de la page 3 du "Règlement").

La chambre considère que cette formulation est ambiguë, puisqu'elle ne définit pas clairement si, pour tous ces actes de gestion, la société SEDERMA peut utiliser exclusivement son propre nom - alors qu'elle agit pour tous les copropriétaires, ou bien si elle est nécessairement obligée de toujours indiquer les noms de tous les copropriétaires nommés au "Règlement".

21.3 Le fait que le "Règlement" se réfère au "brevet français déposée le 21 février 2001 sous le numéro 0102442 ... aux noms du CNRS et de SEDERMA" (voir le quatrième paragraphe en partant du bas de la page 2 du "Règlement"), quand en réalité le brevet français a été déposé au nom de la société SEDERMA, semble plutôt confirmer la première interprétation mentionnée au point 21.2 ci-dessus, et ce d'autant plus que le "Pouvoir" a été signé le 30 janvier 2001, et donc avant le dépôt de la demande de brevet français. Il est de même important de relever que le dépôt de la demande internationale de brevet en vertu du Traité de coopération en matière de brevets (PCT), ainsi que la requête d'entrée en phase régionale européenne devant l'OEB, en date des 7 février 2002 et 4 septembre 2003, respectivement, ont toujours été faits au nom de la société SEDERMA.

21.4 La demande en correction conformément à la règle 139 CBE 2000, première phrase, a été faite en date du 20 mai 2010, c'est-à-dire plus de 9 années après la signature du "Pouvoir" et de la date du dépôt de la demande de brevet français. Par ailleurs, cette demande en correction a été faite en réponse à une notification de la division d'examen en date du 21 janvier 2010, dans laquelle l'attention du demandeur originaire unique était attirée sur la "non-validité du dépôt de la souche GY1211 au vu de la Règle 31(1) (d) CBE", puisque "le dépôt de la souche mentionne le CNRS et l'Université de Bretagne occidentale comme déposant, alors que la demande de brevet a été déposée par SEDERMA".

22. En résumé, la chambre considère que le document "Pouvoir" et le "Règlement" adjoint fournis par le demandeur originaire unique est ambigu sur son intention véritable à la date pertinente. Cette évidence ne répond pas aux exigences les plus grandes requises par la jurisprudence de Chambres de recours mentionnée ci-dessus. La chambre considère que la demande en correction conformément à la règle 139 CBE 2000, première phrase, n'était pas une demande en correction d'une erreur pour refléter l'intention véritable du demandeur originaire unique à la date pertinente, mais plutôt une demande en correction à la convenance du demandeur résultant d'une modification de son opinion ou d'un développement de ses intentions postérieures à la date relevante. Et donc, la chambre considère que la demande en correction conformément à la règle 139 CBE 2000, première phrase, aurait dû être refusée par la division d'examen.

Est-ce que la correction conformément à la règle 139 CBE 2000 (règle 88 CBE 1973), première phrase, pourrait exempter les demandeurs de remplir les conditions exigées aux libellés (1)d) et (2)a) de la règle 28 CBE 1973?

23. Même si la chambre, contrairement aux considérations ci-dessus, acceptait la demande en correction conformément à la règle 139 CBE 2000, première phrase, il serait nécessaire, alors, d'examiner si cette correction prend rétroactivement effet à la date de dépôt initial du brevet comme argumenté par les requérants dans leur mémoire de recours (voir "La Jurisprudence", supra, IV.A.5.2.2, avant-dernier paragraphe de la page 953), ou bien si cette correction n'a pas d'effet rétroactif, comme décidé par la division d'examen par référence aux décisions G 3/89 (JO OEB 1993, 117, point 4 des Motifs de la décision), G 11/91 (JO OEB 1993, 125, point 4 des Motifs de la décision), G 2/93 (JO OEB 1995, 275, point 12 des Motifs de la décision) et, en particulier, la décision J 3/01 du 17 juin 2002, point 7, et surtout, point 10 des Motifs de la décision (voir les points 15 à 17 de la décision attaquée).

24. A supposer même qu'elle soit convaincue par les arguments des requérants concernant l'effet rétroactif de la correction conformément à la règle 139 CBE 2000, première phrase, la chambre tient à souligner que le dépôt de la souche T. thermophilus, variante GY1211, auprès du CNCM en date du 5 septembre 2001 (environ 6 mois après le dépôt de la demande prioritaire de brevet français en date du 21 février 2001), a été fait au nom du CNRS et de l'UBO. Les déposants de cette souche sont donc encore différents de ceux qui figurent - une fois que la correction conformément à la règle 139 CBE 2000, première phrase, soit acceptée - comme demandeurs de la demande de brevet européen, à savoir la société SEDERMA et le CNRS. La question se poserait alors de savoir si, comme l'affirment les requérants dans leur mémoire de recours, la correction d'erreur conformément à la règle 139 CBE 2000, première phrase, "efface automatiquement le besoin de fournir une déclaration d'autorisation et de consentement", sans réserve et de manière irrévocable, à mettre la souche T. thermophilus, variante GY1211, à disposition du public, c'est-à-dire à remplir les conditions exigées par les libellés (1)d) et (2) de la règle 28 CBE 1973.

25. Il est important de signaler que les déposants de la souche T. thermophilus, variante GY1211, auprès du CNCM (CNRS et UBO) sont les propriétaires absolus de cette souche, c'est-à-dire de la souche en soi, sans aucune restriction. Par contre, ainsi qu'il ressort clairement du "Règlement" adjoint au "Pouvoir" référé ci-dessus, les copropriétaires de la demande de brevet français entre les "Établissements" (le CNRS et l'UBO) et la société SEDERMA définissent bien les conditions et limitations d'utilisation de cette souche, telle que l'utilisation du brevet à des fins de recherche, une exploitation commerciale directe et indirecte du brevet, ainsi que des exploitations dans le domaine particulier du brevet (cosmétologie) et le territoire (la France) et hors ce domaine et/ou territoire.

26. La chambre considère que la présence - une fois la correction conformément à la règle 139 CBE 2000, première phrase, acceptée - uniquement de l'un des copropriétaires de la souche déposée auprès du CNCM comme demandeur de la présente demande de brevet européen ne peut pas "effacer le besoin de fournir une déclaration d'autorisation et de consentement" de l'autre copropriétaire légitime de cette souche. La chambre considère donc que les arguments des requérants sur ce point ne sont pas convaincants.

Bonne foi des demandeurs

27. Le Communiqué de l'OEB (JO OEB 1986, 269) concerne les demandes de brevet européen et les brevets européens faisant référence à des micro-organismes. Dans la partie II de ce communiqué, ces micro-organismes sont classés en deux catégories, à savoir, les microorganismes non-accessibles au public et ne pouvant être décrits de façon suffisante (partie II.A) et les microorganismes accessibles au public (partie II.B). Le point 7 de la partie II.A réfère aux dépôts faits conformément au Traité de Budapest et aux délais pour la conversion en un dépôt selon le Traité de Budapest pour les dépôts qui ont été effectués préalablement selon un statut juridique différent. La décision G 2/93 (JO OEB 1995, 275) porte sur les délais admis pour communiquer le numéro de dépôt d'une culture conformément à la règle 28(1)c) CBE 1973. Au point 12 de cette décision, référence est faite au consentement du demandeur à mettre, sans réserve et de manière irrévocable, la culture déposée à la disposition du public conformément aux dispositions de la règle 28 CBE 1973 (voir aussi point 6 ci-dessus pour la décision du Conseil d'administration de l'OEB du 14 juin 1996).

28. La chambre considère que les conditions du dépôt des micro-organismes non-accessibles au public - aux fins de l'article 83 CBE 1973 - étaient déjà bien établies dans la CBE 1973 (règle 28 CBE 1973), et que l'OEB avait informé le public de manière claire de toutes ces conditions, en particulier, que le dépôt devait être accessible, sans aucune réserve ni restriction et de manière irrévocable à l'homme du métier. De l'avis de la chambre, les délais et les conditions pour effectuer un tel dépôt, en particulier ceux indiqués aux libellés 28(1)d) et (2)a) de la règle 28 CBE 1973, étaient aussi bien établis à la date pertinente de la demande de brevet européen.

29. En l'espèce, l'objet de la demande de brevet européen à l'origine était défini de manière large, la première revendication à l'entrée de la phase européenne portait sur un "procédé de fabrication de protéines par fermentation de micro-organismes ... en ce que les micro-organismes sont de la famille Thermus et issus d'eaux marines ...". La souche T. thermophilus, variante GY1211, était l'objet de la deuxième revendication dépendante directement de la première. Pourtant, ni dans la phase internationale, ni lors de l'entrée en phase européenne, le demandeur originaire unique avait indiqué que "l'invention concerne et/ou utilise de la matière biologique déposée conformément à la règle 28 CBE" (voir le point 8 du formulaire "Entrée dans la phase européenne", signé par le demandeur en date du 4 septembre 2003, où référence est faite à l'alinéa (3) de la règle 28 CBE).

30. Il est toutefois de la seule responsabilité du demandeur de remplir les formulaires de demande de brevet et d'apprécier si l'invention concerne et/ou utilise de la matière biologique qui doit être déposée conformément à la règle 28 CBE 1973. De l'avis de la chambre, il n'est pas possible, ni raisonnable d'attendre que la section de dépôt puisse examiner si un dépôt de matériel biologique est essentiel pour l'invention aux fins de l'article 83 CBE 1973. Selon l'article 16 CBE 1973, "la section de dépôt est compétente pour examiner les demandes de brevet européen lors du dépôt et quant aux exigences de forme" (caractères gras rajoutés par la chambre). Le fait que la division d'examen avait informé le demandeur originaire unique de la demande de brevet européen de la nécessité de fournir un certificat de dépôt de la souche T. thermophilus, variante GY1211, "... alors que le brevet était sur le point d'être délivré ... [et non] ... beaucoup plus tôt, à savoir dès l'examen préliminaire international courant 2003 ...", comme argumenté par les requérants dans leur mémoire de recours, peut être considéré comme une erreur d'appréciation de la division d'examen, mais pas un vice de procédure, et encore moins un vice substantiel. Dans la présente espèce, le principe de la bonne foi et de la protection de la confiance légitime ne peut donc pas être invoqué. Ce principe ne peut en aucun cas justifier que les requérants reportent sur l'OEB la responsabilité qui leur incombe, dans la présente espèce, de remplir les exigences relatives aux délais et conditions d'un dépôt de matière biologique selon la règle 28 CBE 1973 (voir "La Jurisprudence", supra, III.A.3.1, 596, et III.A.3.3, 600).

31. Dans leur mémoire de recours, les requérants requièrent, à titre subsidiaire, au cas où la décision de la division d'examen n'était pas annulée, à tout le moins le remboursement des taxes annuelles depuis 2003 jusqu'à 2012 (dépôt du recours). Les requérants n'ont cependant pas indiqué les articles et/ou les règles de la CBE sur lesquelles un tel remboursement est fondé et pourrait, éventuellement, être ordonné par la chambre. Dès lors, dans la présente espèce et vu ce qui précède, la chambre considère qu'un tel remboursement ne serait pas justifié.

Conclusion générale

32. Il découle de tout ce qui précède qu'aucune des requêtes en cause ne remplit les exigences de la CBE, et dès lors, le présent recours doit être rejeté.

Dispositif

Par ces motifs, il est statué comme suit

1. Le recours est rejeté.

2. La requête en remboursement des taxes annuelles de 2003 à 2012 est rejetée.

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