G 0001/15 () of 29.11.2016

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2016:G000115.20161129
Date de la décision : 29 Novembre 2016
Numéro de l'affaire : G 0001/15
Décision de saisin : T 0557/13
Numéro de la demande : 98203458.9
Classe de la CIB : A01H 5/10
Langue de la procédure : FR
Distribution : A
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Versions : OJ
Titre de la demande : -
Nom du demandeur : Infineum USA L.P.
Nom de l'opposant : Clariant Produkte (Deutschland) GmbH
Chambre : EBA
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention Art 54
European Patent Convention Art 76
European Patent Convention Art 87
European Patent Convention Art 88
European Patent Convention Art 89
European Patent Convention Art 112(1)(a)
European Patent Convention Art 123(2)
Paris Convention Art 4a(1)
Paris Convention Art 4b
Paris Convention Art 4c
Paris Convention Art 4f
Paris Convention Art 4h
Mot-clé : Recevabilité des saisines par les chambres de recours - oui
Question de droit d'importance fondamentale - oui
Droit de priorité – conditions et effets
Priorité partielle et priorités multiples
Fondement juridique et appréciation de la priorité partielle
Exergue :

Le droit à une priorité partielle ne peut pas être refusé au titre de la CBE pour une revendication qui englobe des objets alternatifs du fait d'une ou de plusieurs expressions génériques ou d'une autre manière (revendication générique du type "OU") pour autant que ces objets alternatifs aient été divulgués pour la première fois, directement ou au moins implicitement, sans ambiguïté et de manière suffisante dans le document de priorité. Aucune autre condition de fond ni limitation ne s'applique à cet égard.

Décisions citées :
G 0003/89
G 0003/93
G 0002/98
G 0001/03
G 0002/10
J 0015/80
T 0301/87
T 0665/00
T 1127/00
T 0135/01
T 1443/05
T 0184/06
T 1877/08
T 0476/09
T 2311/09
T 0571/10
T 1222/11
T 1496/11
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
G 0001/16
G 0001/22
G 0002/22
T 0282/12
T 1035/12
T 1526/12
T 0557/13
T 1399/13
T 1564/13
T 1705/13
T 2387/13
T 2466/13
T 0088/14
T 0260/14
T 0318/14
T 0421/14
T 0437/14
T 0624/14
T 0719/14
T 0969/14
T 1775/14
T 1934/14
T 2154/14
T 0149/15
T 1519/15
T 1879/15
T 2097/15
T 2382/15
T 1487/16
T 1728/16
T 2184/16
T 0032/17
T 0776/17
T 1055/17
T 2181/17
T 2593/17
T 2621/17
T 0113/18
T 0747/18
T 0844/18
T 0933/18
T 1078/18
T 1303/18
T 1385/18
T 1478/18
T 1818/18
T 0401/19
T 0804/19
T 0875/19
T 1120/19
T 1570/19
T 1700/19
T 2407/19
T 0279/20
T 0335/20
T 0088/21
T 0319/21
T 1895/21
T 1946/21
T 0307/22
T 0933/22

Exposé des faits et conclusions

I. Par décision intermédiaire T 557/13 en date du 17 juillet 2015, la chambre de recours technique 3.3.06 a soumis, conformément à l'article 112(1)a) CBE, les questions de droit suivantes à la Grande Chambre de recours (ci-après dénommée la "Grande Chambre") :

"1. Lorsqu'une revendication d'une demande de brevet européen ou d'un brevet européen englobe des objets alternatifs du fait d'une ou de plusieurs expressions génériques ou d'une autre manière (revendication générique du type "OU"), le droit à une priorité partielle peut-il être refusé au titre de la CBE pour cette revendication dans la mesure où elle concerne un objet alternatif divulgué (de manière suffisante) pour la première fois, directement, ou au moins implicitement, et sans ambiguïté dans le document de priorité ?

2. Si la réponse est oui, sous réserve de certaines conditions, la condition énoncée au point 6.7 de l'avis G 2/98, à savoir "à condition qu'elle conduise à revendiquer un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis", doit-elle être considérée comme le test juridique pour l'appréciation du droit à une priorité partielle pour une revendication générique du type "OU" ?

3. Si la réponse à la question 2 est oui, de quelle manière les critères "nombre limité" et "objets alternatifs clairement définis" doivent-ils être interprétés et appliqués ?

4. Si la réponse à la question 2 est non, de quelle manière le droit à une priorité partielle pour une revendication générique du type "OU" doit-il être apprécié ?

5. S'il est répondu par l'affirmative à la question 1, un objet divulgué dans une demande initiale, ou divisionnaire, d'une demande de brevet européen peut-il être cité comme état de la technique au sens de l'article 54(3) CBE à l'encontre d'un objet divulgué dans le document de priorité et englobé en tant qu'alternative dans une revendication générique du type "OU" de ladite demande de brevet européen ou du brevet délivré sur la base de cette demande ?"

II. Dans l'affaire à l'origine de la saisine, la division d'opposition avait révoqué le brevet européen n° 0 921 183, qui avait été délivré sur la base d'une demande divisionnaire relative à la demande de brevet européen n° 95923299.2 (ci-après dénommée la "demande initiale"). Cette dernière avait été déposée le 8 juin 1995 et publiée le 14 décembre 1995. Le brevet et la demande initiale revendiquaient la priorité de la demande nationale GB 9411614.2 (ci-après dénommée le "document D16"), déposée le 9 juin 1994.

Les revendications 1 et 7 du brevet s'énonçaient comme suit :

"1. Utilisation d'un agent améliorant l'écoulement à froid, ledit agent améliorant l'écoulement à froid étant un composé azoté polaire, soluble dans l'huile, portant deux ou plus de deux substituants de formule -NR13R14, dans laquelle R13 et R14 représentent chacun un groupe hydrocarbyle contenant 8 à 40 atomes de carbone, sous réserve que R13 et R14 puissent être identiques ou différents, un ou plusieurs de ces substituants pouvant être sous forme d'un cation qui en est dérivé, pour augmenter le pouvoir lubrifiant d'une composition de fuel-oil ayant une teneur en soufre d'au plus 0,05 % en poids, dans laquelle 0,001 à 1 % en poids de l'agent améliorant l'écoulement à froid, sur la base du poids du combustible, est présent."

" 7. Utilisation suivant l'une quelconque des revendications 1 à 4, dans laquelle le composé azoté polaire est le sel de N,N-dialkylammonium, d'un 2-N',N'-dialkylaminobenzoate consistant en le produit de réaction d'une mole d'anhydride phtalique et de deux moles de di(suif hydrogéné)amine."

Il a été fait opposition au brevet pour les motifs visés à l'article 100a) CBE (absence de nouveauté et d'activité inventive) et à l'article 100c) CBE (non-respect des exigences prévues aux articles 123(2) et 76(1) CBE).

La décision frappée de recours reposait en substance sur les considérations suivantes :

Les revendications du brevet délivré n'appellent pas d'objections au titre de l'article 123(2) ou de l'article 76(1) CBE.

L'objet de la revendication 1, qui conduit à une généralisation de la divulgation plus spécifique de la nature du composé à utiliser en tant qu'agent améliorant l'écoulement à froid selon le document de priorité, ne constitue pas la même invention. La priorité revendiquée n'est donc pas valable, et ce pour toute la portée de la revendication 1. De plus, la division d'opposition, se référant à l'avis G 2/98 (JO OEB 2001, 413, points 4, 6.6 et 6.7 des motifs), a conclu que la "généralisation intermédiaire, dans la revendication 1 du brevet, des éléments divulgués dans le document de priorité D16 ne conduit pas à revendiquer un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis" et que, par conséquent, "l'objet de la revendication 1 ne peut bénéficier que de la date de dépôt".

Bien que le brevet remplisse les conditions de l'article 76(1) CBE, il ne bénéficie pas de la date de priorité de la demande initiale, qui est donc comprise dans l'état de la technique au sens de l'article 54(3) CBE.

Il en découle que l'objet de la revendication 1 du brevet n'est pas nouveau en vertu de l'article 54(3) CBE, étant donné que l'utilisation de l'agent améliorant l'écoulement à froid selon l'exemple 1 a été divulguée d'une manière identique dans la demande initiale et dans le document de priorité. Le mode de réalisation décrit dans la demande initiale peut "se prévaloir de la date de priorité revendiquée du 9 juin 1994", tandis que la revendication 1 du brevet ne peut "bénéficier que de la date de dépôt du 8 juin 1995".

III. Suite à une décision du 14 octobre 2015, la Grande Chambre a invité le Président de l'Office européen des brevets à présenter ses observations sur les questions de droit soumises par la chambre de recours technique, et a publié au Journal officiel de l'Office européen des brevets une communication afin de donner aux tiers la possibilité de prendre position sur ces questions.

IV. Le Président de l'Office européen des brevets a présenté ses observations par lettre datée du 25 février 2016. De nombreuses prises de position ont également été reçues de la part de tiers.

V. La procédure orale a eu lieu le 7 juin 2016. À l'issue de celle-ci, le président de la Grande Chambre a annoncé que la décision serait rendue par écrit avant fin novembre 2016.

VI. Moyens invoqués par le requérant

S'agissant de la question 1 de la saisine :

Le terme "revendication générique du type "OU"" peut être interprété d'au moins deux manières, à savoir comme désignant, premièrement, une revendication dont la portée a été étendue au-delà de la divulgation la plus large du document de priorité et, deuxièmement, une revendication dont la portée est moins étendue que la divulgation du document de priorité, mais qui contient un terme générique. Le requérant demande à la Grande Chambre de préciser dans sa décision l'interprétation qu'elle adopte.

En ce qui concerne le cadre juridique pertinent, la CBE est un arrangement particulier au sens de la Convention de Paris (J 15/80, JO OEB 1981, 213). Par conséquent, toute interprétation de la CBE qui serait incompatible avec la Convention de Paris ne peut pas être considérée comme reflétant l'intention du législateur.

La question soumise porte sur certains aspects de la CBE. Or, la CBE doit être interprétée comme formant un tout cohérent. Une interprétation d'une partie du texte qui est contraire ou porte atteinte à d'autres parties ne saurait refléter l'intention du législateur.

En vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités, les travaux préparatoires constituent la référence principale pour clarifier la signification de la CBE. Le droit primaire l'emporte sur le droit dérivé (jurisprudence). En cas de conflit, c'est l'intention du législateur telle qu'elle ressort des travaux préparatoires qui doit primer.

Le contexte à la fois politique et industriel du système de brevet exige que ce dernier soit simple et abordable, et soutienne le droit de priorité en offrant un degré élevé de sécurité juridique. Les textes juridiques doivent refléter la réalité de la recherche et ne pas créer d'obstacles artificiels qui entravent le droit à la priorité, ou la gestion et le transfert des droits conférés par brevet.

Les notions de priorité toxique et d'autocollision semblent n'avoir aucune place dans ce contexte ; en raison de leur complexité, elles entraînent une augmentation des coûts ainsi qu'une insécurité juridique accrue et érigent un nouvel obstacle à la protection par brevet. Ce problème n'a pas d'équivalent dans les autres systèmes de brevets qui appliquent la Convention de Paris sans créer ce type de difficultés.

En ce qui concerne les procédures inter partes au titre de la CBE, le fait d'adopter une approche étroite, littérale de la condition énoncée dans l'avis G 2/98 (supra, point 6.7 des motifs : "à condition qu'elle conduise à revendiquer un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis"), revient pratiquement à faire du défaut de clarté un motif de fond opposable aux revendications d'un brevet délivré. Ainsi, selon l'approche littérale, le manque de clarté suffirait en soi pour qu’il ne soit pas satisfait à la condition précitée, privant la revendication concernée de la priorité et ouvrant la voie à une situation d'autocollision.

Le requérant fait valoir qu'il doit être répondu par la négative à la question 1, car les divergences de jurisprudence découlent d'une interprétation stricte du point 6.7 des motifs de l'avis G 2/98 en tant que déclaration établissant les règles à suivre en matière de priorité partielle. Or, les textes juridiques l'emportent sur la jurisprudence, et ni la CBE ni la Convention de Paris ne prévoient une approche restrictive, consistant à refuser la priorité partielle (ou des priorités multiples) au motif qu'une revendication n'a pas été rédigée de manière à porter sur un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis. Le mémorandum C de la FICPI (ci-après dénommé le "mémorandum", cf. travaux préparatoires à la CBE 1973, document M/48/l, partie C) donne une idée claire de l'approche voulue en matière de priorité partielle (ou de priorités multiples) : les revendications génériques du type "OU" représentent un moyen acceptable de désigner des variantes dans une revendication. Le mémorandum donne des exemples concrets - a), b) et c) - qui montrent comment la priorité doit être appréciée. Il n'opère aucune distinction entre les différents types d'expressions génériques et ne mentionne pas la nécessité de fractionner un objet en différents groupes de priorité.

Par conséquent, l'approche correcte est celle adoptée dans les décisions T 1222/11 (du 4 décembre 2012, non publiée au JO OEB) et T 571/10 (du 3 juin 2014, non publiée au JO OEB) qui, en divisant conceptuellement la revendication générique du type "OU" en parties distinctes, couvertes ou non couvertes par la divulgation contenue dans les documents de priorité, résout le problème de priorité toxique et d'autocollision (voir à cet égard les commentaires de Schulte/Moufang, Patentgesetz mit EPÜ, 9e édition 2014, article 41, point 44, et Bremi in Singer/Stauder, Europäisches Patentübereinkommen, 7e édition 2016, article 87, points 34 et 35). Cette approche revient à rétablir la jurisprudence qui prévalait avant l'avis G 2/98.

S'il est répondu clairement par la négative à la question 1, il n'est pas nécessaire de répondre aux questions 2 à 4.

S'agissant de la question 5 de la saisine :

Une réponse négative à la question 1 entraîne nécessairement une réponse négative à la question 5. Lorsque le critère relatif à "l'objet englobé" est appliqué en matière de priorité partielle, la revendication du brevet européen bénéficie de la priorité partielle dans la mesure où elle englobe le contenu du document de priorité. Il s'ensuit qu'une partie de la revendication qui est distincte sur le plan conceptuel aura toujours la même date effective que le même élément contenu dans une demande initiale ou divisionnaire, et que ces objets ne pourront jamais être opposables l'un à l'autre en tant qu'état de la technique au titre de l'article 54(3) CBE.

Le requérant estime que la Grande Chambre devrait néanmoins fournir une interprétation des articles 54(3) et 76(1) CBE, notamment en vue de clarifier le fait que, contrairement à ce qui a été avancé par l'intimé, le droit à la priorité ne doit pas être apprécié séparément pour une demande initiale et pour une demande divisionnaire, puisque la demande divisionnaire bénéficie du droit de priorité de la demande initiale dans la mesure où la demande divisionnaire ne s'étend pas au-delà du contenu de la demande antérieure telle que déposée.

VII. Arguments de l'intimé

L'intimé demande qu'il soit répondu par l'affirmative aux questions 1, 2 et 5, et ce essentiellement pour les raisons exposées ci-après.

Le test de divulgation énoncé dans l'avis G 2/98 pour reconnaître une priorité partielle ne permet pas de diviser simplement sur le plan conceptuel une revendication générique du type "OU" en deux parties ou plus, car selon ce test, les pièces de la demande doivent divulguer directement et sans ambiguïté l'objet de la ou des priorités revendiquées, ce qui correspond au test de la divulgation tel qu'on l'entend aux fins de l'article 123(2) CBE. Il est indiqué dans l'avis G 2/98 qu'il faut appliquer ce même test pour apprécier la priorité au titre de l'article 87(1) CBE aux fins de définir comment la notion de "même invention" doit être interprétée. Cette approche a été confirmée par la suite dans les décisions G 1/03 (JO OEB 2004, 413, point 2.2.2 des motifs) et G 2/10 (JO OEB 2012, 276, point 4.6 des motifs).

Le fait de reconnaître des priorités partielles sur la base de regroupements, comme le prévoit l'approche conceptuelle, serait source de contradictions, car différents critères seraient appliqués pour apprécier la nouveauté, l'ajout d'éléments non divulgués et la priorité, notamment lorsque deux demandes de brevet européen sont interférentes au regard de l'article 54(3) CBE.

Une réponse négative à la question 1 conduirait en outre à reconnaître systématiquement les droits de priorité sans qu'il soit procédé à un examen au cas par cas. Or, il a été précisé dans la décision G 2/10 (supra, point 4.5.3 des motifs) que les modes de réalisation potentiels ou généralisations intermédiaires, bien qu'entrant dans le champ de l'enseignement général, ne sauraient être considérés comme étant divulgués de manière implicite sur la seule base d'un raisonnement schématique.

La condition énoncée dans l'avis G 2/98 (supra, point 6.7 des motifs) doit être considérée comme l'expression de l'exigence selon laquelle l'objet de la revendication d'une demande ultérieure doit être divulgué directement et sans ambiguïté dans le document de priorité. Par conséquent, pour que la priorité partielle soit reconnue, l'homme du métier ne doit pouvoir distinguer dans le champ de la caractéristique générique qu'un nombre limité de modes de réalisation alternatifs clairement définis. Tel est le cas dans l'exemple a) du mémorandum, en raison du nombre limité d'halogènes (F, Cl, Br, I et At), si bien que rien n'empêche de reconnaître la priorité partielle pour l'halogène Cl. En revanche, les exemples b) et c) du mémorandum ne définissent pas clairement toutes les variantes susceptibles d'être couvertes par la caractéristique générique, la condition de divulgation directe et non ambiguë n'étant dès lors pas remplie.

Le mémorandum n'a pas force de loi. Il exprime l'avis prédominant en 1973 et la seule conclusion que l'on puisse en tirer aujourd'hui est que le législateur souhaitait prévoir la possibilité de revendiquer une priorité partielle. Cependant, cette possibilité se trouve désormais restreinte en raison de l'évolution de la jurisprudence.

L'article 4F de la Convention de Paris permet à un demandeur de revendiquer la priorité pour une revendication de brevet d'une demande ultérieure, même si cette revendication englobe des caractéristiques ou des éléments supplémentaires par rapport à la demande dont la priorité est revendiquée, et exclut que la demande de brevet soit rejetée pour ce motif. Cependant, cette disposition ne donne pas au demandeur la possibilité de revendiquer la priorité pour une revendication de brevet d'une demande ultérieure dont l'objet n'était pas divulgué dans la demande dont la priorité est revendiquée. L'article 88(3) CBE est dès lors conforme à l'article 4F de la Convention de Paris.

Une réponse négative à la question 1, telle que préconisée par de nombreux tiers dans leurs prises de position, signifierait que la priorité partielle devrait être reconnue sans condition ni test. Par ailleurs, il n'a pas été précisé pour quelle raison le droit de priorité devrait être déduit de l'étendue de la protection conférée par le document de priorité, alors que conformément à la CBE et à la jurisprudence, c'est la divulgation contenue dans le document de priorité qui est le facteur déterminant.

L'intimé estime donc qu'il y a lieu de répondre également par l'affirmative à la question 2 et que, concernant la question 3, la condition du "nombre limité d'objets alternatifs clairement définis" doit être interprétée comme signifiant que la priorité partielle ne doit pas être reconnue si la tâche consistant à identifier toutes les variantes susceptibles d'être englobées par une revendication générique du type "OU" représente un effort excessif pour l'homme du métier, ou si la revendication englobe plus d’une caractéristique générique, ou encore si la caractéristique générique est exprimée par des plages de valeurs ou des champs d'application.

S'agissant de la question 5, l'intimé fait valoir pour l'essentiel qu'une jurisprudence constante a émergé selon laquelle, une fois qu'une demande divisionnaire a été valablement déposée, elle forme une demande distincte et indépendante de la demande initiale. Une demande initiale et une demande divisionnaire n'ont dès lors aucune relation réciproque particulière qui pourrait justifier de ne pas appliquer l'article 54(3) CBE. À cet égard, certains tiers ont indiqué dans leurs prises de position qu'il ne pourrait jamais y avoir d'interférence entre une demande initiale et une demande divisionnaire qui contiennent la même divulgation et bénéficient du même droit de priorité. L'intimé relève qu'une telle interférence n'est pas exclue et résulte de modifications apportées pendant le délai de priorité, ayant pour effet de faire bénéficier certaines parties de la description de la date de priorité alors que d'autres ne bénéficient que de la date de dépôt. En d’autres termes, une telle interférence ne peut résulter que d'une revendication de priorité non valide. Cette situation est toutefois de la seule responsabilité du demandeur, qui a apporté les modifications en cause alors que d'autres solutions s'offraient à lui.

VIII. Observations du Président de l'Office européen des brevets

Au regard de la genèse de l'article 88(2) et (3) CBE, le Président de l'Office européen des brevets conclut que ces dispositions sont fondées sur l'article 4F de la Convention de Paris et que la priorité partielle représente une variante des priorités multiples n'appelant aucune condition supplémentaire. La Convention de Paris ne couvre pas le cas des priorités multiples pour une seule revendication. Le mémorandum laisse toutefois entendre que le droit à la priorité pour des revendications génériques du type "OU" doit être facilité autant que possible. En particulier, les travaux préparatoires ne font ressortir aucune obligation d'exposer clairement les objets alternatifs en tant que tels dans une revendication. Si l'on analyse de manière approfondie les décisions des chambres de recours concernant la manière dont les droits de priorité doivent être appréciés, notamment lorsqu'une priorité partielle est revendiquée pour une revendication générique du type "OU", il apparaît que des divergences persistent dans la jurisprudence, bien que la Grande Chambre ait affirmé à plusieurs reprises que le critère fondamental pour déterminer si un objet bénéficie de la priorité est le test de divulgation, qui constitue la référence. Ce même test s'applique donc de manière uniforme aux fins des articles 54, 76(1), 87 à 89 et 123(2) CBE.

S'agissant de l'incidence de la présente saisine, le Président de l'Office souligne que le droit de priorité est une composante essentielle du système du brevet européen et que la sécurité juridique revêt une importance primordiale pour toutes les parties prenantes, quel que soit le domaine technique concerné, mais a fortiori dans le domaine de la chimie et des produits pharmaceutiques, dans lequel la définition de l'objet (bio)chimique présente des difficultés particulières (revendications de type Markush ou plages continues de valeurs numériques). Dans ces domaines, il est particulièrement important d'établir si les exemples du mémorandum demeurent la référence pour interpréter l'article 88(2), deuxième phrase CBE et l'article 88(3) CBE, et comment il faut comprendre et appliquer exactement l'expression "un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis" employée dans l'avis G 2/98. Une autre considération est liée à la charge de la preuve concernant l'identification des objets alternatifs couverts par une revendication générique du type "OU", qui semble incomber au demandeur puisqu'il revendique le bénéfice du droit de priorité. Se fondant sur une analyse des décisions rendues par des tribunaux des États parties à la CBE, le Président de l'Office fait observer que, s'agissant des conditions selon lesquelles il convient de déterminer le "même objet" au sens des dispositions des articles 87 à 89 CBE, la jurisprudence évolue encore. Ainsi, certains tribunaux adoptent une approche large tandis que d'autres semblent réservés quant au fait qu'une revendication générique du type "OU" puisse bénéficier d'une priorité partielle pour des objets alternatifs qu'elle n'expose pas clairement en tant que tels. Certains tribunaux préfèrent par ailleurs appliquer le test de divulgation pour apprécier à la fois la nouveauté, l'ajout d’éléments non divulgués et la priorité, tandis que d'autres semblent l'appliquer en ce qui concerne la nouveauté et l'ajout d'éléments, mais seulement dans une moindre mesure en ce qui concerne la priorité. Cette même divergence ressort de la littérature correspondante.

Le Président de l'Office conclut que le fait de reconnaître qu'une revendication générique du type "OU" puisse bénéficier d'une priorité partielle pour l'objet qu'elle englobe "soit sous forme de terme ou de formule générique, soit d'une quelconque autre façon" ne semble pas compatible avec l'obligation d'exposer clairement les objets alternatifs, si bien que l'approche stricte adoptée par certaines chambres de recours semble aller à l'encontre de la jurisprudence de la Grande Chambre. Cela étant, l'approche plus large pourrait être trop abstraite à la lumière de l'obligation de revendiquer "un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis" et l'effort à fournir par le public pour identifier un grand nombre de variantes devrait donc être pris en considération.

Le Président de l'Office estime qu'il y a lieu de répondre par la négative à la question 5. Une réponse affirmative serait contraire au but et à la fonction des demandes divisionnaires dans le système du brevet.

IX. Arguments présentés par les tiers à l'appui d'une réponse affirmative à la question 1

Les tiers présentent principalement les arguments suivants à l'appui d'une réponse affirmative à la question 1 :

La priorité partielle en tant que concept n'est mentionnée expressément ni dans la Convention de Paris ni dans la CBE. Par conséquent, la notion de "même invention" doit être interprétée de manière étroite, eu égard à la condition d'unité de l'invention énoncée à l'article 4F de la Convention de Paris et à l'approche stricte adoptée dans l'avis G 2/98 (supra, point 6.7 des motifs).

S'agissant de l'approche "conceptuelle" suivie dans la décision T 1222/11, l'abandon d'une interprétation "littérale" du critère lié au "nombre limité d'objets alternatifs clairement définis" - les objets en question devant, selon cette interprétation, être revendiqués en des termes explicites - serait source d'insécurité juridique pour les utilisateurs du système du brevet européen. La jurisprudence de la Grande Chambre souligne que le fondement de l'article 123(2) CBE est qu'un demandeur ne puisse pas être autorisé à conforter sa position en ajoutant des éléments non divulgués dans la demande telle que déposée (G 1/03 ; G 3/89, JO OEB 1993, 117). De la même manière, l'avis G 2/98 explique qu'il est nécessaire d'adopter une interprétation étroite ou stricte de la notion de "même invention" pour que les droits de priorité soient exercés correctement, en pleine conformité en particulier avec le principe de l'égalité de traitement entre le demandeur et les tiers et avec le principe de la sécurité juridique et également en accord avec l'exigence de cohérence dans l'appréciation de la nouveauté et de l'activité inventive (point 9 des motifs). Il s'ensuit que ces principes de l'égalité de traitement et de la sécurité juridique s'appliquent également aux fins des articles 87 et 88 CBE, si bien que pour apprécier la priorité partielle, il faut établir si le demandeur ou le titulaire du brevet bénéficie ou non d'un avantage injustifié qui pourrait compromettre la sécurité juridique des tiers. Cet aspect n'a pas été suffisamment pris en considération dans la décision T 1222/11. Si les revendications de la demande ultérieure portent sur des plages de valeurs des composants A, B, et C étendues par rapport au document de priorité, sans contenir une description de la composition divulguée dans la demande antérieure, le public ne peut pas savoir que cette composition spécifique est un mode de réalisation essentiel selon l'invention décrite dans la demande ultérieure qui revendique la priorité. De la même manière, le demandeur pourrait aussi revendiquer la priorité pour une sélection différente des composants A et B, et omettre le composant D, pourtant divulgué avec les composants A et B dans le document de priorité. L'approche conceptuelle pourrait conduire à admettre une division arbitraire de l'objet revendiqué sans que celle-ci ait à être fondée sur la demande telle que déposée. Cela reviendrait à méconnaître à la fois le principe jurisprudentiel selon lequel une demande établissant la priorité ne constitue pas un réservoir pour des modifications des revendications, et les principes établis en matière d'inventions de sélection.

Si la reconnaissance d'une priorité partielle ou de priorités multiples est considérée comme une solution à l'"autocollision" entre un document de priorité qui revendique une espèce et une demande ultérieure qui revendique un genre, la priorité ne devrait être reconnue que dans la mesure où des dispositions sont également prises pour éviter une double protection par brevet et assurer une délimitation adéquate, dans la revendication générique de la demande ultérieure, des objets divulgués dans les documents de priorité respectifs, afin que les différents modes de réalisation qui revendiquent différentes dates de priorité puissent être identifiés.

Pour éviter une double (ou multiple) protection par brevet, il a été proposé d'introduire dans les revendications de la demande ultérieure un disclaimer excluant l'espèce divulguée dans le document de priorité, sur la base de la décision G 1/03 ou de la décision G 2/10, selon que la demande ultérieure divulgue ou non l'objet spécifique figurant dans la demande antérieure.

Dans les cas où une priorité partielle devait être reconnue, il a été suggéré ce qui suit :

le problème d’autocollision serait résolu en excluant l'objet plus spécifique de l'état de la technique au sens de l'article 54(3) CBE ;

l'objet du document de priorité devrait être divulgué dans la demande ultérieure.

X. Arguments présentés par des tiers à l'appui d'une réponse négative à la question 1

La plupart des tiers ont appuyé dans leurs prises de position une réponse négative à la question 1. Compte tenu de l'issue de la saisine, il ne semble pas nécessaire d'exposer les arguments avancés.

Motifs de la décision

1. Recevabilité de la saisine

La jurisprudence des chambres de recours suit manifestement deux approches différentes sur une question de droit d'importance fondamentale, à savoir la priorité partielle.

Il est dès lors satisfait aux exigences prévues par l'article 112(1)a) CBE, une décision de la Grande Chambre étant nécessaire afin d'assurer une application uniforme de la CBE, ce qu'aucune des parties ne conteste.

2. Contexte de la saisine

2.1 Une nouvelle approche consistant à refuser la priorité partielle a émergé sur la base de la position prise par la Grande Chambre au point 6.7 des motifs de son avis G 2/98 (cf. supra) dans les termes suivants :

" En ce qui concerne les revendications de type "OU" [...] il est dit dans le mémorandum que "si un premier document de priorité contient la caractéristique A, et un second document de priorité contient la caractéristique B pour être utilisée en alternative avec A", alors une revendication pour A ou B peut bénéficier de "la première priorité pour la partie A de la revendication et de la seconde priorité pour la partie B". Il est en outre suggéré que ces deux priorités peuvent également être revendiquées pour une revendication portant sur C, si la caractéristique C, soit sous forme de terme ou de formule générique, soit d'une quelconque autre façon, englobe à la fois la caractéristique A et la caractéristique B. L'utilisation d'un terme ou d'une formule générique dans une revendication pour laquelle des priorités multiples sont revendiquées conformément à l'article 88(2) CBE, deuxième phrase est parfaitement acceptable au regard des articles 87(1) et 88(3) CBE, à condition qu'elle conduise à revendiquer un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis" (c'est la Grande Chambre qui souligne).

2.2 Dans un certain nombre de décisions des chambres de recours, la dernière partie de la troisième phrase, qui apparaît en gras ci-dessus, a été interprétée comme un motif de refus de la priorité partielle pour une revendication générique du type "OU". Pour des raisons d'ordre pratique, les résumés des décisions concernées sont reproduits ici tels qu'ils figurent dans les motifs de la décision T 557/13 rendue par la chambre à l'origine de la saisine.

Élargissement de formules chimiques génériques

Dans l'affaire T 1127/00, la revendication 1 avait pour objet une formule générique couvrant un grand nombre de composés à titre de variantes. La chambre a fait observer que ces composés n'étaient pas, en tant que tels, exposés clairement dans la revendication, et a estimé que le fait que l'on puisse envisager sur un plan conceptuel qu'ils soient couverts par la revendication n'équivalait pas à une présence claire et non ambiguë de ces variantes, individualisées en tant que telles, dans la revendication. La revendication 1 n'englobait pas un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis, sous la forme d'une revendication du type "OU", pouvant être répartis en plusieurs groupes de priorités différentes. La revendication 1 ne pouvait donc bénéficier de la priorité partielle d'un document de priorité, mais pouvait se prévaloir uniquement de la date de priorité du document dans lequel la formule générique avait été divulguée pour la première fois. Il ne s'agissait pas du premier document de priorité, puisque celui-ci n'exposait que des ribozymes synthétiques plus spécifiques. Même si ceux-ci étaient couverts par la formule générale de la revendication 1, le document de priorité ne divulguait pas directement et sans ambiguïté le groupe générique étendu, tel que représenté par cette formule. Aussi la revendication 1 ne bénéficiait-elle pas de la date de la première priorité (points 5 à 7 des motifs).

Dans l'affaire T 2311/09 (points 2 à 4 des motifs), la revendication 1 concernait des protéines d'éotaxine qui comprenaient une séquence d'acides aminés "identique à au moins 40 %" à une séquence donnée, et englobaient des variantes qui n'étaient divulguées dans aucun des deux documents de priorité. Par conséquent, la priorité n'a pas été reconnue pour la revendication dans son intégralité. De même, il n'a pas été accordé de priorité partielle dans la mesure où la revendication englobait des protéines identiques à 100 % à une séquence donnée, bien que celle-ci ait apparemment été divulguée dans un document de priorité. La chambre a en effet estimé que la revendication 1 "ne comprenait pas un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis" (cf. G 2/98, point 6.7 des motifs).

Élargissement de compositions chimiques

Dans l'affaire T 184/06 (point 6 des motifs), la revendication n'a pu bénéficier d'une priorité partielle bien qu'elle ait englobé des compositions divulguées dans le document de priorité en des termes plus restrictifs (plage d'alcoxylation plus étroite d'un composant ; composant supplémentaire). La chambre a estimé que la combinaison des caractéristiques de la revendication 1 ne pouvait être déduite directement et sans ambiguïté du document de priorité (article 87(1) CBE et G 2/98, sommaire et point 9 des motifs). De plus, la revendication 1 concernait une composition de substances définie par une combinaison de caractéristiques qui ne pouvaient être considérées isolément les unes des autres. L'objet de la revendication englobait "tout ce qui entrait dans sa portée, définie par ses caractéristiques essentielles" et n'était "pas lié à des variantes distinctes spécifiques ayant une portée différente pour lesquelles différentes priorités pouvaient être revendiquées" (article 88(2) et (3) CBE).

Dans l'affaire T 1443/05, la revendication 1 portait sur une composition comprenant deux composants, tandis que la présence d'un troisième composant spécifique, jugée désavantageuse, était exclue par un disclaimer. La demande de brevet revendiquait la priorité d'une demande européenne antérieure qui donnait des exemples de compositions comprenant les deux premiers composants mais pas le troisième, et qui mentionnait également la possibilité d'incorporer celui-ci. La chambre a conclu que l'objet de la revendication 1 ne concernait pas la même invention (article 87(1) CBE) que celle exposée dans le document de priorité.

Aussi a-t-elle refusé d'accorder la date de priorité revendiquée à la revendication dans son ensemble (point 4.1.11 des motifs). De plus, compte tenu de l'avis G 2/98 (point 6.7 des motifs), la chambre a considéré que même si les exemples contenus dans le document de priorité étaient couverts par la revendication 1, la formulation générique de la revendication ne permettait pas d'identifier une variante non ambiguë qui les englobe (point 4.2.6 des motifs). Les compositions mentionnées à titre d'exemples dans la demande européenne dont la priorité était revendiquée, dans lesquelles le troisième composant n'était pas indiqué, ont donc été considérées comme une antériorité en vertu de l'article 54(3) CBE.

Élargissement de plages de valeurs

Dans l'affaire T 1877/08, la revendication 1 portait sur un mélange de trois composants présents, respectivement, dans les quantités relatives de 30 à 65 / 1 à 10 / 33 à 69 % en poids. Le brevet revendiquait la priorité d'une demande américaine qui divulguait un mélange contenant les trois composants précités, dans des quantités définies de manière plus étroite, à savoir respectivement 30 à 55 / 2 à 10 / 35 à 65 % en poids (c'est la chambre à l'origine de la saisine qui souligne). La chambre a considéré que la combinaison des caractéristiques de la revendication 1 ne pouvait être déduite directement et sans ambiguïté du document de priorité (article 87(1) CBE et G 2/98). Les quantités revendiquées représentaient une plage continue de valeurs numériques qui ne correspondaient pas à des modes de réalisation distincts en tant que variantes (article 88(2) et 88(3) CBE). Par conséquent, il n'était pas possible de déterminer, à l'intérieur de cette plage continue, des modes de réalisation dissociables en tant que variantes, à savoir des éléments au sens de l'article 88(3) CBE qui auraient pu bénéficier de la date de priorité. Pour ces raisons, la priorité a été refusée pour la revendication dans son ensemble.

Dans l'affaire T 476/09, la revendication 1 portait sur une composition de toner caractérisée entre autres par une "circularité" moyenne des particules de toner (une caractéristique physique de ces dernières) définie comme une plage continue allant de "0,930 à 0990" (c'est la chambre à l'origine de la saisine qui souligne). Bien que le premier document de priorité ait divulgué un toner incluant toutes les caractéristiques de la revendication 1 en cause, mais avec une plage plus étroite pour la circularité, à savoir "de 0,94 à 0,99", la chambre n'a pas reconnu de priorité, même partielle. Elle a jugé que la plage revendiquée représentait une plage continue de valeurs numériques qui ne correspondaient pas à des modes de réalisation distincts en tant que variantes (G 2/98, point 6.7 des motifs, et T 1877/08). Par conséquent, il n'était pas possible de déterminer, à l'intérieur de cette plage continue, des modes de réalisation dissociables en tant que variantes, qui auraient pu bénéficier de la date de priorité.

Autres généralisations

Dans l'affaire T 1496/11, la revendication 1 du brevet (délivré sur la base de la demande initiale) portait sur un document de sécurité doté d'un dispositif de sécurité qui comprenait une caractéristique (10) définie en des termes fonctionnels et pouvant "être inspectée, grossie ou soumise à une variation optique à l'aide de la lentille optique lorsque ...". Le document de priorité ne divulguait à cette fin qu'une caractéristique "imprimée ou emboutie". La chambre a estimé (point 2.1 des motifs) que l'objet revendiqué avait été généralisé par l'omission de cette indication plus spécifique, et qu'il englobait donc des dispositifs de sécurité comportant des caractéristiques produites par d'autres moyens. Dès lors, il ne constituait pas la même invention que celle exposée dans le document de priorité (article 87(1) CBE). Aussi la chambre a-t-elle considéré que l'objet de la revendication 1 ne pouvait bénéficier que de la date de dépôt de la demande initiale sur la base de laquelle le brevet avait été délivré. La chambre a ensuite constaté qu'en vertu de l'article 54(3) CBE, l'objet de la revendication 1 n'était pas nouveau par rapport à un mode de réalisation divulgué dans la demande divisionnaire européenne publiée. Ce mode de réalisation était divulgué de manière identique dans le document de priorité et pouvait donc bénéficier de la date de priorité revendiquée. Il antériorisait par conséquent l'objet de la revendication 1 du brevet délivré sur la base de la demande initiale, lequel ne pouvait se prévaloir de la priorité.

2.3 Comme il ressort des résumés ci-dessus, l'élargissement d'une formule chimique, d'une plage de valeurs, de compositions chimiques, ou la présence d'autres généralisations par rapport à l'invention divulguée de manière suffisante dans le document de priorité ont conduit au refus de la priorité partielle, au motif que la revendication de la demande ultérieure n'exposait pas un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis, même s'il était satisfait à l'exigence de même invention au moins pour certains modes de réalisation alternatifs divulgués dans le document de priorité et englobés par la revendication générique du type "OU".

2.4 La décision de saisine T 557/13 comporte également un résumé d'un certain nombre de décisions rendues depuis l'avis G 2/98, dans lesquelles la priorité partielle a, au contraire, été reconnue dans des circonstances comparables.

Dans l'affaire T 135/01, la revendication 1 portait sur un procédé pour commander un moteur électrique impliquant une première et une seconde étapes de commutation du courant, l'intervalle de commutation étant défini comme étant compris dans la plage ¼< ô < ¾. La chambre a considéré (point 5 des motifs) qu'"aux fins de l'attribution de la priorité, il convenait de considérer la revendication 1 ... comme divisée en une première revendication partielle théorique spécifiant une plage "égale à environ ô/2" pour l'intervalle de commutation et pouvant bénéficier de la date de priorité de la demande GB ... [document de priorité], et une deuxième revendication partielle théorique pour la plage complémentaire de ¼ <ô<¾, dont est retranchée la plage "égale à environ ô/2", qui ne pouvait se prévaloir que de la priorité de la date de dépôt réelle et à l'égard de laquelle la publication intercalaire D13 [actes de conférence] faisait donc partie de l'état de la technique", puisqu'elle divulguait elle aussi la plage "égale à environ ô/2". La chambre, qui n'a pas cité expressément l'avis G 2/98 et ne s'est pas penchée sur les critères énoncés au point 6.7 de ses motifs, a donc reconnu une priorité partielle pour la plage plus étroite qui avait été divulguée dans le document de priorité et était comprise – sans être exposée explicitement – dans la plage élargie de la revendication 1.

Dans l'affaire T 665/00, la revendication 10 avait pour objet une poudre cosmétique contenant des microsphères creuses caractérisées entre autres par une "masse spécifique inférieure à 0,1 g/cm³", et cette plage n'était pas divulguée dans le document de priorité. Une objection pour absence de nouveauté avait été soulevée sur la base d'une allégation relative à un usage antérieur public qui aurait eu lieu dans le délai de priorité. Se référant à l'article 88(3) CBE et à l'avis G 2/98 (point 6.7 des motifs), la chambre a estimé que différents éléments d'une demande de brevet pouvaient bénéficier de différentes dates de priorité et que cette approche s'appliquait également à une revendication unique dans la mesure où celle-ci englobait des variantes (alternatives) et pouvait donc être divisée en plusieurs objets (point 3.5 des motifs). La chambre a également indiqué (point 3.5.1 des motifs) que l'expression générique "masse spécifique inférieure à 0,1 g/cm³" permettait de définir un ensemble de microsphères creuses, c'est-à-dire des alternatives permettant de réaliser l'invention, et qu'il était possible d'attribuer à chacune de ces alternatives une date de priorité. Le document de priorité décrivait à titre d'exemples des poudres contenant des microsphères creuses "Expancel DE" dont la masse spécifique était comprise dans la plage définie dans les revendications. Par conséquent, parmi les différentes alternatives que regroupait la revendication 10, celles concernant des poudres contenant les microsphères "Expancel DE" bénéficiaient de la date de priorité revendiquée. L'usage antérieur invoqué n'était donc pas destructeur de nouveauté étant donné qu'il mettait en jeu une poudre contenant les mêmes microsphères "Expancel DE".

Dans cette décision, une priorité partielle a donc été accordée à une revendication générique du type "OU", comprenant en tant qu'expression générique une plage de valeurs de masse spécifiques qui n'était pas divulguée en tant que telle dans le document de priorité et qui représentait une généralisation de la divulgation plus spécifique contenue dans les exemples du document de priorité, plus particulièrement de la masse spécifique, divulguée de manière implicite, des microsphères "Expancel DE" utilisées. La conclusion selon laquelle la revendication pouvait bénéficier d'une priorité partielle dans la mesure où elle englobait des variantes spécifiques divulguées dans le document de priorité reposait sur une simple comparaison entre la portée de la revendication et le contenu du document de priorité. La décision ne comporte aucun autre commentaire concernant plus particulièrement les critères relatifs au "nombre limité" et aux "objets alternatifs clairement définis" énoncés dans l'avis G 2/98 (point 6.7 des motifs).

Dans l'affaire T 1222/11 (point 11 des motifs), la chambre a exposé dans un obiter dictum l'interprétation suivante de la condition formulée dans l'avis G 2/98 (point 6.7 des motifs) :

la condition énoncée dans l'avis G 2/98 ne saurait signifier, comme cela a été considéré dans les décisions précitées, que l'objet d'une revendication du type "OU" doit être défini d'une certaine manière, qui conduise à "revendiquer un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis", étant donné que cela serait, du moins en ce qui concerne des termes génériques, en opposition avec le test de divulgation, qui s'appuie sur le principe d'une divulgation sans équivoque et directe (cf. G 3/89).

La chambre est parvenue à cette conclusion sur la base des considérations suivantes :

le point 6.7 des motifs ne concerne que la question relative à la revendication de priorités multiples pour une seule et même revendication du type "OU". Aussi, en se référant à l'article 88(3) CBE, la Grande Chambre a-t-elle voulu indiquer dans quelles conditions peut être effectuée l'évaluation requise au titre de cet article lorsque la revendication du type "OU" est rédigée à l'aide d'un terme ou d'une formule générique.

Cette évaluation ne peut être effectuée que sur la base d'une comparaison entre l'objet de la revendication du type "OU" et la divulgation contenue dans les documents de priorité multiples.

Dans le cadre de cette évaluation, les termes "conduire à revendiquer un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis" renvoient dès lors à la capacité d'identifier conceptuellement, par cette comparaison, les objets alternatifs auxquels les droits de priorité multiples revendiqués peuvent être ou non rattachés. Cela est nécessaire afin de permettre l'identification des parties de la revendication qui bénéficient de l'effet du droit de priorité défini à l'article 89 CBE.

La chambre a ajouté que la dernière phrase du point 6.7 de l'avis G 2/98 était conforme au mémorandum, qui reflétait, selon la Grande Chambre, l'intention du législateur en matière de priorités multiples. Passant en revue les exemples fournis dans le mémorandum, la chambre a indiqué comment les priorités pouvaient être reconnues dans chaque cas, conformément à l'avis G 2/98 (point 6.7 des motifs). En particulier, l'exemple c) du mémorandum montrait que l'attribution de différentes dates de priorité n'était "pas une possibilité réservée aux seules revendications qui définissent elles-mêmes un nombre limité d'objets clairement définis" (point 11.5.7 des motifs). Il n'y avait en outre aucune raison pour que la condition formulée dans l'avis G 2/98 soit différente lorsqu'il s'agit d'évaluer le droit à une priorité partielle liée à un seul document de priorité (point 11.6 des motifs).

La chambre a donc conclu que la décision visant à établir si une priorité peut ou non être reconnue pour un objet divulgué dans un document de priorité et couvert par une revendication du type "OU", ne dépend pas de la question de savoir si cet objet a été expressément identifié en tant que variante distincte dans la revendication.

Dans l'affaire T 571/10, la chambre a appliqué expressément l'approche suivie dans l'affaire T 1222/11. Elle a relevé que la revendication englobait deux groupes d'objets en tant que variantes (point 4.5.14 des motifs), même si elle ne les mentionnait pas clairement en tant que tels, à savoir la variante (a), qui concernait l'utilisation d'une composition spécifique (sel de calcium du principe actif et sel de phosphate tribasique avec cation multivalent) et la variante (b), relative à l'utilisation d'une composition définie en des termes plus génériques (forme acide ou sel acceptable de cette dernière en tant que sel actif, inorganique dans lequel le cation est multivalent, le principe actif et le sel inorganique n'étant pas un sel de calcium du sel de phosphate acide et tribasique en combinaison). L'objet de la variante (a) était divulgué dans le document de priorité ; il n'était pas défini en tant que tel mais était couvert par la revendication. La variante (b) correspondait à l'objet restant de la revendication, lequel n'était pas divulgué dans le document de priorité. Selon la chambre, la priorité était valable pour l'objet de la variante (a), mais pas pour celui de la variante (b). Elle a donc considéré que la demande européenne parallèle D9, qui revendiquait la priorité de la même demande antérieure que le brevet en litige et divulguait les mêmes variantes (a) et (b), n'était pas comprise dans l'état de la technique en vertu de l'article 54(3) CBE eu égard à la variante (a), puisqu'elle n'avait pas une date effective antérieure. S'agissant de la variante (b), D9 était compris dans l'état de la technique au sens de l'article 54(3) CBE mais n'était pas destructrice de nouveauté, puisque les variantes (a) et (b) ne se recoupaient pas.

3. Portée de la saisine

Il ressort clairement de la décision de saisine que les divergences qui ont émergé dans la jurisprudence sont attribuables à la condition énoncée au point 6.7 des motifs de l'avis G 2/98. En particulier, dans un certain nombre de décisions, l'expression "à condition qu'elle conduise à revendiquer un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis " a été interprétée comme une exigence supplémentaire devant être observée pour que le droit à une priorité partielle soit reconnu. La Grande Chambre analysera les dispositions pertinentes de la CBE, ainsi que les dispositions correspondantes de la Convention de Paris, afin de déterminer si l'introduction de conditions et/ou de restrictions supplémentaires est conforme aux principes fondamentaux régissant le droit de priorité. Ainsi, elle examinera dans un premier temps la nature, les conditions et les effets du droit de priorité en général (cf. point 4 ci-dessous), se concentrera ensuite sur les questions concernant la priorité partielle et les priorités multiples en particulier (cf. point 5 ci-dessous), et déterminera enfin si des conditions supplémentaires d'ordre matériel s'appliquent et comment le droit de priorité doit être apprécié (cf. point 6 ci-dessous).

4. Cadre juridique du droit de priorité

4.1 La priorité est un droit

L'article 87(1) CBE s'énonce comme suit :

"Celui qui a régulièrement déposé, dans ou pour

a) un État partie à la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle ou

b) un membre de l'Organisation mondiale du commerce,

une demande de brevet d'invention... jouit, pour effectuer le dépôt d'une demande de brevet européen pour la même invention, d'un droit de priorité pendant un délai de douze mois à compter de la date de dépôt de la première demande."

Ce texte correspond à l'article 4 de la Convention de Paris, dont le paragraphe A(1) s'énonce comme suit :

"Celui qui aura régulièrement fait le dépôt d'une demande de brevet d'invention [...] dans l'un des pays de l'Union […] jouira, pour effectuer le dépôt dans les autres pays, d'un droit de priorité pendant les délais déterminés ci-après."

4.2 Condition matérielle relative à la "même invention"

Outre les conditions de forme (telles que le dépôt d'une déclaration, l'indication de l'identité du demandeur et le délai de douze mois), la CBE (comme la Convention de Paris) prévoit une seule condition matérielle à remplir pour qu'un droit de priorité soit valablement revendiqué, à savoir que le document de priorité et le dépôt ultérieur portent sur la même invention (article 87(1) CBE). L'article 4C(4) de la Convention de Paris utilise le vocable "même objet", mais le sens est incontestablement le même.

Il est de principe qu'un droit institué par une convention ou un traité international, ou par une loi nationale, ne peut pas être limité du fait de conditions supplémentaires résultant de règlements ou de directives d'ordre administratif, voire de la jurisprudence.

4.3 Effets du droit de priorité

4.3.1 L'article 89 CBE dispose que "[p]ar l'effet du droit de priorité, la date de priorité est considérée comme celle du dépôt de la demande de brevet européen pour l'application de l'article 54, paragraphes 2 et 3, et de l'article 60, paragraphe 2."

4.3.2 Cette disposition établit que le droit de priorité vise à protéger le demandeur contre le dépôt, par des tiers, d'une demande de brevet relative à la même invention au cours du délai de douze mois qui suit le premier dépôt. Elle doit être lue conjointement à l'article 60(1) et (2) CBE, qui définit le droit au brevet européen comme appartenant à l'inventeur ou, en cas de conflit, au premier déposant.

4.3.3 Dès lors que la demande revendique la même invention que celle divulguée dans le document de priorité, l'objet qui bénéficie du droit de priorité ne peut pas être opposé à cette demande en tant qu'élément de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) et (3) CBE. Les dispositions pertinentes (articles 89 et 54 CBE) sont donc compatibles. La fiction selon laquelle la demande ultérieure est réputée avoir été déposée à la date du premier dépôt - dans la mesure où elle porte sur le même objet que le premier dépôt – représente en quelque sorte un obstacle destiné à empêcher des tiers de porter atteinte au droit du demandeur à obtenir la protection de l'objet revendiqué qu'il a divulgué pour la première fois dans la demande antérieure. Ce qui vaut pour les tiers vaut donc aussi pour le demandeur lui-même.

4.3.4 Il s'ensuit qu'une objection d'absence de nouveauté ne peut aboutir que lorsque la priorité ne peut pas être reconnue.

Dans sa décision G 3/93 (JO OEB 1995, 18), la Grande Chambre avait déjà fait observer ce qui suit : "L'article 89 [CBE] se rapporte à l'effet du droit de priorité, en posant en prémisse qu'il doit être satisfait aux conditions donnant naissance à ce droit, y compris à celle selon laquelle les inventions doivent être identiques [....] Lorsqu'une priorité est revendiquée mais ne peut être acceptée au motif que la condition essentielle selon laquelle les inventions doivent être identiques n'est pas remplie, il n'existe aucun droit de priorité. Par conséquent, la publication du contenu d'un document de priorité entre son dépôt comme demande de brevet et le dépôt de la demande de brevet européen qui en revendique la priorité constitue une antériorité opposable aux éléments de la demande de brevet européen ne pouvant bénéficier d'une priorité." (points 8 et 9 des motifs).

4.3.5 L'article 4B de la Convention de Paris définit comme suit les effets du droit de priorité :

"En conséquence, le dépôt ultérieurement opéré […] ne pourra être invalidé par des faits accomplis dans l'intervalle, soit, notamment, par un autre dépôt, par la publication de l'invention ou son exploitation […] et ces faits ne pourront faire naître aucun droit de tiers ni aucune possession personnelle […]."

Dans son Guide d'application de la Convention de Paris (édition 1967, pages 43 et 44), le Professeur Bodenhausen indique, au sujet de cette disposition, que "les effets du dépôt ultérieur ne peuvent être inférieurs à ce qu'ils auraient été si ce dépôt avait été effectué au moment où a été fait […] le premier dépôt sur lequel le droit de priorité est basé", et précise que ni un autre dépôt ni la publication ou l'exploitation de l'invention "que ce soit par la personne qui a déposé la première demande de brevet ou par un tiers, pendant le délai de priorité, ne peut […] invalider le dépôt ultérieur pour lequel le droit de priorité est revendiqué ou y porter atteinte" et, en particulier, "ne peut ni détruire la nouveauté de l'invention ni diminuer l'activité inventive qu'elle représente, telles qu'elles existaient à la date de la première demande qui sert de base au droit de priorité."

La même interprétation se retrouve également dans "Le nouveau droit français des brevets d'invention", de Paul Mathély (1992, chapitre consacré au droit de l'Union, pages 596 et 597), selon lequel "la priorité accorde au brevet correspondant une immunité contre les faits de divulgation et d'usurpation qui peuvent s'être produits depuis la première demande prioritaire". Par ailleurs, "la priorité met l'inventeur à l'abri, non seulement des antériorités des tiers, mais encore de sa propre divulgation".

Ces auteurs ont choisi des termes clairs et particulièrement forts pour définir l'étendue du droit de priorité.

4.4 Par conséquent, il ressort à la fois de la lettre des textes et de la logique du concept sous-jacent, que le droit de priorité tel que défini par la CBE (et la Convention de Paris) a pour effet d'exclure toute interférence entre un objet divulgué pendant le délai de priorité et un objet identique divulgué dans un document de priorité, dans la mesure où la priorité a été valablement revendiquée.

5. Priorité partielle et priorités multiples

5.1 Dispositions de la CBE

5.1.1 Les dispositions pertinentes concernant à la fois la priorité partielle et les priorités multiples figurent à l'article 88(2) et (3) CBE.

L'article 88(2), première et deuxième phrases CBE s'énonce comme suit : "Des priorités multiples peuvent être revendiquées pour une demande de brevet européen même si elles proviennent d'États différents. Le cas échéant, des priorités multiples peuvent être revendiquées pour une même revendication."

L'article 88(3) CBE dispose que "[l]orsqu'une ou plusieurs priorités sont revendiquées pour la demande de brevet européen, le droit de priorité ne couvre que les éléments de la demande de brevet européen qui sont contenus dans la demande ou dans les demandes dont la priorité est revendiquée."

Les paragraphes 2 à 4 de l'article 88 CBE correspondent de fait aux articles 4F et 4H de la Convention de Paris, à ceci près qu'ils prévoient de manière explicite que des priorités multiples peuvent être revendiquées pour une même revendication (article 88(2), deuxième phrase CBE).

5.1.2 L'article 88(3) CBE doit être interprété en ce sens que le droit de priorité couvre les situations dans lesquelles seule une partie de la demande ultérieure (par exemple une partie de l'objet englobé par une revendication) peut bénéficier de la priorité d'une ou de plusieurs demandes dont la priorité est revendiquée. Une priorité partielle peut être accordée aux éléments pouvant être déduits directement et sans ambiguïté de la demande ou des demandes dont la priorité est revendiquée, tandis que les autres éléments divulgués dans la demande ultérieure donnent eux-mêmes naissance à une priorité pour une nouvelle demande ultérieure.

Le terme "éléments" employé à l'article 88(3) CBE (voir aussi les articles 4F et 4H de la Convention de Paris) doit être interprété comme désignant non pas une caractéristique unique, mais un objet tel que celui défini dans une revendication ou divulgué sous la forme d'un mode de réalisation ou d'un exemple cité dans la description (voir l'avis G 2/98, supra, points 4 et 6.2 des motifs).

L'article 88(3) CBE fait référence à une pluralité d'éléments susceptibles d'être "contenus" (divulgués) dans un ou plusieurs documents de priorité. Chacun des "éléments" divulgués peut bénéficier de la priorité du document de priorité dans lequel il a été divulgué. En vertu de l'article 88(3) CBE, peu importe que tous les éléments englobés par une revendication soient divulgués dans le même document de priorité ou dans plusieurs documents de priorité, ce dernier cas de figure correspondant aux "priorités multiples" visées à l'article 88(2), première phrase CBE.

5.1.3 Si une revendication de la demande ultérieure est plus large qu'un élément divulgué dans le document de priorité, la priorité peut être revendiquée pour ledit élément, mais pas pour tous les autres modes de réalisation englobés par la ou les revendications. Ce principe s'applique à tout élément particulier divulgué dans tout document de priorité. Peu importe que la priorité partielle soit revendiquée pour un élément figurant dans un seul et même document de priorité, pour plusieurs éléments divulgués dans un document de priorité (premier cas de figure visé à l'article 88(3) CBE), pour plusieurs éléments divulgués dans plus d'un document de priorité (deuxième cas de figure visé à l'article 88(3) CBE) ou pour une revendication englobant plusieurs éléments divulgués dans plusieurs documents de priorité (cas de figure visé à l'article 88(2), deuxième phrase CBE). Il est également indifférent qu'une revendication pour laquelle une priorité partielle est revendiquée englobe un seul élément divulgué dans un document de priorité ou plusieurs éléments divulgués dans un ou plusieurs documents de priorité. La situation dans laquelle une revendication englobe des éléments divulgués dans plusieurs documents de priorité est traitée spécifiquement à l'article 88(2), deuxième phrase CBE.

Le libellé de l'article 88(2) et (3) CBE permet à lui seul de rejeter l'argument selon lequel la priorité partielle serait un concept ignoré du système de brevet européen.

5.2 Les documents préparatoires à la CBE, y compris le mémorandum, dont on peut affirmer qu'il traduit l'intention des auteurs de la CBE (G 2/98, point 6.4 des motifs), corroborent la présente interprétation.

5.2.1 Travaux préparatoires à la CBE 1973 – Mémorandum C de la FICPI (M/48/I)

En ce qui concerne les priorités multiples afférentes à une seule et même revendication, le mémorandum fait une distinction importante entre deux types de revendication, à savoir :

la revendication du type A+B (revendication du type "ET", revendication trop limitée pour être soutenue par le contenu du premier document de priorité) ; et

la revendication du type A ou B (revendication du type "OU", revendication trop étendue pour être soutenue par le contenu du premier document de priorité).

S'agissant des revendications du type "ET", il est précisé dans le mémorandum que "lorsqu'un premier document de priorité contient une caractéristique A, et un second document de priorité contient la caractéristique B pour son utilisation simultanée avec A, une revendication A + B ne peut bénéficier de la priorité partielle de la première date de priorité parce que l'invention A + B n'a été décrite qu'à la date du second document de priorité".

En ce qui concerne les revendications du type "OU", objet de la présente saisine, il est indiqué dans le mémorandum que "si un premier document de priorité contient la caractéristique A, et un second document de priorité contient la caractéristique B pour être utilisée en alternative avec A, une revendication de la demande pour A ou B consistera en fait en deux parties distinctes, respectivement A et B, chacune étant complète en elle-même, et il semble qu'il n'y ait aucune raison qu'il ne soit pas possible de revendiquer la première priorité pour la partie A de la revendication et la seconde priorité pour la partie B". Il est également souligné à cet égard dans le mémorandum qu'"il est sans importance que le mot "ou" se trouve réellement dans la revendication ou soit sous-entendu dans l'utilisation d'un terme générique, ou autrement".

Le mémorandum comporte les exemples suivants, illustrant des situations liées à des revendications du type "OU" dans lesquelles il serait souhaitable que des priorités multiples puissent être revendiquées pour une seule et même revendication :

a) élargissement de formules chimiques ;

b) élargissement d'une plage de valeurs numériques (température, pression, concentration, etc.) ; et

c) élargissement d'un champ d'application.

Une telle revendication du type "OU" bénéficierait de la priorité

- à partir de la date de la première priorité, dans la mesure où elle englobe l'objet défini de manière étroite qui est divulgué dans le premier document de priorité, et

- à partir de la date de la seconde priorité pour le reste des objets qu'elle englobe.

S'agissant de la priorité partielle, le mémorandum précise que :

- "la revendication de priorités partielles devrait être régie par les mêmes principes que ceux développés au sujet de la revendication de priorités multiples", et

- "il serait bon de revendiquer une priorité partielle dans les situations correspondant au type "OU" de la section "priorités multiples", la demande de brevet européen [prenant] la place du second document de priorité".

Le mémorandum mentionne également les avantages qui découlent de l'admission de priorités multiples et partielles, notamment le fait d'éviter la multiplication des revendications, et les inconvénients éventuels dans les procédures nationales postérieures à la délivrance.

Le mémorandum relève en dernier lieu que reconnaître des priorités multiples et partielles n'est pas la même chose qu'admettre des revendications modifiées de telle sorte qu'après modification, une seule priorité soit revendiquée pour chaque revendication particulière. La question de la priorité partielle ne se poserait pas si une seule priorité était revendiquée pour chaque revendication particulière. Cependant, une modification d'un jeu de revendications qui a pour effet de fractionner une revendication de la demande déposée initialement, afin de tenir compte de priorités partielles, peut, dans de nombreux cas, ne pas être admissible au regard des dispositions de l'article 123(2) CBE.

5.2.2 Il ressort du procès-verbal de la conférence diplomatique de Munich de 1973 (M/PR/I, "Article 86 (88) Revendication de priorité", points 308 à 317) que le mémorandum a joué un rôle essentiel dans le processus rédactionnel de la disposition de la CBE qui a été finalement adoptée et qui permet de revendiquer des priorités multiples pour une seule et même revendication.

Par conséquent, l'interprétation exposée aux points 5.1.1 à 5.1.3 ci-dessus est conforme au mémorandum.

5.2.3 Cette interprétation est également confirmée par la Convention de Paris.

Il est de jurisprudence constante que la CBE constitue, aux termes de son préambule, un arrangement particulier au sens de la Convention de Paris. Il est clair par conséquent que dans les articles 87, 88 et 89 CBE, qui constituent une réglementation complète et autonome du droit de revendication d’une priorité pour une demande de brevet européen (cf. J 15/80, supra), le législateur n’avait pas l’intention de contrevenir aux principes fondamentaux énoncés en matière de priorité dans la Convention de Paris (cf. T 301/87, JO OEB 1990, 335 ; point 7.5 des motifs).

L'article 4F de la Convention de Paris prévoit que la priorité ne peut pas être refusée pour le motif que le demandeur revendique des priorités multiples ou pour le motif qu'une demande revendiquant une ou plusieurs priorités contient un ou plusieurs éléments qui n'étaient pas compris dans la ou les demandes dont la priorité est revendiquée, à la condition, dans les deux cas, qu'il y ait unité d'invention, au sens de la loi du pays. En ce qui concerne les éléments non compris dans la ou les demandes dont la priorité est revendiquée, "le dépôt de la demande ultérieure donne naissance à un droit de priorité dans les conditions ordinaires" (article 4F, deuxième paragraphe de la Convention de Paris).

Le second motif énoncé dans cette disposition porte en particulier sur la possibilité de revendiquer une priorité partielle et a été ajouté en 1958 afin de tenir compte du cas, fréquent, où l'invention est perfectionnée après le premier dépôt et pendant le délai de priorité de douze mois (cf. Bodenhausen, supra, page 56, point d)).

5.3 Force est donc de conclure que la CBE ne contient aucune autre exigence, au-delà de celle de "même invention", pour reconnaître le droit de priorité, qu'il s'agisse d'une priorité simple, de priorités multiples ou d'une priorité partielle, cette dernière étant considérée comme une sous-catégorie des priorités multiples.

La condition énoncée dans l'avis G 2/98 (supra, point 6.7 des motifs, dernière phrase) ne saurait dès lors être interprétée comme impliquant une restriction supplémentaire du droit de priorité.

6. Application du critère de "même invention"

6.1 L'octroi de la priorité est fondé sur l'article 88(4) CBE, qui dispose que "si certains éléments de l'invention pour lesquels la priorité est revendiquée ne figurent pas parmi les revendications formulées dans la demande antérieure, il suffit, pour que la priorité puisse être accordée, que l'ensemble des pièces de la demande antérieure révèle d'une façon précise lesdits éléments."

La teneur de l'article 4H de la Convention de Paris est essentiellement identique : "La priorité ne peut être refusée pour le motif que certains éléments de l'invention pour lesquels on revendique la priorité ne figurent pas parmi les revendications formulées dans la demande au pays d'origine, pourvu que l'ensemble des pièces de la demande révèle d'une façon précise lesdits éléments."

6.2 Dans l'avis G 2/98, la Grande Chambre a défini de manière générale comment la notion de "même invention" doit être interprétée. Le dispositif est formulé comme suit :

"La condition requise à l'article 87(1) CBE pour qu'il puisse être revendiqué la priorité d'une demande portant sur "la même invention" signifie qu'il ne convient de reconnaître qu'une revendication figurant dans une demande de brevet européen bénéficie de la priorité d'une demande antérieure conformément à l'article 88 CBE que si l'homme du métier peut, en faisant appel à ses connaissances générales, déduire directement et sans ambiguïté l'objet de cette revendication de la demande antérieure considérée dans son ensemble."

Elle a adopté, ce faisant, une approche stricte en ce qui concerne la définition de la notion de "même invention". Le but était d'harmoniser la jurisprudence à cet égard (point 5 des motifs) et de maintenir une cohérence entre les différents aspects fondamentaux du droit des brevets, en alignant l'appréciation de la priorité sur l'approche suivie pour déterminer s'il est satisfait aux exigences de l'article 123(2) CBE et à l'exigence de nouveauté.

Dans le droit fil de cette conclusion, la Grande Chambre a souligné ultérieurement, dans sa décision G 1/03 (point 4 des motifs), la nécessité d'une approche cohérente en faisant observer que "[...] l'étendue du droit de priorité est déterminée par ce qui est divulgué dans la demande dont la priorité est revendiquée et elle est en même temps limitée à ce contenu. Afin d'éviter toute incohérence, il y a lieu d'interpréter de la même manière la divulgation employée comme base pour le droit de priorité conformément à l'article 87(1) CBE et la divulgation employée comme base pour apporter des modifications à la demande conformément à l'article 123(2) CBE." La Grande Chambre a adopté cette même approche plus récemment dans la décision G 2/10 (supra, point 4.6 des motifs). Elle a ainsi consolidé la jurisprudence pour créer un système cohérent.

6.3 Le constat établi par la Grande Chambre dans son avis G 2/98 (supra, point 6.7 des motifs) s'inscrivait dans le contexte des priorités multiples revendiquées pour une seule et même revendication. La présente saisine concerne quant à elle la priorité partielle, étant précisé que ces termes désignent la situation dans laquelle seule une partie de l'objet englobé par une revendication générique du type "OU" peut bénéficier de la priorité d'une demande antérieure.

6.4 Pour déterminer si un objet d'une revendication générique du type "OU" peut bénéficier d'une priorité partielle, la première étape consiste à identifier l'objet pertinent qui est divulgué dans le document de priorité, à savoir l'objet pertinent par rapport à l'état de la technique divulgué pendant le délai de priorité. Cela doit être fait conformément au test de divulgation défini dans le dispositif de l'avis G 2/98, et sur la base des explications fournies par le demandeur ou le titulaire du brevet à l'appui de sa revendication de priorité, pour démontrer ce que l'homme du métier aurait pu déduire du document de priorité. L'étape suivante consiste à examiner si l'objet est englobé par la revendication de la demande ou du brevet qui revendique la priorité en question. Dans l'affirmative, la revendication est de fait divisée en deux parties distinctes sur le plan conceptuel, la première étant l'invention divulguée directement et sans ambiguïté dans le document de priorité et la seconde correspondant au reste de la revendication générique ultérieure du type "OU", qui ne bénéficie pas de cette priorité mais qui donne naissance en soi à un droit de priorité, comme le prévoit l'article 88(3) CBE.

6.5 Cela correspond en outre logiquement et précisément au système décrit dans le mémorandum (cf. point 5.2 ci-dessus), selon lequel "si un premier document de priorité contient la caractéristique A, et un second document de priorité contient la caractéristique B pour être utilisée en alternative avec A, une revendication de la demande pour A ou B consistera en fait en deux parties distinctes, respectivement A et B, chacune étant complète en elle-même", le mémorandum indiquant en outre qu'"[...] il serait bon de revendiquer une priorité partielle dans les situations correspondant au type "OU" de la section "priorités multiples", la demande de brevet européen [prenant] la place du second document de priorité".

6.6 La tâche qui consiste à identifier la divulgation pertinente du document de priorité pris dans son ensemble et à déterminer si l'objet correspondant est englobé par la revendication de la demande ultérieure relève de la pratique courante à l'OEB et parmi les praticiens du système du brevet européen. Elle ne devrait dès lors pas créer de nouvelles difficultés. Il n'en résulte pas davantage d'insécurité pour les tiers, contrairement à ce qui avait été avancé par l'intimé et par certains tiers dans leurs prises de position. Les décisions rendues dans les affaires T 665/00, T 135/01, T 571/10 et T 1222/11 montrent que cette tâche, d'ordre intellectuel, peut certes être exigeante mais ne nécessite ni test ni étape supplémentaires.

6.7 Il ressort de cette analyse qu'aucune condition supplémentaire n'est nécessaire pour apprécier le droit à une priorité partielle.

7. Conclusion

Au vu de ce qui précède, il doit être répondu par la négative à la question 1.

En conséquence, les questions 2 à 5 sont sans objet.

Dispositif

Par ces motifs, la Grande Chambre de recours répond comme suit aux questions de droit qui lui ont été soumises :

Le droit à une priorité partielle ne peut pas être refusé au titre de la CBE pour une revendication qui englobe des objets alternatifs du fait d'une ou de plusieurs expressions génériques ou d'une autre manière (revendication générique du type "OU") pour autant que ces objets alternatifs aient été divulgués pour la première fois, directement ou au moins implicitement, sans ambiguïté et de manière suffisante dans le document de priorité. Aucune autre condition de fond ni limitation ne s'applique à cet égard.

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