T 0122/84 (Peinture métallisée) of 29.7.1986

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:1986:T012284.19860729
Date de la décision : 29 Juillet 1986
Numéro de l'affaire : T 0122/84
Numéro de la demande : 80103580.9
Classe de la CIB : C09D 5/38
Langue de la procédure : DE
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Titre de la demande : -
Nom du demandeur : Hoechst
Nom de l'opposant : -
Chambre : 3.3.01
Sommaire : Si l'impossibilité d'exécuter l'invention au sens où l'entendent les articles 83 et 100(b) de la CBE n'est invoquée par l'opposante qu'après l'expiration du délai imparti pour former opposition, l'Office peut, en vertu de l'article 114(2) CBE, ne pas tenir compte de ce moyen dans le cadre de l'application du principe de l'examen d'office posé à l'article 114(1) CBE. La décision de tenir compte ou non d'un tel moyen relève du pouvoir d'appréciation de l'instance chargée de statuer et n'a pas à être motivée (cf. motifs de la décision, points 9 à 14).
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 100(b)
European Patent Convention 1973 Art 114
European Patent Convention 1973 Art 56
Mot-clé : Impossibilité d'exécuter l'invention/motif d'opposition
Moyens invoqués tardivement
Examen d'office
Existence d'une activité inventive (admise)
Coup de chance
Exergue :

-

Décisions citées :
-
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
J 0005/11
J 0006/11
T 0476/88
T 0446/89
T 0669/89
T 0803/90
T 0931/91
T 0951/91
T 0011/92
T 0201/92
T 0986/93
T 0356/94
T 0891/94
T 0611/95
T 0476/98
T 0997/99
T 0496/02
T 2920/18
T 2295/19

Exposé des faits et conclusions

I. A la suite du dépôt le 25 juin 1980 de la demande de brevet européen n° 80 103 580.9, pour laquelle était revendiquée la priorité d'une demande antérieure du 30 juin 1979 (DE 2 926 584), un brevet européen n° 21 414, comportant neuf revendications, a été délivré le 23 juin 1982. Les revendications 1 et 6 s'énonçaient comme suit :

"1. Mélange liant diluable à l'eau pour la préparation de peintures métallisées de base, mélange caractérisé en ce qu'il contient, comme constituants de base :

A) un produit de condensation hydrosoluble obtenu à partir :

a) de polyesters saturés ou insaturés, dépourvus d'huile, porteurs de groupes -OH, qui dérivent d'au moins un acide polycarboxylique et d'au moins un polyol,

b) d'un mélange d'acides polycarboxyliques dérivant de l'acide trimellitique et contenant encore de cet acide,

c) d'au moins une huile époxydée, et

d) de composés basiques,

B) une poudre métallique,

C) des solvants miscibles à l'eau, et éventuellement

D) d'autres pigments et/ou des colorants, ainsi qu'éventuellement

E) d'autres additifs usuels,

le rapport pondéral, en matières solides, de la composante a) à la composante b) étant entre 50 : 50 et 90 : 10.

6. Application du mélange liant selon l'une quelconque des revendications 1 à 5, dans des peintures aqueuses pour la réalisation d'une peinture métallisée à deux couches comprenant une couche de peinture de base et une couche de vernis de surface".

II. Le 16 mars 1983, la requérante a fait opposition au brevet européen qui avait été délivré, en invoquant toute une série de nouvelles antériorités, et a demandé la révocation du brevet pour défaut d'activité inventive.

III. Par décision du 30 mars 1984, la Division d'opposition a rejeté l'opposition, en faisant valoir essentiellement que ces antériorités ne justifient nullement une remise en cause de la nouveauté et du caractère inventif de l'objet du brevet.

Selon elle, le document (1) : DD-PS 55 099 décrit bien des liants hydrosolubles à base de polyesters dérivant d'acides dicarboxyliques, d'acides monocarboxyliques, de polyols et d'esters d'acides gras époxydés. Les liants du brevet attaqué contiennent toutefois en plus une poudre métallique et sont préparés en l'absence d'acides monocarboxyliques. On ne peut donc considérer que les liants déjà connus peuvent être utilisés pour la préparation de peintures métallisées.

Par ailleurs, toujours selon la Division d'opposition, les mélanges des composantes a, b et c selon le brevet attaqué sur lesquels porte le document (2) : DE-A-2 707 018 ne sont pas comparables au produit de condensation selon le présent brevet. L'enseignement de ce document ne peut donc être combiné avec celui du document (1).

IV. Le 23 mai 1984, la requérante a formé un recours à l'encontre de cette décision, en acquittant la taxe prévue, et le 2 août 1984, elle a produit le mémoire exposant les motifs du recours, dans lequel elle fait valoir que les propriétés résultant de la modification d'un polyester par l'action des acides monocarboxyliques sont connues de l'homme du métier, et que le fait de renoncer à une telle modification n'implique aucune activité inventive.

De même, le fait de constater qu'un liant connu convient pour la préparation de peintures métallisées ne saurait impliquer une activité inventive. Bien que le document (2) ne décrive que des mélanges, la condensation des composantes des liants n'en est pas moins évidente pour le spécialiste des peintures.

V. Dans ce mémoire exposant les motifs du recours, la requérante (qui est également opposante) avait fait valoir par ailleurs pour la première fois que les indications données dans le brevet attaqué ne permettent pas à l'homme du métier de reproduire l'invention qui fait l'objet dudit brevet. La réalisation de cette invention - un mélange liant pour la préparation de peintures - nécessite d'après l'exemple 1 de la description l'utilisation d'un produit de condensation qualifié de produit du commerce d'usage courant. Quelques indications concernant la constitution de ce produit de départ figurent dans la description. Ce produit de condensation présenté comme un produit du commerce d'usage courant n'était cependant pas connu de l'opposante. Celle-ci a tenté de reproduire l'invention à l'aide d'un produit correspondant aux indications fournies, et a présenté un compte rendu de quelques essais, qui montre qu'il se forme une résine solide ne pouvant servir de liant. Du fait qu'il n'a pas été indiqué quel était le produit de condensation du commerce à utiliser, la prétendue invention n'est pas à son avis exposée de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter.

VI. L'intimée souligne au contraire que la renonciation à une modification des polyesters par l'action des acides monocarboxyliques n'était pas évidente, car cette modification a également une influence entre autres sur le séchage physique et le comportement rhéologique, ce qui est important justement pour les peintures métallisées.

Même s'il était possible de combiner l'enseignement des documents (1) et (2), l'on ne pourrait en conclure pour autant que l'objet du brevet n'implique pas d'activité inventive. En effet, il était inattendu et tout à fait surprenant de pouvoir obtenir par utilisation des constituants (a) à (e) une peinture de base métallisée qui non seulement permette un travail irréprochable, donne un éclat métallique optimal, présente une adhérence entre couches, résiste aux intempéries et soit stable à la lumière, mais qui également soit soluble dans l'eau à un pH d'environ 7, permette un séchage physique rapide et ait un comportement rhéologique avantageux pour des peintures de base métallisées.

VII. L'intimée (titulaire du brevet) n'a toutefois rien répondu au sujet du défaut de reproductibilité de l'invention objecté par la requérante.

VIII. Lors de la procédure orale qui a eu lieu le 29 juillet 1986, la requérante a fait valoir en outre que le constituant A du mélange liant selon le brevet attaqué était connu pour avoir été mentionné dans la notice provisoire "RESHYDROL VWA 1283" de la titulaire du brevet, publiée en février 1979 (document (3)), où il était recommandé pour une utilisation dans un vernis au four hydrosoluble, ce qui doit être considéré par l'homme du métier comme une invitation à essayer ce liant pour la préparation de peintures métallisées à deux couches.

A l'occasion de cette procédure orale, la requérante est revenue en outre sur la question de la non-reproductibilité. Elle a considéré, étant donné les résultats de ses essais, que les arguments qu'elle avait fournis à cet égard étaient suffisamment nombreux et convaincants et a estimé que la Chambre de recours devait maintenant examiner d'office si l'invention était exposée de façon suffisamment claire et complète, au sens où l'entendent les articles 83 et 100 b) CBE, pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter.

IX. L'intimée conteste en riposte l'allégation selon laquelle il était évident d'essayer d'utiliser le liant qu'avait fait connaître le document (3) pour la préparation de peintures métallisées à deux couches, en faisant valoir les propriétés particulières des peintures métallisées, qui ne permettent pas de savoir parmi la bonne cinquantaine au moins de liants usuels diluables à l'eau quels sont ceux qui conviennent pour une telle utilisation.

X. La requérante (opposante) conclut à l'annulation de la décision attaquée et à la révocation du brevet. L'intimée (titulaire du brevet) conclut au contraire au rejet du recours.

Motifs de la décision

1. Le recours répond aux conditions énoncées aux articles 106, 107 et 108, ainsi qu'à la règle 64 CBE ; il est donc recevable.

2. L'invention concerne un mélange liant pour la préparation de peintures métallisées à deux couches. Les parties reconnaissent toutes deux que tels qu'ils sont présentés dans la description du brevet contesté (page 1, lignes 1 à 18), la technique "humide sur humide" utilisée pour l'application de peintures métallisées à deux couches, tout comme le mélange liant servant à cet effet, appartiennent tous deux à l'état de la technique.

Elles ne contestent par ailleurs ni l'une ni l'autre que l'on puisse par cette technique, en utilisant la solution de liant classique, préparer des couches de peinture métallisée d'excellente qualité. Le procédé connu n'est toutefois pas satisfaisant dans la mesure où la forte proportion de solvants dans la peinture de base (environ 85 %) constitue une grave nuisance pour l'environnement, dont l'élimination se révèle extrêmement coûteuse.

3. Le problème technique à résoudre consistait donc à proposer des peintures de base non polluantes pour l'environnement, se prêtant à l'utilisation dans la technique "humide sur humide", et d'aussi bonne qualité que les peintures métallisées actuelles.

Ce problème est résolu, selon le brevet contesté, par la préparation d'un mélange liant diluable à l'eau en vue d'obtenir des peintures métallisées de base dont la composition corresponde à celle indiquée dans la revendication 1.

Selon la Chambre, le problème est résolu de façon crédible, car il ressort de l'exemple 1 que pour préparer la peinture de base il ne faut que de faibles quantités de solvants organiques, d'ailleurs solubles dans l'eau, que les peintures ne coulent pas et sèchent rapidement lorsqu'on les applique par pulvérisation, et que l'on obtient ainsi un laquage à effet métallique, d'une qualité parfaite et d'un très bon brillant.

4. Dans aucun des documents antérieurs cités il n'est décrit de mélange liant présentant tous les paramètres du mélange liant selon la revendication 1. Le document (3), le plus proche, ne décrit pour l'essentiel que le constituant A du mélange liant selon le brevet en litige. Il est inutile par conséquent de s'étendre davantage sur la question de la nouveauté de l'objet dudit brevet, celle-ci n'étant pas contestée.

5. Il convient donc d'examiner s'il était évident pour l'homme du métier qui voulait indiquer comment obtenir des peintures toujours d'excellente qualité, mais non polluantes pour l'environnement de proposer à cet effet les mélanges liants diluables à l'eau selon le brevet en litige.

Comme il a déjà été indiqué plus haut, le document (3) avait déjà fait connaître et proposé aux spécialistes l'utilisation d'un liant à base aqueuse correspondant incontestablement à la définition qui avait été donnée du constituant A de la peinture de base dans le brevet en litige. D'après cette notice, le Reshydrol VWA 1283 (r) est un hydrosol sans émulsifiant, ayant une solubilité illimitée dans l'eau à un pH d'environ 8 et exempt de solvants organiques. Il prend bien les pigments, dans le cas de pigments et de charges inertes, sans électrolyte, est durcissable à chaud et est recommandé comme liant unique pour la préparation de vernis au four.

Ces indications insuffisantes ne permettent pas à l'homme du métier de percevoir l'utilité de ce liant pour la préparation d'une peinture métallisée de base. L'intimée a expliqué lors de la procédure orale, pour convaincre la Chambre, qu'une peinture de ce type doit satisfaire à un grand nombre de conditions pour pouvoir être utilisée dans la technique "humide sur humide" dont il est discuté ici, tout en étant d'aussi bonne qualité que les peintures métallisées, comme se le proposait l'auteur de l'invention. A cet égard, c'est surtout le comportement rhéologique de la peinture, qui doit pouvoir s'appliquer parfaitement, sans couler sur les surfaces verticales (formation de festons), qui joue un rôle essentiel. En même temps, il est nécessaire d'obtenir une couche relativement mince qui sèche rapidement, pour fixer rapidement et parallèlement au fond les particules métalliques contenues dans la peinture, car ce n'est que de cette façon que l'on obtient un effet de brillant métallique optimal. Il faut enfin que la peinture de surface qui sera appliquée ensuite adhère bien à la peinture de base encore humide, sans que la peinture de base se dissolve dans la couche de surface.

Compte tenu de ces exigences très particulières, dont l'énumération n'est pas exhaustive, et de l'objectif ambitieux que l'on s'était fixé, à savoir obtenir une peinture d'aussi bonne qualité que le sont comme chacun sait les peintures métallisées, on ne peut considérer que les indications peu précises fournies par le document (3), qui recommande pour la préparation de vernis au four d'utiliser comme liant à haut pouvoir de fixation des pigments le produit du commerce susmentionné, dénommé Reshydrol, donnent l'idée d'essayer ce liant pour la préparation de la peinture métallisée de base utilisée dans la technique d'application en deux couches.

La Chambre n'ignore pas néanmoins que l'homme du métier, faute de connaître exactement la relation existant entre la structure chimique et les propriétés exigées de ces peintures, en était réduit à des expérimentations. Il convient également de reconnaître qu'une partie du problème qui se posait, à savoir comment préparer des peintures de base sans effet néfaste sur l'environnement, conduisait à substituer l'eau aux solvants organiques polluants. C'est ce que montrent d'ailleurs les tentatives des spécialistes, qui, à ce qu'il a été affirmé lors de la procédure orale, ont cherché une solution dans cette direction, même s'ils n'ont pu y parvenir. A cause précisément de ces échecs, l'homme du métier qui se serait vu proposer un autre liant à base aqueuse, dont il aurait été précisé simplement qu'il convient pour la préparation d'un vernis au four prenant bien les pigments, n'aurait pas eu pour autant l'idée d'essayer ce liant dans la peinture métallisée susmentionnée.

Il aurait du reste pu utiliser pour cela une bonne cinquantaine au moins de produits courants du commerce, comme les parties l'ont reconnu l'une et l'autre, de sorte que, un tel essai ne présentant guère de chances de succès, il n'y avait aucune raison de donner la préférence précisément au Reshydrol. De plus on aurait pu envisager d'essayer à cet effet, au hasard, un nombre presque incalculable de modifications chimiques des liants aqueux connus.

Il fallait donc en fait avoir la main heureuse pour choisir au hasard parmi la multitude des possibilités qui s'offraient précisément le liant défini comme constituant A dans le brevet en litige, et pour l'utiliser pour la préparation de la peinture métallisée de base selon le brevet en litige, d'autant que la méthode suivie pour la recherche de cette solution doit être qualifiée de pur jeu de hasard.

6. Les parties - tout comme la Chambre - n'ayant plus attaché d'importance décisive lors de la procédure orale aux autres antériorités citées au cours de la procédure et ne s'y étant donc plus référées, il n'est plus nécessaire d'en discuter. Le mélange liant diluable à l'eau selon la revendication 1 du brevet contesté n'était donc pas évident pour l'homme du métier et implique par conséquent une activité inventive.

7. Bien qu'elle fasse référence à la revendication de produit, la revendication d'application 6 doit être considérée comme une revendication parallèle, car elle relève d'une autre catégorie de revendications. Elle a pour objet une application de la peinture métallisée de base définie dans la revendication 1 pour la préparation d'une peinture métallisée à deux couches comprenant une couche de peinture de base et une couche de vernis de surface, autrement dit elle revendique la totalité de la technique "humide sur humide". Etant donné que la préparation de cette peinture métallisée de base implique déjà une activité inventive et qu'on ne peut imaginer la technique à deux couches sans cette peinture de base, cette technique bénéficie elle aussi de la brevetabilité de l'objet de la revendication 1.

8. Il y a lieu de tirer les mêmes conclusions en ce qui concerne les revendications 2 à 5 et 7 à 9 qui se rattachent, les premières à la revendication 1 et les secondes à la revendication 6, et qui concernent des modes de réalisation particuliers et appropriés des objets de ces revendications.

9. Comme les motifs invoqués dans le mémoire exposant les motifs de l'opposition ne s'opposent pas par conséquent au maintien du brevet européen (cf. article 102 CBE), il importe par conséquent de savoir si le motif d'opposition que l'opposante n'a soulevé pour la première fois que dans son mémoire exposant les motifs du recours, à savoir la non-reproductibilité de l'invention au sens où l'entendent les articles 83 et 100 b) CBE, justifie la révocation du brevet contesté. Pour répondre à cette question, il convient tout d'abord d'examiner si la Chambre de recours est ou non tenue en vertu de l'article 114(1) CBE, intitulé "Examen d'office", d'examiner la question de la reproductibilité de l'invention, ou si en vertu de l'article 114, paragraphe 2 CBE, elle peut ne pas tenir compte de ce moyen qui a été invoqué par l'opposante.

10.1. Le principe de l'"examen d'office" posé à l'article 114(1) CBE demeure applicable même dans la procédure d'opposition devant la division d'opposition et devant la chambre de recours, alors que le brevet a déjà été délivré, ainsi que le prouvent l'énoncé de cette disposition et le texte de l'article 102, paragraphes 1, 2 et 3 CBE. Selon ce dernier article, la division d'opposition statue sur l'opposition en fonction de l'appréciation qu'elle porte sur la brevetabilité de l'invention (article 52 et suivants de la CBE) et sur le respect des autres conditions requises par la Convention. Elle se forge son opinion sans se limiter aux moyens invoqués par les parties (cf. article 114(1) CBE). Il en va de même pour la procédure de recours, en vertu de l'article 111(1), deuxième phrase et de la règle 66(1) CBE.

10.2. Les travaux préparatoires à la CBE confirment et éclairent ce qui vient d'être exposé au sujet de l'application du principe de l'examen d'office même après la délivrance du brevet, au cours de la procédure d'opposition en première et deuxième instances. L'article 114 CBE a son origine dans une disposition qui avait été proposée spécialement pour la procédure de recours (cf. la proposition du président du groupe de travail "Brevets" de la CEE en date du 29 mai 1961) et dont le texte correspondait à celui de la version actuelle de l'article 114 CBE. Dans les commentaires du 28 juillet 1961 relatifs à cette proposition, il est précisé que l'examen doit porter sur l'ensemble du brevet, indépendamment des moyens invoqués et des requêtes formulées par les parties. Dans un alinéa 2, dont le texte correspond à celui du paragraphe 2 de l'article 114 CBE, il a été proposé de prévoir que la chambre de recours n'a pas à tenir compte des faits qui n'ont pas été invoqués en temps utile, ceci afin d'"éviter que la procédure de recours ne puisse être inutilement ralentie par des requérants mal intentionnés ou négligents". La disposition proposée a été discutée et adoptée dans cette interprétation par le groupe de travail (doc. CEE IV/6514/61 du 13 novembre 1961, p. 4). Il est précisé, entre autres, dans le compte rendu de session qu'étant donné que la chambre de recours est libre d'apprécier les faits nouveaux (cf. alinéa 2 dudit article), elle ne sera pas obligée de les faire figurer dans sa décision. Cette idée a également été reprise par les participants à la conférence intergouvernementale de Luxembourg pour la rédaction de l'article 113 correspondant à cet article, dans leur "Premier avant-projet" de Convention de 1970 (cf. les "Rapports" établis à ce sujet, point 137, p. 125). Il est précisé à propos du paragraphe 2 dudit article que la procédure de recours ne doit pas être "abusivement ralentie par des requérants négligents ou usant de moyens dilatoires".

10.3. L'on trouve dans les "Travaux préparatoires" (doc. BR/87/71 du 28 février 1971) la confirmation expresse du principe qui veut que l'examen d'office demeure applicable même dans la procédure d'oppposition, après la délivrance du brevet, et un article 101 b) concernant la procédure d'opposition, dont le texte correspond à celui de l'article 113 susmentionné relatif à la procédure de recours, a été introduit dans le "Second avant-projet" de Convention de 1971 (voir également les "Rapports" établis à ce sujet, point 68, p. 31). Le paragraphe 2 est libellé ainsi : "La division d'opposition peut ne pas tenir compte de faits nouveaux ou de preuves nouvelles produits par les parties".

10.4. Les dispositions relatives à l'examen d'office dans les procédures d'examen, d'opposition et de recours engagées devant l'OEB ont ensuite été regroupées dans l'article 113 du projet de Convention de 1972. L'OEB apprécie s'il y a lieu de ne pas tenir compte de faits nouveaux et de nouvelles preuves en se fondant non plus sur les négligences bien précises qui ont été constatées (non-respect du délai imparti pour la production du mémoire exposant les motifs et pour la présentation des observations), mais sur une notion vague du droit, celle de "non-production en temps utile". Cette nouvelle disposition est devenue l'article 114 de la CBE "Examen d'office".

11. Une question que soulève l'interprétation de l'article 114 CBE est celle de savoir comment il convient de comprendre les paragraphes 1 et 2, si on les rapproche l'un de l'autre. Selon le paragraphe 1 en effet, l'OEB doit procéder à l'examen d'office des faits, alors que le paragraphe 2 l'autorise à ne pas tenir compte de faits qui n'ont pas été invoqués en temps utile. Cette difficulté avait déjà également été perçue à l'époque des travaux préparatoires (cf. doc. BR/12/69 du 18 décembre 1969, point 50, p. 23 et doc. BR/125/71 du 7 juillet 1971, point 66, p. 33 et point 70, p. 35), mais il avait été considéré que l'on pouvait trouver une solution à cette contradiction avec le principe de l'examen d'office si l'on prévoyait justement de ne pas exclure la possibilité de prendre en compte les faits qui n'ont pas été invoqués et les preuves qui n'ont pas été produites en temps utile - comme cela avait également été envisagé -, et laissait au contraire cette possibilité à l'appréciation de l'instance chargée de statuer. On a supposé qu'il serait fait usage avec discernement de la possibilité de ne pas tenir compte de faits, laquelle a été introduite afin d'empêcher que les parties ne retardent abusivement la procédure d'opposition (voir doc. BR/12/69, loc. cit.).

12. La chambre de recours considère que les moyens invoqués par un opposant n'ont pas été produits "en temps utile", au sens où l'entend l'article 114(2) CBE, si un motif d'opposition au titre de l'article 100 CBE, qui n'avait pas été allégué à l'origine, n'est invoqué pour la première fois qu'après l'expiration du délai d'opposition. Tel est clairement le cas en particulier lorsque - comme dans la présente espèce - le motif d'opposition au titre de l'article 100 b) CBE n'a été invoqué qu'après que la première instance a rejeté l'opposition telle qu'elle avait été formée initialement par l'opposant. Un moyen d'opposition invoqué ultérieurement, par lequel l'opposant ne se borne pas à compléter et à étayer par des preuves les moyens qu'il avait fait valoir initialement, mais qui doit être considéré comme un changement de motif ou comme l'adjonction d'un nouveau motif de révocation est considéré en tout état de cause par la Chambre comme n'ayant pas été invoqué en temps utile, au sens où l'entend l'article 114(2) CBE. S'il en était autrement, l'obligation qui est faite à l'opposant par les articles 99 et 100 CBE d'exposer les motifs de son opposition dans le délai imparti pour la formation de l'opposition serait vidée de tout sens. C'est ce que confirme également l'article 101 b) du "Second avant-projet" de Convention de 1971, ancêtre de l'article 114(2) CBE. Cette disposition laisse en effet à l'appréciation de la division d'opposition la décision de tenir compte ou non de faits nouveaux et de preuves nouvelles qui ne sont pas contenus dans le mémoire exposant les motifs de l'opposition.

13. Une décision rendue sur la base d'un pouvoir d'appréciation implique certes qu'il soit fait usage à bon escient de ce pouvoir. Mais l'OEB n'est pas tenu de rendre compte aux parties de la manière dont il s'est acquitté de l'examen d'office, donc il n'a pas à justifier sa décision lorsque les moyens ont été invoqués tardivement. En revanche, la division d'opposition et la chambre de recours sont tenues, l'une en vertu de la règle 68(2), l'autre en vertu de la règle 66(1)g) CBE, de se prononcer dans les motifs de leurs décisions sur les moyens qui ont été invoqués en temps utile ou qui ont été introduits dans le cadre de l'examen d'office, dans la mesure où ils sont encore considérés comme pertinents par l'OEB ou par l'une des parties. Même en l'absence de toute motivation de la décision rendue sur la base du pouvoir d'appréciation conféré par l'article 114(2) CBE, il est possible de discerner s'il a été fait un usage abusif de ce pouvoir. Tel n'est le cas - comme le veut l'esprit de l'article 114, paragraphes 1 et 2 CBE - que a) s'il est évident que les moyens qui n'ont pas été invoqués en temps utile constituent par ailleurs des preuves ; b) si pour sa part le titulaire du brevet a déjà eu suffisamment l'occasion de prendre position, conformément à l'article 113(1) CBE, ou que si cette possibilité peut encore lui être donnée sans que la procédure s'en trouve abusivement ralentie, et que c) s'il est manifeste que s'il avait été tenu compte de ces moyens invoqués tardivement, la décision en cause n'aurait pas dû être rendue.

14.1. Selon l'article 114(2) CBE, il convient certes par principe de tenir compte de la même manière des moyens d'opposition les plus divers qui n'ont pas été invoqués en temps utile - qu'il s'agisse d'un nouvel état de la technique (article 100 a) CBE), de l'impossibilité d'exécuter l'invention (article 100 b) CBE), ou d'une extension non autorisée de l'objet de l'invention (article 100 c) CBE. Mais il ressort de ce qui précède que dans la pratique les possibilités existant à cet égard sont souvent bien différentes. Il sera souvent aisé de saisir rapidement le contenu d'une nouvelle antériorité produite tardivement, si ce document n'est pas trop volumineux, et d'apprécier la portée qu'elle peut avoir pour la décision à rendre. De même, il est possible en général d'établir rapidement à partir du dossier si, comme le soutient l'opposante, l'objet du brevet contesté s'étend "au-delà du contenu de la demande initiale telle qu'elle a été déposée", au sens où l'entendent les articles 123(2) et 100 c) CBE ; par conséquent, ce moyen doit être examiné d'office lors de l'application de l'article 102, paragraphes 1, 2 et 3 CBE (comme c'était le cas dans la décision T 285/84, non publiée, rendue le 29 avril 1986).

14.2. En revanche, si l'opposant ne fait pas valoir en temps utile l'impossibilité d'exécuter l'invention au sens où l'entendent les articles 83 et 100 b) CBE, même la production de comptes rendus d'essais ne suffira pas en règle générale à prouver de manière définitive que ce motif d'opposition fait effectivement obstacle au maintien du brevet. Tel est notamment le cas lorsque le fascicule du brevet comporte - comme dans la présente espèce - des exemples d'exécution qui témoignent de la reproductibilité de l'invention. Dans les procédés chimiques en particulier, il arrive souvent que l'on ne parvienne pas au résultat recherché dans toutes les conditions opératoires présentées comme possibles dans la description. Même un opposant de bonne volonté peut essuyer des échecs lorsqu'il tente de reproduire un procédé chimique, et ne parviendra à surmonter ces échecs qu'après un nombre raisonnable d'autres essais. Il ne serait guère justifié de révoquer un brevet dans le domaine de la chimie au seul motif que l'invention ne peut être exécutée, si l'on ne donne pas également au titulaire du brevet la possibilité de vérifier les résultats des essais invoqués par un opposant et de procéder à de nouveaux essais pour confirmer la reproductibilité de l'invention que celui-ci avait mise en cause. Si de surcroît cet opposant n'a pas fait valoir en temps utile cette impossibilité d'exécuter l'invention, le caractère même de la procédure d'opposition fera que l'instance chargée de statuer à ce sujet cherchera plutôt à régler rapidement l'affaire, sans s'engager dans un long processus de preuve, à l'issue incertaine.

En l'occurrence, l'"examen d'office" visé à l'article 114 CBE trouve ses limites dans l'application d'autres principes régissant la conduite de la procédure, à savoir essentiellement le caractère sommaire et rapide que doit revêtir la procédure d'opposition, le principe général de la concentration nécessaire de la procédure ou le principe selon lequel c'est à l'opposant qu'incombe la charge de la preuve. C'est ce dernier type de situation qui s'était présenté dans l'affaire T 219/83 "Zéolites/BASF" (cf. décision publiée au JO OEB 7/1986, p. 211). Dans cette affaire, l'opposante avait contesté l'activité inventive, en affirmant que les résultats que permettait d'obtenir l'invention n'étaient pas surprenants, vu qu'il était également possible d'y parvenir par les méthodes classiques. Quelles que fussent ses compétences en la matière, la Chambre ne pouvait prendre parti ni pour l'opposante, ni pour la titulaire du brevet, qui soutenait le contraire. La Chambre ne s'estimant pas en mesure d'établir les faits en procédant à un "examen d'office", c'est l'opposante qui a dû subir les désavantages de cette situation (cf. point I du sommaire et point 12 des motifs de la décision susmentionnée).

14.3. Enfin, il n'est pas possible dans la présente espèce de faire valoir par ailleurs des motifs permettant d'excuser le retard apporté à la production des documents. En effet, des essais qui remettent en cause la reproductibilité de l'invention ne sont pas le fruit du hasard, mais sont effectués au contraire avec méthode.

L'opposant doit toutefois effectuer ces essais avant de former opposition et non pas seulement lorsqu'il apparaît au cours de la procédure d'opposition que les moyens qu'il avait invoqués au titre de l'article 100 a) CBE - c'est-à-dire essentiellement le défaut d'activité inventive-, ne lui permettront pas d'obtenir satisfaction.

15. Tout ce qui vient d'être exposé d'une manière générale, et les développements relatifs à la non-reproductibilité de l'invention en particulier, conduisent la Chambre à tirer les conclusions suivantes :

Si l'opposant attend l'expiration du délai d'opposition pour faire valoir l'impossiblité d'exécuter l'invention au sens où l'entendent les articles 83 et 100 b) CBE, il est possible dans le cadre de l'examen d'office dont le principe a été posé à l'article 114(1) CBE, de ne pas tenir compte de ce moyen, conformément à l'article 114(2) CBE. La décision de tenir compte ou non de ce moyen est laissée à l'appréciation de l'instance chargée de statuer, et n'a pas à être motivée.

Par conséquent, la Chambre ne prendra pas en compte le moyen invoqué par l'opposante, qui avait contesté la possibilité d'exécuter l'invention dans son mémoire exposant les motifs du recours.

16. La Chambre s'est demandé s'il ne convenait pas de saisir la Grande Chambre de recours de la question de droit susmentionnée, en application de l'article 112 CBE. Mais une telle décision est apparue pour le moins prématurée dans l'état actuel des choses. Il conviendrait au préalable de donner aux milieux intéressés la possibilité de présenter leurs observations au sujet de la décision en cause. Il convient également d'attendre les décisions que vont rendre d'autres chambres de recours dans des cas identiques ou similaires.

17. La Chambre a en outre comparé cette conclusion qu'elle a tirée à partir du seul droit européen avac la situation juridique existant en République fédérale d'Allemagne. Cette comparaison se justifie, étant donné que dans cet Etat contractant la procédure d'opposition est de conception analogue. On constatera que la conclusion à laquelle est parvenue la Chambre est en conformité avec les principes posés par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) dans sa décision "Gleichstromfernspeisung" du 2 juin 1977 (GRUR 1978, 99 = Bl. f. PMZ 1977, 277). La Chambre renvoie également à ce propos à l'ouvrage de Schulte, Kommentar zum deutschen Patengesetz, 3e éd., 59, n°s 56, 57 et 61 et aux autres décisions qui y sont citées.

18. Enfin et surtout la Chambre a également examiné ses propres décisions qu'elle a rendues concernant des questions de procédure analogues, et a constaté que la conclusion à laquelle elle est parvenue n'est pas en contradiction avec les décisions qu'elle avait rendues précédemment.

18.1. Selon la décision T 01/80 "Papier copiant sans carbone" du 6 avril 1981, publiée au JO de l'OEB 7/1981, p. 206, des résultats d'essais sont considérés comme produits en temps utile au sens où l'entend l'article 114(2) CBE, si les résultats de ces essais justifient la modification - encore possible, même au stade de la procédure de recours - du problème qui a été posé. Dans la décision non publiée T 129/82 du 14 février 1984, des résultats d'essais qui n'avaient été produits qu'après une décision négative de la Chambre ont été considérés comme ayant été produits en temps utile et pris en compte par la Chambre.

18.2. La décision T 183/83 du 13 décembre 1984, non publiée, tient compte de résultats d'essais qui n'ont été produits par l'opposante que dans le mémoire exposant les motifs du recours, et qui tendaient à prouver l'impossibilité d'exécuter l'invention, au sens où l'entend l'article 100 b) CBE. Ce cas diffère à double titre de celui dont il est question ici. D'une part le motif d'opposition, bien que non étayé par les preuves que constituent des résultats d'expériences, avait été invoqué dès la formation de l'opposition, d'autre part les résultats d'essais, qui n'avaient été produits qu'au stade de la procédure de recours, n'étaient manifestement pas de nature à remettre en cause la reproductibilité de l'invention selon le brevet en litige. La Chambre a pu dans cette affaire examiner quant au fond les résultats d'essais, sans retarder le moins du monde la poursuite de la procédure. Elle a agi ce faisant dans l'intérêt de la titulaire du brevet. L'opposante, qui n'a pu obtenir satisfaction par ce moyen, a pu pleinement se faire entendre au cours des débats.

18.3. Dana la décision T 273/84 du 21 mars 1986 (JO OEB 10/1986, p. 346, la Chambre a retenu parmi trois antériorités qui n'avaient pas été produites en temps utile une antériorité qu'il lui a semblé impossible d'ignorer. Le simple fait que l'affaire ait été renvoyée pour réexamen devant la première instance suffit à prouver sans conteste que le principe du contradictoire a été pleinement respecté à l'égard de la titulaire du brevet.

Dans la décision T 271/84 du 18 mars 1986, qui sera publiée, la Chambre a rappelé qu'il importait de trouver un juste équilibre entre la gravité des retards apportés à la procédure d'une part et le degré de pertinence pour la procédure des moyens invoqués d'autre part.

18.4. Toutes ces décisions font intervenir l'exercice du pouvoir d'appréciation visé à l'article 114(2) CBE. Elles montrent également à l'évidence qu'une décision rendue dans l'exercice du pouvoir d'appréciation ne doit pas être justifiée vis à vis des parties, autrement dit qu'elle n'a pas à être motivée.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

Le recours est rejeté.

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