G 0001/88 (Silence de l'opposant) of 27.1.1989

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:1989:G000188.19890127
Date de la décision : 27 Janvier 1989
Numéro de l'affaire : G 0001/88
Décision de saisin : T 0271/85
Numéro de la demande : 79102131.4
Classe de la CIB : C07C 102/04
Langue de la procédure : DE
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Titre de la demande : -
Nom du demandeur : Hoechst
Nom de l'opposant : Bayer
Chambre : EBA
Sommaire : Le recours formé par un opposant ne peut être jugé irrecevable au motif que celui-ci, après avoir reçu l'invitation prévue par la règle 58(4) CBE, a négligé de présenter dans le délai prescrit ses observations sur le texte dans lequel il est envisagé de maintenir le brevet européen.
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 102(3)
European Patent Convention 1973 Art 107
European Patent Convention 1973 R 58(4)
Mot-clé : -
Exergue :

-

Décisions citées :
T 0219/83
T 0185/84
T 0244/85
T 0390/86
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
G 0002/12
G 0002/13
G 0001/18
G 0003/19
J 0007/94
J 0004/96
J 0008/20
J 0009/20
T 0189/88
T 0457/89
T 0467/89
T 0766/90
T 0506/91
T 0035/92
T 0446/92
T 1063/92
T 0377/95
T 0704/96
T 1079/96
T 0361/98
T 0685/98
T 0626/99
T 0506/01
T 0846/01
T 1157/01
T 0861/03
T 1449/05
T 0857/06
T 0708/07
T 0529/09
T 0388/12
T 0573/12
T 1587/13
T 0025/15
T 0186/15
T 0861/16
T 0831/17
T 1567/17
T 1051/20
T 0809/21
T 1103/21

La question de droit et le contexte juridique dans lequel elle s'inscrit

I. Dans l'affaire T 271/85, la Grande Chambre de recours a été saisie, par décision rendue le 9 mars 1988 (JO OEB 1988, 341), de la question de droit suivante :

"Le recours formé par un opposant qui, après que la notification prévue par la règle 58(4) CBE lui a été signifiée, néglige de présenter ses observations dans le délai d'un mois s'il n'est pas d'accord sur le texte dans lequel il est envisagé de maintenir le brevet est-il recevable ?"

C'est là une question qui s'est posée à propos de l'application que l'OEB a faite en première instance de la règle 58(4) CBE, et qui a été soulevée dans d'autres recours.

II. En vertu de l'article 102(1), (2) et (3) CBE, une opposition formée contre un brevet européen peut aboutir à la révocation du brevet, au rejet de l'opposition ou au maintien du brevet tel qu'il a été modifié. Dans ce dernier cas, il est nécessaire de publier un nouveau fascicule de brevet européen. En vertu de l'article 102(3)b) CBE, le paiement de la taxe d'impression est une condition sine qua non pour le maintien du brevet tel qu'il a été modifié. Conformément à l'article 65(1) CBE, l'invitation à acquitter cette taxe peut marquer dans les Etats contractants le point de départ du délai de production des traductions.

Vu ces dispositions, l'OEB a très tôt instauré une pratique consistant à arrêter tout d'abord le texte modifié du brevet dans une décision intermédiaire, qui en soi n'a pas été expressément prévue. C'est seulement lorsque cette décision intermédiaire est devenue définitive qu'il est demandé, en application de la règle 58(5) CBE, d'acquitter la taxe d'impression et de produire une traduction des revendications dans les autres langues officielles. Ces exigences satisfaites, la décision finale et désormais sans appel de maintien du brevet dans sa forme modifiée est rendue, et le nouveau fascicule de brevet est alors publié.

III. Une décision de maintien du brevet européen, même intermédiaire, ne peut toutefois être prononcée que s'il existe, conformément à l'article 113(2) CBE, un texte "proposé ou accepté" par le titulaire du brevet. S'agissant de cette condition, l'article 102(3)a) stipule qu'il doit être établi "conformément aux dispositions du règlement d'exécution" que le titulaire du brevet est d'accord sur le texte. Il en résulte que dans la pratique instaurée par les divisions d'opposition de l'OEB les dispositions correspondantes de la règle 58(4) CBE sont régulièrement appliquées, même lorsque le texte envisagé a déjà, au cours de la procédure, été "proposé ou accepté" par le titulaire du brevet et refusé par l'opposant.

IV. Eu égard aux dispositions de la règle 66(1) CBE, les chambres de recours ont elles aussi été rapidement amenées à se demander, dans le cadre des procédures de recours, si, et dans l'affirmative, dans quels cas la règle 58(4) CBE devait être appliquée. Cette question se posait d'autant plus que les décisions devaient le plus souvent être prononcées au terme d'une procédure orale et que le texte limité dans lequel il était envisagé de délivrer le brevet avait au cours de la procédure été "proposé ou accepté" par le titulaire du brevet et également discuté avec l'opposant. Dans la décision T 219/83 en date du 26 novembre 1985 (JO OEB 1986, 211), il est précisé qu'il n'y a lieu de signifier une notification établie conformément à la règle 58(4) CBE "que si les parties ne pouvaient raisonnablement, lors de cette procédure orale, prendre position de manière objective et définitive au sujet de la modification du texte du brevet européen". La décision T 185/84 (JO OEB 1986, 373) rendue par une autre chambre confirme ce point de vue. Dans plusieurs décisions rendues par la suite, réglant chacune un cas d'espèce particulier, il a également été renoncé à appliquer la règle 58(4) CBE. Dans la décision T 390/86 en date du 17 novembre 1987 (JO OEB 1989, 30), il est même souligné que la règle 58(4) CBE vise simplement à établir qu'il y a accord sur le "texte" et non à faire prononcer une déclaration de principe sur le maintien ou la révocation du brevet en tant que tels (loc. cit., point 3.2 des motifs de la décision).

V. Par contre, la première instance de l'OEB a bien régulièrement appliqué jusqu'ici la règle 58(4) CBE, indépendamment des conclusions et observations déjà formulées par les parties. Le titulaire du brevet est en conséquence invité à présenter ses observations, même si c'est lui qui a proposé le texte dans lequel il est envisagé de délivrer le brevet. L'opposant, qui veut normalement obtenir la révocation pure et simple du brevet, est pour sa part invité à présenter ses observations au sujet d'un texte qui a été limité, même s'il a déjà fait savoir qu'il ne s'élève pas contre la limitation en tant que telle, c'est-à-dire qu'il ne la considère pas comme une extension inadmissible. Pour la première instance, l'expression "conformément aux dispositions du règlement d'exécution" figurant à l'article 102(3)a) signifie donc qu'il convient de toujours inviter les parties à présenter leurs observations, quels que soient l'état du dossier ou le stade de la procédure, en appliquant à cet effet la règle 58(4) CBE. Dans les premières années, il n'avait pas encore été considéré que le silence d'un opposant vaut acceptation du maintien du brevet dans sa forme limitée et qu'il est donc fait droit à ses prétentions au sens ou l'entend l'article 107 CBE (cf. communication de l'OEB "La procédure d'opposition à l'OEB", parue dans JO OEB 1981, 74, et les anciennes versions des directives). Ce point de vue est exprimé pour la première fois dans une note en bas de page du renseignement juridique n° 15/84 concernant les requêtes à titre principal et les requêtes à titre subsidiaire (JO OEB 1984, 491, 495) ; il a été réaffirmé ensuite dans la nouvelle version des directives arrêtée en mars 1985 (D-VI, 6.2.1). C'est ainsi qu'à la fin du formulaire "Notification établie conformément à la règle 58(4) de la CBE" (OEB Form 2325.3) figure la remarque suivante :

"Le maintien du brevet tel qu'il a été modifié ne fait pas grief à l'opposant qui n'a pas formulé d'objections quant au texte tel qu'il lui a été notifié. Par conséquent, il ne peut recourir contre cette décision (article 107, première phrase de la CBE)."

VI. Ce point de vue a été réaffirmé dans la décision T 244/85 en date du 23 janvier 1987 (JO OEB 1988, 216), dans laquelle il est déclaré que

"le recours formé par un opposant qui n'a pas fait part dans le délai d'un mois prévu par la règle 58(4) CBE de son désaccord avec le maintien du brevet sous une forme modifiée est irrecevable, l'opposant ne pouvant prétendre qu'il n'a pas été fait droit à ses prétentions".

Le présent recours porte essentiellement sur la question de savoir si la Grande Chambre de recours peut se rallier à cet avis.

VII. La question sur laquelle la chambre de recours technique 3.3.2 avait statué dans l'affaire T 244/85 (cf. point VI. supra) s'est de nouveau posée dans le cadre du recours T 271/85 examiné par la chambre de recours technique 3.3.1. Cette dernière avait alors soumis cette question de droit à la Grande Chambre de recours. Dans la décision correspondante (JO OEB 1988, 341) la chambre déclarait qu'en accord avec la décision T 244/85 rendue antérieurement elle jugeait le recours irrecevable, mais qu'elle soumettait néanmoins la question de droit à la Grande Chambre de recours, cette question revêtant une importance fondamentale.

VIII. Conformément à l'article 112(2) CBE, les parties au recours T 271/85 ont eu la possibilité de prendre position sur la question de droit et de présenter leurs conclusions dans le cadre de la procédure devant la Grande Chambre de recours. Ayant déjà avancé de nombreux arguments d'ordre juridique au cours de la procédure devant la Chambre de recours, le mandataire de la requérante (précédemment opposante) a renoncé à prendre une nouvelle fois position et a demandé une procédure orale seulement pour le cas ou la Grande Chambre de recours serait d'avis de ne pas reconnaître la recevabilité de son recours. L'intimée (titulaire du brevet), rappelant les observations qu'elle avait émises jusqu'ici, a maintenu sa requête visant au rejet du recours pour irrecevabilité. Elle a toutefois souligné qu'elle demandait de manière générale qu'on attende, dans le cas ou il serait rendu une décision intermédiaire de maintien du brevet européen dans sa forme modifiée, que cette décision devienne tout d'abord définitive, avant d'adresser au titulaire du brevet l'invitation visée à la règle 58(5) CBE. Si elle faisait cette demande, c'est avant tout parce que, en vertu de l'article 65(1) CBE, l'envoi de cette invitation peut marquer dans certains Etats contractants le point de départ du délai de production des traductions.

Motifs de la décision

1. Par décision T 271/85, la question de droit posée a été soumise, en application de l'article 112(1) CBE, à la Grande Chambre de recours.

2. Pour répondre à la question de droit qui a été posée, il est nécessaire de reconsidérer la décision T 244/85. Donnant de la règle 58(4) CBE une interprétation littérale, cette décision conclut (cf. motifs point 8) que le silence de l'opposant signifie non seulement que l'opposant considère que le texte notifié ne constitue pas une extension inadmissible au sens de l'article 123, paragraphe 2, et surtout paragraphe 3 CBE, mais encore qu'il renonce désormais à demander la révocation du brevet.

2.1. L'argument majeur en faveur d'une telle interprétation de ce silence se fonde sur l'adage "Qui tacet consentire videtur" (Qui ne dit mot consent ; Digesten 19, 2, 13,

11). Cette interprétation part de l'idée que, vu la nature et la formulation de la notification établie sur le formulaire conformément à la règle 58(4) (cf. point V. supra), on est raisonnablement en droit d'attendre de l'opposant qu'il réponde en cas de désaccord. Il est donc tenu compte du fait que l'adage latin ne vaut qu'avec la réserve suivante : "...ubi loqui debuit" (... alors qu'il aurait dû parler ; loc. cit. Digesten). Si l'opposant s'en tient à ce qu'il avait demandé jusque là - c'est-à-dire normalement la révocation du brevet -, on considère par conséquent qu'il est tenu de répondre. Le texte de la règle 58(4) CBE peut tout à fait suggérer qu'il existe une telle obligation. L'expression "... invite à présenter leurs observations..." peut être interprétée en ce sens que non seulement il est offert à l'opposant la possibilité de présenter ses observations, mais encore que l'on attend de lui et qu'on exige qu'il présente ses observations dans le cas ou il s'en tient à ce qu'il avait demandé jusque là, c'est-à-dire normalement la révocation du brevet. En ce qui concerne la décision T 244/85, il faut reconnaître que le fait que l'on attende un accord sur la modification du "texte du brevet" plaide également en faveur de cette interprétation. Par "texte du brevet", on peut comprendre non seulement la simple rédaction du texte, mais aussi le contenu même du brevet en tant que tel (cf. également art. 113(2) CBE).

2.2. En revanche, même si l'on donne de la règle 58(4) CBE une interprétation purement littérale, on peut tout aussi bien considérer qu'il ne s'agit que d'établir l'accord des parties "sur le texte". Dans ce cas, il serait notamment demandé à l'opposant si le texte constitue à ses yeux une extension inadmissible (en contradiction avec l'article 123(2) ou (3) CBE). L'opposant se verrait donc simplement offrir la possibilité de contester le texte en tant que tel, sans par contre qu'il lui soit fait obligation de réitérer ses conclusions précédentes. Telle est l'interprétation donnée du texte de la règle 58(4) CBE dans la décision T 390/86 (point IV. supra). Deux interprétations divergentes du texte de cette règle s'opposent donc dans la jurisprudence des chambres, ce qui montre qu'il n'est pas possible, si l'on considère uniquement la lettre même de ce texte, d'en donner une interprétation sûre.

2.3. La doctrine, elle aussi, a mis en doute le bien fondé d'une application littérale de la règle 58(4) CBE. Van Empel (The Granting Of European Patents, Leyden 1975, point 481, p. 224) a fait observer que les dispositions de cette règle ne correspondent pas à la situation juridique, parce que la position du titulaire du brevet et celle de l'opposant sont tout à fait différentes et que, de ce fait, leur désaccord revêt un caractère différent et produit des effets juridiques différents. Si c'est le titulaire du brevet qui marque son désaccord, la procédure non seulement "peut" être poursuivie - comme le prévoit la règle 58(5) CBE -, mais, même, eu égard à l'article 113(2) CBE, "doit" être poursuivie. Si le désaccord émane par contre de l'opposant, la procédure "peut" être poursuivie lorsqu'on estime que ses observations méritent d'être prises en considération, mais sinon peu importe que l'opposant marque ou non son désaccord.

2.4. L'ambiguïté du libellé de la règle 58(4) CBE et les commentaires qui précèdent donnent à penser au premier abord qu'il n'est pas possible d'interpréter le texte de la règle 58(4) CBE comme faisant obligation à l'opposant de marquer son désaccord. Considérer que le silence a valeur de consentement signifierait en effet que l'on estime que l'opposant qui se tait retire en fait son opposition et renonce ainsi à son droit de recours. Or la renonciation à un droit ne peut être purement et simplement présumée : "A jure nemo recedere praesumitur".

3. Considérer que le silence équivaut à une renonciation serait également une interprétation contraire à la logique interne de la Convention. En effet, une telle interprétation ne serait pas en accord avec la technique juridique utilisée par la Convention (cf. ci-après, point 3.1), ni avec les modalités selon lesquelles sont traitées les pertes de droits dans la Convention (cf. ci-après, point 3.2).

3.1. Si l'omission d'un acte a pour effet juridique une perte de droit, la Convention le prévoit explicitement, comme le veut la technique juridique générale qu'elle a adoptée. On peut citer à cet égard les nombreux cas dans lesquels elle prévoit qu'un droit est réputé perdu. Il est également admis à l'article 122(1) et à la règle 69(1) que la perte de droit en tant qu'effet juridique est une question qui est réglée expressément dans la Convention.

3.2. Estimer dans le cadre de l'application de la règle 58(4) CBE que le silence de l'opposant doit être sanctionné par une perte de droit serait en outre une interprétation difficilement conciliable avec les autres dispositions de la Convention ; elle impliquerait qu'il soit fait au préalable application des dispositions de la règle 69(1) et (2) CBE pour que l'agent des formalités puisse rendre la décision de maintenir le brevet dans sa forme modifiée. Il y aurait lieu alors de se demander si l'article 122 CBE est applicable, eu égard aux principes énoncés dans la décision G 1/86 "Rétablissement dans ses droits d'un opposant/VOEST" (JO OEB 1987, 447).

4. On observera en outre que, vu le principe posé à l'article 164(2) CBE, toute interprétation du règlement d'exécution doit être conforme à la Convention. En conséquence, c'est à l'interprétation du règlement d'exécution la plus conforme aux principes de la Convention qu'il convient de donner la préférence. Or la Convention pose en principe qu'une protection juridique doit pouvoir être accordée par au moins une instance judiciaire. Dans certains Etats contractants, ce principe a même valeur constitutionnelle. Aussi convient-il d'interpréter le règlement d'exécution de manière à ce que l'application de la règle 58(4) CBE n'affecte pas le droit de recours institué par les articles 106 et 107 CBE.

5. L'interprétation téléologique, c'est-à-dire l'interprétation en fonction du sens et de la finalité de la procédure prévue par la règle 58(4) CBE aboutit aux mêmes conclusions. La réponse à donner à la question juridique concrète qui se pose peut ainsi être revue à la lumière du contexte d'ensemble de la Convention.

5.1. L'interprétation de la règle 58(4) CBE qui veut que l'opposant perde son droit de recours s'il garde le silence résulte d'une conception de cette règle selon laquelle la première instance voit dans la procédure prévue à la règle 58(4) CBE une formalité obligatoire pour la clôture de la procédure, qui doit toujours être respectée, s'il y a lieu de maintenir le brevet dans sa forme modifiée, conformément à l'article 102(3) CBE. Les considérations qui suivent permettent de douter du bien-fondé de cette interpretation.

5.1.1. S'agissant tout d'abord du titulaire du brevet, on ne voit guère pourquoi, s'il a lui-même proposé et expressément souhaité le nouveau texte envisagé pour la délivrance du brevet, il faudrait l'inviter de nouveau à marquer son désaccord pour le cas ou il n'approuverait pas ce qu'il a lui-même demandé.

5.1.2. S'agissant de l'opposant, on peut s'interroger sur l'utilité d'une telle formalité pour la clôture de la procédure dès lors que l'opposant a fait savoir de maintes manières, tant par son opposition même que par tous ses arguments et par les conclusions qu'il a formulées, qu'il demande avant tout la révocation pure et simple du brevet, et qu'il a eu en outre largement la possibilité de faire savoir s'il considérait ou non le texte envisagé comme une extension inadmissible.

5.1.3. Le prononcé de la décision étant de règle à l'issue d'une procédure orale, ainsi qu'il ressort de l'article 116(4) CBE, il y a lieu de se demander s'il est bien nécessaire dans le cas du maintien du brevet dans sa forme limitée de retarder ce prononcé en instituant des formalités écrites de clôture de la procédure, alors que tous les droits des parties en matière de procédure sont pleinement sauvegardés.

5.1.4. Si l'on considère par ailleurs à quoi peut conduire une telle application de la règle 58(4) CBE, des doutes sont là encore permis. Si l'opposant ne se contente pas de manifester son désaccord et qu'il présente en outre des observations sur le texte (cf. règle 58(5) CBE), ou même fait valoir des antériorités nouvelles et pertinentes (cf. article 114(2) CBE), la procédure peut être poursuivie, et il est de nouveau fait application de la règle 58(4) CBE. Or une application de cette règle prend bien quatre mois à elle seule, ce qui permettrait donc à l'opposant de retarder considérablement la clôture de la procédure, puisque toute nouvelle correction apportée au texte nécessiterait l'établissement d'une nouvelle notification conformément à la règle 58(4) CBE et que des antériorités nouvelles et pertinentes pourraient même entraîner la reprise de la procédure.

5.2. Or il ressort des travaux préparatoires à la CBE que l'application qui a été ainsi faite de la règle 58(4) CBE par les premières instances de l'OEB ne peut avoir été dans les intentions des auteurs de la Convention.

5.2.1. Il ressort du "rapport sur la 11e réunion du Groupe de travail I tenue à Luxembourg du 28 février au 3 mars 1972" (doc. BR/177/72 du 13 avril 1972, page 29, point 60) qu'il était prévu de compléter également l'article 102(3) CBE, par analogie avec l'article 97 et la règle 51 CBE, par une règle précisant "les conséquences juridiques du désaccord du titulaire du brevet (ou de l'opposant) sur la rédaction modifiée du texte du brevet". Il est ensuite expliqué dans ledit rapport que "certaines délégations ont estimé que le droit de s'opposer au texte dans lequel le brevet sera délivré à l'issue de la procédure d'opposition ne devrait être reconnu qu'au titulaire du brevet ; par contre, l'opposant ne pourrait jouir d'un tel droit ; il aurait toutefois la faculté de déposer un recours contre la délivrance du brevet définitif. D'autres délégations ont souhaité, par contre, que le droit d'opposition soit également reconnu à l'opposant ... A titre de compromis, le Groupe a accepté un texte qui prévoit que l'Office européen des brevets a le droit, mais non l'obligation, de poursuivre la procédure d'opposition lorsqu'une partie intéressée n'est pas d'accord avec le texte envisagé pour le brevet."

5.2.2. Il ressort donc des travaux préparatoires que la règle 58(4) CBE visait à instituer un régime applicable au premier chef au titulaire du brevet et, également, mais de manière purement accessoire, à l'opposant. S'agissant du titulaire du brevet, la règle visait à fixer la procédure à suivre dans le cas ou la division d'opposition envisage un texte modifié sans avoir encore obtenu l'accord du titulaire du brevet à ce sujet. C'est bien ce que montre l'emploi de l'expression "droit de s'opposer au texte". Si c'est le titulaire du brevet qui a lui-même expressément demandé l'adoption de ce texte du brevet, le "droit de s'opposer au texte" n'a plus de sens. Il est alors superflu d'appliquer la règle 58(4) CBE.

5.2.3. Une telle limitation du domaine d'application de la règle 58(4) CBE n'est pas non plus en contradiction avec l'article 102(3) CBE. S'il est prévu à cet article que "conformément aux dispositions du règlement d'exécution", il doit être établi que le titulaire du brevet est d'accord sur le texte, une telle formulation, qui ne mentionne pas l'opposant, ne peut toutefois guère signifier qu'il est nécessaire d'obtenir une nouvelle fois, "conformément aux dispositions du règlement d'exécution", l'accord du titulaire du brevet, présenté comme absolument obligatoire à l'article 113(2) CBE, alors que cet accord a déjà été donné. Dans d'autres dispositions en matière de procédure figurant dans la Convention, il est également fait référence au règlement d'exécution, par exemple dans les articles 91(2), 96(2), 97(2)a), 101(2) et 110(2) CBE, mais cela ne signifie pas pour autant qu'une règle du règlement d'exécution doit être appliquée même lorsque le but qu'elle poursuit a déjà été atteint. Les règles de procédure qui visent à faire observer les exigences de la Convention ne doivent jouer que lorsque ces exigences ne sont pas encore remplies (cf. par exemple la décision T 317/86 "Titre de l'invention/SMIDTH" (dont le sommaire a été publié dans le JO OEB 1988, 464)).

5.2.4. S'agissant de l'opposant, reste à établir s'il a manifestement le droit, en vertu de l'article 113(1) CBE, à être entendu chaque fois qu'il est envisagé un nouveau texte du brevet, notamment en ce qui concerne la question de savoir si ce texte constitue ou non une extension inadmissible au sens ou l'entend l'article 123, paragraphes 2 ou 3 CBE. Or dans le cadre de l'application de la règle 58(4) CBE, l'audition de l'opposant n'a qu'un caractère accessoire, on y procède "en passant". Lorsque que cette règle est appliquée et qu'il est ainsi donné au titulaire du brevet la possibilité de marquer son désaccord, l'opposant se voit lui aussi offrir la possibilité de marquer son propre désaccord. Or comme cela a déjà été exposé dans la doctrine (cf. point 2.3 supra), le désaccord marqué par un opposant ne fait pas obstacle à la clôture de la procédure. Il ne peut donc être tenu de marquer son désaccord. Il a seulement la possibilité de contester le texte envisagé s'il estime, par exemple, qu'il constitue une extension inadmissible. Ainsi qu'il ressort du passage susmentionné des travaux préparatoires, cette possibilité devrait s'ajouter à son droit de recours, mais en aucun cas elle ne devrait entraîner la perte de ce droit.

6. Vu les dispositions de base prévues par la Convention en matière de procédure, à savoir l'article 113(1) et (2) ainsi que l'article 102(3), vu également les travaux préparatoires, il est donc possible aussi d'interpréter de manière générale les dispositions de la règle 58(4) CBE, en fonction de la finalité qui leur est assignée dans le cadre de la Convention. Il n'y a donc pas lieu d'appliquer la règle 58(4) CBE si le titulaire du brevet a déjà marqué expressément son accord sur le texte dans lequel la division d'opposition envisage de maintenir le brevet conformément à l'article 102(3) CBE. Néanmoins, l'opposant doit avoir eu ou recevoir suffisamment la possibilité, compte tenu des circonstances, de prendre position sur le nouveau texte dans lequel il est envisagé de délivrer le brevet. Dans le cadre de l'application de la règle 58(4) CBE, cette possibilité peut notamment lui être offerte par voie de procédure écrite.

7. Que l'on donne de la règle 58(4) CBE une interprétation littérale, une interprétation systématique ou que l'on applique le principe d'une interprétation du règlement d'exécution conforme à la Convention, l'on est amené ainsi à répondre par l'affirmative à la question de droit qui a été posée. Si la Grande Chambre de recours en vient à cette conclusion, c'est également parce que pour elle la finalité de la règle 58(4) CBE n'est pas celle que reconnaît la première instance. La Chambre comprend toutefois que partant de la pratique qui consiste à rendre une décision intermédiaire en cas de maintien du brevet dans sa forme modifiée, la première instance ait pu en venir à cette interprétation. La pratique des décisions intermédiaires qui en soi n'a pas été expressément prévue permet d'attendre tout d'abord que la décision intermédiaire soit devenue définitive, ce qui évite au titulaire de devoir à nouveau exposer des frais pour la modification du texte du brevet. Tel était d'ailleurs le souhait de l'intimée (titulaire du brevet) dans le présent cas (cf. point VIII. supra). Il y a lieu d'attendre que la décision intermédiaire soit devenue définitive avant d'inviter le titulaire du brevet, conformément à la règle 58(5) CBE, à acquitter la taxe d'impression et à produire la traduction des revendications. Grâce à l'interprétation qui vient d'être donnée de la règle 58(4) CBE, il est possible d'atteindre rapidement ce stade de la procédure. En effet, après une procédure orale, la décision peut en règle générale être prononcée immédiatement et consignée sans délai par écrit. Par voie de procédure écrite, il peut être donné à l'opposant la possibilité, comme il se doit, (cf. point 6 supra) de prendre position sur le nouveau texte dans lequel la division d'opposition envisage de délivrer le brevet, y compris au moment ou une notification est adressée aux parties. Par comparaison, l'interprétation qui voit dans l'application de la règle une formalité absolument obligatoire pour la clôture de la procédure ne ne conduit pas à une réelle rationalisation de la procedure. C'est également la raison pour laquelle la Grande Chambre de recours considère que son interprétation de la règle 58(4) CBE est celle qui s'impose.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

La Grande Chambre de recours décide que la question de droit qui lui a été soumise doit recevoir la réponse suivante :

Le recours formé par un opposant ne peut être jugé irrecevable au motif que celui-ci, après avoir reçu l'invitation prévue par la règle 58(4) CBE, a négligé de présenter dans le délai prescrit ses observations sur le texte dans lequel il est envisagé de maintenir le brevet européen.

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