T 0116/18 () of 11.10.2021

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2021:T011618.20211011
Date de la décision : 11 Octobre 2021
Numéro de l'affaire : T 0116/18
Numéro de la demande : 12002626.5
Classe de la CIB : A01N 43/56
A01N 51/00
Langue de la procédure : EN
Distribution : A
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Versions : OJ
Titre de la demande : -
Nom du demandeur : Sumitomo Chemical Company, Limited
Nom de l'opposant : SYNGENTA LIMITED
Chambre : 3.3.02
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention Art 100(b)
European Patent Convention Art 54
European Patent Convention Art 56
European Patent Convention Art 112(1)(a)
Rules of procedure of the Boards of Appeal Art 12(4)
Rules of procedure of the Boards of Appeal 2020 Art 013(2)
Mot-clé : Motifs d'opposition - insuffisance de l'exposé de l'invention
Nouveauté
Activité inventive
Saisine de la Grande Chambre de recours
Preuves produites tardivement - présentées avec le mémoire exposant les motifs du recours
Preuves produites tardivement - présentées peu avant la procédure orale
Exergue :

Les questions suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours pour décision :

Si, aux fins d'établir l'activité inventive, le titulaire du brevet se fonde sur un effet technique et qu'il a présenté à l'appui de cet effet des moyens de preuve, tels que des données expérimentales, qui n'étaient pas accessibles au public avant la date de dépôt de la demande de brevet en cause et qui ont été produits après cette date (moyens de preuve publiés ultérieurement) :

1. Faut-il admettre une exception au principe de libre appréciation des preuves (cf. par exemple G 3/97, point 5 des motifs et G 1/12, point 31 des motifs) en ceci que des moyens de preuve publiés ultérieurement doivent être écartés au motif que la preuve de l'effet repose exclusivement sur ceux ci ?

2. S'il est répondu par l'affirmative à cette question (les moyens de preuve publiés ultérieurement doivent être écartés si la preuve de l'effet repose exclusivement sur ceux-ci), les moyens de preuve publiés ultérieurement peuvent-ils être pris en considération lorsqu'à la date de dépôt de la demande de brevet en cause, l'homme du métier, se fondant sur les informations contenues dans la demande de brevet en cause ou sur ses connaissances générales, aurait jugé l'effet plausible (plausibilité ab initio) ?

3. S'il est répondu par l'affirmative à la première question (les moyens de preuve publiés ultérieurement doivent être écartés si la preuve de l'effet repose exclusivement sur ceux-ci), les moyens de preuve publiés ultérieurement peuvent-ils être pris en considération lorsqu'à la date de dépôt de la demande de brevet en cause, l'homme du métier, se fondant sur les informations contenues dans la demande de brevet en cause ou sur ses connaissances générales, n'aurait vu aucune raison de juger l'effet non plausible (défaut de plausibilité ab initio) ?

Décisions citées :
G 0003/97
G 0001/03
G 0001/12
T 0184/82
T 0101/87
T 0012/90
T 0939/92
T 0609/02
T 1329/04
T 0578/06
T 0536/07
T 1437/07
T 1326/08
T 1397/08
T 0266/10
T 0415/11
T 1791/11
T 0863/12
T 1422/12
T 0895/13
T 2371/13
T 0919/15
T 0184/16
T 0488/16
T 0031/18
T 2015/20
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
G 0002/21
T 1499/16
T 2627/17
T 2029/19
T 2952/19
T 2955/19
T 2963/19
T 3109/19
T 0605/20
T 1639/21
T 2046/21
T 0318/22
T 0364/22
T 0601/22
T 1994/22

Exposé des faits et conclusions

I. La présente décision porte sur le recours formé par l'opposant (requérant) à l'encontre de la décision de la division d'opposition (décision attaquée) de rejeter l'opposition contre le brevet européen n° 2 484 209 (brevet en cause).

Le brevet en cause est issu de la demande de brevet européen n° 12002626.5, qui est une demande divisionnaire de la demande de brevet européen n° 05719327.8.

II. L'opposition a été formée contre le brevet en cause sur le fondement de

l'article 100a) CBE pour défaut de nouveauté (article 54 CBE) et pour défaut d'activité inventive (article 56 CBE), de l'article 100b) CBE pour insuffisance de l'exposé de l'invention (article 83 CBE), et de l'article 100c) CBE pour ajout d'éléments (article 123(2) CBE et article 76(1) CBE).

III. Les documents suivants, produits devant la division d'opposition, sont pertinents pour la présente décision :

D4 WO 03/015519 A1

D8 WO 2005/048711 A1

D8P1 DE 103 53 278.1 (première demande dont D8 revendique la priorité)

D8P2 DE 10 2004 006 075.4 (seconde demande dont D8 revendique la priorité)

D9 Compte rendu d'expériences - essais sur le terrain (18 pages, déposé avec l'acte d'opposition)

D10 Compte rendu d'expériences (2 pages, déposé avec l'acte d'opposition)

D21 Données d'essais supplémentaires (6 pages, déposé par le titulaire du brevet (intimé) par sa lettre en date du 26 octobre 2016)

D22 Données d'essais supplémentaires (21 pages, déposé par l'intimé par sa lettre en date du 11 septembre 2017)

IV. La décision de la division d'opposition peut être résumée comme suit :

- Les motifs d'opposition invoqués au titre de l'article 100c) CBE (article 123(2) et article 76(1) CBE) ne s'opposent pas au maintien du brevet en cause tel que délivré.

- La question des conditions dans lesquelles la synergie a été obtenue n'est pas pertinente pour évaluer la suffisance de l'exposé car cet effet n'est pas décrit dans les revendications. Cet effet fait partie du problème à résoudre et doit être traité au titre de l'activité inventive. En conséquence, le motif d'opposition invoqué au titre de l'article 100b) CBE ne s'oppose pas au maintien du brevet en cause tel que délivré.

- Les objections pour défaut de nouveauté fondées sur D4 et D8 (documents de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) et de l'article 54(3) CBE, respectivement) ne sont pas convaincantes en ce qu'au moins deux sélections doivent être réalisées à partir de leurs exposés respectifs pour parvenir à la revendication 1 du brevet en cause tel que délivré.

- D21 et D22 sont admis dans la procédure. Les résultats contenus dans ces documents et ceux de l'exemple de test 2 du brevet en cause démontrent l'effet synergique obtenu en combinant du thiaméthoxam et des composés selon la formule [Ia] de la revendication 1. Les données dans D9 et D10 ne sont pas prises en compte, notamment au motif que les expériences qui y sont décrites ne peuvent pas être reproduites. Au vu de D4 en tant qu'état de la technique le plus proche, le problème technique objectif doit être considéré comme consistant "à fournir des compositions insecticides comprenant des anthranilamides issues du groupe divulgué dans D4, conjugué à un partenaire de mélange à activité insecticide, montrant une efficacité renforcée avantageuse" (décision attaquée, page 23, avant-dernier paragraphe). La solution à ce problème n'est pas évidente, le synergisme étant en soi imprévisible.

En conséquence, le motif d'opposition invoqué au titre de l'article 100a) CBE ne s'oppose pas au maintien du brevet en cause tel que délivré.

V. Le requérant a présenté avec son mémoire exposant les motifs du recours le document suivant :

D23 Compte rendu d'expériences (8 pages)

Les deux dernières pages du mémoire exposant les motifs du recours sont intitulées "Annexe 1" et présentent le calcul du nombre de composés couverts par la formule [Ia] de la revendication 1.

VI. Comme requis, les parties ont été citées à la procédure orale. En vue de préparer l'audience, la Chambre a émis une notification au titre de l'article 15(1) RPCR 2020 ainsi qu'une opinion provisoire portant sur certains points revêtant une importance particulière pour la décision à prendre. En ce qui concerne l'exigence litigieuse de plausibilité, la Chambre a indiqué qu'il se pourrait qu'une saisine de la Grande Chambre de recours soit nécessaire.

VII. Par lettre en date du 19 avril 2021, le requérant a retiré sa requête en remboursement de la taxe de recours précédemment formulée.

VIII. Par lettre en date du 22 avril 2021, le requérant a présenté une copie d'une correspondance entre l'epi et le Président de l'Office européen des brevets.

IX. Par lettre du 22 juin 2021, l'intimé a déposé, entre autres, des jeux de revendications selon une deuxième et une troisième requête subsidiaire ainsi que le document suivant :

D24 Selby, T. S., Lahm, G. P., Stevenson, T. M., "A retrospective look at anthranilic diamide insecticides: discovery and lead optimization to chlorantraniliprole and cyantraniliprole", Pest Manag. Sci., 73, 2017, pages 658 à 665

X. La procédure orale a été tenue devant la Chambre de recours sous forme de visioconférence le 22 juillet 2021.

Lors de l'audience, les requêtes initiales présentées par le requérant étaient les suivantes :

- l'annulation de la décision attaquée et la révocation dans son ensemble du brevet en cause ;

- la non-prise en considération de D21 et de D22 aux fins de prouver la synergie alléguée ;

- la non-admission de D24 dans la procédure ; et

- la non-admission dans la procédure des requêtes subsidiaires en instance présentées par l'intimé.

Le requérant n'a pas maintenu ses requêtes formulées antérieurement, à savoir que :

- la Chambre ordonne à l'intimé de déposer le jeu de données initiales étayant les résultats présentés dans le brevet en cause ; et que

- la Chambre ordonne l'audition de témoins en mesure de témoigner de l'exactitude et de l'exhaustivité du jeu de données présentées dans le brevet en cause.

Les requêtes initiales présentées par l'intimé étaient les suivantes :

- le rejet du recours, et, partant, le maintien du brevet tel que délivré (requête principale) ;

- à titre subsidiaire, le maintien du brevet en cause sous une forme modifiée sur la base des jeux de revendications selon la première requête subsidiaire, présentée par lettre en date du 26 octobre 2016, ou selon la deuxième ou troisième requête subsidiaire présentées par lettre en date du 22 juin 2021 ;

- s'il ne pouvait être fait droit à la requête principale, le renvoi de l'affaire à la division d'opposition pour suite à donner ;

- la non-admission dans la procédure des figures 1 et 2 du mémoire exposant les motifs du recours, ainsi que de la discussion s'y rapportant ;

- la prise en considération de D21 et de D22 aux fins de prouver la synergie alléguée ;

- la non-admission de D23 dans la procédure ;

- l'admission de D24 dans la procédure.

Lors de la procédure orale, les deux parties ont également demandé que des questions concernant l'exigence litigieuse de plausibilité soient soumises à la Grande Chambre de recours.

Lors de la procédure orale, la Chambre a décidé :

- d'admettre D23 dans la procédure ;

- d'admettre dans la procédure les figures 1 et 2 du mémoire exposant les motifs du recours, ainsi que la discussion s'y rapportant ;

- de ne pas admettre D24 dans la procédure.

À l'issue de la procédure orale, les parties ont confirmé leurs requêtes initiales ainsi que leurs requêtes en saisine de la Grande Chambre de recours. La Chambre a conclu que la procédure se poursuivrait par écrit.

XI. Une observation formulée par un tiers a été reçue le 6 octobre 2021. Cette observation portant sur la manière dont il doit être répondu aux questions de saisine, la Chambre ne l'a pas prise en compte dans la présente décision.

XII. Les moyens invoqués par le requérant dans le cadre du recours, dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, peuvent être résumés comme suit :

Admission de D23

- D23 a été déposé au vu de la tournure inattendue prise par la procédure d'opposition, à savoir le changement concernant la pertinence attribuée à D9 et D10, et en réponse aux documents D21 et D22 de l'intimé. À la suite de l'avis préliminaire de la division d'opposition, qui était favorable au requérant, l'intimé a déposé D22 et formulé des critiques quelque deux mois à peine avant la tenue de la procédure orale. Compte tenu de la complexité des expériences, il ne restait pas suffisamment de temps pour fournir de nouvelles preuves expérimentales. D22 vise, entre autres, à contester les résultats dans les documents D9 et D10 présentés par le requérant. Le requérant devrait se voir donner la possibilité de réagir à la production tardive de D22. Pour cette raison, D23 devrait être admis dans la procédure.

Admission dans la procédure des figures 1 et 2 du mémoire exposant les motifs du recours, ainsi que de la discussion s'y rapportant

- Les figures 1 et 2 du mémoire exposant les motifs du recours ne sont qu'une simple représentation graphique des données contenues dans D9. Aucune nouvelle information n'a été ajoutée, ni dans ces figures ni dans la discussion s'y rapportant. L'intimé n'a pas non plus identifié de nouvelles informations.

Admission de D24

- La justification fournie par l'intimé pour avoir déposé D24 un mois seulement avant la tenue de la procédure orale devant la Chambre n'est pas convaincante. En l'espèce, il n'y avait pas de "circonstances exceptionnelles, que la partie concernée a justifiées avec des raisons convaincantes" comme l'exige l'article 13(2) RPCR 2020. Pour cette raison, D24 ne devrait pas être admis dans la procédure.

Suffisance de l'exposé

- Le brevet en cause ne contient aucune indication permettant à l'homme du métier de déterminer laquelle parmi les très nombreuses combinaisons revendiquées peut produire un effet synergique, et ce dans quelles proportions, sur quelles cultures et contre quels organismes nuisibles. Rechercher les conditions appropriées exige de l'homme du métier un effort excessif. L'invention énoncée dans les revendications du brevet en cause tel que délivré n'est donc pas suffisamment exposée.

Nouveauté

- L'objet de la revendication 1 n'est pas nouveau au regard de D8 ; l'objet des revendications 1 à 3 n'est pas nouveau au regard de D4. En outre, la nouveauté ne peut pas être reconnue au motif que les sélections effectuées, le cas échéant, ne l'ont pas été à dessein.

Activité inventive

- D4 est l'état de la technique le plus proche. Parmi les exemples contenus dans le brevet en cause, seuls les exemples de test 2 et 5 portent sur des compositions insecticides selon la revendication 1. Il ressort des données dans D23, présenté par le requérant, que la combinaison de thiaméthoxam et de chlorantraniliprole n'agit pas de manière synergique à certains rapports pondéraux contre une espèce d'insectes similaire aux espèces utilisées dans le brevet en cause. Les données dans D23 sont fiables et devraient être prises en considération. La Chambre a estimé à juste titre que le moyen en défense de l'intimé, selon lequel les données de D23 n'étaient pas fiables du fait de concentrations d'insecticides similaires donnant lieu à des taux de mortalité très différents, n'était pas convaincant. Des aliments supplémentaires non traités ont simplement été ajoutés pour éviter que les insectes ne meurent prématurément de faim. Ne pas ajouter d'aliments supplémentaires non traités aurait faussé les résultats. Il ne peut pas non plus être reproché au requérant d'avoir utilisé un agent d'épandage dans D23 différent de celui du brevet en cause, la revendication 1 n'étant pas délimitée à cet égard. En outre, au vu des exemples de test 2 et 5, le brevet en cause ne contient que deux variables isolées. Celles-ci ne peuvent pas rendre l'effet synergique plausible dans toute l'étendue de la revendication 1. Aussi, conformément à la jurisprudence constante des chambres de recours, convient-il d'écarter les moyens de preuve publiés ultérieurement, soit D21 et D22. Même si D21 et son résultat contre le Chilo suppressalis au paragraphe 4 sont pris en considération, cette seule expérience ne peut pas rendre plausible un effet synergique contre cette espèce d'insecte dans toute l'étendue de la revendication 1. En effet, la formule [Ia] couvre plus de 10 millions de composés. Le problème technique objectif ne peut être considéré que comme consistant à fournir une composition insecticide alternative. La solution à ce problème a été rendue évidente par D4 qui suggère de combiner le thiaméthoxam et des composés selon la formule [Ia].

XIII. Les moyens invoqués par l'intimé dans le cadre du recours, dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, peuvent être résumés ainsi :

Admission de D23

- L'insuffisance de D9 et de D10 aurait dû être évidente aux yeux du requérant dès leur dépôt. En tout état de cause, l'intimé avait critiqué les données de D9 et de D10 dans sa lettre en date du 11 septembre 2017 et il n'y avait aucune raison pour laquelle D23 n'aurait pas pu ou n'aurait pas dû être déposé plus tôt. La division d'opposition aurait reconnu l'activité inventive même sans D22. En conséquence, le dépôt de D23 ne peut pas être considéré comme une réaction au dépôt de D22. En outre, au vu du raisonnement exposé dans la décision T 101/87, D23 ne devrait pas être admis dans la procédure.

Admission dans la procédure des figures 1 et 2 du mémoire exposant les motifs du recours, ainsi que de la discussion s'y rapportant

- Les figures 1 et 2 du mémoire exposant les motifs du recours, ainsi que la discussion s'y rapportant auraient pu et auraient dû être produites devant la division d'opposition. Elles contiennent de nouvelles informations qui ne figuraient pas dans le dossier. Elles ne devraient pas être admises dans la procédure.

Admission de D24

- D24 a été déposé parce que, pour la première fois dans la procédure, l'opinion provisoire de la Chambre de recours a soulevé des questions concernant l'activité inventive qui ne sont mentionnées que dans la partie relative au contexte du mémoire exposant les motifs du recours. Pour l'intimé, l'utilité de cette partie n'est absolument pas évidente. En conséquence, D24 devrait être admis dans la procédure.

Suffisance de l'exposé

- La division d'opposition a conclu à juste titre que l'invention définie dans les revendications du brevet en cause tel que délivré est suffisamment exposée.

Nouveauté

- La division d'opposition a reconnu à juste titre la nouveauté de l'objet revendiqué du brevet en cause tel que délivré au regard de D8 et D4.

Activité inventive

- L'objet de la revendication 1 du brevet en cause tel que délivré diffère de l'état de la technique le plus proche, D4, en ce qu'au moins deux sélections doivent être réalisées pour parvenir à l'objet de la revendication 1. L'effet lié à ces caractéristiques distinctives est l'interaction synergique entre le thiaméthoxam et les composés de la formule [Ia]. Cela découle de manière évidente des exemples de test 2 et 5 du brevet en cause. Aucune raison scientifique ne permet de douter de cet effet. En conséquence, il revient au requérant de prouver que l'effet n'est pas obtenu sur toute l'étendue de la revendication. Les documents D9, D10 et D23, présentés par le requérant, sont insuffisants pour apporter cette preuve. Plus précisément, les données présentées par le requérant dans D23 ne sont pas fiables et ne devraient pas être prises en considération. Dans D23, le procédé du brevet en cause a été modifié en ce que des aliments supplémentaires non traités ont été ajoutés durant la période d'essai. En outre, D23 montre que des concentrations similaires d'insecticide donnent lieu à des taux de mortalité très différents. Enfin, D23 utilise un agent d'épandage différent de celui du brevet en cause.

- Il n'existe aucun fondement juridique de la notion de "plausibilité" sur laquelle le requérant s'appuie. Même si un critère de plausibilité ab initio est appliqué, les documents D21 et D22 publiés ultérieurement devraient être pris en considération car les données expérimentales dans le brevet en cause ont rendu l'effet synergique plausible. Les données dans D21 et D22 montrent que l'effet synergique est obtenu sur toute l'étendue de la revendication 1.

- Plus précisément, D21 montre que le thiaméthoxam et un composé selon la formule [Ia] agissent de manière synergique contre le Chilo suppressalis. Le requérant n'a ni contesté ce résultat ni apporté de preuve contraire. Aucune raison scientifique n'exclut que cet effet synergique puisse être obtenu également avec d'autres combinaisons insecticides selon la revendication 1. En effet, la formule [Ia] ne couvre que des composés qui sont très similaires du point de vue chimique.

- En conséquence, le problème technique objectif doit au moins être considéré comme consistant à fournir une combinaison insecticide dont les insecticides agissent de manière synergique contre le Chilo suppressalis. La solution à ce problème n'est pas évidente car le synergisme est en soi imprévisible.

- Même si le problème technique objectif consiste à fournir une composition alternative, la solution offerte par le brevet en cause n'est pas évidente.

Motifs de la décision

L'invention

1. L'objet revendiqué

1.1 Le brevet en cause tel que délivré comprend deux jeux de revendications pour différents États contractants, soit :

- un jeu de revendications pour les États contractants IS et LT

- un jeu de revendications pour les États contractants AT, BE, CH, DE, DK, ES, FR, GB, GR, IT, LI, LU, MC, NL et SE

1.2 La revendication 1 du jeu de revendications pour les États contractants IS et LT se lit comme suit :

"Composition insecticide qui comprend du thiaméthoxam et un ou pas moins de deux types de composés étant choisis parmi un composé représenté par la formule [la] :

FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE

dans laquelle R1 est un atome d'halogène ou un groupe halogénoalkyle en C1-6, R2 est un atome d'halogène, R3 et R5 sont chacun un groupe alkyle en C1-6, R4 est un hydrogène ou un atome d'halogène, et X est N, ou un sel de celui-ci."

1.3 La revendication 1 du jeu de revendications pour les États contractants AT, BE, CH, DE, DK, ES, FR, GB, GR, IT, LI, LU, MC, NL et SE comprend le texte de la revendication 1 ci-dessus ainsi que la réserve suivante :

"sous réserve que les composés suivants sont exclus :

FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE

et

FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE"

1.4 Ainsi, les revendications 1 de chacun des jeux de revendications diffèrent l'une de l'autre uniquement en ce que la revendication 1 pour les États contractants AT, BE, CH, DE, DK, ES, FR, GB, GR, IT, LI, LU, MC, NL et SE contient un disclaimer. Ce disclaimer exclut les compositions qui contiennent du thiaméthoxam et au moins un des trois composés spécifiques mentionnés qui sont compris dans la définition générale de la formule [Ia].

Dans ce qui suit, il est fait référence au "jeu de revendications" ou, par exemple, à la "revendication 1" si l'argument s'applique de la même façon aux deux jeux de revendications ou à la revendication 1 des deux jeux.

2. Arrière-plan technique de l'invention

2.1 Le brevet en cause (paragraphes [0002] à [0004]) reconnaît, par référence aux documents de brevet précédemment publiés, que tant le thiaméthoxam que les composés selon la formule [Ia] étaient connus pour leur activité insecticide avant la date de priorité du brevet en cause. Selon ce brevet (paragraphe [0008]), les inventeurs ont découvert que des mélanges de thiaméthoxam et de composés selon la formule [Ia] peuvent avoir une activité insecticide qui est supérieure à celle qui aurait été attendue au regard de l'activité de chaque produit pris individuellement. En d'autres termes, selon le brevet en cause, une composition insecticide selon la revendication 1 peut présenter un effet sur-additif, c'est-à-dire synergique.

2.2 Afin d'établir si une certaine combinaison d'insecticides agit de manière synergique, le brevet en cause détermine en premier lieu les activités des différents insecticides, sachant que l'activité correspond au taux de mortalité, soit le pourcentage d'insectes morts, observé lorsqu'un nombre donné d'insectes sont exposés à une quantité donnée d'insecticide pendant un temps donné. À partir de ces activités prises individuellement, une activité attendue pour l'utilisation conjointe des deux insecticides est calculée en utilisant l'équation de Colby. Cette valeur de l'activité attendue correspond à un effet purement additif des deux insecticides. Si l'activité réellement déterminée de la combinaison des deux insecticides est supérieure à cette valeur attendue, les insecticides agissent ensemble de manière synergique. Si elle est inférieure à cette valeur, les insecticides de la combinaison agissent de manière antagoniste. Le recours à cette approche afin d'évaluer la présence ou l'absence de synergisme entre des insecticides n'a pas été contesté par les parties.

2.3 Le brevet en cause (paragraphe [0058]) comprend une liste d'exemples d'insectes nuisibles contre lesquels il est possible de lutter au moyen des compositions ci-avant. Les insectes nuisibles mentionnés incluent les espèces Spodoptera litura, Plutella xylostella et Chilo suppressalis (pour plus de détails, voir ci-après sous l'activité inventive).

Admission de D23

3. D23, déposé par le requérant avec son mémoire exposant les motifs du recours, visait à démontrer que le thiaméthoxam et le chlorantraniliprole, soit un composé selon la formule [Ia] de la revendication 1 (R**(1) = Br, R**(2) = Cl, R**(3) = Me, R**(4) = Cl, R**(5) = Me), n'agissent pas de manière synergique contre la Spodoptera littoralis et la Plutella xylostella selon certains rapports pondéraux. L'intimé a demandé que D23 ne soit pas admis dans la procédure.

4. En ce qui concerne l'admission de D23, l'historique de l'affaire doit être pris en compte.

4.1 Le requérant a produit D9 et D10 avec l'acte d'opposition. Ces deux comptes rendus d'expériences étaient destinés à montrer que la combinaison de thiaméthoxam et de chlorantraniliprole n'agit pas, du moins pas toujours, de manière synergique. D9 fait état d'essais sur le terrain et les insectes testés incluent les deux qui l'avaient été dans le brevet en cause, soit la Spodoptera litura et la Plutella xylostella.

L'intimé a critiqué les données dans D9 dans sa réponse à l'acte d'opposition et affirmé que les données du requérant ne pouvaient pas être invoquées.

Par la suite, la division d'opposition a accepté, dans l'annexe à la citation à la procédure orale, le raisonnement du requérant fondé sur D9 et D10 et a conclu "que les données expérimentales des comptes rendus D9 et D10 montrent que l'effet technique (synergisme) n'est pas obtenu sur toute la portée de la revendication 1" (page 17, avant-dernier paragraphe).

L'intimé a de nouveau critiqué le contenu tant de D9 que de D10 dans des lettres produites ultérieurement en date du 11 septembre 2017 et du 27 septembre 2017, et, par la première de ces lettres, il a déposé un jeu de données expérimentales D22. Ces données étaient destinées à montrer, entre autres, que le thiaméthoxam agit de manière synergique avec le chlorantraniliprole, contestant ainsi les conclusions du requérant dans D9 et D10.

Lors de la procédure orale, la division d'opposition a admis D22 dans la procédure et, en le prenant en considération, a accepté le synergisme comme effet technique des combinaisons d'insecticides revendiquées.

4.2 L'intimé avait certes, comme il l'a fait valoir devant la Chambre, critiqué le contenu de D9 et de D10 dans ses lettres du 11 septembre 2017 et du 27 septembre 2017, mais la Chambre ne voit pas - au vu de l'avis préliminaire de la division d'opposition en faveur du requérant - en quoi cela aurait nécessairement incité le requérant à déposer un nouveau jeu de données expérimentales.

En outre, la Chambre admet l'argument du requérant selon lequel les expériences qui conviendraient dans le présent contexte nécessitent du temps pour être menées. Elles sont réalisées sur des insectes vivants, elles doivent être répétées encore et encore pour des raisons statistiques et elles exigent un certain temps d'exécution, ce qui ajoute à leur complexité globale. Ainsi, même si la critique formulée par l'intimé dans les moyens produits après l'avis préliminaire de la division d'opposition avait été telle que l'insuffisance alléguée des données du requérant dans D9 et D10 était immédiatement apparue évidente, il aurait été déraisonnable d'attendre du requérant qu'il présente un nouveau jeu de données expérimentales étant donné qu'au moment de la présentation de ces moyens le 11 septembre 2017 et le 27 septembre 2017, il ne restait que deux mois à peine avant la procédure orale devant la division d'opposition, prévue pour le 28 novembre 2017.

De plus, la lettre présentée par l'intimé le 11 septembre 2017 contenait les nouvelles données expérimentales D22. C'est notamment en se fondant sur ces données supplémentaires déposées tardivement que la division d'opposition est revenue sur l'avis préliminaire qu'elle avait précédemment émis. Il est fait référence à cet égard au premier paragraphe de la page 23 de la décision sous "technical effect" (effet technique) : "Le résultat de l'exemple de test 2 du brevet en cause et les résultats des documents D21 et D22 démontrent que le synergisme est un effet obtenu en combinant le thiaméthoxam à des composés entrant dans la formule [Ia] de la revendication 1."

4.3 Au vu de ce qui précède, le dépôt par le requérant de D23, qui porte sur la même combinaison d'insecticides que celle figurant dans les documents D9 et D10 précédemment déposés par lui, doit être considéré comme étant une réaction légitime, intervenue en temps opportun, aux éléments suivants :

- le changement dans l'appréciation faite par la division d'opposition de D9 et de D10 lors de la procédure orale et dans sa décision écrite par rapport à celle qu'elle avait faite dans son avis préliminaire ; et

- le dépôt de D22 par l'intimé peu avant la procédure orale devant la division d'opposition.

5. L'intimé a fait valoir que D23 ne devait pas être admis au vu du raisonnement exposé dans la décision T 101/97. Or, dans l'affaire ayant donné lieu à cette décision, le requérant s'était appuyé exclusivement sur des documents nouvellement produits avec son mémoire exposant les motifs du recours et sur un usage antérieur se fondant sur ces documents. Ces documents n'avaient guère de lien avec ceux qui avaient été soumis dans la procédure d'opposition initiale (T 101/87 : paragraphes IV, 2 et 6). Selon la Chambre, cette décision concerne une situation totalement différente et sans rapport avec la présente espèce.

6. Pour les raisons susmentionnées, la Chambre a décidé d'admettre D23 dans la procédure de recours conformément à l'article 12(4) RPCR 2007 (applicable conformément à l'article 25(1) et (2) RPCR 2020).

Admission des figures 1 et 2 du mémoire exposant les motifs du recours, ainsi que de la discussion s'y rapportant

7. Comme indiqué plus haut, le compte rendu D9 porte sur des essais de terrain et a été déposé par le requérant avec son acte d'opposition. Le tableau dans D9 fait état de combinaisons contenant différentes quantités de thiaméthoxam et de chlorantraniliprole, ainsi que des résultats obtenus lorsqu'elles sont appliquées à différentes espèces d'insectes. Outre les activités respectives du thiaméthoxam et du chlorantraniliprole, ce tableau présente également les activités attendues calculées en utilisant l'équation de Colby, et les activités trouvées lors de l'application proprement dite des combinaisons.

Dans les figures 1 et 2 du mémoire exposant les motifs du recours, l'activité observée pour chaque combinaison de thiaméthoxam et de chlorantraniliprole de D9 est représentée en fonction de son activité attendue. L'intimé a demandé que ces figures et la discussion s'y rapportant ne soient pas admises dans la procédure car elles auraient pu être déposées lors de la procédure devant la division d'opposition et contenaient de nouvelles informations qui ne figuraient pas dans le dossier.

Dans sa notification établie au titre de l'article 15(1) RPCR 2020, la Chambre a indiqué qu'elle trouvait les arguments de l'intimé peu convaincants aux motifs que ces deux figures n'étaient qu'une représentation graphique des données dans D9 et que, contrairement à l'allégation de l'intimé, aucune information nouvelle ne semblait avoir été ajoutée par ces figures ou par la discussion s'y rapportant. Lorsque l'intimé a été invité à prendre position lors de la procédure orale devant la Chambre, il s'est contenté de se référer aux moyens qu'il avait présentés par écrit. En conséquence, la Chambre n'a vu aucune raison de s'écarter de son opinion provisoire et a décidé d'admettre dans la procédure les figures 1 et 2 du mémoire exposant les motifs du recours et la discussion s'y rapportant au titre de l'article 12(4) RPCR 2007 (applicable au titre de l'article 25(1) et (2) RPCR 2020).

Admission de D24

8. D24 est un document publié après les dates de priorité et de dépôt du brevet en cause, décrivant la découverte de la classe d'insecticides des diamides anthraniliques (c'est-à-dire la classe à laquelle appartiennent les insecticides selon la formule [Ia] de la revendication 1) ainsi que la mise au point de deux membres spécifiques de cette classe, à savoir le chlorantraniliprole et le cyantraniliprole. Le requérant a demandé que D24 ne soit pas admis.

8.1 L'intimé a fait valoir que D24 avait été déposé en réponse à la notification émise par la Chambre au titre de l'article 15(1) RPCR 2020. Dans cette notification, la question de savoir si un effet technique était obtenu sur toute l'étendue des revendications du brevet en cause tel que délivré avait été identifiée comme question qu'il convenait éventuellement d'aborder en ce qui concerne l'activité inventive. Selon l'intimé, il s'agissait d'une question nouvelle soulevée pour la première fois dans cette notification de la Chambre et D24 avait été déposé pour y répondre. Le fait que cette question ait été mentionnée dans le mémoire exposant les motifs du recours n'y changeait rien. Plus précisément, cette question n'avait été abordée que dans la partie relative au contexte dudit mémoire, sans que ne soit précisé le lien avec les motifs proprement dits du recours. Il n'aurait pas pu être attendu de l'intimé qu'il identifie d'éventuelles questions mentionnées seulement dans cette partie. En conséquence, selon lui, D24 devait être admis dans la procédure.

8.2 D24 a été déposé par l'intimé par sa lettre en date du 22 juin 2021, soit après la signification de la citation à la procédure orale (l'intimé avait accusé réception de la signification par télécopie, le 29 septembre 2020), qui est intervenue après l'entrée en vigueur du nouveau règlement de procédure des chambres de recours. Dans ces circonstances, "[t]oute modification des moyens présentée par une partie ... n'est, en principe, pas prise en compte, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, que la partie concernée a justifiées avec des raisons convaincantes" (articles 25(1) et (3), et 13(2) RPCR 2020). Le dépôt d'un document entièrement nouveau, tel que D24, est considéré comme une modification des moyens invoqués par l'intimé dans le cadre du recours. Comme expliqué ci-après, les justifications fournies par l'intimé pour n'avoir déposé D24 que par la lettre en date du 22 juin 2021 ne sont pas convaincantes et, ne serait-ce que pour cette raison, elles ne satisfont pas à l'exigence de l'article 13(2) RPCR 2020, aux termes duquel il doit exister des "circonstances exceptionnelles, que la partie concernée a justifiées avec des raisons convaincantes".

Comme indiqué ci-dessus, D24 avait été déposé pour traiter la question de savoir si l'effet technique était obtenu sur toute l'étendue des revendications du brevet en cause tel que délivré. Comme relevé à juste titre par l'intimé, l'étendue des revendications du brevet en cause est abordée dans la partie du mémoire exposant les motifs du recours relative au contexte. Par exemple, au point 9, il est fait mention du caractère général de la formule [Ia] de type Markush et, en ce qui concerne l'annexe 1, il est indiqué qu'elle couvre au moins 10 millions de composés. Cependant, l'étendue de cette formule de type Markush est de nouveau abordée dans les parties suivantes du mémoire exposant les motifs du recours. Par exemple, au point 60, il est fait référence à la multitude de combinaisons couvertes par la revendication de type Markush et il est expliqué que, pour cette raison, l'effet synergique n'était pas plausible pour l'ensemble des combinaisons d'insecticides revendiquées. De ce fait, contrairement à l'affirmation de l'intimé, il existe clairement un lien entre la partie relative au contexte et les parties suivantes du mémoire exposant les motifs du recours, et il ne fait aucun doute que cette question était clairement soulevée par le requérant. Aussi la notification émise par la Chambre réitérant cette question ne constitue-t-elle pas une circonstance exceptionnelle au sens de l'article 13(2) RPCR 2020.

8.3 En conséquence, la Chambre a décidé de ne pas admettre D24 dans la procédure.

La requête principale (brevet en cause tel que délivré)

9. Suffisance de l'exposé (article 100b) CBE)

Le requérant a principalement fait valoir que le brevet en cause ne contenait aucune indication qui permettait à l'homme du métier de déterminer laquelle parmi les très nombreuses combinaisons de composés revendiquées pouvait produire un effet synergique, et ce dans quelles proportions, ou sur quelles cultures et contre quels organismes nuisibles. En conséquence, l'homme du métier devait mener des expériences aléatoires par tâtonnements, tester encore et encore les différentes combinaisons d'ingrédients connus jusqu'à parvenir par hasard à un rapport d'ingrédients spécifiques présentant une synergie. Un tel projet de recherche était de toute évidence constitutif d'un effort excessif.

Cet argument du requérant n'est pas convaincant. Ainsi que l'indique à juste titre la décision attaquée, le synergisme n'est pas une caractéristique des revendications du brevet en cause. En conséquence, que cet effet soit obtenu ou non sur toute l'étendue des revendications ne doit pas être apprécié au titre de l'article 100b) CBE mais au titre de l'article 56 CBE (G 1/03 (JO 2004, 413), point 2.5.2 des motifs).

10. Nouveauté (article 54 CBE)

Le requérant a maintenu ses objections pour défaut de nouveauté soulevées lors de la procédure devant la division d'opposition, sur le fondement de D8 (contre la revendication 1) et de D4 (contre les revendications 1 à 3).

10.1 Objection pour absence de nouveauté sur le fondement de D8

10.1.1 D8 a été publié le 2 juin 2005, soit après la date de dépôt de la demande de brevet en cause (le 21 février 2005). Par comparaison avec la demande de brevet européen / le brevet européen (publié sous le numéro EP 1 686 857) issu de D8, le brevet en cause désigne en outre IS et LT. En conséquence, D8 :

- ne fait pas partie de l'état de la technique en ce qui concerne le jeu de revendications pour les États contractants IS et LT (voir la décision du Conseil d'administration du 28 juin 2001 relative aux dispositions transitoires au titre de l'article 7 de l'acte de révision de la Convention sur le brevet européen du 29 novembre 2000, article premier (1) ensemble l'article 54(4) CBE 1973, l'article 158(1) et (2) CBE 1973, et la règle 107(1)d) CBE 1973)

- fait partie de l'état de la technique en vertu de l'article 54(3) CBE en ce qui concerne le jeu de revendications pour les États contractants AT, BE, CH, DE, DK, ES, FR, GB, GR, IT, LI, LU, MC, NL et SE (voir, cependant, point 10.1.4 ci-après)

10.1.2 D8 (revendications 1 et 4) divulgue un agent contenant une combinaison de composés de formules I et II-1 active synergétiquement. D8 (page 9, lignes 5 à 6) divulgue également que six composés spécifiques selon la formule I sont particulièrement préférés. Parmi ces composés se trouve le composé Ig, qui est le thiaméthoxam tel que mentionné à la revendication 1 du brevet en cause.

Le requérant a fait valoir que la formule II-1 dans D8 et la formule [Ia] de la revendication 1 du brevet en cause se recoupaient de manière significative et, qu'en outre, le thiaméthoxam faisait partie d'un très petit groupe de seulement six composés utilisés de préférence en combinaison avec les composés de la formule II-1. Selon lui, l'objet de la revendication 1 du brevet en cause n'était donc pas nouveau au regard de D8.

10.1. 3 Cet argument n'est pas convaincant. En ce qui concerne le thiaméthoxam, une première sélection à partir d'une liste de six composés est nécessaire pour parvenir à la revendication 1 du brevet en cause. En outre, la formule II-1 est définie dans D8 à la revendication 4 et de la page 13, ligne 35 à la page 14, ligne 31. Or, même dans sa définition préférée et la plus restreinte (page 14, lignes 24 à 31), la portée de la formule II-1 ne recoupe qu'en partie celle de la formule [Ia] de la revendication 1 du brevet en cause, de sorte que des parties de la formule II-1 n'entrent pas dans la définition de la formule [Ia]. Par exemple, dans la formule II-1 :

- R**(2)/R**(3) peut représenter CH3 et C1-4-alkyl

- R**(4) peut représenter CF3, OCF3, F, Cl, Br ou I

- R**(5) peut représenter CF3 ou OCF3

- R**(9) peut représenter OCF2H ou OCH2CF3.

Ces options ne sont pas prévues dans la formule [Ia] (voir les définitions de NHR**(5), R**(3), R**(4) et R**(1), respectivement). Aussi une autre sélection (une seconde sélection) est-elle nécessaire pour parvenir à la revendication 1 du brevet en cause.

Selon la jurisprudence constante des chambres de recours, une telle double sélection à partir d'un document de l'état de la technique crée un objet nouveau à moins qu'il n'existe un indice dans le document de l'état de la technique de cette double sélection. En l'espèce, cet indice n'existe pas. D8 ne divulgue pas que le thiaméthoxam est le composé préféré parmi les six composés mentionnés à la page 9, lignes 5 et 6. En outre, il n'existe dans D8 aucune indication que le recoupement des formules II-1 et [Ia] (ou une partie encore plus petite du recoupement) serait généralement préféré.

Contrairement à l'argument du requérant, le raisonnement suivi dans T 12/90 ne contredit pas la conclusion ci-dessus car cette décision porte sur le recoupement de formules de type Markush uniquement. Or, en l'espèce, il y a non seulement les formules de type Markush II-1 et [Ia] qui se recoupent, mais aussi une liste supplémentaire de six composés à partir de laquelle un composé doit être sélectionné.

10.1.4 En outre, la date de dépôt de D8 est postérieure aux dates de priorité du brevet en cause. Le requérant n'a pas contesté la validité de la revendication de priorité du brevet en cause et la Chambre ne voit aucune raison pour qu'elle ne soit pas valable. En d'autres termes, l'objet divulgué dans D8 ne peut être destructeur de nouveauté que s'il est également contenu dans l'une ou l'autre des demandes D8P1 et / ou D8P2 dont D8 revendique la priorité (il a été supposé en faveur du requérant que tel était le cas des passages de D8 susmentionnés).

D8 fournit également une liste de composés préférés selon la formule II-1 aux pages 15 à 17. Cependant, parmi ces composés, seulement II-1-1 à II-1-16 sont divulgués dans D8P1 (tableau aux pages 16 et 17) et dans D8P2 (tableau aux pages 16 et 17), et seulement six (II-1-1, II-1-3, II-1-4, II-1-9, II-1-11 et II-1-12) suivent la formule [Ia] de la revendication 1 du brevet en cause, ce qui montre de nouveau qu'il n'existe aucun indice de la (seconde) sélection. D8 (pages 21 à 27) divulgue également des combinaisons préférées de composés selon les formules I et II-1. Cependant, seul un petit nombre représente des combinaisons de thiaméthoxam et d'un composé de formule [Ia] dans le brevet en cause. Parmi ce petit nombre de combinaisons, seules trois sont divulguées dans D8P1 (page 17, ligne 8 à page 18, ligne 28) et dans D8P2 (page 17, ligne 8 à page 18, ligne 28) :

Ig et II-1-9

Ig et II-1-11

Ig et II-1-12

Or, ces combinaisons sont exclues par disclaimer de l'objet de la revendication 1 du jeu de revendications pour les États contractants AT, BE, CH, DE, DK, ES, FR, GB, GR, IT, LI, LU, MC, NL et SE. En outre, comme indiqué ci-avant (point 10.1.1), D8 ne fait pas partie de l'état de la technique en ce qui concerne le jeu de revendications pour les deux États contractants restants, IS et LT.

10.2 Objection pour absence de nouveauté fondée sur D4 (état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE)

10.2.1 L'argumentation avancée par le requérant fondée sur D4 était très similaire à celle fondée sur D8.

Le requérant a fait valoir que D4 (revendication 1) divulguait une formule générale 1 de type Markush qui recoupait dans une grande mesure la formule [Ia] de la revendication 1 du brevet en cause. D4 divulguait également des compositions comprenant un composé de formule 1 et un composé biologiquement actif supplémentaire tel que le thiaméthoxam (page 59, lignes 9 à 27). Aussi a-t-il soutenu que D4 était destructeur de nouveauté pour l'objet des revendications 1 à 3 du brevet en cause.

10.2.2 À l'instar des arguments relatifs à D8, cette argumentation n'est pas convaincante. Dans D4 (page 59, ligne 12 et suivantes, notamment ligne 27 ; revendication 12), le thiaméthoxam n'est divulgué que dans une longue liste de composés biologiquement actifs supplémentaires possibles. D4 ne divulgue pas que le thiaméthoxam est préféré. La formule 1 est définie dans D4 à la revendication 1. De même que pour D8, la portée de la formule 1 de D4 recoupe simplement celle de la formule [Ia] de la revendication 1 du brevet en cause, de sorte que des parties de la formule 1 n'entrent pas dans la définition de la formule [Ia]. Par exemple, dans la formule 1 :

- R**(1) peut représenter F, Cl ou Br

- R**(2) peut représenter CF3

- R**(3) peut représenter OCH2CF3

- R**(4a)/R**(4b) peut représenter CH3 et C1-4-alkyl.

Ces options ne sont pas prévues dans la formule [Ia] (voir les définitions de R3, R4, R1 et NHR5, respectivement). Il n'existe dans D4 aucune indication que le recoupement des formules 1 et [Ia] (ou une partie encore plus petite du recoupement) serait généralement préféré. Parmi les composés selon la formule 1 figurant au tableau 1 (page 37 et suivantes) et au tableau A (page 63 et suivantes), seul un petit nombre entre dans la définition de la formule [Ia]. D4 divulgue également des listes plus limitées de 16 composés préférés selon la formule 1 (page 4, ligne 30 à page 5, ligne 26 ; revendication 8). Cependant, les quatre derniers composés de ces listes n'entrent pas dans la définition de la formule [Ia]. Aussi une seconde sélection est-elle là aussi nécessaire pour parvenir à la revendication 1 du brevet en cause.

10.3 Dans sa lettre en date du 19 avril 2021, le requérant a en outre fait valoir que les sélections respectives à partir de D8 et de D4 devaient, le cas échéant, être effectuées à dessein pour que la nouveauté soit reconnue. Le requérant a relevé que le troisième critère du test en trois parties pour l'appréciation de la nouveauté d'une plage de valeurs limitée sélectionnée à partir d'une plage de valeurs plus large n'était plus appliqué par la plupart des chambres, et ce à tort, selon lui. Dans ce contexte, le requérant a déposé, avec sa seconde lettre du 22 avril 2021, une correspondance entre l'epi et le Président de l'Office européen des brevets.

Ainsi que l'indique à juste titre le requérant, le critère de la "sélection effectuée à dessein" a été élaboré en ce qui concerne une sélection d'une plage de valeurs limitée à partir d'une plage de valeurs plus large. En conséquence, la jurisprudence n'est pas applicable au cas d'espèce qui ne porte pas sur des plages de valeurs et qui concerne de surcroît une double sélection, à savoir i) à partir d'une liste plus longue de composés et ii) à partir d'un ensemble de composés définis sous la forme d'une formule de type Markush. L'argument du requérant n'est donc pas convaincant.

10.4 En conséquence, l'objet de la revendication 1 est nouveau par rapport à D8 et, de plus, l'objet de la revendication 1, et donc aussi des revendications dépendantes 2 et 3, est nouveau par rapport à D4. La décision attaquée est ainsi confirmée sur ce point également.

11. Saisine - Introduction

11.1 Après avoir conclu à la suffisance de l'exposé et à la nouveauté, le critère suivant devant être apprécié était celui de l'activité inventive. Lors de cette appréciation, il s'est révélé nécessaire de soumettre des questions à la Grande Chambre de recours afin de déterminer si des moyens de preuve non accessibles au public avant la date de dépôt de la demande de brevet en cause puis présentés après cette date ("moyens de preuve publiés ultérieurement") pouvaient être pris en considération au vu de la jurisprudence des chambres de recours relative à la plausibilité.

11.2 Pour qu'une saisine soit recevable, il est généralement considéré comme nécessaire que la décision rendue sur les questions soumises à la Grande Chambre soit déterminante pour l'issue de l'affaire concernée.

Ainsi qu'il ressort clairement de ce qui précède, les objections soulevées par le requérant pour insuffisance de l'exposé et absence de nouveauté ont échoué. La reconnaissance ou non de l'activité inventive sera en conséquence déterminante pour l'issue de cette affaire.

En ce qui concerne l'activité inventive, l'intimé s'est notamment appuyé sur le moyen de preuve publié ultérieurement D21, au soutien d'un effet synergique. Eu égard aux positions différentes des parties sur l'applicabilité de la jurisprudence relative à la plausibilité, elles ont toutes deux formulé des requêtes inverses sur la question de savoir si D21 devait être pris en considération.

11.3 La Chambre a évalué si D21 était pertinent aux fins de l'activité inventive car ce n'est que dans l'affirmative que la réponse à la question de savoir si des moyens de preuve publiés ultérieurement tels que D21 peuvent être pris en considération importe pour l'activité inventive et donc pour l'issue de l'affaire.

La Chambre fait observer que le requérant a lui aussi invoqué des moyens de preuve publiés ultérieurement dans le cadre de l'appréciation de l'activité inventive, à savoir D23.

Après que la Chambre a décidé d'admettre D23 pour des motifs de procédure (voir supra), l'intimé n'a pas contesté que D23 pouvait être pris en considération. D23 a donc été pris en compte lors de l'appréciation de l'activité inventive par la Chambre. Cependant, la Chambre garde à l'esprit, et a souligné lors de la procédure orale, que D23 constitue un moyen de preuve publié ultérieurement et qu'il ne peut être exclu que la question de savoir s'il peut ou non être pris en considération soit réexaminée après la décision de la Grande Chambre.

12. Pertinence du moyen de preuve publié ultérieurement D21 pour l'activité inventive

12.1 Comme indiqué ci-dessus, la question de savoir si le moyen de preuve publié ultérieurement D21 était pertinent pour établir l'activité inventive a été examinée. La Chambre a donc utilisé l'approche problème-solution sans D21 (point 12.4) puis avec D21 (point 12.5) afin de répondre à cette question.

12.2 Les deux parties ont convenu que D4 constituait l'état de la technique le plus proche. La Chambre n'a vu aucune raison de s'écarter de cette position unanime.

12.3 Compte tenu de l'appréciation ci-dessus en ce qui concerne la nouveauté au regard de D4 et conformément à la décision attaquée, l'objet de la revendication 1 du brevet en cause est distinct de D4 en ce que le thiaméthoxam comme les composés selon la formule [Ia] doivent être sélectionnés à partir de chacun des enseignements plus larges de D4.

12.4 L'approche problème-solution sans D21

En tant qu'effet technique lié aux caractéristiques distinctives, l'intimé a invoqué l'effet synergique résultant de la combinaison revendiquée des composés et a renvoyé aux exemples de test 2 et 5 du brevet en cause.

12.4.1 Les exemples de test 2 et 5 du brevet en cause sont les seuls exemples dans lesquels les compositions insecticides selon la revendication 1 sont testées sur différentes espèces d'insectes. L'exemple de test 2 montre que la combinaison de thiaméthoxam et du composé I-1 (dans la formule [Ia] : R**(1) = CF3, R**(2) = Cl, R**(3) = Me, R**(4) = H, R**(5) = i-Pr) agit synergétiquement contre la Spodoptera litura lorsque les deux insecticides sont utilisés à un rapport pondéral de 1:1. De la même manière, l'exemple de test 5 montre que la combinaison de thiaméthoxam et du composé I-4 (dans la formule [Ia] : R**(1) = CI, R**(2) = Cl, R**(3) = Me, R**(4) = CI, R**(5) = i-Pr) agit synergétiquement contre la Plutella xylostella lorsque les deux insecticides sont utilisés selon un rapport pondéral de 1:1.

12.4.2 Aussi convient-il de répondre à la question de savoir si les exemples de test 2 et 5 du brevet en cause apportent la preuve valable que l'objet revendiqué produit un effet synergique au moins sur la Spodoptera litura et la Plutella xylostella. Si tel est le cas, le problème technique objectif pourrait être formulé comme consistant à fournir une composition insecticide qui agit de manière synergique contre la Spodoptera litura et la Plutella xylostella.

12.4.3 Le requérant n'a pas contesté ces résultats du brevet en cause. Cependant, il s'est référé à ses tests décrits dans D23. Comme indiqué ci-dessus, D23 est utilisé pour montrer que la combinaison de thiaméthoxam et de chlorantraniliprole, soit un composé qui entre dans la formule [Ia] de la revendication 1, mais qui est différent de ceux utilisées dans les exemples de test 2 et 5, n'agit pas de manière synergique contre la Spodoptera littoralis et la Plutella xylostella selon certains rapports pondéraux.

12.4.4 L'intimé a fait valoir qu'au vu des différences entre D23 et les exemples de test du brevet en cause, les résultats dans D23 n'avaient aucune incidence sur la pertinence de ces exemples de test. La Chambre ne partage pas cette analyse.

Les deux exemples pertinents de D23 sont les exemples 5 et 6. L'espèce utilisée dans l'exemple 6 de D23 (Plutella xylostella) est la même que celle utilisée dans l'exemple 5 du brevet en cause. L'espèce utilisée dans l'exemple de test 5 de D23 (Spodoptera littoralis) est différente de celle utilisée dans l'exemple 2 du brevet en cause (Spodoptera litura). Cependant, le requérant a déclaré que l'espèce Spodoptera littoralis était très voisine de l'espèce Spodoptera litura et que, en conséquence, les mêmes résultats devaient être attendus lorsque les combinaisons insecticides de l'exemple 5 de D23 étaient utilisées sur la Spodoptera litura. L'intimé n'a pas contesté cette déclaration du requérant et la Chambre ne voit aucune raison d'en douter.

En outre, comme l'a affirmé le requérant, le procédé général utilisé dans D23 est en grande partie analogue à celui décrit dans le brevet en cause. Les insectes ont été exposés à des parties de végétaux traitées avec un insecticide ou une combinaison d'insecticides. Après une période d'exposition, l'activité de l'insecticide ou des insecticides (soit le taux de mortalité) a été déterminée.

Cette procédure a dû être modifiée dans les expériences menées sur la Spodoptera littoralis en ce que d'autres parties de végétaux non traitées ont été ajoutées après que les parties de végétaux traitées avaient été totalement ingérées par les insectes. Cependant, cela n'a fait qu'éviter que les insectes meurent prématurément de faim et que les résultats soient ainsi faussés puisqu'ils auraient sinon été attribuables non seulement aux insecticides mais aussi à la privation de nourriture.

Enfin, dans les compositions tests de D23, le requérant a utilisé un agent d'épandage différent de ceux utilisés dans les exemples de test 2 et 5 du brevet en cause. Cependant, la composition de la revendication 1 n'est pas limitée à cet égard et peut en définitive comprendre tout agent d'épandage.

Contrairement à ce qu'avance l'intimé, les modifications apportées par le requérant au procédé utilisé dans le brevet en cause ne peuvent donc pas remettre en question la validité des expériences dans D23.

12.4.5 Dans D23, des expériences dose-réponse ont d'abord été menées afin d'établir des plages de concentration appropriées de thiaméthoxam et de chlorantraniliprole pour les expériences de synergie proprement dites. Comme indiqué ci-dessus, les expériences de synergie proprement dites sont décrites aux exemples 5 et 6 de D23. Lors de ces expériences, les activités des deux insecticides, le thiaméthoxam et le chlorantraniliprole, ont initialement été définies de nouveau individuellement. Il est possible, comme l'a fait valoir l'intimé, que des activités individuelles définies pour le thiaméthoxam ou le chlorantraniliprole lors d'expériences dose-réponse aient été différentes de celles définies aux exemples 5 et 6. Cependant, selon la Chambre, la validité des résultats décrits dans les exemples 5 et 6 ne peut pas être remise en question pour autant puisque i) les expériences menées sur des organismes vivants sont naturellement soumises à des fluctuations et que des écarts entre différentes séries d'expériences ne sont donc pas rares, et que ii) les activités décrites pour chacun des insecticides des exemples 5 et 6 suivent une tendance nette, à savoir qu'elles sont plus faibles lorsque la quantité d'insecticide décroît. La réponse en défense de l'intimé concernant cette allégation de manque de fiabilité n'étant pas convaincante, il n'était pas nécessaire lors de la procédure orale de statuer sur la requête du requérant tendant à ce qu'elle ne soit pas admise dans la procédure. En résumé, la Chambre considère que les résultats décrits aux exemples 5 et 6 de D23 sont valables.

12.4.6 Dans l'exemple 5 de D23, l'effet de la combinaison de thiaméthoxam et de chlorantraniliprole contre la Spodoptera littoralis a été défini selon 25 rapports pondéraux différents, dans une plage comprise entre 3840:1 et 15:1 (thiaméthoxam:chlorantraniliprole). Dans l'exemple 6, l'effet de la même combinaison a été déterminé contre la Plutella xylostella, selon 25 rapports pondéraux différents, dans une plage comprise entre 16000:1 et 62,5:1.

Comme il ressort des tableaux des exemples 5 et 6 de D23, dans les deux cas, le thiaméthoxam et le chlorantraniliprole n'agissent pas de manière synergique selon tous les rapports pondéraux ; à l'évidence, ils agissent même de manière antagoniste selon certains rapports pondéraux. Par exemple, alors que le taux de mortalité attendu dans l'expérience 6 selon un rapport pondéral de 100:0,0125 (thiaméthoxam:chlorantraniliprole) était de 62 %, le taux de mortalité observé n'était que de 14 %. S'agissant des deux espèces particulières concernées, il n'est pas possible d'identifier une nette tendance à la synergie sur toute la gamme de rapports pondéraux testée.

La revendication 1 n'étant pas limitée aux composés I-1 et I-4 utilisés dans les exemples de test 2 et 5 et /ou à leurs rapports pondéraux relativement au thiaméthoxam, les combinaisons d'insecticides dont les rapports pondéraux ont été testés dans D23 sont aussi couverts par l'objet de la revendication 1.

Il peut donc être conclu que l'effet synergique décrit dans le brevet en cause pour la Plutella xylostella et la Spodoptera litura n'est pas obtenu sur toute l'étendue de la revendication 1.

12.4.7 En conséquence, uniquement au vu des données expérimentales dans le brevet en cause et à la lumière de D23, il faudrait formuler le problème technique objectif de manière moins ambitieuse comme consistant à fournir une composition insecticide alternative.

12.4.8 D4 divulgue l'activité insecticide tant du thiaméthoxam que des composés selon la formule [Ia] de la revendication 1. Par ailleurs, le brevet en cause indique lui-même que l'activité insecticide de ces composés était connue avant la date de priorité dudit brevet (voir ci-dessus). Or, le fait de combiner arbitrairement des composés connus pour leur activité insecticide afin d'obtenir une composition insecticide alternative n'implique pas d'activité inventive.

12.4.9 Par conséquent, sans D21, c'est-à-dire uniquement au vu des données expérimentales du brevet en cause et à la lumière de D23, il ne pourrait pas être fait droit à la requête principale.

12.5 L'approche problème-solution avec D21

Il est examiné ci-dessous si cette conclusion change lorsque D21 est pris en considération.

12.5.1 L'intimé s'est référé à l'exemple 4 de D21. Cet exemple traite d'une espèce différente de celle utilisée dans les exemples de test 2 et 5 du brevet en cause ou dans D23. L'exemple 4 montre que le thiaméthoxam et le composé I-1, soit un composé selon la formule [Ia] de la revendication 1, selon un rapport pondéral de 1:8, agissent de manière synergique contre l'espèce d'insecte Chilo suppressalis. Une question litigieuse entre les parties était de savoir si, au vu de ce qui précède, le problème technique objectif pouvait être formulé comme consistant à fournir une composition insecticide qui agit de manière synergique contre le Chilo suppressalis.

Le résultat dans l'exemple 4 de D21 n'a pas été en soi contesté par le requérant, lequel n'a pas non plus produit de preuve contraire concernant cette espèce dans D9, D10 ou D23 pouvant remettre en question le résultat.

Cependant, le requérant a fait valoir que cet exemple isolé de D21 ne constituait pas une preuve valable de l'effet synergique contre le Chilo suppressalis pour toutes les compositions insecticides couvertes par la revendication 1. En effet, selon les calculs prudents du requérant à l'annexe 1, la formule [Ia] couvrait plus de 10 millions de composés.

La Chambre n'est pas d'accord. Au vu des données dans D21 et en l'absence de toute preuve contraire apportée par le requérant, la Chambre ne voit aucune raison de ne pas reconnaître cet effet synergique contre le Chilo suppressalis également pour d'autres compositions insecticides couvertes par la revendication 1, c'est-à-dire des compositions insecticides comprenant du thiaméthoxam et un composé de formule [Ia] différent du composé I-1.

Cette position est en outre étayée par le fait que la variabilité de la formule [Ia] est plutôt limitée en termes chimiques. L'ensemble des composés repose sur la même structure centrale caractéristique, à savoir une partie amide d'acide anthranilique acylée avec un acide (pyridin-2-yl)-1H- pyrazole-5-carboxylique. Les groupes R1 à R5 admettent différents substituants, en particulier les groupes alkyles et haloalkyles. Selon les calculs du requérant à l'annexe 1, le nombre de composés couverts par la formule [Ia] est très élevé précisément du fait de ces groupes alkyles et haloalkyles. Cependant, les composés de la formule [Ia] et en particulier ceux ayant des groupes alkyles ou haloalkyles différents, ne sont pas, du moins d'après la Chambre, si différents chimiquement pour qu'un comportement différent soit nécessairement attendu en combinaison avec le thiaméthoxam.

Par conséquent, l'effet synergique observé dans l'exemple 4 de D21 contre l'espèce d'insecte Chilo suppressalis peut être reconnu comme étant obtenu sur toute l'étendue de la revendication 1 à condition que D21 puisse être pris en considération.

12.5.2 Compte tenu des données publiées ultérieurement dans D21 et conformément aux arguments de l'intimé, il faudrait formuler le problème technique objectif comme consistant à fournir une composition insecticide dans laquelle les insecticides agissent de manière synergique contre le Chilo suppressalis. Comme expliqué lors de la procédure orale, la Chambre n'a rien à redire à la formulation plus spécifique de ce problème technique objectif qui inclut également une espèce d'insecte spécifique. En effet, il serait techniquement absurde d'exiger une action de synergisme à l'égard de chaque espèce d'insecte (voir pour un point de vue semblable, bien que concernant la suffisance de l'exposé, la décision T 1326/08, point 4.2.2 des motifs). L'intimé ne s'est pas non plus opposé à la formulation de ce problème technique objectif.

12.5.3 Le requérant a toujours fait valoir que le problème technique objectif consistait à fournir une composition insecticide alternative. Il n'a jamais abordé la question de l'évidence sur la base du problème technique objectif plus ambitieux susmentionné. De fait, l'homme du métier confronté au problème technique objectif plus ambitieux susmentionné n'aurait trouvé dans l'état de la technique aucune suggestion lui permettant de parvenir à l'objet revendiqué. Ne serait-ce que pour cette raison, une activité inventive devrait être reconnue, à condition que D21 puisse être pris en considération.

12.6 En résumé, il ne serait pas fait droit à la requête principale si seules les données dans le brevet en cause et dans D23 pouvaient être prises en considération. Si les données publiées ultérieurement dans D21 pouvaient également être prises en considération, la requête principale serait acceptable. En conséquence, le sort de la requête principale dépend de manière déterminante de la question de savoir si les données publiées ultérieurement dans D21, qui représentent l'unique preuve d'un effet synergique contre le Chilo suppressalis, peuvent être prises en considération.

13. Nécessité de la saisine

13.1 Comme indiqué ci-dessous, la question de savoir si des moyens de preuve publiés ultérieurement, tels que D21, peuvent être pris en considération est une question de droit fondamentale pour laquelle des lignes jurisprudentielles divergentes existent.

13.2 Aux fins de l'appréciation de l'activité inventive, l'approche problème-solution est régulièrement appliquée par les instances de l'OEB (Jurisprudence des Chambres de recours de l'Office européen des brevets, 9**(e) édition, 2019 (CLBA), I.D.2). Cette approche exige, entre autres, de :

- déterminer l'état de la technique le plus proche (qui n'est pas nécessairement celui mentionné dans le brevet en cause ou envisagé par le titulaire du brevet) ;

- comparer l'objet de la revendication en cause et la divulgation de l'état de la technique le plus proche et d'identifier la différence (les différences) entre les deux ;

- déterminer l'effet (les effets) technique(s) découlant de cette différence (ces différences) ; et

- formuler le problème technique objectif, c'est-à-dire le problème qui peut être perçu comme ayant effectivement été résolu à la lumière de l'état de la technique le plus proche.

Au cours de cette analyse, il est souvent nécessaire, comme en l'espèce, de produire des moyens de preuve publiés ultérieurement (c'est-à-dire des moyens de preuve qui n'étaient pas accessibles au public avant la date de dépôt de la demande de brevet en cause et qui ont été produits après cette date) établissant que le problème a été résolu (c'est-à-dire que l'effet technique allégué a effectivement été obtenu). Il en est ainsi notamment quand le problème technique objectif doit être reformulé, par exemple, au regard d'un document de l'état de la technique le plus proche jusque-là inconnu du titulaire du brevet.

Si la preuve de la résolution d'un problème (en l'espèce, celui de fournir une composition insecticide dans laquelle les insecticides agissent de manière synergique contre le Chilo suppressalis) repose sur ce moyen publié ultérieurement (en l'occurrence D21), il existe, selon la Chambre, trois lignes divergentes de la jurisprudence des chambres de recours relatives aux conditions dans lesquelles le moyen de preuve peut ou non être pris en compte. La discussion qui suit identifie ces lignes jurisprudentielles divergentes.

13.3 En premier lieu, la Chambre fait observer ce qui suit :

13.3.1 La question de savoir si D21 peut ou non être pris en considération a été soulevée en l'espèce dans le contexte de l'activité inventive car l'effet synergique fait partie du problème à résoudre. Dans d'autres affaires, la même question, c'est-à-dire celle de savoir si des moyens de preuve publiés ultérieurement peuvent être pris en considération, a été soulevée au titre de la suffisance de l'exposé car l'effet était décrit dans la revendication en cause. Qu'un effet fasse partie du problème à résoudre ou soit décrit dans la revendication en cause détermine quelle disposition de la CBE s'applique (G 1/03 (JO OEB 2004, 413), point 2.5.2 des motifs), mais n'a aucune incidence - du moins selon la présente Chambre - sur les considérations relatives à la question susmentionnée. En conséquence, non seulement les décisions qui traitent cette question au titre de l'article 100a) et / ou de l'article 56 CBE, mais également celles qui la traitent au titre de l'article 100b) et / ou l'article 83 CBE, sont mentionnées ci-dessous.

13.3.2 La discussion qui suit porte sur la question de savoir si des moyens de preuve publiés ultérieurement peuvent être pris en considération pour des motifs liés au fond, en fonction de la plausibilité de l'effet technique d'après les preuves produites. Cette discussion ne doit pas être confondue avec la question de savoir si des moyens de preuve publiés ultérieurement peuvent être pris en considération pour des motifs d'ordre procédural, notamment au regard des articles 12 et 13 RPCR. La discussion qui suit part de la prémisse que les moyens de preuve publiés ultérieurement dont il s'agit font bien partie de la procédure de recours.

13.4 Plausibilité ab initio

Conformément à une première ligne jurisprudentielle, des moyens de preuve publiés ultérieurement ne peuvent être pris en considération que si, compte tenu de la demande telle que déposée et des connaissances générales de l'homme du métier à la date de dépôt, ce dernier aurait eu des raisons de supposer que l'effet technique allégué était obtenu. Selon cette ligne jurisprudentielle, des données expérimentales ou une explication scientifique dans la demande telle que déposée constituent en général le fondement d'une telle supposition. Le critère ainsi appliqué est désigné ci-après critère de la "plausibilité ab initio". La ligne jurisprudentielle qui applique ce critère est désignée ci-après "ligne jurisprudentielle de la plausibilité ab initio".

13.4.1 Par exemple, dans la décision T 1329/04, la demande sous-jacente telle que déposée portait sur un nouveau polypeptide (dénommé facteur de différenciation de croissance 9 (GDF-9)), et le mentionnait comme étant un nouveau membre de la superfamille du facteur de croissance transformant bêta (TGF-beta). Une variante dans la revendication en cause portait sur le GDF-9. Au vu de l'état de la technique le plus proche, le problème à résoudre était défini comme consistant à isoler un autre membre de la superfamille des TGF-beta. La chambre concernée avait relevé que le GDF-9 ne présentait pas les caractéristiques structurelles généralement admises pour les membres de la superfamille des TGF-beta et que la demande telle que déposée ne contenait aucune preuve permettant de déterminer si le mode d'action du GDF-9 admettait un classement dans la superfamille des TGF-beta. Ainsi, bien que la demande telle que déposée ait indiqué expressément que le GDF-9 appartenait à la superfamille des TGF-beta, la chambre a conclu (point 11 des motifs ; c'est la Chambre qui souligne) :

"que la demande n'identifie pas suffisamment ce facteur comme étant un membre de cette famille, c'est-à-dire que la demande ne contient pas suffisamment de preuves permettant de rendre au moins plausible le fait qu'une solution ait été trouvée au problème que la demande prétend résoudre."

Les moyens de preuve publiés ultérieurement établissant que le GDF-9 représentait bel et bien un facteur de différenciation de croissance n'ont pas été pris en considération, et la présence d'une activité inventive a finalement été refusée. La chambre a fondé sa conclusion sur la considération suivante, qui a été par la suite reprise dans plusieurs autres décisions appliquant le critère de la plausibilité ab initio (point 10 des motifs ; c'est la Chambre qui souligne et ajoute l'annotation entre crochets) :

"En conséquence, il est particulièrement important, [dans un système appliquant le principe du premier déposant] que la demande permette de conclure que l'invention a été réalisée, c'est-à-dire qu'un problème a effectivement été résolu et pas simplement mis en avant à la date de dépôt de la demande. Aussi la question en l'occurrence est-elle plutôt de savoir quel poids peut-on accorder aux spéculations dans la demande lors de l'appréciation de l'activité inventive..."

Il semble donc avoir été d'une importance déterminante pour la chambre dans la décision T 1329/04 (et dans les autres décisions appliquant le critère de la plausibilité ab initio), de pouvoir établir que le titulaire du brevet était effectivement en possession de l'invention au moment du dépôt afin d'éviter toute revendication à caractère purement spéculatif et de préserver ainsi un équilibre entre la contribution technique réelle et le monopole conféré par le brevet tel que défini par ses revendications.

13.4.2 Cette décision est conforme à la décision antérieure T 609/02, dans laquelle la chambre, dans un contexte de suffisance de l'exposé, a conclu (points 5 à 9 des motifs ; c'est la Chambre qui souligne) ce qui suit :

"Le fascicule de brevet ne fournit aucune preuve relative à l'invention de la revendication 6... Le requérant a présenté des moyens de preuve publiés ultérieurement montrant que des hormones stéroïdiennes telles que celles nécessaires pour exécuter l'utilisation selon la revendication 6 avaient été par la suite identifiées structurellement et qu'elles avaient effectivement un effet sur la transcription stimulée AP-1. Sur le fondement des divulgations de ces documents publiés ultérieurement, le requérant a fait valoir qu'en exécutant l'invention revendiquée, on obtenait nécessairement des compositions pharmaceutiques puisque c'était en suivant les enseignements du brevet en cause que les résultats publiés ultérieurement avaient été obtenus. En conséquence, selon le requérant, la suffisance de l'exposé devait être reconnue. La chambre ne partage pas cet avis. Il doit être satisfait à la condition de suffisance de l'exposé à la date effective du brevet, c'est-à-dire sur la base des informations contenues dans la demande de brevet combinées avec les connaissances générales de l'homme du métier disponibles à cette date. Reconnaître la suffisance de l'exposé sur la base d'informations techniques pertinentes produites seulement après cette date conduirait à délivrer un brevet pour un enseignement technique qui était obtenu, et donc pour une invention qui était réalisée, à une date postérieure à la date effective du brevet. Il convient de rappeler le principe général selon lequel l'étendue du monopole conféré par un brevet doit être fonction de la contribution technique qu'il apporte à l'état de la technique, cette contribution constituant la justification dudit monopole.... Il est exigé que le brevet fournisse des informations sous la forme, par exemple, d'essais expérimentaux montrant que le composé revendiqué a un effet direct sur un mécanisme métabolique qui est impliqué de façon spécifique dans la maladie, ce mécanisme étant soit connu de l'état de la technique soit démontré dans le brevet en soi. ... Dès lors que la demande de brevet contient des indications dans ce sens, les éventuelles "dépositions d'expert" publiées ultérieurement peuvent être prises en considération, mais uniquement pour corroborer les constats de la demande de brevet concernant l'utilisation du composé en tant que produit pharmaceutique, et non pour établir à elles seules la suffisance de l'exposé.

13.4.3 Le critère de la plausibilité ab initio a été appliqué, par exemple, dans la décision T 488/16 (points 4.2, 4.5 et 4.19 des motifs ; c'est la Chambre qui souligne) qui indique ce qui suit :

"Selon la jurisprudence constante des chambres des recours, l'évaluation de l'activité inventive doit avoir lieu à la date effective du brevet, sur la base des informations contenues dans le brevet et des connaissances générales dont dispose à cette date l'homme du métier. Des preuves publiées ultérieurement pour prouver que l'objet revendiqué résout le problème technique que le brevet en litige entend résoudre peuvent être prises en compte si l'exposé du brevet fait déjà ressortir de manière plausible que le problème a effectivement été résolu (voir la Jurisprudence des Chambres de recours, 8**(e) édition, I.D.4.6 ; T 1329/04, point 12 des motifs ; T 1043/10, point 12 ou [sic] des motifs). En conséquence, pour que des preuves publiées ultérieurement soient prises en considération, il convient d'établir si l'activité revendiquée a été ou non rendue suffisamment plausible pour le dasatinib à la date effective du brevet en litige. Cette appréciation s'effectue à partir de la demande telle que déposée et des connaissances générales de l'homme du métier à la date de dépôt."

"La chambre a jugé que la formulation d'une simple affirmation selon laquelle "l'activité des composés a été constatée" en l'absence de toute indication technique vérifiable, n'est pas suffisante pour rendre vraisemblable le fait que le problème technique que la demande prétend résoudre, à savoir fournir des inhibiteurs PTK pour le traitement de troubles ou de maladies associés, est effectivement résolu..."

" ... la chambre partage le point de vue de la division d'opposition et des intimés selon lequel les documents publiés ultérieurement (9) et (10) constituent la première divulgation montrant que ... le prétendu problème technique était effectivement résolu. Conformément à la jurisprudence constante, ces documents ne sont donc pas pris en considération aux fins de l'appréciation de l'activité inventive."

13.4.4 Parmi les autres décisions conformes aux trois décisions susmentionnées, on peut citer les décisions T 415/11 (points 45 à 55 des motifs), T 1791/11 (points 3.2.5 à 3.2.7 des motifs) et T 895/13 (points 15 à 17 des motifs). Dans les décisions citées au point 13.4, qui appliquent le critère de la plausibilité ab initio, en définitive, la plausibilité n'a pas été reconnue.

13.5 Défaut de plausibilité ab initio

Conformément à une deuxième ligne jurisprudentielle, des moyens de preuve publiés ultérieurement ne peuvent être écartés que si l'homme du métier aurait eu des raisons légitimes de douter du fait que l'effet technique allégué aurait été obtenu à la date de dépôt de la demande de brevet en cause. De tels doutes peuvent naître, par exemple, de ce que la demande telle que déposée ou les connaissances générales de l'homme du métier à la date de dépôt de la demande de brevet en cause laissent penser que l'effet technique allégué ne peut en fait être obtenu. En d'autres termes, les moyens de preuve publiés ultérieurement doivent toujours être pris en considération si l'effet technique allégué n'est pas dénué de plausibilité. Le critère ainsi appliqué est désigné ci-après le critère du "défaut de plausibilité ab initio". La ligne jurisprudentielle appliquant ce critère est désignée ci-après "ligne jurisprudentielle du défaut de plausibilité ab initio".

13.5.1 Un exemple de décision qui applique le critère du défaut de plausibilité ab initio est la décision T 919/15, qui concerne l'utilisation de combinaisons herbicides pour lutter contre les plantes nocives ("mauvaises herbes") dans des cultures de soja, la combinaison ayant une teneur active de deux herbicides différents (A) et (B). Alors que la demande telle que déposée contenait la preuve expérimentale d'une interaction synergique pour certaines combinaisons d'herbicides entrant dans les définitions de (A) et de (B), la preuve pour d'autres combinaisons a été produite après la date de dépôt. L'opposant a fait valoir que l'interaction synergique d'herbicides était par nature imprévisible et que la demande telle que déposée ne rendait pas l'effet synergique plausible pour les combinaisons concernant lesquelles uniquement des moyens de preuve publiés ultérieurement avaient été produits. En conséquence, les données publiées ultérieurement ont dû être écartées lors de l'appréciation de l'activité inventive.

La chambre concernée n'a pas partagé cet avis. Son raisonnement a été le suivant (point 5.6 des motifs ; c'est la Chambre qui souligne) :

"Par conséquent, en l'absence de preuve du contraire dans les connaissances générales de l'homme du métier en matière de combinaisons herbicides contenant l'herbicide (A), il ne saurait être simplement supposé qu'une interaction synergique serait en soi dénuée de plausibilité pour les combinaisons qui n'ont pas été testées dans la demande telle que déposée. Cette conclusion est conforme à la décision T 863/12, dans laquelle la plausibilité d'un effet a également été confirmée eu égard, entre autres, au fait que les connaissances générales de l'homme du métier ne contenaient aucune indication pouvant remettre en question cette plausibilité..."

13.5.2 Un autre exemple notable dans ce contexte est la décision T 578/06. Dans cette affaire, la revendication 1 de la requête principale se lisait comme suit (c'est la Chambre qui souligne) :

"[u]tilisation de la somatostatine ... dans la formulation d'une préparation pharmaceutique ... pour le traitement chez un patient humain recevant des cellules d'îlots pancréatiques isolés transplantés, dans laquelle la composition pharmaceutique est administrée ..., de sorte que la vie fonctionnelle des cellules d'îlots pancréatiques isolés transplantés est prolongée par comparaison avec des cellules d'îlots pancréatiques isolés transplantés non traités."

Dans la décision attaquée, la division d'examen était parvenue à la conclusion selon laquelle il n'était pas plausible que l'effet de prolongement de la vie fonctionnelle de cellules d'îlots pancréatiques transplantés puisse être obtenue par l'objet revendiqué. La chambre, en annulant la décision et en reconnaissant la plausibilité de l'effet, a fait observer ce qui suit (points 13 et 15 des motifs ; c'est la Chambre qui souligne) :

"La chambre fait observer que la CBE ne subordonne la brevetabilité à aucune preuve expérimentale et que pour démontrer qu'un objet revendiqué résout le problème technique objectif, il n'est pas toujours requis de fournir des données expérimentales ou des résultats de tests dans la demande telle que déposée et / ou des preuves publiées ultérieurement. Cela est particulièrement vrai en l'absence de doutes sérieux comme dans le cas d'espèce."

"Dans ce contexte, la chambre rappelle cependant que cette jurisprudence ne juge pertinent l'établissement de la plausibilité dans l'examen de l'activité inventive que lorsque l'espèce permet sérieusement de douter que l'invention revendiquée est propre à résoudre le problème technique formulé, et qu'il est loin d'être évident que l'invention revendiquée résout ledit problème."

Après avoir reconnu la plausibilité, la chambre a pris en considération les moyens de preuve publiés ultérieurement (point 17 des motifs).

13.5.3 Parmi les autres décisions conformes aux deux décisions susmentionnées, on peut citer les décisions T 536/07 (point 11 des motifs), T 1437/07 (point 38.1 des motifs), T 266/10 (point 37 des motifs), T 863/12 (point 7.3.3 des motifs), T 184/16 (points 2.4 à 2.7 des motifs) et T 2015/20 (point 2.7 des motifs). Dans l'ensemble des décisions citées au point 13.5, qui appliquent le critère du défaut de plausibilité ab initio, la plausibilité a en définitive été reconnue.

13.5.4 La Chambre reconnaît que certaines des décisions examinées ci-dessus, qui appliquent le critère du défaut de plausibilité ab initio, déclarent ne pas être en contradiction avec la décision T 1329/04, considérée par la présente Chambre comme appliquant le critère de la plausibilité ab initio. Cela semblerait suggérer qu'il n'existe aucune divergence entre les lignes jurisprudentielles appliquant, respectivement, le critère de la plausibilité ab initio et celui du défaut de plausibilité ab initio. Cependant, une lecture attentive révèle que malgré cette déclaration, il a été jugé déterminant dans ces décisions qu'il n'y ait aucun doute apparent ni aucune raison de conclure au défaut de plausibilité à la date de dépôt de la demande de brevet en cause (critère du défaut de plausibilité ab initio).

En outre, qu'il soit considéré ou non qu'une divergence existe, la présente Chambre estime en tout état de cause que la question de savoir s'il y a lieu d'appliquer le critère de la plausibilité ab initio ou celui du défaut de plausibilité ab initio constitue une question de droit fondamentale.

13.5.5 La différence entre les deux lignes jurisprudentielles mentionnées ci-dessus ne saurait être mieux illustrée que par le jugement de la Cour suprême du Royaume-Uni du 14 novembre 2018, dans l'affaire Generics (UK) (désormais dénommée Mylan) c./ Warner-Lambert Company Ltd (la "décision de la Cour suprême du Royaume-Uni") et, ensuite de ce jugement par C. Floyd, son article de revue intitulé "Plausibility: where from and where to", GRUR, 2021, 185. Dans l'affaire ayant donné lieu à la décision de la Cour suprême du Royaume-Uni, la revendication 3 en cause faisait référence à l'utilisation de la prégabaline pour la préparation d'une composition pharmaceutique destinée au traitement de la douleur neuropathique. Une question essentielle était de savoir s'il était plausible à la date de priorité que l'effet thérapeutique du traitement de la douleur neuropathique puisse être obtenu et, partant, si les preuves publiées ultérieurement pouvaient être prises en considération.

Selon l'avis majoritaire, il devait être répondu à cette question par la négative. Il a été considéré que les données expérimentales dans la demande telle que déposée étaient prédictives de l'efficacité du traitement de la douleur inflammatoire. Mais la demande telle que déposée ne revendiquait pas que les données expérimentales présentées rendaient plausible l'efficacité de la prégabaline dans le traitement de tout type de douleur neuropathique (point 42 de la décision). Selon le point 52 de la décision :

" ... la "possibilité" qu'un médicament qui est efficace contre la douleur inflammatoire le soit a priori également contre la douleur neuropathique ne saurait suffire pour justifier un monopole, en l'absence de toute raison de supposer que cette possibilité ait un quelconque fondement scientifique ou qu'elle soit plus que spéculative. Tout ce qui n'est pas impossible est possible, mais "ne pas être impossible" ne saurait être un critère acceptable de suffisance de l'exposé. La plausibilité est peut-être facile à démontrer mais il faut aller plus loin".

Ainsi, dans la décision de la Cour suprême du Royaume-Uni, la majorité semble avoir appliqué ce que la présente Chambre appelle le critère de la plausibilité ab initio.

Selon l'avis minoritaire, il devait être répondu à la question susmentionnée par l'affirmative. Selon cet avis, il n'est pas fait obligation au titulaire du brevet d'apporter dans son brevet un commencement de preuve de l'efficacité thérapeutique (point 180 de la décision). En outre, selon le point 181 de cette décision de la Cour Suprême, de récentes décisions des chambres de recours

" ... n'exigent pas que le brevet divulgue des preuves expérimentales pour démontrer cette plausibilité à moins que ne soit soulevée une allégation, corroborée par des preuves suffisantes, selon laquelle l'invention ne fonctionne pas, ... " (c'est la Chambre qui souligne).

Il a également été ajouté (point 195 de la décision, c'est la Chambre qui souligne) que :

"Seulement si un homme du métier avait de sérieux doutes quant à la faisabilité de l'invention, serait-il alors conclu à l'insuffisance de l'exposé."

En conséquence, dans la décision de la Cour suprême du Royaume-Uni, une minorité semble avoir appliqué ce que la présente Chambre appelle le critère du défaut de plausibilité ab initio.

13.6 Non-prise en compte de la plausibilité

Une troisième ligne jurisprudentielle semble rejeter entièrement la notion de plausibilité. Le critère ainsi appliqué est désigné la "non-prise en compte de la plausibilité". La ligne jurisprudentielle appliquant ce critère est désignée ci-après "ligne jurisprudentielle de la non-prise en compte de la plausibilité".

13.6.1 Dans la décision T 31/18, la demande sous-jacente telle que déposée portait sur des comprimés comprenant de l'imatinib ou ses sels pharmaceutiquement acceptables. La revendication en cause portait principalement sur un comprimé comprenant de l'imatinib et de la polyvinylpyrrolidone réticulée en certaines quantités. Au vu de l'état de la technique le plus proche, le titulaire du brevet a formulé le problème comme consistant principalement à fournir des comprimés d'imatinib dont le temps de désagrégation est de 20 minutes ou moins, et a également produit des preuves expérimentales démontrant que ce problème avait été résolu. Selon l'un des opposants, ces preuves expérimentales ne devaient pas être prises en considération car elles se rapportaient à un effet qui n'avait pas été démontré de manière plausible pour les comprimés revendiqués dans la demande telle que déposée. La chambre a considéré ce qui suit (point 2.5.2 des motifs) :

"Ce raisonnement apparaît incompatible avec l'appréciation de l'activité inventive selon l'approche problème-solution... En effet, il ne peut être attendu d'un demandeur de brevet qu'il inclue un grand nombre de preuves expérimentales correspondant à toutes les caractéristiques techniques susceptibles d'être revendiquées dans la demande telle que déposée et de constituer une caractéristique distinctive future par rapport à l'état de la technique le plus proche, puisque ledit état de la technique le plus proche et sa divulgation technique peuvent ne pas être connus du demandeur à la date de dépôt de la demande".

La chambre a pris en considération les preuves expérimentales mais a estimé qu'elles ne pouvaient pas étayer l'effet allégué d'un temps de désintégration court par rapport à l'état de la technique le plus proche.

13.6.2 Une décision semblable a été rendue dans l'affaire T 2371/13. La revendication en cause portait principalement sur l'utilisation d'une association de deux colorants directs cationiques particuliers. Au vu de l'état de la technique le plus proche, le titulaire du brevet a décrit le problème principalement comme consistant à fournir des compositions tinctoriales dont l'homogénéité de la coloration est améliorée. Il a également déposé des preuves expérimentales démontrant que cet effet était obtenu pour les compositions testées. L'un des opposants a fait valoir que l'effet d'amélioration de l'homogénéité n'avait pas été rendu plausible par la demande telle que déposée du fait que cette dernière ne contenait pas de données expérimentales à cet égard. Selon lui, l'effet était spéculatif et aucune invention n'avait été réalisée à la date de dépôt de la demande. La chambre a considéré ce qui suit (point 6.1.2 des motifs et exergue de la décision) :

"Cette ligne d'argumentation est incompatible avec l'appréciation de l'activité inventive selon l'approche problème/solution qui requiert en premier lieu l'identification de l'état de la technique le plus proche de l'invention, et la définition d'un problème technique par rapport à cet état de la technique qui est résolu par l'objet revendiqué. II est usuel de faire valoir au titre de l'activité inventive un effet technique qui n'est pas explicitement mentionné dans la demande telle que déposée."

"Un défaut de plausibilité d'un effet basé sur l'absence de preuve dans la demande du brevet n'est pas un motif suffisant pour écarter des essais comparatifs déposés ultérieurement et visant à prouver cet effet. Les écarter pour cette raison est incompatible avec l'approche problème/solution qui demande de définir un problème technique à partir du document de l'état de la technique le plus proche, qui n'est pas forcément celui cité dans la demande de brevet - voir point 6.1 des motifs."

La chambre a pris en considération les données publiées ultérieurement déposées par le titulaire du brevet mais a considéré qu'elles n'étayaient pas l'effet sur toute l'étendue de la revendication en cause.

13.7 Autres considérations

13.7.1 Les trois lignes jurisprudentielles examinées ci-dessus contiennent deux positions extrêmes dont l'une est la stricte application du critère de la plausibilité ab initio et l'autre la non-prise en compte de la plausibilité. Ces deux positions extrêmes illustrent le fait que le résultat est différent selon le critère de plausibilité appliqué. D'un côté, si l'on applique le critère de la plausibilité ab initio de manière stricte, les demandeurs ne pourraient se voir délivrer un brevet que pour des modes de réalisation pour lesquels des données expérimentales ou autres éléments de preuve sont inclus dans la demande telle que déposée, rendant plausible l'effet invoqué au soutien de l'activité inventive pour ces modes de réalisation. En conséquence, toute extension de l'objet revendiqué par rapport à ce qui a été démontré de manière expérimentale ou étayé d'une autre manière dans la demande telle que déposée conduirait au rejet de la demande. D'un autre côté, si l'on n'applique aucun critère de plausibilité, les demandeurs pourraient revendiquer tout ce qu'ils jugent susceptible d'être démontré ultérieurement comme produisant l'effet technique allégué. Cela donnerait lieu à ce qui est souvent désigné dans la jurisprudence par l'expression "brevets spéculatifs" ou "inventions de salon" pour décrire un monopole conféré à un demandeur de brevet pour une simple spéculation plutôt que pour une véritable invention. Le critère du défaut de plausibilité ab initio semble se situer entre ces deux lignes jurisprudentielles extrêmes quant à son résultat.

13.7.2 Cela étant, exiger la plausibilité ou du moins l'absence de tout défaut de plausibilité pour tenir compte des moyens de preuve publiés ultérieurement peut être particulièrement problématique dans les cas où un effet doit être établi par rapport à un document de l'état de la technique qui n'a pas été, et n'aurait peut-être pas pu être, pris en compte par le titulaire / demandeur du brevet. Par exemple, si un titulaire de brevet se trouve face à un nouveau document de l'état de la technique le plus proche, qui nécessite de reformuler le problème technique objectif, en application de la ligne jurisprudentielle de la plausibilité ab initio en particulier, il ne serait pas autorisé à fournir des éléments de preuve à l'appui du problème technique reformulé. Cela représenterait de fait un obstacle insurmontable à la brevetabilité dès lors qu'un opposant invoque un nouveau document de l'état de la technique le plus proche lors d'une procédure d'opposition. En outre, une telle approche irait à l'encontre de décennies de jurisprudence autorisant la reformulation du problème technique au vu de documents nouveaux de l'état de la technique le plus proche et la prise en compte de preuves publiées ultérieurement au soutien du problème reformulé. En fait, le seul obstacle instauré dans cette jurisprudence a consisté à exiger que le problème reformulé soit conforme à l'esprit de l'invention telle qu'initialement divulguée. Voir, par exemple, la décision T 1397/08, dont l'exergue mentionne ce qui suit (voir également la décision T 184/82 (point 5 des motifs)) :

"Selon l'approche problème/solution pour l'appréciation de l'activité inventive dans le domaine de la chimie le problème technique peut être reformulé, et, dans certaines circonstances doit même l'être, puisque pour la détermination objective du problème, seul compte le résultat effectivement atteint par rapport à l'état de la technique le plus proche. Rien n'empêche, même au stade du recours, de modifier ce problème initialement posé, sauf à respecter l'esprit de l'exposé originaire de l'invention?."

Il en est de même dans la décision T 1422/12. Dans l'affaire ayant donné lieu à cette décision, un certain composé, à savoir la tigécycline cristalline, était revendiqué. L'effet invoqué reposait sur une stabilité améliorée contre l'épimérisation. Cet effet n'a pas même été mentionné dans la demande telle que déposée. La chambre a indiqué ce qui suit (point 2.3.2 des motifs, partie entre crochets ajoutée par la Chambre) :

"Dans ce contexte, [c'est-à-dire la jurisprudence constante], tout effet produit peut être pris en compte pour autant qu'il concerne le même domaine d'utilisation et ne modifie pas le caractère de l'invention."

Ainsi la chambre a pris en considération les moyens de preuve publiés ultérieurement, a conclu que l'effet d'amélioration de la stabilité était démontré de manière convaincante et a reconnu l'activité inventive.

13.7.3 Il existe en outre un rapport difficile entre, d'une part, les critères de la plausibilité ab initio et du défaut de plausibilité ab initio, et, d'autre part, le principe de libre appréciation des preuves (voir G 3/97 (JO OEB 1999, 245), point 5 des motifs et G 1/12 (JO OEB 2014, A114), point 31 des motifs). Le fondement juridique qui permettrait d'empêcher le titulaire du brevet de s'appuyer sur un type particulier d'éléments de preuve afin d'étayer un fait pertinent pour l'issue de la procédure n'est pas immédiatement apparent. De même, il n'apparaît pas clairement sur quel fondement il serait interdit à une chambre de prendre en considération des moyens de preuve qu'elle considère comme étant convaincants et déterminants.

13.7.4 À cet égard, il convient de souligner que, conformément à l'article 56 CBE, une invention doit être considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique. Aussi ne fait-il aucun doute que l'activité inventive ne peut être jugée qu'au regard de l'état de la technique. Or, la ligne jurisprudentielle de la plausibilité ab initio suit un raisonnement selon lequel l'invention n'avait pas été réalisée à la date de dépôt. Il est parvenu à cette conclusion sans tenir compte de l'état de la technique et il ne peut pas y être parvenu autrement. Il n'est donc peut-être pas certain que l'article 56 CBE puisse constituer une base juridique adéquate pour la plausibilité. En effet, le fondement juridique de l'exigence de plausibilité a également été remis en question par d'autres instances. À cet égard, la Chambre renvoie à l'avis formulé dans la décision rendue par la Cour suprême du Royaume-Uni selon lequel la plausibilité "est une condition préalable à la validité inventée par les tribunaux" (point 192 de la décision). Dans R. Jacob "Plausibility and Policy", Bio- Science Law Review 17(6), 223, l'auteur va même plus loin et affirme ce qui suit ("The Statutory Language" page 223, premier paragraphe) :

"À la lecture attentive de la CBE, un puriste trouverait qu'en extraire la notion de plausibilité serait de forcer jusqu'à l'extrême le sens des mots - une interprétation des plus capillotractées. Je suppose que c'est pour cette raison qu'aucun des raisonnements juridiques visant à extraire la notion de plausibilité de la définition de l'activité inventive (évidence) ou de la suffisance de l'exposé n'a de grand rapport, n'a même le moindre rapport, avec les termes réels de la loi. Le mot plausibilité ne figure d'ailleurs pas dans la loi - il n'a même jamais figuré où que ce soit dans une loi sur les brevets."

Également dans A. Slade "Plausibility: a conditio sine qua non of patent law?", I.P.Q. 2020, 3, 180-203, il est considéré que les articles 56 et 83 CBE ne sont pas une base juridique adéquate pour l'application d'un quelconque critère de plausibilité. La base juridique que l'auteure préconise est l'article 52(1) CBE puisque l'utilisation spéculative d'un composé connu ne peut pas satisfaire à la première exigence prévue par cet article, à savoir être une invention. Selon elle, des exigences secondaires telles que le défaut d'activité inventive ne peuvent être examinées que si l'exigence de l'article 52(1) CBE est satisfaite.

14. Conclusion

Il ressort clairement de ce qui précède que la saisine de la Grande Chambre de recours est nécessaire à la fois pour assurer une application uniforme du droit et parce que des questions de droit d'importance fondamentale se posent. Les trois questions de saisine posées dans le dispositif de la présente décision se rapportent aux trois lignes jurisprudentielles examinées ci-dessus, soit à la question de savoir si un quelconque critère de plausibilité peut être appliqué (première question de saisine) et, dans l'affirmative, si le critère de la plausibilité ab initio (deuxième question de saisine) ou le critère du défaut de plausibilité ab initio (troisième question de saisine) doit être appliqué. L'issue de la saisine est déterminante pour l'affaire en instance puisque la question de savoir si les moyens de preuve publiés ultérieurement dans D21 peuvent être pris en considération dépend de cette issue, et, qu'en outre, comme indiqué ci-dessus, s'il est pris en considération, D21 est pertinent quant à la décision finale sur l'activité inventive.

15. Lors de la procédure orale, la Chambre a affiché à l'écran les trois questions préliminaires de la saisine (pour plus de détails, voir le procès-verbal de la procédure orale), et les parties ont formulé les remarques suivantes à leur sujet.

Le requérant a suggéré que les questions définissent plus clairement la date effective du brevet. Par exemple, dans le cas d'un brevet revendiquant une priorité, il devrait être précisé si la date pertinente est la date de priorité ou la date de dépôt.

Le requérant a aussi fait valoir qu'il était nécessaire de préciser que l'effet sur lequel l'intimé se fondait concernait toute l'étendue de la revendication.

L'intimé a suggéré qu'une question supplémentaire soit posée au sujet de la charge de la preuve en ce qui concerne l'obtention (ou non) de l'effet technique.

En réponse à la première remarque du requérant, la Chambre a remplacé "date effective" (qui recouvre les dates de priorité et de dépôt) dans les questions de la saisine par "date de dépôt". En l'espèce, le moyen de preuve D21 a été déposé après la date de dépôt du brevet en cause. Aussi, la question de savoir s'il est possible de prendre en considération les moyens de preuve que le titulaire du brevet dépose après la date de priorité et avant la date de dépôt du brevet en cause ne se pose pas en l'espèce.

En ce qui concerne le second commentaire du requérant, la Chambre estime qu'il n'est pas nécessaire de préciser que l'effet concerne toute l'étendue de la revendication. Il est évident pour la Chambre que l'intimé ne peut pas obtenir gain de cause en invoquant un effet qui ne concerne qu'une partie de l'objet revendiqué (voir, par exemple, la décision T 939/92, points 2.4 à 2.6 des motifs).

La question de la charge de la preuve en ce qui concerne l'obtention (ou non) de l'effet technique soulevée par l'intimé est importante mais elle est déjà comprise dans les questions posées. Selon la ligne jurisprudentielle de la plausibilité ab initio mentionnée dans la deuxième question de saisine, il revient au titulaire du brevet d'apporter la preuve de la plausibilité alors que selon la ligne jurisprudentielle du défaut de plausibilité ab initio, mentionnée dans la troisième question de saisine, il revient à l'opposant de démontrer le défaut de plausibilité.

Dispositif

Par ces motifs, il est statué comme suit

Les questions suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours pour décision :

Si, aux fins d'établir l'activité inventive, le titulaire du brevet se fonde sur un effet technique et qu'il a présenté à l'appui de cet effet des moyens de preuve, tels que des données expérimentales, qui n'étaient pas accessibles au public avant la date de dépôt de la demande de brevet en cause et qui ont été produits après cette date (moyens de preuve publiés ultérieurement) :

1. Faut-il admettre une exception au principe de libre appréciation des preuves (cf. par exemple G 3/97, point 5 des motifs et G 1/12, point 31 des motifs) en ceci que des moyens de preuve publiés ultérieurement doivent être écartés au motif que la preuve de l'effet repose exclusivement sur ceux-ci ?

2. S'il est répondu par l'affirmative à cette question (les moyens de preuve publiés ultérieurement doivent être écartés si la preuve de l'effet repose exclusivement sur ceux-ci), les moyens de preuve publiés ultérieurement peuvent-ils être pris en considération lorsqu'à la date de dépôt de la demande de brevet en cause, l'homme du métier, se fondant sur les informations contenues dans la demande de brevet en cause ou sur ses connaissances générales, aurait jugé l'effet plausible (plausibilité ab initio) ?

3. S'il est répondu par l'affirmative à la première question (les moyens de preuve publiés ultérieurement doivent être écartés si la preuve de l'effet repose exclusivement sur ceux-ci), les moyens de preuve publiés ultérieurement peuvent-ils être pris en considération lorsqu'à la date de dépôt de la demande de brevet en cause, l'homme du métier, se fondant sur les informations contenues dans la demande de brevet en cause ou sur ses connaissances générales, n'aurait vu aucune raison de juger l'effet plausible (défaut de plausibilité ab initio) ?

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