European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2018:T246613.20180605 | ||||||||
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Date de la décision : | 05 Juin 2018 | ||||||||
Numéro de l'affaire : | T 2466/13 | ||||||||
Numéro de la demande : | 03760735.5 | ||||||||
Classe de la CIB : | F16L 59/02 | ||||||||
Langue de la procédure : | FR | ||||||||
Distribution : | C | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
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Titre de la demande : | Panneau d'isolation pour conduit de distribution | ||||||||
Nom du demandeur : | SAINT-GOBAIN ISOVER | ||||||||
Nom de l'opposant : | Knauf Insulation Technology sprl | ||||||||
Chambre : | 3.2.05 | ||||||||
Sommaire : | - | ||||||||
Dispositions juridiques pertinentes : |
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Mot-clé : | Validité formelle du transfert du droit de priorité (oui) Divulgation de la même invention (partiellement) Activité inventive (non : requête principale, requête subsidiaire 1 ; oui : requête subsidiaire 2) |
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Exergue : |
Application de G 1/15 ; défaut d'activité inventive par rapport au document de priorité publié pendant l'année de priorité (voir points 2.2 et 3 des motifs) Adaptation de la description et influence sur une éventuelle action en contrefaçon (doctrine des équivalents) (voir point 5.2 des motifs) |
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Décisions citées : |
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Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
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Exposé des faits et conclusions
I. L'opposante a formé un recours contre la décision de la division d'opposition relative au texte dans lequel le brevet européen n° 1 532 391 (ci-après "le brevet") peut être maintenu.
La division d'opposition est parvenue à la conclusion que la deuxième requête subsidiaire satisfaisait aux exigences de la Convention sur le brevet européen (CBE). Elle a notamment considéré les documents suivants de l'état de la technique :
D9 : US 5,783,268 ;
D12 : GB 2 189 273 A ;
D14 : North American Insulation Manufacturers
Association (NAIMA), "Fibrous Glass Duct
Construction Standards" (5th edition), 2002 ;
D16 : Brochure de la Owens-Corning Fiberglass
Corporation, datée de octobre 1981 et
intitulée "airways - Here's an easy-to-build
three-piece 90° elbow" ;
D18 : Escritura de poder otorgada por la Mercantil
"Cristaleria Española, S.A." ;
D20 : Note/Memo de la part d'Isabelle Bouillon
(société Saint-Gobain Isover) au sujet de la
délégation de pouvoirs en faveur de Monsieur
Jean-Yves Aubé.
II. La procédure orale devant la chambre a eu lieu le 5 juin 2018.
III. La requérante (opposante) a demandé l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet européen.
L'intimée (titulaire du brevet) a demandé, à titre principal, le rejet du recours et, à titre subsidiaire, l'annulation de la décision contestée et le maintien du brevet sous forme modifiée selon l'une des requêtes subsidiaires 1 à 5 reçues avec la lettre en date du 10 novembre 2017.
IV. La revendication 1 de la requête principale devant la chambre est rédigée comme suit (la numérotation des caractéristiques utilisée par la chambre est indiquée entre crochets) :
"1. [1] Panneau d'isolation (2) [2] pour conduit de distribution d'air conditionné (1), ledit panneau d'isolation (2) comportant [3] au moins une âme isolante (3) [4] à base de laine minérale, [4o] de préférence de laine de verre, et comportant [5] une couche extérieure (4) [5o] par exemple à base d'une fine pellicule d'aluminium, caractérisé en ce qu'il [6] présente sur la face extérieure de la couche extérieure une pluralité de marques rectilignes (5) et obliques par rapport à une direction longitudinale dudit panneau, [7] lesdites marques formant deux faisceaux d'inclinaisons contraires et [8] orientées selon un angle gamma [9] égal à 67,5° par rapport à ladite direction longitudinale."
La revendication 1 de la requête subsidiaire 1 se distingue de la requête principale par la suppression des mots "au moins" dans la caractéristique 3.
La revendication 1 de la requête subsidiaire 2 se distingue de la requête subsidiaire 1 par l'ajout de la caractéristique", et en ce que ladite face extérieure présente en outre une pluralité de marques rectilignes longitudinales (7) orientées parallèlement à ladite direction longitudinale".
V. La requérante (opposante) a développé les arguments suivants :
a) Validité de la priorité
La titulaire n'a pas prouvé le transfert de la priorité. La division d'opposition a utilisé un standard de preuve insuffisant ("balance des probabilités" au lieu de "au-delà de tout doute raisonnable"). La priorité n'a donc pas été valablement revendiquée.
De plus, l'invention de la revendication 1 n'est pas la même que celle divulguée dans le document de priorité Prio01 et ne peut bénéficier de sa date de priorité.
Le test pour la validité de la priorité se fonde sur le critère de ce qui est divulgué "directement et sans ambiguïté". Cette approche a été confirmée par la décision G 1/15. La titulaire cherche à lire dans le document Prio01 ce qui n'y est pas. Il faut se poser la question s'il était possible, sur la base de la divulgation de la demande dans son ensemble, de formuler une revendication dans laquelle les marques longitudinales seraient absentes. La titulaire s'appuie sur l'analyse littérale de certains passages du document Prio01 et les sort de leur contexte :
- La référence à un "complément" (page 5, ligne 30 de la traduction anglaise) ne vise pas les marques longitudinales mais les marques transversales, dont il n'est pas contesté qu'elles sont facultatives. Le fait que le document Prio01 dit que les marques longitudinales "peuvent servir de référence" (dernier paragraphe de la page 5 de la traduction anglaise) ne signifie pas que ces marques sont facultatives. Ce passage indique seulement comment on peut les utiliser lorsqu'il y a aussi des marques transversales, car on obtient une indication de la longueur aux points d'intersection. Il n'y a là aucune divulgation du soi-disant caractère facultatif des marques longitudinales.
- Il en est de même pour le deuxième paragraphe de la description (page 3 de la traduction anglaise). En outre, il ne s'agit pas de trouver des indices permettant de croire que l'homme du métier aurait peut-être pu comprendre que les marques longitudinales n'étaient pas absolument nécessaires. Ce qui compte, c'est que le document ne divulgue pas, directement et sans ambiguïté, un mode de réalisation sans marques longitudinales.
Comme la revendication de la priorité n'est pas valable, le document Prio01 fait partie de l'état de la technique opposable.
b) Activité inventive
Le guide pour la réalisation de conduits D14 est un document représentatif des connaissances générales de l'homme du métier. Il explique comment de tels guides sont habituellement produits. A la page 3-4, on montre comment un coude à 90° peut être obtenu. On coupe en suivant des lignes droites inclinées de 22,5°, puis on tourne la portion centrale. Comme chaque coupe conduit à une inclinaison de 2 x 22,5°= 45°, on obtient en fin de compte un changement de direction de 90° :
FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE
Aux pages 2-4 à 2-10 du même document, on explique comment des portions droites sont obtenues, soit manuellement (2-6 à 2-9), soit en utilisant des machines (2-10). Le fait d'enlever la matière le long de lignes droites, matérialisées ou non, fait partie des connaissances générales de l'homme du métier.
La partie de la revendication 1 qui ne bénéficie pas de la priorité du document Prio01 n'est pas inventive par rapport à la publication du document Prio01. La seule différence consiste en l'absence des lignes longitudinales. Le brevet ne divulgue pas d'effet technique ou avantage lié à l'absence de ces lignes. Or, l'effet technique doit se fonder sur l'enseignement du brevet. En l'absence d'effet technique, on doit conclure à l'absence d'activité inventive. Il s'agit d'une simple alternative dépourvue d'activité inventive.
Le paragraphe [0013] du brevet, sur lequel se fonde la titulaire pour formuler un effet technique, ne se réfère qu'aux lignes obliques et transversales ; il ne dit rien sur les lignes longitudinales.
La titulaire a fait valoir un effet technique des marquages longitudinaux. Or, c'est l'effet technique de l'absence de ces marquages qu'il faut considérer en l'espèce. L'affirmation de l'intimée selon laquelle les marques longitudinales constituent une aide visuelle à la découpe n'est par ailleurs pas fondée, car au moment de la découpe, ces marques sont sur le dos du panneau et, par conséquent, invisibles.
L'incitation à supprimer les lignes longitudinales vient des connaissances générales de l'homme du métier. Comme le montre le document D14, les coupes permettant d'obtenir des portions droites sont effectuées sur le côté des panneaux destiné à former l'intérieur du conduit. Or, les marques prévues sur l'autre côté n'aident pas lors de la découpe, et ce d'autant plus que les méthodes courantes de découpe ne nécessitent pas de marques, parce que l'on utilise un patron ou des machines préréglées. Les lignes longitudinales ne sont donc pas nécessaires ; elles ne remplissent aucune fonction. Par conséquent, l'homme du métier les enlèverait.
Le document D14 n'est pas utilisé comme un document de l'art antérieur que l'on combinerait avec le document Prio01, mais comme illustration des connaissances générales de l'homme du métier.
c) Requête subsidiaire 2 : activité inventive
Le document D9 divulgue un panneau isolant similaire à celui du brevet, mais il n'y a pas de lignes de marquage sur le côté du panneau destiné à former l'extérieur du conduit.
Les seules différences qui sont pertinentes pour l'activité inventive sont celles qui produisent un effet technique. Les marques longitudinales n'ont pas d'effet technique ; elles ne facilitent pas la découpe. L'angle de 67,5° correspond aux connaissances de l'homme du métier, telles qu'elles ressortent du document D14, qui mentionne l'angle complémentaire de 22,5° pour obtenir un conduit formant un angle droit. Il est sans pertinence pour l'activité inventive.
La seule différence à considérer est le marquage des lignes obliques.
La discussion de l'activité inventive doit se focaliser sur le prétendu effet technique de cette différence. Les lignes de marquage facilitent la découpe sur site, et non pas la réalisation de conduits permettant un changement de direction, qui fait déjà partie des connaissances générales de l'homme du métier (voir document D14). Cela ressort du paragraphe [0067] du brevet.
L'homme du métier, c'est-à-dire le fabricant de panneaux, sait très exactement comment ses panneaux seront utilisés (voir le document D14, qui a été établi par l'association de fabricants NAIMA).
Le document D12 appartient à un domaine voisin, parce que :
- c'est une demande déposée par l'intimée ;
- toutes les entreprises commercialisant des panneaux isolants comme ceux du document D9 commercialisent aussi des rouleaux tels que celui du document D12.
Il est possible que l'homme du métier envisagerait aussi d'autres pistes d'amélioration du produit que des marquages, mais cela ne veut pas dire qu'il mettrait de côté cette piste.
L'homme du métier cherche toujours à améliorer ses produits. Lorsqu'il poursuit cette démarche et fait des recherches dans des domaines voisins, il tombe sur le document D12.
Le document D12 enseigne, entre autres, comment préparer des panneaux destinés à être placés entre les chevrons d'une toiture. Il comporte également un enseignement plus général concernant des lignes de marquages facilitant la découpe des panneaux (page 2, ligne 104 : "... marking lines are used which serve as a cutting aid ..."), ce qui correspond exactement à la motivation donnée dans le paragraphe [0067] du brevet.
L'examen de l'activité inventive se réduit donc à la question de savoir si l'homme du métier, qui apprend dans le document D12 que la découpe est facilitée par des lignes de marquage, prévoirait de telles marquages sur le panneau du document D9. La réponse est nécessairement affirmative, car l'invention résout le même problème que le document D12, et de la même façon.
d) Adaptation de la description
La modification de la description contrevient à l'article 123(2) CBE. A titre d'exemple, la suppression du mot "éventuellement" a pour conséquence qu'il n'est plus apparent que la demande d'origine présentait la présence de la couche extérieure comme facultative. Cela veut dire qu'une information contenue dans la demande d'origine a disparu. Le paragraphe se réfère à un mode de réalisation qui ne fait plus partie de l'invention revendiquée. Il en est de même pour les paragraphes [0001], [0008], [0009] et [0064].
Le paragraphe [0009] tel que modifié suggère que la demande d'origine décrivait les lignes longitudinales comme étant essentielles, ce qui n'est pas correct. Il y a donc une divergence entre la présentation de ces lignes comme facultatives dans la demande d'origine et la portée des revendications dont la chambre estime qu'elles satisfont aux exigences de la CBE.
Or, l'adaptation de la description a pour seul but d'éviter des contradictions entre l'objet des revendications et le contenu de la description. Elle ne doit pas être un exercice permettant à la titulaire de changer le contenu de la description ou d'améliorer sa position. Cette question n'est pas sans importance, notamment en vue d'actions en contrefaçon, où les revendications seront interprétées en tenant compte de la description, surtout dans le contexte de la contrefaçon par équivalence. Dans le cadre de la doctrine de l'équivalence, le contenu précis de la demande d'origine et des modifications en cours de procédure sont déterminants. Certains tribunaux ne tiennent compte que du texte du brevet et ignorent la procédure de délivrance (le file wrapper). Il n'est donc pas possible de changer l'information contenue dans la description.
Une façon de surmonter cette difficulté au paragraphe [0007] est de maintenir le mot "éventuellement" et de préciser "selon un mode de réalisation qui n'est pas couvert par l'invention". Il serait également possible d'introduire le paragraphe [0009] par les mots "Selon le présent exposé ...", ce qui clarifierait que ce qui suit ne concerne pas les revendications, tout en évitant toute perte d'information.
Suite à une question de la chambre, la requérante a exprimé son opinion que les changements de la description étaient relativement simples et ne justifiaient pas un renvoi à la division d'opposition.
VI. L'intimée (titulaire) a développé les arguments suivants :
a) Validité de la priorité
Le transfert de la priorité est établi. Il n'y a pas de raison d'appliquer le niveau de preuve "au-delà de tout doute raisonnable", qui est un critère d'exception.
La revendication de la priorité est valable de tout point de vue.
Contrairement à l'avis provisoire de la chambre exprimé dans la notification établie conformément à l'article 15(1) RPCR, les marques longitudinales sont présentées comme facultatives dans le document de priorité Prio01. Il est clair pour l'homme du métier que ces marques, qui ne sont pas indispensables pour le pliage, sont facultatives. Ce caractère facultatif ressort des deux seuls passages de la description du document Prio01 en version espagnole où ces marques sont évoquées :
- colonne 2, lignes 14-29 : dans son avis provisoire, la chambre de recours a insisté sur le mot "además" ("en plus de"), mais il faut noter que le texte ne dit pas "además de incorporar" ("en plus d'incorporer") mais "ademas de poder incorporar" ("en plus de pouvoir incorporer") : le panneau peut incorporer ces lignes ou pas ; elles sont donc facultatives.
- colonne 4, lignes 3-22 : alors que les lignes 3-15 expliquent que les marques obliques constituent le c½ur de l'invention, les deux paragraphes suivants présentent des perfectionnements ("complemento"), à savoir les marques transversales 6 et ensuite les marques longitudinales 5. Ces marques sont décrites comme "pouvant servir" ("pueden servir") comme référence, ce qui confirme encore leur caractère facultatif.
La présomption d'essentialité que la chambre a invoquée dans sa notification, en se basant sur le fait que ces marques sont mentionnées dans la revendication 1, appelle deux remarques :
- Il ne faut pas rechercher l'intention du rédacteur du brevet mais plutôt ce que l'homme du métier, qui s'intéresse à l'enseignement technique dispensé, aurait compris en le lisant. Les revendications s'adressent plutôt aux spécialistes des brevets. L'homme du métier s'intéressera à la description plutôt qu'aux revendications d'un brevet.
- Une revendication peut contenir des éléments non essentiels, qui ont été ajoutés pour des raisons non techniques (par exemple, pour des raisons stratégiques, juridiques ou liées à un art antérieur connu). La décision T 515/00 paraît très pertinente dans ce contexte. Cette décision se réfère à l'avis G 2/98 et insiste sur la nécessité de considérer la demande antérieure dans son ensemble et non pas ses seules revendications. Le fait qu'une caractéristique se trouve dans la revendication ne signifie pas qu'elle est indispensable. Si le reste de la demande ne la présente pas comme essentielle, elle peut être supprimée de la revendication. En cela, le cas T 515/00 est très semblable à la présente affaire.
En considérant le document Prio01 dans son ensemble, l'homme du métier comprend donc, de manière directe et non ambiguë que les marques longitudinales constituent une caractéristique facultative, en particulier sur la base de la colonne 2, ligne 14, qui décrit l'invention dans sa généralité.
b) Requête principale : activité inventive
Il n'est pas exact que la différence par rapport au document Prio01 n'a pas d'effet technique. Le paragraphe [0013] du brevet dit que les marques de guidage permettent de faciliter la fabrication. Il faut se poser la question si l'homme du métier était incité à supprimer les marques longitudinales. L'état de la technique ne contient pas d'incitation à supprimer des marques qui facilitent la mise en forme des conduits. Même si on envisageait la recherche d'une alternative, l'homme du métier serait dissuadé de supprimer les marques.
Même si les coupes sont faites sur le côté des panneaux destiné à former l'intérieur du conduit, les lignes prévues de l'autre côté constituent un guide visuel pour l'opérateur et l'aident à positionner l'outil de découpe. L'homme du métier n'aurait aucune raison de les supprimer, car cela conduirait à la perte de cette aide visuelle.
L'affirmation du document D14 qu'il n'est pas nécessaire de tracer des lignes avant de découper (page 2-8) concerne un mode de réalisation particulier. Ces lignes sont obligatoires dans le document Prio01 (si l'on suit l'avis de la chambre sur la validité de la priorité) ; or, le document D14 n'est pas de nature à conduire à une autre conclusion.
La requérante part du principe que le panneau du document D14 ne comporte pas de marques longitudinales à l'extérieur, ce qui n'est pas certain. Il convient aussi de noter que le document D14 est antérieur au document Prio01 ; l'homme du métier ne l'aurait pas combiné avec le document Prio01, car cela constituerait en quelque sorte un retour en arrière.
c) Requête subsidiaire 2 : activité inventive
L'homme du métier auquel s'adresse le document D9 est celui des panneaux, et non pas l'installateur de conduits. En partant de ce document, le problème technique objectif est de modifier le panneau de sorte à faciliter un changement de direction. Le fabricant de panneaux sait que l'installateur du conduit réalisera des marques pour découper le panneau. A la recherche de solutions permettant de faciliter cette tâche, il resterait dans ce qui constitue le c½ur de son métier, en adaptant la nature (par exemple, en développant des matériaux facilitant la découpe ou en prévoyant un revêtement facilitant le marquage) ou la structure du panneau. On peut douter qu'il se serait intéressé au marquage même, qui est du ressort de l'installateur. Il n'aurait donc pas consulté le document D12. Il aurait peut-être cherché dans le domaine plus général des conduits et des tubes creux avec changement de direction et dans des domaines voisins où le problème pouvait se poser. Le domaine du document D12 (isolation de combles) est un domaine où l'on rencontre ni changements de direction ni conduits creux ; il ne saurait constituer un domaine voisin. Le fait qu'une société peut être active dans deux domaines techniques n'en fait pas des domaines voisins.
Il n'est pas exact que les produits divulgués dans les documents D9 et D12 sont très proches. Le document D9 décrit des panneaux plutôt rigides, alors que dans le document D12, on utilise des rouleaux enroulés comprimés. Le seul point commun réside dans la présence de fibres minérales.
Et même à supposer que l'homme du métier aurait cherché dans ce domaine, le problème technique résolu par le document D12 (comment découper des lés d'isolant destinés à être placés entre des chevrons) n'a rien à voir avec le problème technique objectif. Le document D12 a été trouvé par la requérante seulement parce qu'elle connaissait l'invention ; il s'agit d'une analyse a posteriori. Et même si l'homme du métier avait consulté le document D12, il n'y aurait trouvé qu'un enseignement concernant un marquage rectiligne pour la découpe d'un objet en deux dimensions. Il n'aurait eu aucune raison de penser que la réalisation d'un tel marquage pouvait avoir un intérêt pour la découpe d'un objet en trois dimensions. Par ailleurs, le marquage rectiligne ne correspond pas aux marques que prévoirait l'installateur en vue de la découpe du panneau pour former un conduit avec changement de direction. Et même s'il avait transposé les lignes longitudinales, il n'y a pas pour l'homme du métier d'enseignement d'y ajouter des lignes obliques.
Par ailleurs, le document D12 divulgue un matériau sans revêtement ; les marques sont réalisées par chauffage local (voir la revendication 11). Or, le document D9 décrit un panneau avec un revêtement de chaque côté (voir Figure 1 : feuilles 12-15 et 11). La méthode du document D12 n'est donc pas applicable au panneau du document D9.
L'objet de la revendication 1 ne découle donc pas de façon évidente évidente de la combinaison des documents D9 et D12.
d) Adaptation de la description
La modification de la description préconisée par la requérante ne correspond pas à la pratique courante devant l'OEB. Or, il n'y a pas de raison de changer cette pratique. Il n'y a pas de base dans la CBE pour obliger la titulaire à réécrire la description de la manière proposée par la requérante.
L'objection selon l'article 123(2) CBE soulevée par la requérante est injustifiée. Le fait de se limiter à un panneau qui comporte un couche extérieure, au lieu d'un panneau qui peut en comporter ou pas, constitue une limitation légitime.
Au cas où la chambre jugerait la description telle que modifiée déficiente, l'intimée demande un renvoi devant la division d'opposition pour adaptation de la description, pour permettre à l'intimée de réfléchir à cette question inattendue et de bénéficier du double degré de juridiction.
Motifs de la décision
1. Droit applicable
La demande de brevet sur la base de laquelle le brevet a été délivré, a été déposée le 18 juin 2003. Par conséquent, en application de l'article 7 de l'Acte portant révision de la CBE en date du 29 novembre 2000 (JO OEB, édition spéciale 4/2007, 235) et de la Décision du Conseil d'administration du 28 juin 2001 relative aux dispositions transitoires au titre de l'article 7 de l'acte de révision de la Convention sur le brevet européen du 29 novembre 2000 (JO OEB, édition spéciale 4/2007, 237) l'article 56 CBE 1973 et l'article 123 CBE (2000) lui sont applicables.
Le brevet ayant été délivré sur la base d'une demande internationale, la validité de la revendication de priorité est régie par l'article 4 de l'Acte de Stockholm de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, ensemble l'article 8, alinéa 2) a) PCT.
2. Validité de la revendication de priorité
La division d'opposition a estimé que la requête principale et les requêtes subsidiaires 1 et 2 qui lui avaient été soumises ne concernaient pas la même invention que le modèle d'utilité espagnol U 200201600 du 24 juin 2002 (numéro de publication : ES 1 052 377 ; ci-après "Prio00"), mais qu'elles revendiquaient valablement la priorité du modèle d'utilité espagnol U 200201601 du 24 juin 2002 (numéro de publication : ES 1 052 378 ; ci-après "Prio01").
La requérante a contesté la validité de la revendication de la priorité du document Prio01 à deux titres : elle a mis en cause la validité formelle de la cession et fait valoir que la demande Prio01 ne concernait pas la "même invention" que la revendication 1 de la requête principale.
2.1 Validité formelle du transfert
2.1.1 Niveau de preuve requis
Selon la jurisprudence des chambres de recours, lorsque toutes les preuves d'un usage antérieur public se trouvent en la possession de l'opposante qui est seule à en avoir connaissance, si bien que la titulaire du brevet ne peut que difficilement ou même ne peut absolument pas se les procurer, il revient à l'opposante de produire la preuve incontestable
("au-delà de tout doute raisonnable") de l'utilisation antérieure alléguée.
La requérante applique ce raisonnement par analogie au cas de la cession du droit de priorité et demande l'application du niveau de preuve "au-delà de tout doute raisonnable" au lieu du critère de la "balance des probabilités".
La jurisprudence des chambres de recours n'est pas univoque à cet égard. Il y a eu des décisions qui ont appliqué la "balance des probabilités" (cf. les décisions T 205/14 du 18 juin 2015, point 3.6.1 des raisons et T 517/14 du 19 juin 2015, point 2.7.1 des raisons), alors que la décision T 1201/14 du 9 février 2017 a appliqué un niveau de preuve plus strict. La chambre estime qu'il n'est pas nécessaire de trancher cette question, dans la mesure où elle n'a pas de doute que la cession est bel et bien intervenue, pour les raisons qui seront exposées dans ce qui suit.
2.1.2 Eléments de preuve présentés par la titulaire
L'intimée a présenté les contrats de cession du droit de priorité D17a et D17b, datés du 20 mai 2003 (c'est-à-dire avant le dépôt sous priorité (18 juin 2003)), et signés par "Angel Puntero Añover, en qualité de Directeur Financier et de Gestion" de la société Saint-Gobain Cristaleria, et par "Jean-Yves Aube, en qualité de Directeur R&D" de la titulaire, la société Saint-Gobain Isover. Par ailleurs, elle a produit les documents D18-20 à l'appui des contrats D17a et D17b.
2.1.3 Objections à la validité du transfert
a) Absence d'originaux
En l'absence d'indices concernant une éventuelle falsification, il n'est pas nécessaire de fournir les originaux des contrats de cession. L'absence d'originaux en elle-même n'est pas à même de constituer un doute raisonnable à l'égard de la validité de la cession.
b) Signatures
L'affirmation selon laquelle les signatures ne seraient pas correctes est une hypothèse gratuite et ne repose pas sur des faits tangibles. La seule possibilité d'une falsification n'est pas susceptible de susciter un doute raisonnable à l'égard de la validité de la cession.
c) Date de signature
La chambre n'a pas de doute que les contrats D17a et D17b ont été signés le 20 mai 2003. Il n'existe pas d'indice permettant de douter de la véracité de la date indiquée.
d) Pouvoirs
La chambre n'a pas de doute que M. Añover, en qualité de Directeur Financier et de Gestion de la société Saint-Gobain Cristaleria, avait le pouvoir de signer les contrats de cession. Ceci semble clairement ressortir du document D18 fourni par l'intimée (voir notamment le point 20, page 17). La requérante n'a pas présenté de moyens de preuve permettant d'en douter.
En ce qui concerne M. Aubé, la requérante a produit le document D21, qui est un extrait du réseau social professionnel en ligne LinkedIn. Selon cet extrait, M. Aubé a été "directeur développement stratégique" de la société Isover Saint-Gobain de janvier 2005 à janvier 2011. La description de ce poste précise : "Responsable R&D, Engineering, Propriété industrielle, licences". Ces éléments ne permettent pas de conclure que M. Aubé n'a pas été le Directeur R&D de la société Saint-Gobain Isover le 20 mai 2003. La chambre n'a pas de raison de douter qu'en tant que Directeur R&D, M. Aubé possédait les pouvoirs nécessaires pour signer des contrats de cession du droit de priorité au nom de la société Saint-Gobain Isover. Ceci semble également ressortir du document D20 fourni par l'intimée (voir en particulier la page 4, second paragraphe).
e) Validité au regard du droit national
La requérante n'a pas fourni le moindre élément permettant d'établir que les contrats D17a et D17b ne seraient pas valables à l'égard de la loi nationale applicable, laquelle n'a d'ailleurs pas été identifiée par la requérante.
f) Conclusion
La chambre n'a pas de doute que la cession des demandes de priorité est valable quant à sa forme.
2.2 Divulgation de la "même invention"
Il reste à examiner si la priorité est valable quant au fond, c'est-à-dire si la demande espagnole Prio01 et la demande de brevet européen qui en revendique la priorité concernent la même invention, en application de l'article 4 A 1) de l'Acte de Stockholm de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle (cf. Bodenhausen, Guide d'application de la Convention de Paris, BIRPI, 1969, p. 40, alinéa i)), ensemble l'article 8, alinéa 2) a) PCT, disposition applicable en l'espèce. Ledit article 4 A 1) correspond à l'article 87(1) CBE.
La requérante a fondé son objection sur l'absence de la revendication 1 de toute référence aux marques rectilignes qui facilitent la conversion du panneau en un tube de section rectangulaire. Ces marques correspondent aux marques longitudinales 5 de la Figure 3 du document Prio01 :
FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE
La division d'opposition a rejeté cet argument de la requérante en faisant valoir que la présence de ces marques n'était pas une caractéristique essentielle de l'invention présentée dans le document Prio01. La chambre estime que cet argument n'est pas convaincant, dans la mesure où la Grande Chambre de recours, dans son avis G 2/98, point 8.3 des raisons (voir JO OEB 2001, 413), a précisément écarté le critère d'essentialité pour l'appréciation de la "même invention" (voir aussi la décision T 1852/13 du 31 janvier 2017, point 2.2.4 des raisons).
Selon l'avis G 2/98, "la condition requise à l'article 87(1) CBE pour qu'il puisse être revendiqué la priorité d'une demande portant sur "la même invention" signifie qu'il ne convient de reconnaître qu'une revendication figurant dans une demande de brevet européen bénéficie de la priorité d'une demande antérieure conformément à l'article 88 CBE que si l'homme du métier peut, en faisant appel à ses connaissances générales, déduire directement et sans ambiguïté l'objet de cette revendication de la demande antérieure considérée dans son ensemble" (réponse à la question de droit soumise par le Président de l'OEB, traduction).
Il convient donc d'examiner si le document Prio01 dans son ensemble divulgue directement et sans ambiguïté un panneau d'isolation selon la revendication 1 du brevet.
Ce serait notamment le cas si l'homme du métier comprenait à la lecture du document Prio01 que la caractéristique de la revendication 1 de ce document, selon lequel le panneau est pourvu de marques rectilignes qui facilitent la conversion du panneau en un tube de section rectangulaire, n'est qu'une caractéristique facultative.
2.2.1 Enseignement de la description du document de priorité
L'intimée s'est fondée sur deux passages de la description du document Prio01 dans sa version originale qui, selon elle, divulguent que la présence des marques rectilignes qui facilitent la conversion du panneau en un tube de section rectangulaire est facultative.
a) Colonne 4, lignes 16-22
Ce passage est rédigé comme suit :
"Como complemento, otra, serie de marcas (6), rectilíneas ytransversales permiten calibrar la longitud del tramo recto (1).
Las líneas o marcas longitudinales (5) realizadas en ladirección paralela al flujo del aire por el conducto, pueden servircomo referencia en las medidas de las secciones del conducto."
L'intimée en a fourni la traduction suivante :
"As a complement, another series of rectilinear, transverse marks (6) make it possible to calibrate the length of the straight section (1).
The longitudinal lines or marks (5) formed in the direction parallel to the airflow through the duct may serve as reference in measurements of the portions of the duct."
Ce passage décrit un mode de réalisation facultatif dans lequel le panneau comporte des marques transversales 6. Il précise que, lorsque de telles marques sont présentes, les marques longitudinales 5 peuvent servir (de par leurs intersections avec les marques transversales) de repères pour mesurer certaines parties du conduit. Il ne s'agit donc pas d'un enseignement permettant de tirer la conclusion que les marques longitudinales sont facultatives ; le passage divulgue uniquement une utilisation possible de ces marques dans des circonstances particulières.
b) Colonne 2, lignes 14-19
Le second passage invoqué par l'intimée semble plus pertinent. Il contient le constat suivant :
"Para ello y de forma más concreta dicho panel centra sus características en el hecho de que, además de poder incorporar líneas con la dirección de plegado del panel para su transformación en un tramo recto, incorpora marcas oblicuas, ...",
ce que l'intimée a traduit par :
"To this end, and more specifically, said panel's characteristics centre on the fact that, in addition to being able to incorporate lines with the fold direction of the panel for its conversion into a straight section, it incorporates oblique marks, ...".
Ce passage traite des caractéristiques du panneau et divulgue (i) que ce panneau est de nature à pouvoir "incorporer" des marques le long de la direction de pliage et (ii) qu'il incorpore des marques obliques. Le passage est quelque peu obscur, dans la mesure où il associe une propriété du panneau (être capable d'incorporer des marques d'un certain type) à sa réalisation (incorporation d'un autre type de marques).
Le passage suscite un certain nombre de questions : Que faut-il comprendre par cette capacité d'incorporer des marques ? En quoi ces marques sont-elles "incorporées" ? Faut-il y voir un synonyme pour "matérialisées" ? Cette capacité correspond-elle à une caractéristique du matériau utilisé ? Comment imaginer un panneau qui ne serait pas susceptible d'incorporer des marques ?
La lecture que l'intimée fait de ce paragraphe, selon laquelle ce passage présente la présence des marques longitudinales comme étant facultative, est compréhensible. Il est possible, et même plausible, que l'homme du métier confronté à la difficulté de comprendre ce passage et cherchant à répondre à toutes les questions que sa formulation suscite, parviendrait en fin de compte à cette conclusion. Néanmoins, il ne s'agit pas d'un enseignement direct et non ambigu du document, car des doutes subsistent : si le rédacteur voulait simplement exprimer l'idée que les marques suivant la direction de pliage étaient facultatives, pourquoi a-t-il tourné sa phrase de manière aussi sibylline au lieu de choisir une formulation moins ambiguë (comme par exemple "... le panneau comprend des marques obliques et, éventuellement, des marques permettant de former une section droite ...") ?
L'homme du métier qui se demanderait s'il faut comprendre que les marques longitudinales sont facultatives et se tournerait vers le reste du contenu de la demande n'y trouverait aucun appui pour cette hypothèse : la revendication 1 et le reste de la description ainsi que la Figure 3 évoquent ces marques sans faire entrevoir qu'elles pourraient être omises.
2.2.2 Conclusion et conséquences
La chambre est donc parvenue à la conclusion que le document Prio01 ne divulgue pas directement et sans ambiguïté que les marques rectilignes qui facilitent la conversion du panneau en un tube de section rectangulaire sont une caractéristique facultative.
Il s'ensuit que le document Prio01 divulgue directement et sans ambiguïté un panneau d'isolation tel qu'il est décrit dans sa revendication 1.
Or, la revendication 1 de la requête principale, qui n'exige pas la présence de marques rectilignes facilitant la conversion du panneau en un tube de section rectangulaire, a une portée plus grande. Elle englobe deux sous-domaines :
- le sous-domaine "A" correspondant à tous les modes de réalisation présentant des marques rectilignes qui facilitent la conversion du panneau en un tube de section rectangulaire ;
- le sous-domaine complémentaire "B", qui englobe tous les modes de réalisation ne présentant pas de marques rectilignes qui facilitent la conversion du panneau en un tube de section rectangulaire.
Pour rendre explicite cette division en deux parties du domaine couvert par la revendication 1 de la requête principale, on peut réécrire celle-ci en ajoutant la caractéristique suivante :
"... le panneau (a) comportant ou (b) ne comportant pas des marques rectilignes qui facilitent la conversion du panneau en un tube de section rectangulaire, ...".
Cet ajout ne modifie pas la portée de la revendication.
L'alternative (a) correspond au sous-domaine A, tandis que l'alternative (b) se rapporte au sous-domaine B.
Cette façon d'écrire la revendication 1 rend explicite une alternative sous-jacente, qui fait que la revendication peut s'analyser comme étant une "revendication générique du type 'OU'" au sens de la décision G 1/15 de la Grande Chambre de recours du 29 novembre 2016 (JO OEB 2017, A82).
En application de la ratio decidendi de cette décision, la revendication 1 ne bénéficie de la priorité du modèle d'utilité Prio01 que partiellement : le sous-domaine A bénéficie de la priorité du document Prio01, alors que le sous-domaine B ne bénéficie pas de la priorité du document Prio01.
Or, le document de priorité Prio01 a été publié pendant l'année de priorité. Cette publication a pour effet que le document fait partie de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE pour le sous-domaine de la revendication qui ne bénéficie pas de la priorité du document Prio01, c'est-à-dire le sous-domaine B. En revanche, la publication du document Prio01 n'est pas opposable comme état de la technique au sous-domaine A de la revendication 1.
En d'autres termes, de par sa publication pendant l'année de priorité, le document de priorité est ici opposable à une partie de la revendication.
3. Requête principale : activité inventive
La chambre utilise le document Prio01 comme point de départ pour examiner l'activité inventive du sous-domaine B de la revendication 1.
3.1 Différences
La seule différence entre la revendication 1 selon l'alternative (b) (voir point 2.2.2) et la divulgation du document Prio01 réside dans le fait que le panneau revendiqué ne présente pas de marques rectilignes qui facilitent la conversion du panneau en un tube de section rectangulaire, alors que le panneau décrit dans le document Prio01 présente de telles marques, à savoir les marques 5 (voir Figure 3).
3.2 Problème technique objectif
La chambre ne partage pas l'avis de la requérante que l'absence des marques rectilignes n'a pas d'effet technique. Cette absence a pour conséquence que le procédé de fabrication du panneau est simplifié, car l'étape de matérialisation des marques sur le panneau est omise.
Par conséquent, la chambre considère que le problème technique objectif résolu par la différence mentionnée au point 3.1 consiste en la simplification du procédé de fabrication des panneaux.
3.3 Evidence pour l'homme du métier
L'homme du métier qui dispose de ses connaissances générales du métier, telles qu'illustrées par le document D14, sait qu'il n'a pas besoin de marques rectilignes qui facilitent la conversion du panneau en un tube de section rectangulaire pour effectuer la découpe. Même si de telles marques prévues sur le côté du panneau destiné à former la surface intérieure du conduit pourraient constituer des aides visuelles lors de la découpe, il n'en est pas de même pour des marques prévues sur le côté du panneau qui formera l'extérieur du conduit. Les marques longitudinales 5 du panneau selon le document Prio01 sont de ce type. L'homme du métier réaliserait que ces marques n'ont pas d'utilité pratique pour la découpe. C'est une activité ordinaire pour l'homme du métier que de chercher à optimiser un procédé de fabrication dans un souci d'économie d'énergie et/ou de temps (cf. T 971/92 en date du 7 septembre 1994, point 3.7.1 des motifs). De telles démarches de routine le conduiraient donc à abandonner la réalisation de marquages sans valeur ajoutée.
Ainsi, en partant du panneau du document Prio01 et en cherchant à simplifier son procédé de fabrication en faisant appel à ses connaissances générales, l'homme du métier obtiendrait un panneau appartenant au sous-domaine B de la revendication 1 sans faire preuve d'activité inventive.
3.4 Conclusion
Un sous-domaine de la revendication 1 n'impliquant pas d'activité inventive, la revendication dans son ensemble ne satisfait pas aux exigences de l'article 56 CBE 1973.
Il s'ensuit que la chambre ne peut faire droit à la requête principale.
4. Requête subsidiaire 1
La revendication 1 se distingue de la revendication 1 de la requête principale en ce que le panneau d'isolation comporte une âme isolante à base de laine minérale au lieu d'en comporter au moins une. Cette différence n'est pas de nature à conduire à une autre conclusion concernant la présence d'une activité inventive.
Il s'ensuit que la chambre ne peut faire droit à la requête subsidiaire 1.
5. Requête subsidiaire 2
5.1 Activité inventive
5.1.1 Etat de la technique le plus proche
La requérante a fondé ses attaques sur le document D9. Ce document divulgue un panneau destiné à la fabrication de conduits d'air et constitue un point de départ raisonnable.
Dans ses écritures, la requérante avait aussi formulé des attaques sur la base du document D16. Dans sa notification selon l'article 15(1) RPCR, la chambre a expliqué pourquoi ce document ne constituait pas un point de départ approprié. La requérante n'ayant pas contesté ce constat, la chambre ne juge pas nécessaire de revenir sur cette attaque.
5.1.2 Différences
Les parties étaient d'accord pour dire que le document D9 ne divulgue pas les caractéristiques 6 à 8 de la revendication.
La requérante estime que la valeur d'angle de 67,5° (caractéristique 9) fait partie des connaissances générales de l'homme du métier. Il n'est pas nécessaire de trancher cette question, car même si cette valeur, distinguait l'objet de la revendication 1 de l'enseignement du document D9, elle ne serait pas de nature à justifier une activité inventive, étant donné qu'elle découle nécessairement de l'intention d'obtenir une déviation du conduit de 45°. Il n'est donc pas nécessaire de s'attarder sur cette caractéristique.
5.1.3 Problème technique objectif
L'effet technique des différences est de faciliter la découpe du conduit en vue de réaliser un changement de direction.
Le problème technique objectif qui se pose à l'homme du métier est donc de modifier le panneau du document D9 de sorte à faciliter la découpe du conduit en vue de réaliser un changement de direction.
5.1.4 Homme du métier
L'homme du métier est un ingénieur spécialisé dans le domaine des panneaux d'isolation et travaillant dans une société fabricant de tels panneaux.
5.1.5 Evidence de la solution choisie
La requérante a fait valoir que l'homme du métier partant du panneau du document D9 et confronté au problème technique objectif s'orienterait vers le document D12.
Cet argument n'a pas convaincu la chambre. L'homme du métier connaît le document D12, mais il n'y verrait pas une solution au problème technique objectif qu'il cherche à résoudre. Le document D12 décrit une solution à la difficulté d'isoler l'espace entre des chevrons avec des bandes isolantes à base de fibres minérales tout en évitant des pertes de matériau notables. L'homme du métier n'a donc pas de bonne raison de s'orienter vers ce document.
La requérante a souligné que le document D12 comporte également un enseignement plus général concernant des lignes de marquages facilitant la découpe des panneaux (page 2, ligne 104 : "... marking lines are used which serve as a cutting aid ..."). Or, il s'agit d'une affirmation qui doit être lue dans son contexte, à savoir la découpe de lés dans un matériau isolant particulier. Il n'est pas possible d'isoler cet enseignement de son contexte et d'en faire un enseignement général que l'homme du métier aurait perçu comme tel. Il s'agit plutôt d'une remarque faite en passant, dans la discussion de nappes en feutre de fibres minérales. Par ailleurs, l'homme du métier qui s'intéresserait à ces marquages réaliserait qu'ils sont obtenus grâce à des caractéristiques de ces nappes qui ne sont pas transposables à des panneaux pourvus de revêtements, comme le sont les panneaux décrits dans le document D9.
Pour parvenir à l'objet de la revendication, l'homme du métier devrait donc :
- se tourner vers un document appartenant à un domaine dont le seul point commun est l'utilisation de matériaux de la même famille ;
- y isoler un enseignement particulier de son contexte ; et
- le transposer à une situation très différente (découpe d'un objet rigide en trois dimensions, à comparer avec la découpe d'une nappe souple le long d'une ligne).
Cette démarche dépasse ce que l'on peut raisonnablement attendre de l'homme du métier dans l'exercice normal de ses compétences.
La chambre parvient donc à la conclusion que l'argumentation de la requérante repose sur une analyse a posteriori (voir "La Jurisprudence des Chambres de recours de l'OEB", 8**(e) édition, 2016, point I.D.6).
Il s'ensuit que l'objection de défaut d'activité inventive par rapport à l'enseignement du document D9, pris seul ou en combinaison avec le document D12, ne saurait prospérer.
5.2 Adaptation de la description
L'article 123(2) CBE dispose que :
"La demande de brevet européen ou le brevet européen ne peut être modifié de manière que son objet s'étende au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée."
Dans sa décision G 1/93 (JO OEB 1994, 541), la Grande Chambre de Recours a expliqué la raison d'être de cet article :
"En ce qui concerne l'article 123(2) CBE, il est clair que l'idée sous-jacente de cette disposition est d'interdire à un demandeur de conforter sa position par l'ajout d'un élément non divulgué dans la demande telle qu'elle a été déposée, ce qui lui procurerait un avantage injustifié et pourrait porter préjudice à la sécurité juridique des tiers se fondant sur le contenu de la demande initiale." (point 9, première phrase des motifs, traduction)
La titulaire a modifié l'objet des revendications d'une manière dont la conformité aux exigences de l'article 123(2) CBE n'est plus contestée. Elle a également modifié la description, dans le but de rendre la description conforme à la teneur des revendications. La requérante a notamment critiqué la suppression d'expressions indiquant le caractère facultatif de caractéristiques qui ont été incorporées dans la revendication principale.
La requérante a fondé son objection au titre de l'article 123(2) CBE sur le constat que cette adaptation de la description serait susceptible de procurer un avantage indu à la titulaire lors d'une action en contrefaçon, notamment au titre de la contrefaçon par équivalence.
Selon l'article 2 du Protocole interprétatif de l'article 69 CBE 2000 (applicable en l'espèce par décision du Conseil d'administration du 28 juin 2001, précitée), il est dûment tenu compte de tout élément équivalent à un élément indiqué dans les revendications pour la détermination de l'étendue de la protection conférée par le brevet. La CBE ne fournit pas d'indication quant à la définition et la prise en compte des équivalents, mais laisse cette question à l'appréciation du juge national.
La chambre admet que pour certaines juridictions, les modifications de l'objet de la demande de brevet pendant la procédure de délivrance, ou du brevet lors d'une procédure d'opposition ou de limitation, sont susceptibles d'avoir un effet sur la manière dont la contrefaçon par équivalence sera appréciée (de façon analogue au file-wrapper estoppel en droit américain). Néanmoins, cette éventualité n'est pas susceptible de rendre des modifications de la description telles que celles proposées par la titulaire contraires à l'article 123(2) CBE, en procurant un avantage injustifié à la titulaire. En effet, la demande d'origine a été publiée et une défenderesse dans une action en contrefaçon aurait toujours la possibilité de faire valoir des modifications intervenues en cours de procédure, en présentant à la fois le brevet tel que délivré et/ou modifié, et la demande d'origine. La modification de la description proposée par la titulaire n'a donc pas pour effet de priver une défenderesse en contrefaçon de la possibilité d'établir, à partir des faits de la cause, l'étendue des modifications intervenues en cours de délivrance et/ou d'opposition.
L'objection au titre de l'article 123(2) CBE n'est donc pas fondée.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision attaquée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à l'instance du premier degré afin de maintenir le brevet tel qu'il a été modifié dans la version suivante :
- revendications 1 à 3 produites avec la lettre en date du 10 novembre 2017 au titre de la requête subsidiaire 2 ;
- description : pages 2 à 9 produites au cours de la procédure orale en date du 5 juin 2018 ;
- dessins : figures 1 à 41 du fascicule du brevet.