T 1173/00 (Transformateur supraconducteur à haute température pour locomotives) of 5.6.2003

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2003:T117300.20030605
Date de la décision : 05 Juin 2003
Numéro de l'affaire : T 1173/00
Numéro de la demande : 93115499.1
Classe de la CIB : H01F 36/00
Langue de la procédure : DE
Distribution : A
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Titre de la demande : -
Nom du demandeur : ALSTOM Holdings
Nom de l'opposant : ABB Patent GmbH
Chambre : 3.5.02
Sommaire : I. Si, dans un brevet, le seul mode de réalisation exposé concrètement eu égard au domaine principal de l'invention revendiquée (en l'espèce, un engin de traction ferroviaire comprenant un transformateur supraconducteur refroidi au moyen d'azote liquide) n'est pas exposé de façon suffisamment complète pour qu'un homme du métier ait pu exécuter l'invention revendiquée à la date de priorité, il importe peu, pour déterminer si l'exposé est suffisant, de savoir s'il Btait possible, à la date pertinente de la demande, de réaliser une variante (en l'occurrence, un engin de traction ferroviaire comprenant un transformateur refroidi par de l'hélium liquide) qui, bien qu'elle soit couverte par le libellé de la revendication du brevet, ne s'inscrit pas dans le domaine principal de l'invention revendiquée compte tenu de l'enseignement du brevet, puisqu'elle n'offre pas de succès technique comparable (cf. point 3.3).
II. Si l'exposé d'une invention est insuffisant, il n'est pas nécessaire de savoir s'il était objectivement impossible de combler cette lacune à la date de priorité, c'est-à-dire de déterminer si personne n'aurait pu obtenir l'effet technique recherché et revendiqué. Ce qui importe, c'est de savoir si l'invention était exposée de manière suffisamment complète pour que l'homme du métier de compétence moyenne connaissant le brevet et faisant appel à ses connaissances générales ait pu l'exécuter à la date de priorité (cf. point 3.9).
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 100(b)
Mot-clé : Exposé suffisant (non)
Possibilité de réaliser l'enseignement technique inhérent à la date de priorité (non)
Exergue :

-

Décisions citées :
G 0002/93
T 0292/85
T 0409/91
T 0435/91
T 0612/92
T 0412/93
T 0881/95
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
T 1153/00
T 0043/07
T 1992/18

Exposé des faits et conclusions

I. Le recours est dirigé contre la décision de la division d'opposition rejetant les oppositions 1 et 2 formées à l'encontre du brevet européen n° 590 546.

II. La revendication 1 du brevet tel que délivré s'énonce comme suit :

"Engin de traction ferroviaire électrique, en particulier locomotive électrique, comprenant un transformateur (1) pour son alimentation en courant ainsi qu'un dispositif d'alimentation en frigorigène, caractérisé par le fait qu'il est prévu un transformateur supraconducteur (1) qui est disposé conjointement avec le dispositif d'alimentation en frigorigène sur l'engin de traction ferroviaire, et que le dispositif d'alimentation en frigorigène est constitué exclusivement par un réservoir de gaz liquéfié (2) servant de citerne de frigorigène et relié au transformateur supraconducteur (1)."

La revendication 2 s'énonce comme suit :

"Transformateur suivant la revendication 1, caractérisé par le fait que le frigorigène est constitué par de l'azote liquide."

Les autres revendications, à savoir les revendications 3 à 6, dépendent des revendications 1 ou 2.

III. Les deux oppositions étaient fondées sur l'article 100 a) et b) CBE. Le rejet de ces oppositions eu égard au motif d'opposition de l'article 100 b) CBE est essentiellement fondé, dans la décision attaquée, par le fait qu'il n'importait guère, pour apprécier la possibilité de réaliser l'invention, de savoir si les supraconducteurs à haute température étaient déjà commercialement disponibles à la date de priorité du brevet en litige. En effet, l'invention a pour but de combiner un engin de traction ferroviaire électrique avec un transformateur supraconducteur et un dispositif d'alimentation en frigorigène. Les transformateurs supraconducteurs étaient déjà connus avant la date de priorité. La réalisation des conducteurs électriques du transformateur n'est pas l'objet de l'invention. C'est également pour cette raison que la déclaration de M. P. Mocaer du 11 avril 2000 (ci-après "D16"), a été considérée en tant que preuve produite tardivement et non pertinente prima facie, et n'a pas été prise en considération dans la décision attaquée.

IV. Le requérant a produit, avec le mémoire exposant les motifs du recours, une expertise technique et un article de l'expert paru dans une revue :

D14 : Expertise de M. P.Tixador : "Etat de l'art des supraconducteurs en septembre 1992", janvier 2001 ; et neuf articles spécialisés publiés entre avril 1992 et janvier 2000 ;

D15 : Article de M. P. Tixador paru dans la revue "La Recherche", n° 307, mars 1998.

V. Une procédure orale a eu lieu devant la Chambre le 5 juin 2003. Au cours de cette procédure, l'intimé a produit le fascicule de brevet DE-C-3919487 (ci-après "D17").

VI. Le requérant (opposant 2) a demandé que la décision attaquée soit annulée et le brevet révoqué. L'autre partie à la procédure (opposant 1) n'a pas donné d'avis sur le fond et ne s'est pas non plus présenté à la procédure orale.

VII. L'intimé (titulaire du brevet) a demandé que le recours soit rejeté.

VIII. Le requérant (opposant 2) a essentiellement fait valoir ce qui suit :

A la date de priorité du brevet litigieux (30 septembre 1992), l'homme du métier n'aurait pas pu exécuter, dans toute l'étendue revendiquée, un engin de traction ferroviaire électrique selon la revendication 1. En effet, il n'était pas possible de réaliser, à l'époque, un transformateur de cette catégorie de puissance (1 à 6 MVA), du moins pas avec ce que l'on appelle des supraconducteurs à température élevée (c.-à- d. avec de l'azote liquide comme frigorigène, revendication 2), mais uniquement avec des supraconducteurs qui devaient être refroidis à proximité du zéro absolu par de l'hélium liquide, au prix d'efforts beaucoup plus complexes.

A aucun moment de la procédure d'opposition, le titulaire du brevet n'a donné d'indications concrètes qui auraient permis de réfuter ces arguments détaillés. Ce n'est que vers la fin de la procédure de recours que le titulaire du brevet a produit le document D17, censé divulguer des enroulements de transformateurs supraconducteurs à haute température avant septembre 1992. Le document D 17 ne doit donc pas être pris en considération, d'autant plus qu'il a été présenté au cours de la procédure orale dans une langue qui n'était pas familière au mandataire du requérant.

Il n'est pas possible à un opposant d'apporter au moyen d'un unique document la preuve négative que l'objet du brevet litigieux n'était pas réalisable à une date donnée. L'expertise et l'article de M. Tixador paru dans une revue (documents D14 et D15), de même que la déclaration de M. Mocaer (document D 16) confirment néanmoins qu'en septembre 1992, il n'était en pratique pas possible de réaliser les supraconducteurs à haute température (nécessaires pour le refroidissement au moyen d'azote liquide) pour les enroulements de tels transformateurs. Ces documents sont donc hautement pertinents lorsque l'on s'interroge sur la possibilité de réaliser l'invention, et ils doivent être pris en considération par la Chambre.

Selon le requérant, le document D14 expose de façon objective l'état de la technique à l'époque, du point de vue d'un expert reconnu dans le domaine des supraconducteurs à haute température. L'expertise repose en l'occurrence sur les neuf articles spécialisés qui figurent en annexe. D'après cette expertise, seuls des échantillons courts de conducteurs d'une longueur maximale de 114 m étaient disponibles en septembre 1992, ces conducteurs présentant des propriétés supraconductrices lorsqu'ils étaient refroidis au moyen d'azote liquide (77 K). Les densités de courant critiques élevées (plus de 300 A/mm2) n'avaient été atteintes qu'avec de petits échantillons de laboratoire. Les supraconducteurs à haute température de l'époque (oxydes intermétalliques) présentaient des propriétés mécaniques médiocres. Ils étaient fragiles, peu ductiles et peu flexibles, anisotropes et de composition non homogène. Par rapport à la section transversale totale d'un conducteur techniquement réalisable, les densités de courant (de 20 à 30 A/mm2) ou les intensités de courant (de 10 à 30 A) pouvant être atteintes étaient donc encore beaucoup plus faibles. En particulier, la fabrication de bobines comportant de longs fils et de puissants champs magnétiques alternatifs posait un problème jusqu'alors non résolu. En outre, les conducteurs disponibles présentaient encore d'importantes pertes en courant alternatif. Il n'existait encore aucun procédé permettant d'établir une liaison supraconductrice entre des fils courts. Par conséquent, ce n'est qu'à partir de 1994 que l'on a pu disposer de fils supraconducteurs à haute température d'environ 1 km de long pour les utiliser dans des transformateurs expérimentaux avec une densité de courant critique de seulement 30 A/mm2. C'est en 1996 qu'apparaît, au Japon, le premier transformateur refroidi à l'azote liquide et ayant une puissance de 0,8 MVA.

L'engin de traction ferroviaire électrique nécessite toutefois un transformateur qui ait une puissance de 1 à 6 MVA. A la date de priorité de la demande, il était impossible de fabriquer un tel transformateur, même au stade expérimental. De façon analogue, M. Tixador a estimé en mars 1998, dans le document D15, que ces supraconducteurs à haute température destinés à des engins de traction ferroviaires ne pourraient être utilisés que dans les 5 à 10 années à venir. La déclaration de M. Mocaer (document D16) confirme elle aussi qu'en 1992, les applications de supraconducteurs à haute température n'étaient pas réalisables avec les produits existants, mais qu'elles n'auraient pu se fonder que sur des propriétés théoriques ou potentielles des matériaux connus.

D'après le requérant, le brevet litigieux confirme indirectement cet exposé de l'état de la technique. En effet, la description (colonne 1, lignes 49 à 52 ; colonne 2, lignes 13 à 20 et colonne 3, lignes 3 à 7) fait référence à la faible "température de service comprise entre 4 à 6 K qui est nécessaire pour maintenir la supraconductivité des supraconducteurs disponibles aujourd'hui à l'échelle industrielle", à l' "utilisation de ce que l'on appelle les supraconducteurs à haute température (SCHT) actuellement en développement, dont les températures de service avoisinent la température d'ébullition de l'azote liquide" et aux nouvelles "perspectives d'application pour l'utilisation d'enroulements supraconducteurs" qui en résultent. La description mentionne également les pertes totales à escompter "dans l'hypothèse de pertes en courant alternatif du supraconducteur telles que mesurées jusqu'à présent sur quelques échantillons de matériau". Le brevet attaqué n'expose cependant aucun mode de construction possible pour un enroulement de transformateur supraconducteur à haute température. Il décrit, à l'aide d'un seul mode de réalisation où l'azote liquide est utilisé comme frigorigène, les avantages que l'on peut espérer de la chaleur d'évaporation de l'azote liquide, qui est dix fois supérieure à celle de l'hélium. Avec un poids total de 3 t, ou un volume de 1 à 2 m3 d'azote liquide, il est alors possible d'assurer "pendant 2 à 3 jours le refroidissement d'un transformateur supraconducteur nécessaire pour cette application" (colonne 2, lignes 27 à 33 du fascicule de brevet). Il s'ensuit directement que le but poursuivi n'aurait pas pu être atteint en utilisant de l'hélium comme frigorigène (sans parler des coûts beaucoup plus élevés). En effet, l'hélium liquide aurait dû être fourni en une quantité au moins dix fois supérieure, et être mis en oeuvre sur l'engin de traction ferroviaire dans des conditions beaucoup plus difficiles, à une température avoisinant le zéro absolu. La principale question est donc de savoir s'il aurait été possible d'exécuter l'invention en utilisant de l'azote liquide en tant que frigorigène.

Selon la jurisprudence constante de l'OEB, l'étendue de la protection conférée par un brevet doit correspondre à la contribution technique de l'exposé et ne doit pas couvrir des objets qui n'auraient pas été disponibles sans effort excessif (cf. T 409/91, JO OEB 1994, 653 ; T 435/91, JO OEB 1995, 188). Le titulaire du brevet n'a aucun droit concernant les sous- domaines qui n'ont pas été suffisamment exposés (T 612/92, non publiée au JO OEB). A la date de priorité, l'objet de la revendication 1 du brevet litigieux n'était pas réalisable avec le succès recherché, tel que présenté dans la description. Quoi qu'il en soit, le sous-domaine défini dans la revendication 2 n'était pas réalisable et il convient de le supprimer (cf. T 412/93, non publiée au JO OEB ; Directives, partie C, Chapitre III, 6.4 ; Directives, partie D, Chapitre V, 4.4.1). Par conséquent, le brevet attaqué n'exposait pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier ait pu l'exécuter à la date de priorité (article 100 b) CBE).

Il n'est pas nécessaire de reproduire ici les arguments développés par le requérant à propos de la nouveauté et de l'activité inventive.

IX. L'intimé (titulaire du brevet) a essentiellement fait valoir ce qui suit :

Les documents D14 à D16 ne doivent pas être pris en considération, puisqu'ils ont été produits tardivement et qu'il ne sont pas pertinents prima facie. Ils n'ont aucun rapport avec l'installation d'un transformateur supraconducteur sur un engin de traction ferroviaire, ils ont pour la plupart été publiés à une date ultérieure et pourraient tout au plus aider à comprendre le contexte de la recherche. Il est douteux que le document D14 puisse être considéré comme un avis objectif, puisque cette expertise a été demandée par le requérant lui-même, à l'appui de ses arguments. Le document D15 n'apporte aucun élément nouveau par rapport au D14. Quant au document D16, il n'est pas pertinent, car il n'importe guère de savoir si les supraconducteurs à haute température étaient déjà commercialement utilisables à la date de priorité.

Le brevet attaqué ne concerne pas la fabrication d'enroulements supraconducteurs, mais la combinaison d'un engin de traction ferroviaire avec un transformateur supraconducteur et une citerne de frigorigène en tant qu'unique dispositif d'alimentation en frigorigène ; autrement dit, aucun autre système de refroidissement n'est nécessaire. L'objet de l'invention est d'obtenir un "bon niveau d'efficacité" et d'éviter les importantes "pertes résultant des contraintes d'espace et de poids imposées par le transformateur" (fascicule du brevet, colonne 1, lignes 32 à 38). Pour résoudre ce problème, le brevet litigieux donne un enseignement technique concret qui pourrait par exemple être réalisé de la façon présentée dans la figure du fascicule. L'invention n'est pas limitée au refroidissement par de l'azote liquide ("gaz liquide, notamment de l'azote" ; colonne 3, ligne 51 du fascicule du brevet), mais permet l'utilisation de n'importe quel frigorigène approprié dans le réservoir à gaz liquide. L'hélium liquide est également un mode de réalisation possible, mais qui nécessiterait des intervalles de remplissage plus rapprochés ou des quantités de frigorigène plus importantes. Cela n'a cependant aucune incidence sur la question de savoir si l'invention peut être réalisée en tant que telle, mais constitue tout au plus un inconvénient d'ordre économique. Les transformateurs stationnaires refroidis à l'hélium étaient déjà connus à la date de priorité. Il n'existe aucune différence fondamentale entre les transformateurs stationnaires et ceux qui sont disposés sur des engins de traction ferroviaires. Par conséquent, l'homme du métier disposait d'au moins un mode de réalisation. Il ne fait donc aucun doute que l'objet de la revendication 1 était exposé de façon suffisamment claire et complète pour que l'homme du métier ait pu l'exécuter à la date de priorité.

Ce qui précède est également vrai pour la réalisation de l'invention avec de l'azote liquide en tant que frigorigène (revendication 2). L'homme du métier disposait de toutes les informations et de tous les matériaux nécessaires. Les transformateurs supraconducteurs existaient également, de même que les procédés de fabrication pour des supraconducteurs à haute température et des fils à conductivité appropriée. L'homme du métier aurait donc aussi pu exécuter des transformateurs refroidis à l'azote, s'il l'avait voulu. Les morceaux de fil courts auraient pu être assemblés pour former des fils plus longs. Le document D17 mentionne explicitement l'existence d'enroulements de transformateurs supraconducteurs à haute température avant la date de priorité du présent brevet. Il n'y a dès lors aucune raison de croire qu'il aurait été objectivement impossible de réaliser un engin de traction ferroviaire équipé d'un tel transformateur.

Selon la jurisprudence en vigueur (cf. R. Teschemacher dans Singer/Stauder, "Europäisches Patentübereinkommen", 2e édition, Heymanns, Cologne 2000, article 83, ci-dessous désigné "Singer/Stauder-Teschemacher"), l'exposé n'est dans ce cas insuffisant que si l'enseignement technique indiqué ne concorde pas avec les lois de la nature, ou si l'effet technique recherché et revendiqué n'est pas objectivement réalisable. Le requérant n'a produit aucun document présentant de façon objective l'état de la technique à la date de priorité et n'a fourni aucune raison objective pour laquelle il n'aurait pas été possible de fabriquer un transformateur refroidi à l'azote. Au contraire, il s'est contenté de tirer une série de conclusions subjectives. Le fait qu'un tel transformateur n'était pas disponible dans le commerce n'est pas un critère pour apprécier la possibilité de réaliser l'invention. Le présent brevet indique clairement au moins un mode de réalisation permettant à l'homme du métier d'exécuter l'invention, laquelle était donc exposée de manière suffisante (T 292/85, JO OEB 1989, 275). Les inconvénients économiques qui résultent éventuellement d'une réalisation de l'invention avec de l'hélium comme frigorigène (par exemple des intervalles de remplissage plus rapprochés) ne sont pas une raison pour conclure à l'impossibilité d'exécuter l'invention (cf. T 881/95, non publiée au JO OEB). Il n'y avait aucun obstacle objectif à l'utilisation d'autres frigorigènes. L'invention n'est pas non plus contraire aux lois de la nature et est de ce fait réalisable dans toute son étendue. La décision T 409/91 citée par le requérant ne constitue pas un cas similaire, parce qu'il n'est pas nécessaire que tous les modes possibles de réalisation des transformateurs soient disponibles. De même, il n'est pas non plus possible d'établir un rapport entre la décision T 412/93 dans le domaine du génie génétique et le brevet en cause, puisqu'en l'espèce, la revendication 2 dépendante était également réalisable dans la combinaison revendiquée.

Motifs de la décision

1. Le recours est recevable.

2. Exposé de l'invention dans le fascicule du brevet

2.1 L'invention, telle que présentée dans le fascicule du brevet, porte sur un engin de traction ferroviaire électrique qui présente les catégories de puissances habituelles et doit pouvoir être utilisé de façon pratique et judicieuse dans des conditions de fonctionnement normales. Son utilisation doit procurer des avantages techniques par rapport à l'état de la technique pertinent. La description part de la constatation selon laquelle les transformateurs destinés à l'alimentation en courant des engins de traction ferroviaires présentent, en raison de contraintes de poids et d'espace, des pertes de rendement importantes par rapport aux transformateurs stationnaires (colonne 1, lignes 6 à 24). En dépit de ces contraintes, l'engin de traction ferroviaire peut obtenir un bon degré d'efficacité si l'on construit un transformateur supraconducteur, associé à un réservoir de gaz liquéfié qui sert de citerne de frigorigène et constitue l'unique dispositif d'alimentation en frigorigène (colonne 1, lignes 32 à 46 ; revendication 1). L'utilisation de supraconducteurs réduit les pertes globales ainsi que le poids et l'encombrement du transformateur par rapport à un transformateur refroidi à l'huile et exécuté avec des conducteurs normaux (colonne 3, lignes 3 à 27). Ainsi, il est possible d'installer une citerne de frigorigène qui soit d'une taille suffisante pour refroidir le transformateur jusqu'à l'échange ou au remplissage de la citerne (colonne 2, lignes 34 à 55). Si l'on utilise, comme frigorigène, de l'azote liquide (à 77 K) au lieu du coûteux hélium (à 4 K) (ce qui n'est possible qu'avec des supraconducteurs à haute température), il ne faut plus que 15 à 35 W au lieu de 350 à 1 500 W pour produire 1 W de puissance frigorifique (colonne 1, de la ligne 47 à la colonne 2, ligne 26). En outre, l'azote liquide offre une chaleur d'évaporation dix fois supérieure à celle de l'hélium. Avec 1 à 2 m3 (environ 3 t) de frigorigène, il est alors possible (en dépit de l'espace limité) d'assurer pendant 2 à 3 jours le refroidissement d'un transformateur pour alimenter en courant un engin de traction ferroviaire (colonne 2, lignes 27 à 33 ; colonne 3, lignes 28 à 33).

2.2 Le fascicule du brevet n'indique pas dans quelles circonstances il serait possible d'utiliser un autre frigorigène. Il ne précise pas comment les efforts beaucoup plus importants à consentir pour le refroidissement au moyen d'hélium liquide (poids, encombrement, complexité) pourraient être compensés par d'autres mesures qui permettraient de renoncer, dans les conditions définies au départ, à une unité de refroidissement supplémentaire, et à faire fonctionner efficacement et judicieusement l'engin de traction ferroviaire, malgré des intervalles de remplissage ou d'échange raccourcis d'un facteur 10 au moins (ou malgré la quantité plus importante de frigorigène). Bien que l'hélium soit cité dans l'introduction et qu'il fût, à la date de priorité du brevet attaqué, pratiquement le seul frigorigène généralement connu susceptible de remplacer l'azote liquide, aucune revendication du brevet litigieux ne porte sur l'hélium en tant que frigorigène. L'azote liquide en revanche est le frigorigène préféré selon la revendication dépendante 2 (cf. également revendication 3 et l'expression "gaz liquéfié, notamment l'azote" à la ligne 51 de la colonne 3). L'azote liquide en tant que frigorigène et, partant, le transformateur muni d'enroulements fabriqués dans un matériau supraconducteur à haute température ayant une température de transition supérieure à 77 K, sont donc un aspect essentiel de l'invention, selon l'enseignement du brevet. D'autres frigorigènes pourraient désormais s'ajouter à la liste des variantes présentant un effet technique similaire, si de nouveaux supraconducteurs à température de transition encore plus élevée étaient découverts. Il est évident que ces futures variantes doivent également être couvertes par la revendication 1. Si le texte de la revendication 1 n'exclut pas explicitement l'hélium liquide en tant que frigorigène, l'enseignement du brevet en litige n'indique pas pour autant à l'homme du métier qu'il pourrait l'utiliser comme mode de réalisation avec un succès comparable.

3. Caractère complet de l'exposé (article 100b) CBE)

3.1 L'article 100 b) CBE dispose que l'invention qui fait l'objet d'un brevet européen doit être exposée "de façon suffisamment claire et complète" pour "qu'un homme du métier puisse l'exécuter". Pour que les conditions requises par cet article soient remplies, le brevet européen doit donc fournir suffisamment d'informations pour qu'un homme du métier, faisant appel à ses connaissances générales, puisse comprendre l'enseignement technique de l'invention revendiquée et le mettre en oeuvre. Cette condition doit déjà être remplie à la date de dépôt ou à la date de priorité, car il n'est plus possible par la suite de remédier à une telle irrégularité sans enfreindre l'article 123(2) CBE (cf. G 2/93, JO OEB 1995, 275, points 4 et 10 concernant l'article 83 CBE correspondant ; Singer/Stauder-Teschemacher, point. 14 ; Schulte, Patentgesetz mit EPÜ, 6e édition, Heymanns, Cologne 2001, § 34, ci-dessous désigné "Schulte", point 338).

3.2 Selon la jurisprudence constante des chambres de recours de l'OEB, l'exposé d'une demande de brevet ou d'un brevet doit permettre à un homme du métier d'exécuter en pratique l'invention revendiquée à la date pertinente de dépôt, avec succès et dans tout le domaine revendiqué. Un mode unique de réalisation peut constituer un exposé suffisant s'il est possible d'obtenir l'effet recherché sans effort excessif, et avec la sécurité voulue, dans tout le domaine revendiqué. Les échecs éventuels ainsi que le caractère inutilisable de certaines variantes ne sont pas préjudiciables à cet égard. Il n'est pas nécessaire de décrire tous les détails relatifs à la réalisation de l'invention si l'homme du métier dispose des matériaux de base et que le procédé de fabrication d'un objet revendiqué est connu. L'étendue nécessaire de l'exposé est une question de fait à trancher au cas par cas. Il n'est pas indispensable que les diverses composantes ou les différents matériaux de base aient été commercialement disponibles, à la date pertinente. Cependant, l'homme du métier de compétence moyenne connaissant cet exposé devait être en mesure, à la date considérée, d'exécuter l'invention revendiquée conformément à l'enseignement technique inhérent et de produire l'objet revendiqué (cf. les décisions susmentionnées T 409/91, points 2 et 3.5 ; T 435/91, point 2.2.1 ; T 292/85, points 3.1.2 et 3.1.5 ; et T 612/92, points 12 et 13 ; cf. également Singer/Stauder-Teschemacher, points. 11, 16, 21, 23- 26 et 60 ; Schulte, points 278, 279, 306, 315, 332 et 333).

3.3 Pour déterminer si l'exposé d'une invention pour laquelle une protection par brevet européen est recherchée est suffisant, il importe donc peu de savoir si cette invention aurait été, à la date pertinente de la demande (date de priorité), réalisable sous la forme de l'une des variantes couvertes par le texte de la revendication, dans le cas où cette variante ne correspond pas au domaine principal de l'enseignement technique de l'invention, auquel le seul mode de réalisation exposé en termes concrets se rapporte. Selon la jurisprudence établie (possibilité de réaliser l'invention dans tout le domaine revendiqué), il faut que le seul mode de réalisation exposé en termes concrets puisse être considéré comme base de la généralisation et comme élément représentatif de tout le domaine, et qu'il ait également pu être exécuté en pratique. Une variante qui ne se fonde manifestement pas sur le même effet technique ne peut pas servir de base à une telle généralisation.

3.4 En l'espèce, la question décisive consiste donc à savoir si l'homme du métier, connaissant le présent brevet à la date de priorité, était en mesure de réaliser un transformateur supraconducteur refroidi au moyen d'azote liquide pour alimenter en courant un engin de traction ferroviaire électrique. Ce n'est que si cet homme du métier disposait des composantes nécessaires à cet effet, sous la forme de produits de base ou de connaissances techniques générales permettant de les fabriquer, que l'exposé de détails relatifs à la fabrication d'enroulements de transformateurs supraconducteurs est sans importance. Dans cette hypothèse, on pourrait considérer que la contribution technique de l'invention eu égard aux connaissances générales à la date considérée réside dans le dispositif particulier d'alimentation en frigorigène selon la revendication 1 (cf. dessin du fascicule de brevet).

3.5 La découverte des supraconducteurs à haute température par Bednorz et Müller en 1986 et la découverte, en 1987, de supraconductrices qui présentaient ces propriétés supraconductrices au-delà du point d'ébullition de l'azote liquide (77 K), ont été suivies de programmes de développement dans le monde entier. Les recherches ont porté sur des applications potentielles, puisque l'utilisation d'azote liquide à la place d'hélium en tant que frigorigène permettait d'espérer une réduction considérable des efforts techniques de refroidissement et une diminution très sensible des coûts. Il ne fait aucun doute que les échantillons de laboratoire de fils relativement courts fabriqués à partir de matériaux supraconducteurs à haute température étaient déjà connus avant la date de priorité du brevet litigieux. Sur la base de ces informations, des études de cas ont été menées à propos de diverses applications, dont les transformateurs. Il ne fait non plus aucun doute qu'à la date de priorité du brevet attaqué (30 septembre 1992), ces nouveaux matériaux posaient encore une série de problèmes non résolus, notamment pour la fabrication de fils longs à partir des oxydes fragiles des supraconducteurs à haute température connus. Ces matériaux étaient anisotropes, peu ductiles ou flexibles, et présentaient des valeurs de densité de courant critique relativement faibles. Dans le cas des transformateurs, il fallait en outre tenir compte des pertes inévitables en courant alternatif, ainsi que de la baisse de la densité de courant critique lorsque les contraintes de flexion étaient plus importantes (enroulement des bobines). Il est également incontesté que si les transformateurs stationnaires refroidis à l'hélium existaient déjà en 1992, aucun transformateur supraconducteur à haute température n'avait encore été fabriqué.

3.6 Ce qui est en revanche contesté, comme l'a allégué l'intimé, c'est la question de savoir si l'homme du métier aurait pu réaliser un transformateur de la catégorie de puissance d'un engin de traction ferroviaire (plus de 1 MVA) avec les matériaux et connaissances disponibles à l'époque, s'il l'avait voulu. A ce propos, le requérant a démontré avec les moyens de preuve D14 à D16 que la fabrication de fil supraconducteur à haute température de la longueur nécessaire (plus de 1 000 m) et l'enroulement de bobines appropriées d'une densité de courant critique suffisamment élevée ne faisaient pas partie des connaissances générales de l'homme du métier à la date de priorité du brevet attaqué. En particulier, la Chambre estime que le document D14 ainsi que les articles spécialisés, dont certains ont été publiés par la suite, exposent de façon convaincante que les procédés connus à l'époque ne permettaient pas de fabriquer simplement, à souhait, des fils plus longs et présentant une densité de courant critique plus élevée (cf. par ex. la figure à la page 5 du document D14). Ces documents font état de longueurs record qui ont été atteintes, et aucun des documents auxquels le D14 se réfère n'évoque la possibilité d'établir une liaison supraconductrice en assemblant des fils courts.

3.7 Les documents D14 à D16, qui ont été produits en même temps que l'exposé des motifs du recours ou même avant (D16), constituent des preuves très pertinentes lorsqu'il s'agit d'apprécier les connaissances techniques à la date de priorité. L'état de la technique à la date considérée ne peut pratiquement être présenté de façon objective par des articles spécialisés qu'avec de nombreux documents dont certains ont été publiés ultérieurement, à moins qu'un document n'ait par hasard été publié exactement à ce sujet (après la date pertinente). Par conséquent, les documents D14 et D16 ne peuvent être ignorés en l'espèce.

3.8 Compte tenu des documents D14 à D16, la Chambre conclut qu'en septembre 1992, l'homme du métier ne disposait pas des enroulements supraconducteurs à haute température adéquats pour un transformateur de la catégorie de puissance mentionnée. De même, il n'existait pas de procédés de fabrication appropriés, et encore moins de connaissances techniques, puisque c'était plutôt le but poursuivi par les programmes de développement en cours. Dans ces conditions, l'exposé d'une invention n'est complet que s'il communique à l'homme du métier les informations qui lui font défaut pour exécuter l'invention en pratique. Le document D17 ne peut être admis comme preuve de l'existence de ces connaissances en tant que connaissances techniques générales, puisqu'il ne donne aucune information concrète quant à la fabrication de fils supraconducteurs longs à haute température.

3.9 Compte tenu de cette insuffisance de l'exposé, il n'est pas nécessaire de se demander s'il était objectivement impossible de combler cette lacune à la date de priorité, c'est-à-dire de déterminer si personne n'aurait pu obtenir l'effet technique recherché et revendiqué. L'on ne peut par exemple exclure avec certitude que quelqu'un disposait des connaissances spécialisées non accessibles à un homme du métier de compétence moyenne. Le présent brevet ne satisfait cependant pas au critère décisif, dans la mesure où il n'expose pas l'invention d'une façon au moins suffisamment complète pour que l'homme du métier de compétence moyenne, connaissant le brevet et faisant appel à ses connaissances générales, ait pu l'exécuter à la date de priorité (cf. également Singer/Stauder-Teschemacher, points 18, 23, 29 et 33- 35).

4. La Chambre conclut dès lors que le présent brevet n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier ait pu l'exécuter à la date de priorité. Le motif d'opposition cité à l'article 100 b) CBE s'oppose par conséquent au maintien du brevet litigieux, et le brevet doit être révoqué au titre de l'article 102(1) CBE.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

La décision attaquée est annulée.

Le brevet est révoqué.

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