T 0356/93 (Cellules de plantes) of 21.2.1995

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:1995:T035693.19950221
Date de la décision : 21 Fevrier 1995
Numéro de l'affaire : T 0356/93
Numéro de la demande : 87400141.5
Classe de la CIB : C12N 15/00
Langue de la procédure : EN
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Titre de la demande : -
Nom du demandeur : PLANT GENETIC SYSTEMS
Nom de l'opposant : Greenpeace Ltd.
Chambre : 3.3.04
Sommaire : 1. Conformément à l'article 53a) CBE, les inventions dont la mise en oeuvre risque de nuire gravement à l'environnement doivent être exclues de la brevetabilité, car elles sont contraires à l'ordre public, (cf. point 5 des motifs). Cependant, toute décision à cet égard présuppose que la menace pesant sur l'environnement ait été suffisamment prouvée au moment où cette décision est prise par l'OEB (cf. point 18.5 des motifs).
2. La notion de "variétés végétales" visée à l'article 53b), premier membre de phrase CBE fait référence à tout ensemble végétal d'un taxon botanique du rang le plus bas connu, qui possède au moins un caractère transmissible le distinguant d'autres ensembles végétaux, et qui est suffisamment homogène et stable dans ses caractères importants (cf. point 23 des motifs).
3. Les cellules de plante en tant que telles ne sauraient être définies comme une plante ou une variété végétale. Elles sont plutôt considérées comme des "produits microbiologiques" au sens large (cf. point 23 des motifs).
4. Le terme "micro-organisme" recouvre les plasmides, les virus et tous les organismes généralement unicellulaires, invisibles à l'oeil nu, qui peuvent être multipliés et manipulés en laboratoire (cf. point 34 des motifs).
5. La notion de "procédés microbiologiques" selon l'article 53b), second membre de phrase CBE vise des procédés qui utilisent des micro-organismes (ou leurs éléments constitutifs) pour fabriquer ou modifier des produits, ou qui développent de nouveaux micro-organismes à des fins spécifiques. En conséquence, la notion de "produits obtenus par ces procédés" visée à l'article 53b), second membre de phrase CBE englobe des produits qui sont fabriqués ou modifiés par des micro-organismes, ainsi que les nouveaux organismes en tant que tels (point 36 des motifs).
6. Les "procédés techniques comprenant une étape microbiologique" (en l'occurrence un procédé d'obtention d'un végétal) ne peuvent pas être simplement assimilés à des "procédés microbiologiques". Les produits finals résultant de tels procédés techniques (par ex. des variétés végétales) ne sauraient davantage être définis comme des "produits obtenus par des procédés microbiologiques" au sens de l'article 53b), second membre de phrase CBE (cf. point 39 des motifs).
7. Une revendication n'est pas admissible si la délivrance d'un brevet pour l'invention définie dans ladite revendication a pour effet de contourner une disposition de la CBE établissant une exception à la brevetabilité. Par conséquent, une revendication englobant des variétés végétales n'est admissible que si l'exception à la brevetabilité relative aux variétés végétales, qui est visée à l'article 53b), premier membre de phrase CBE, ne s'applique pas, parce que l'objet de la revendication doit être considéré comme un produit obtenu par un procédé microbiologique (cf. points 40.7 et 40.8 des motifs).
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 53(a)
European Patent Convention 1973 Art 53(b)
Mot-clé : Contraire à l'ordre public (non)
Contraire aux bonnes moeurs (non)
Exception à la brevetabilité - variétés végétales (oui) - requête principale, première et deuxième requêtes subsidiaires - revendication générale englobant des variétés végétales non admissible
Plante en tant que produit obtenu par un procédé microbiologique (non)
Exception à la brevetabilité - cellules de plante (non)
Exception à la brevetabilité - procédé essentiellement biologique (non)
Exergue :

-

Décisions citées :
T 0049/83
T 0290/86
T 0016/87
T 0320/87
T 0544/89
T 0565/89
T 0019/90
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
G 0001/98
G 0002/07
G 0001/08
G 0002/12
G 0002/13
T 0377/95
T 1054/96
T 0179/01
T 0475/01
T 0866/01
T 0315/03
T 1374/04
T 0083/05
T 0915/10
T 2510/18

Exposé des faits et conclusions

I. La demande européenne n 87 400 141.5 a donné lieu, le 10 octobre 1990, à la délivrance du brevet européen n 0 242 236, valable dans treize Etats contractants. Celui-ci comportait quarante-quatre revendications, dont huit étaient indépendantes. Les revendications 1, 7, 14 et 21 s'énoncent comme suit :

"1. Procédé pour contrôler l'action dans des cellules de plante et des plantes comprenant de telles cellules, d'un inhibiteur de la glutamine synthétase, lorsque celui-ci est mis en contact avec celles-là, qui comprend le fait de causer une intégration stable dans le génome desdites cellules de plante d'un ADN hétérologue comprenant un promoteur reconnu par les polymérases desdites cellules de plante et une séquence nucléotidique étrangère capable d'être exprimée sous la forme d'une protéine dans lesdites cellules de plante et plantes sous le contrôle de ce promoteur, et dans lequel ladite protéine a une activité enzymatique capable de causer l'inactivation ou la neutralisation dudit inhibiteur de la glutamine synthétase.

7. Procédé pour produire une plante ou un matériel de reproduction de cette plante comprenant un matériel génétique hétérologue intégré de façon stable dans ceux-ci et capable d'être exprimé dans lesdits plantes ou matériel de reproduction sous la forme d'une protéine capable d'inactiver ou de neutraliser l'activité d'un inhibiteur de la glutamine synthétase, ledit procédé comprenant la transformation des cellules ou du tissu desdites plantes avec un ADN recombinant comprenant un ADN hétérologue comportant une séquence étrangère de nucléotides codant pour ladite protéine ainsi que des éléments de régulation choisis parmi ceux qui sont capables de causer l'intégration stable dudit ADN hétérologue dans lesdits cellules ou tissu de plantes et de permettre l'expression de ladite séquence étrangère de nucléotides dans lesdits cellules ou tissu de plantes, la régénération des plantes ou du matériel de reproduction des plantes ou de l'un et de l'autre, à partir des cellules ou du tissu de plante transformés avec ledit ADN hétérologue et, à titre optionnel, la réplication biologique desdits plantes ou matériel de reproduction ou de l'un et de l'autre.

14. Cellules de plantes transformées de façon non biologique, qui possèdent un ADN hétérologue intégré de façon stable dans leur génome, ledit ADN hétérologue contenant une séquence étrangère de nucléotides codant pour une protéine ayant une activité enzymatique non spécifique de variété, capable de neutraliser ou d'inactiver un inhibiteur de la glutamine synthétase sous le contrôle d'un promoteur reconnu par les polymérases desdites cellules de plante.

21. Plante non biologiquement transformée qui comporte, intégrée de façon stable dans le génome de ses cellules, une séquence étrangère de nucléotides d'ADN codant pour une protéine ayant une activité enzymatique non spécifique de variété, capable de neutraliser ou d'inactiver un inhibieur de la glutamine synthétase sous le contrôle d'un promoteur reconnu par les polymérases desdites cellules."

La revendication indépendante 18 portait sur des semences possédant les mêmes caractères que la plante selon la revendication 21.

Les revendications indépendantes 24 et 29 avaient pour objet respectivement un procédé pour protéger sélectivement la culture d'une espèce de plante et détruire de façon sélective les mauvaises herbes, et un procédé pour protéger sélectivement une espèce de plante dans un champ contre les maladies cryptogamiques, lesdites espèces de plante possédant les mêmes caractères que la plante selon la revendication 21.

La revendication 37, qui était également indépendante, portait sur un vecteur pour la transformation de cellules de plante.

II. Le requérant (opposant) a fait opposition au brevet européen, et en a demandé la révocation pour les motifs visés à l'article 100a) CBE. Il a notamment allégué que la délivrance d'un brevet pour des formes de vie végétale et son exploitation étaient contraires aux bonnes moeurs et/ou à l'ordre public (article 53a) CBE), que les revendications portant sur des plantes et leurs procédés d'obtention n'étaient pas brevetables en vertu de l'article 53b) CBE, et que les produits végétaux issus de toute génération au-delà de la première ne constituaient pas une invention au sens de l'article 52 CBE.

III. A l'issue de la procédure orale, qui a eu lieu le 15 décembre 1992, la division d'opposition a prononcé la décision de rejeter l'opposition conformément à l'article 102(2) CBE, au motif que le brevet satisfaisait aux exigences de la CBE. La décision motivée a été envoyée le 15 février 1993.

Les principaux motifs sur lesquels se fondait cette décision étaient les suivants :

a) La descendance des plantes de la première génération ne peut pas être séparée de l'invention brevetée, puisqu'elle n'existerait pas en l'absence de l'invention. L'inclusion, dans les revendications, de plantes résistantes aux herbicides, ainsi que de matériel de plantes de générations à venir n'entraîne aucune insécurité juridique quant à la portée des revendications ou à leur effet juridique. En conséquence, la brevetabilité ne peut être exclue au titre de l'article 52 CBE.

b) La procédure d'opposition devant l'Office européen des brevets (OEB) n'est pas le cadre approprié pour examiner les avantages et les inconvénients du génie génétique dans le domaine des plantes. La division d'opposition n'est pas tenue en vertu de la décision T 19/90 (JO OEB 1990, 476) de les mettre en balance de façon analogue. En tout état de cause, la présente invention n'appartient pas à cette catégorie extrême d'inventions qui seraient susceptibles d'éveiller auprès d'un vaste public une telle aversion qu'il serait inconcevable de délivrer un brevet, et qui, par voie de conséquence, devraient être exclues de la brevetabilité conformément à l'article 53a) CBE. Le requérant n'a pas été en mesure de prouver l'existence de risques, et effectivement il n'a pas été possible de déterminer avec exactitude quelle était leur véritable étendue. Les risques perçus peuvent en effet évoluer considérablement durant la vie d'un brevet. L'évaluation des risques et la réglementation en conséquence de la mise en oeuvre de l'invention incombent à d'autres autorités.

c) Etant donné que les revendications du brevet tel que délivré ne sont pas limitées à un groupe de plantes étroitement défini, tel qu'une variété, mais qu'elles portent sur un groupe beaucoup plus large, leur objet n'est pas exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 53b) CBE, conformément aux décisions T 49/83 (JO OEB 1984, 112) et T 320/87 (JO OEB 1990, 71). S'agissant des revendications de procédé, elles ne sont pas exclues de la brevetabilité, conformément à la décision T 320/87 (supra), parce que l'intervention humaine a dans ce cas un effet décisif. Cela vaut également pour les générations ultérieures de plantes.

IV. Le requérant a formé un recours contre la décision de la division d'opposition et a déposé, avec son mémoire exposant les motifs du recours, d'autres preuves à l'appui de sa cause.

V. L'intimé (titulaire du brevet) a répondu au mémoire du requérant par lettre en date du 31 décembre 1993, à laquelle les preuves A et C étaient jointes.

VI. Dans une notification établie en vertu de l'article 11(2) du règlement de procédure des chambres de recours, la Chambre a souligné quels étaient les points à examiner au cours de la procédure orale et a fait quelques observations préliminaires, en se référant notamment à des décisions antérieures des chambres de recours ainsi qu'aux documents relatifs à la genèse de la CBE ("travaux préparatoires").

A propos notamment de l'article 53b) CBE, la Chambre a informé les parties qu'elle souhaitait également examiner la question de savoir si l'un des objets revendiqués dans la présente affaire constituait une exception à la brevetabilité en vertu du second membre de phrase de cette disposition.

VII. Dans des lettres datées du 27 octobre et du 5 décembre 1994, le requérant a répondu aux conclusions de l'intimé et à la notification de la Chambre.

VIII. La procédure orale a eu lieu le 20 décembre 1994.

Au cours de cette procédure, l'intimé a présenté trois requêtes subsidiaires, la première comprenant les revendications 1 à 44, la deuxième les revendications 1 à 42, et la troisième les revendications 1 à 38.

Les revendications de la première requête subsidiaire diffèraient de celles du brevet tel que délivré en ce que les nouvelles revendications 18 à 23 remplaçaient les revendications 18 à 23 du brevet tel que délivré, toutes les autres revendications demeurant inchangées. La revendication 23 s'énonçait comme suit :

"Plante qui est obtenue par le procédé selon l'une quelconque des revendications 7 à 13".

Les revendications de la deuxième requête subsidiaire diffèraient de celles du brevet tel que délivré en ce que les nouvelles revendications 18 à 21 remplaçaient les anciennes revendications 18 à 23, toutes les autres revendications étant soit inchangées (revendications 1 à 17), soit modifiées et renumérotées en conséquence (revendications 22 à 42). La revendication 20 s'énonçait comme suit :

"Cellules de plante, selon l'une quelconque des revendications 14 à 17, contenues dans une plante".

Dans la troisième requête subsidiaire, les revendications 18 à 23 du brevet tel que délivré avaient été supprimées, toutes les autres revendications étant soit inchangées (revendications 1 à 17), soit modifiées et renumérotées en conséquence (revendications 18 à 38).

IX. Le requérant a essentiellement invoqué les arguments suivants :

a) Les ressources génétiques des plantes constituant l'héritage de l'humanité, elles doivent demeurer à la disposition de tous sans restriction et être conservées intactes pour les générations à venir. Conférer une protection par brevet à des plantes manipulées par génie génétique est contraire à ces principes. En outre, la domination que l'homme cherche à exercer sur le monde naturel est source d'inquiétudes.

b) Il ressort d'une étude réalisée en Suède et d'un sondage effectué en Suisse que l'opinion publique s'oppose à la brevetabilité, en tant qu'inventions techniques, de plantes rendues résistantes aux herbicides par génie génétique.

c) L'OEB, qui se trouve au carrefour entre la science et l'intérêt public, est en mesure de porter des jugements de valeur sur une technologie donnée. Lorsqu'il délivre des brevets, il doit en premier lieu prendre en considération l'intérêt public, qui, dans la présente espèce, est la protection de l'environnement. Bien qu'il ne puisse s'engager dans un processus qui l'amène à envisager quels sont les risques non encore prouvés d'une technologie revendiquée, les inconvénients et les conséquences pour l'environnement de l'objet revendiqué en l'espèce ont été démontrés à plusieurs reprises. Si l'on mettait en balance les avantages et les inconvénients de l'invention, comme le préconise la décision T 19/90 (supra), on constaterait que la mise en oeuvre de l'invention ne présente aucun avantage incontestable, susceptible de justifier la délivrance d'un brevet. Le côté positif (élimination des mauvaises herbes) présente dès le départ un inconvénient, puisque les revendications, notamment les revendications 24 à 36 du brevet tel que délivré, prévoient une utilisation accrue d'herbicides, ce que tout le monde ne considère pas comme souhaitable (cf. la déclaration sous serment de P.R. Beaumont et les preuves y afférentes, notamment le rapport intitulé "Crops Resistant to Glutamine Synthetase Inhibitors", 1991, ci-après Beaumont). L'exploitation de la présente invention fait peser sur l'environnement de graves risques irréversibles :

- les plantes traitées pourraient elles-mêmes se transformer en mauvaises herbes (cf. par ex. Beaumont (op.cit.) ; Fitter et al. Bio/Technology vol. 8, mai 1990, page 473, ci-après Fitter; Williamson dans "Herbicide resistance in weeds and crops, 11th Long Ashton International Symposium" I.C. Casely et al. (eds), Butterworth, 1990, pages 375 à 386 - ci-après Williamson I). Par conséquent, au lieu d'éliminer les mauvaises herbes, l'invention en créerait de nouvelles.

- La résistance aux herbicides pourrait s'étendre à d'autres plantes (cf. par ex. Beaumont op. cit.).

- Les écosystèmes pourraient être endommagés (cf. par ex. Williamson, TIBTECH, vol. 6, n 4, avril 1988, pages S32 à S35 - ci-après Williamson II).

Comme le montre l'article de Le Baron et McFarland dans "Managing resistance to agrochemicals : from fundamental research to practical strategies", M.B. Green et al. (eds), 1990, pages 336 à 352 (ci-après Le Baron), même l'industrie estime qu'il n'est pas souhaitable de développer des plantes résistantes aux herbicides (cf. page 351, point 9).

d) En ce qui concerne l'article 53b) CBE, la Chambre doit statuer, de l'avis du requérant, conformément aux principes juridiques établis, en gardant à l'esprit que les auteurs de la CBE voulaient expressément exclure les variétés végétales.

Bien qu'intelligemment formulées en termes généraux, les revendications 14 à 23 du brevet tel que délivré sont en réalité destinées à couvrir des variétés végétales, ce que l'intimé a admis. En effet, ces revendications portent sur un groupe très limité de plantes comportant un caractère particulier (résistance aux herbicides) qui est transmis de façon stable aux générations suivantes, et cela sans devoir faire intervenir à nouveau les parents, et qui est censé faire partie de la modification génétique des plantes concernées. Cela correspond de facto à la définition d'une variété végétale, telle qu'on la trouve dans la Convention Internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV). Les revendications ne sont donc pas admissibles en vertu de l'article 53b) CBE. En effet, lorsqu'une revendication couvre un objet non brevetable, elle n'est pas valable dans son ensemble.

e) La revendication 7 porte sur un procédé biologique, et non sur un procédé microbiologique. En effet, à l'exception de l'étape consistant à intégrer un ADN étranger dans le génome, ce qui est totalement aléatoire, les étapes subséquentes jusqu'à la réplication des plantes ou du matériel de reproduction sont biologiques. Considéré dans son ensemble, le procédé, qui est donc essentiellement biologique, est exclu de la brevetabilité conformément à l'article 53b) CBE.

De même, le matériel de plantes selon les revendications 14 à 23, qui est obtenu au moyen dudit procédé essentiellement biologique, n'est pas davantage brevetable en vertu de cet article.

f) L'objet des revendications 14 à 23 est également exclu de la brevetabilité lorsque l'on tient compte du second membre de phrase de l'article 53b) CBE. Cette disposition ne vise pas à conférer une protection par brevet à tout ce qui ne constitue pas un micro- organisme obtenu par des procédés microbiologiques. L'expression "procédé microbiologique", qui n'est pas synonyme de "procédé technique", est limitée à des micro-organismes tels que des levures et autres (cf. Communiqué du Président de l'OEB, en date du 11 décembre 1981, JO OEB 1982, 19 ; cf. Directives relatives à l'examen C-IV, 3.5). Une interprétation plus large est impossible. Les revendications en question n'ont pas pour objet des micro- organismes, mais des plantes.

Même si l'expression "procédé microbiologique" était interprétée largement, de façon à couvrir tout produit obtenu par un procédé mis en oeuvre à l'échelle microscopique dans un laboratoire, et que la première plante obtenue directement par ce moyen soit considérée comme le produit d'un procédé microbiologique, on ne saurait en déduire que les générations suivantes de plantes (par ex. la 10e génération d'une plante résistante aux herbicides) peuvent être considérées, avec la meilleure volonté, comme le produit d'un procédé microbiologique. Elles sont en fait le produit d'un procédé essentiellement biologique, parce qu'elles sont générées spontanément, sans nécessiter la moindre intervention humaine. En conséquence, de tels procédés d'obtention et les plantes obtenues par ces procédés ne sont pas brevetables en vertu de l'article 53b) CBE.

g) S'agissant des trois requêtes subsidiaires, les revendications qu'elles contiennent ne sont que pure façade, car elles visent à contourner les dispositions relatives à l'exclusion. Elles doivent donc être rejetées pour les mêmes raisons.

X. L'intimé a essentiellement invoqué les arguments suivants :

a) Les preuves présentées par le requérant concernant l'opinion publique sont inopérantes, car elles ne portent pas sur l'invention particulière dont il est question. Des scientifiques hautement qualifiés estiment que la biotechnologie constitue un outil utile pour garantir un approvisionnement alimentaire suffisant face à l'accroissement de la population mondiale qui représente un problème moral urgent. Le présent brevet n'affecte pas les ressources génétiques existantes. Au contraire, il en crée de nouvelles.

b) Le requérant n'a fourni aucune preuve irréfutable quant aux risques que la mise en oeuvre de la présente invention pourrait entraîner, tels que la dissémination du gène de résistance aux herbicides dans d'autres plantes ou la transformation des cultures en mauvaises herbes.

L'évaluation des risques est régie par des directives nationales ou européennes. D'autres institutions que l'OEB sont tout à fait compétentes pour procéder à une évaluation technique des risques et peuvent, le cas échéant, interdire l'exploitation d'une invention. Il conviendrait de ne pas confondre, d'une part, l'octroi de droits de protection pour une invention et, d'autre part, les conditions dans lesquelles celle-ci est mise en oeuvre.

En tout état de cause, la présente invention n'appartient pas à cette catégorie d'inventions susceptible de provoquer auprès du public en général une telle aversion ou présenter à ses yeux un tel danger qu'il serait inconcevable de délivrer un brevet. L'OEB ne devrait appliquer la disposition de l'article 53a) CBE relative à l'exclusion de la brevetabilité que dans ces cas extrêmes.

c) L'exclusion de la brevetabilité visée à l'article 53b) CBE est limitée aux variétés végétales (cf. décisions T 49/83 et T 320/87 supra). L'expression "variété végétale" utilisée dans cet article est une définition juridique, à savoir qu'il s'agit d'une "variété susceptible d'être protégée", et ne doit pas être interprétée comme une définition scientifique. En fait, si les variétés végétales ont été exclues de la brevetabilité, c'est parce qu'elles peuvent être protégées en vertu de l'UPOV. Elles représentent des produits finis qui doivent satisfaire aux exigences de l'UPOV.

Bien que les présentes revendications englobent tout type de plante, variété ou non, possédant le caractère indiqué, elles ne peuvent pas être artificiellement limitées, d'une quelconque façon, à une variété végétale spécifique. Il a été noté qu'il n'était pas possible d'introduire un disclaimer dans les revendications, parce que l'on ne savait pas sur quoi le faire porter.

Bien que les exemples aient été réalisés sur des variétés existantes, rien n'indique que le brevet doit être limité à un type de variété quelconque. Certaines des plantes obtenues conformément à l'invention pourraient certes être qualifiées par la suite de variétés, mais pas dans tous les cas. Les revendications portent également sur du matériel de plante que l'on ne peut raisonnablement considérer comme une variété.

En tout état de cause, le point de savoir si la revendication couvre ou non des variétés végétales est une question d'interprétation des revendications, laquelle ne constitue pas un motif d'opposition (art. 84 CBE), et doit être laissée à l'appréciation des juridictions nationales.

d) Les auteurs de la CBE ne voulaient pas exclure de la brevetabilité les inventions techniques. L'idée qui sous-tendait l'article 53b) CBE était, dans le premier membre de phrase, d'exclure les inventions réalisées par des procédés essentiellement biologiques, et, dans le second membre de phrase, de rétablir celles réalisées par des procédés techniques.

Conformément à la pratique actuelle de l'OEB, les cellules de plante sont considérées comme des produits microbiologiques. Les plantes et les semences revendiquées sont des produits obtenus par un procédé technique (cf. revendication 7), lequel consiste en trois étapes inséparables, à savoir l'intégration d'un ADN dans le génome de la cellule, la régénération à partir des cellules ou du tissu cultivé et la réplication biologique des plantes ou du matériel de reproduction. L'étape biologique finale est pratiquement insignifiante car l'effet technique est déterminé par l'introduction dans les cellules de plante de l'ADN hétérologue, à savoir par l'étape microbiologique de l'intervention humaine.

Pour ces raisons, la dérogation aux exceptions à la brevetabilité conformément à l'article 53b), second membre de phrase CBE, s'applique aux cellules de plante, aux plantes et aux semences revendiquées. La brevetabilité selon l'article 52 CBE est donc rétablie pour ces dernières.

XI. Le requérant a demandé l'annulation de la décision attaquée et la révocation du brevet.

L'intimé a demandé le rejet du recours ou, à titre subsidiaire, le maintien du brevet sur la base de l'une des trois requêtes subsidiaires présentées au cours de la procédure orale (cf. point VIII supra, 2e paragraphe).

Motifs de la décision

1. Le recours est recevable.

Questions en litige

2. Deux questions principales se posent dans la présente affaire; il convient en effet de se demander :

a) si l'un des objets revendiqués constitue une exception à la brevetabilité conformément aux dispositions de l'article 53a) CBE ; et

b) si l'un des objets revendiqués constitue une exception à la brevetabilité conformément aux dispositions de l'article 53b) CBE.

Notions d'"ordre public" et de "bonnes moeurs" conformément à l'article 53a) CBE.

3. L'article 53a) CBE exclut de la brevetabilité les "inventions dont la publication ou la mise en oeuvre serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs, la mise en oeuvre d'une invention ne pouvant être considérée comme telle du seul fait qu'elle est interdite, dans tous les Etats contractants ou dans l'un ou plusieurs d'entre eux, par une disposition légale ou réglementaire".

4. Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires, le groupe de travail "Brevets" a reconnu qu'"il n'existait pas une notion européenne des bonnes moeurs". Ses membres ont donc estimé à l'unanimité que "l'interprétation de la notion de bonnes moeurs incomberait aux institutions européennes" (cf. document IV/2767/61-F, page 7). Il en va de même pour la notion d'ordre public (ibid., page 8). Aussi faut-il définir ces notions par interprétation, avant d'apprécier la brevetabilité de l'objet revendiqué au regard de l'article 53a) CBE.

5. Il est généralement admis que la notion d'ordre public couvre la protection de l'intérêt public et l'intégrité physique des individus en tant que membres de la société. Cette notion englobe également la protection de l'environnement. Par conséquent, conformément à l'article 53a) CBE, les inventions dont la mise en oeuvre risque de troubler la paix publique ou l'ordre social (par ex. par des actes terroristes), ou de nuire gravement à l'environnement, doivent être exclues de la brevetabilité, car elles sont contraires à l'ordre public.

6. La notion de bonnes moeurs est fondée sur la conviction selon laquelle certains comportements sont conformes à la morale et acceptables, tandis que d'autres ne le sont pas, eu égard à l'ensemble des normes acceptées et profondément ancrées dans une culture donnée. Aux fins de la CBE, la culture en question est la culture inhérente à la société et à la civilisation européennes. En conséquence, les inventions dont la mise en oeuvre n'est pas conforme aux normes de conduite conventionnelles adoptées dans cette culture doivent être exclues de la brevetabilité, conformément à l'article 53a) CBE, car elles sont contraires aux bonnes moeurs.

7. Le second membre de phrase de l'article 53a) CBE comporte la réserve suivante : "... la mise en oeuvre d'une invention ne pouvant être considérée comme telle du seul fait qu'elle est interdite, dans tous les Etats contractants ou dans l'un ou plusieurs d'entre eux, par une disposition légale ou réglementaire". Cette réserve indique clairement que la question de savoir si un objet particulier est contraire ou non à l'ordre public ou aux bonnes moeurs n'est pas fonction des dispositions législatives ou réglementaires nationales. Inversement, la Chambre estime qu'un objet particulier ne doit pas automatiquement être considéré comme satisfaisant aux exigences de l'article 53a) CBE, du seul fait que sa mise en oeuvre est autorisée dans tous les Etats contractants ou dans l'un ou plusieurs d'entre eux. Aussi l'autorisation ou l'interdiction de la mise en oeuvre d'une invention par des dispositions légales ou réglementaires nationales ne constitue-t-elle pas en soi un critère suffisant aux fins de l'examen en vertu de l'article 53a) CBE.

8. Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la CBE que l'opinion qui prédominait était celle selon laquelle la conception de la brevetabilité dans le droit européen des brevets devait être aussi large que possible (cf. document IV/2071/61-F, page 5, point 2, premier paragraphe). Par conséquent, les exceptions à la brevetabilité ont été interprétées de manière restrictive, notamment en ce qui concerne les variétés végétales et les races animales (cf. par ex. les décisions T 320/87 et T 19/90 supra). De l'avis de la Chambre, cette approche vaut de la même façon pour les dispositions de l'article 53a) CBE.

9. L'octroi de droits de propriété industrielle pour des organismes "vivants", tels que des plantes ou des animaux, fait l'objet d'intenses débats dans les milieux intéressés et suscite une certaine inquiétude parmi le public. Jusqu'à présent, trois décisions des chambres de recours ont traité de ce sujet, à savoir les décisions T 49/83, T 320/87 et T 19/90 (supra). Dans la décision T 49/83, la chambre saisie de cette affaire a dit que la "Convention sur le brevet européen ne prévoit pas d'exclusion générale de la brevetabilité des inventions ayant trait à la nature vivante" (cf. point 2 des motifs). Toutefois, des trois décisions citées, seule la décision T 19/90 portait spécifiquement sur la question de l'exception à la brevetabilité conformément à l'article 53a) CBE (cf. point 5 des motifs). Dans cette décision, la chambre saisie de cette affaire a estimé que comme le cas en litige concernait la manipulation génétique des animaux, question qui posait indéniablement maints problèmes (souffrance endurée par les animaux, risques pour l'environnement, etc.), il existait des raisons impératives qui faisaient que les dispositions de l'article 53a) CBE devaient être prises en compte lors de l'examen de la brevetabilité. Elle a considéré que pour décider si l'invention en question devait ou non être exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 53a) CBE, il était "nécessaire avant tout de peser soigneusement, d'une part, les graves réserves qu'appellent la souffrance endurée par les animaux et les risques éventuels pour l'environnement et, d'autre part, les avantages de l'invention, à savoir son utilité pour l'humanité". La division d'examen n'ayant pas encore procédé à un tel examen, l'affaire lui a été renvoyée. Dans les décisions T 49/83 (supra) et T 320/87 (supra), les revendications portant respectivement sur du matériel de reproduction et sur des plantes hybrides ont été considérées comme admissibles en vertu des dispositions de la CBE.

10. La Chambre note que les documents préparatoires et la jurisprudence citée ci-dessus admettent que des brevets peuvent, en principe, être délivrés pour des inventions portant sur des plantes ou des animaux (à l'exception des variétés végétales et des races animales), ainsi que sur des procédés de nature technique en vue de leur obtention (cf. notamment la décision T 19/90 supra, point 4.10 des motifs ainsi que le document du groupe de travail "Brevets" IV/2071/61-F, page 6). Selon la Chambre, on peut donc déduire de ce qui précède que les semences et les plantes en tant que telles ne doivent pas constituer une exception à la brevetabilité, conformément à l'article 53a) CBE, pour la seule raison qu'elles représentent de la matière "vivante" ou, comme l'a allégué le requérant, parce que les ressources génétiques des plantes devraient rester "l'héritage commun de l'humanité". Sur ce dernier point, la Chambre fait observer qu'il n'est pas question dans la présente espèce de la brevetabilité de ressources de plantes sauvages susceptibles d'être utilisées comme matériel de départ. L'appartenance de telles ressources à "l'héritage commun de l'humanité" n'est donc pas en péril.

11. Par conséquent, la question à poser au regard de l'article 53a) CBE n'est pas de savoir si les organismes vivants sont exclus en tant que tels, mais plutôt si la publication ou la mise en oeuvre d'une invention concernant un organisme vivant particulier doit ou non être considérée comme contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs.

Appréciation de la brevetabilité au regard des exigences de l'article 53a) CBE

12. Bien qu'il puisse s'avérer difficile d'établir si un objet revendiqué est contraire ou non à l'ordre public ou aux bonnes moeurs, l'OEB ne doit pas ignorer les dispositions de l'article 53a) CBE lorsqu'il apprécie la brevetabilité d'une invention (cf. décision T 19/90 supra, notamment le point 5 des motifs).

13. La question de savoir si une invention revendiquée constitue une exception à la brevetabilité au sens de l'article 53a) CBE devra être tranchée au fond selon le cas d'espèce, sur la base des notions d'ordre public et de bonnes moeurs, telles que définies plus haut (cf. points 5 à 7 supra). La bonne approche consiste à examiner les faits particuliers de chaque affaire et à vérifier, à la lumière de ces faits, si cette affaire est fondée.

14. Dans la présente espèce, il s'agit de déterminer si la mise en oeuvre de l'un des objets revendiqués dans le brevet litigieux risque de porter sérieusement atteinte à l'environnement ou est contraire aux normes de conduite conventionnelles adoptées dans la culture européenne.

15. Afin d'établir que l'objet revendiqué dans le brevet litigieux appelle des objections au titre de l'article 53a) CBE, le requérant se fonde notamment sur les documents suivants :

i) une étude réalisée auprès d'agriculteurs suédois sur des questions liées au génie génétique et aux "super crops" (supercultures), dont les résultats montrent qu'une grande majorité d'entre eux (82%) est opposée au génie génétique et en particulier aux "supercultures" (par ex. les plantes résistantes aux herbicides),

ii) un sondage d'opinion réalisé en Suisse sur la brevetabilité des animaux et des plantes, selon lequel la majorité des personnes interrogées (69%) y est opposée.

De l'avis du requérant, l'étude et le sondage démontrent que l'opinion publique est contre la délivrance de brevets pour ce type d'inventions. La Chambre ne souscrit pas à cette conclusion. Les résultats d'études ou de sondages peuvent difficilement être considérés en soi comme décisifs, lorsqu'il s'agit d'apprécier la brevetabilité d'un objet donné au regard des exigences de l'article 53a) CBE, et ce pour les raisons suivantes :

- les études et les sondages ne reflètent pas nécessairement des inquiétudes en matière d'ordre public ou des principes moraux profondément ancrés dans la culture européenne.

- Les résultats d'études et de sondages peuvent, en très peu de temps, fluctuer de façon imprévisible et être aisément influencés et contrôlés par un certain nombre de facteurs, par exemple le genre de question posée, le choix et l'importance de l'échantillon représentatif, etc.

- Les études réalisées auprès d'un groupe particulier de personnes (par ex. des agriculteurs) ont tendance à refléter leurs intérêts spécifiques et/ou leurs préjugés.

- Comme indiqué plus haut, la question de savoir si la brevetabilité d'une invention est exclue en vertu de l'article 53a) CBE doit être examinée au fond selon chaque cas d'espèce. En conséquence, si l'on devait se fonder sur des études et des sondages, ceux-ci devraient être réalisés ad hoc sur la base de questions spécifiques portant sur l'objet particulier qui est revendiqué. Pour des raisons évidentes, une telle procédure est difficile à réaliser.

- A l'instar des dispositions légales et réglementaires nationales autorisant ou interdisant la mise en oeuvre d'une invention (cf. point 7 supra), une étude ou un sondage montrant qu'un groupe particulier de personnes ou que la majorité de la population de tous les Etats contractants ou uniquement de l'un ou plusieurs d'entre eux s'oppose à la délivrance d'un brevet pour un objet particulier ne saurait constituer un critère suffisant aux fins d'établir si ledit objet est contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs.

16. Le requérant allègue pour l'essentiel que la mise en oeuvre de l'objet revendiqué (notamment l'objet des revendications 24 à 36 du brevet tel que délivré) nuirait à l'environnement. Cette objection est soulevée en rapport avec la question de l'ordre public, en raison de l'impact que l'invention est supposée avoir sur l'environnement, et celle des bonnes moeurs, en raison des inquiétudes que suscite la domination acquise par l'homme sur le monde naturel. La Chambre traitera ci-après ces deux questions séparément, en tenant compte du sens que revêtent les notions d'ordre public et de bonnes moeurs, telles que définies plus haut (cf. points 5 à 7 supra).

17. S'agissant des bonnes moeurs, les considérations de la Chambre ont été les suivantes :

17.1 Le requérant a exprimé son inquiétude quant à la domination que l'être humain cherche à exercer sur le monde naturel en appliquant aux plantes les techniques du génie génétique. A cet égard, la biotechnologie végétale doit être considérée comme une technologie visant à réaliser des progrès ou des améliorations pratiques dans le domaine des plantes grâce aux connaissances scientifiques modernes. Son développement permet inévitablement de mieux comprendre et contrôler les phénomènes naturels liés aux plantes. Toutefois, de l'avis de la Chambre, les activités relevant de ce domaine technique n'en sont pas pour autant inacceptables dans leur essence. En effet, la biotechnologie végétale ne saurait en soi être considérée comme davantage contraire aux bonnes moeurs que les méthodes de sélection traditionnelles, parce que les spécialistes de ces techniques, comme ceux de la biologie moléculaire, poursuivent le même objectif, à savoir modifier les propriétés d'une plante en y introduisant du matériel génétique nouveau, afin d'obtenir une nouvelle plante, si possible améliorée. Toutefois, comparées avec les techniques de sélection traditionnelles, les techniques du génie génétique appliquées aux plantes permettent de contrôler de manière plus efficace et plus précise les modifications génétiques. Grâce à la biotechnologie végétale, il est possible de modifier ponctuellement des gènes ainsi que d'introduire dans une plante donnée du matériel génétique provenant d'espèces végétales n'ayant aucun lien de parenté et d'organismes autres que des plantes. Ces techniques constituent un outil important pour la sélection des plantes, car elles permettent d'effectuer des manipulations qui seraient tout simplement irréalisables avec les techniques de sélection traditionnelles. Le potentiel impressionnant de ces techniques est à l'origine des inquiétudes et des appréhensions exprimées par l'opinion publique, et suscite des désaccords et des controverses considérables. C'est sur cette situation de fait que se fonde l'objection soulevée par le requérant quant à la domination acquise par l'homme sur le monde naturel. Ces inquiétudes sont compréhensibles, car le pouvoir de la science pour le meilleur et pour le pire a toujours troublé l'être humain. Comme tout autre outil, les techniques du génie génétique dans le domaine des plantes peuvent être utilisées à des fins constructives ou destructrices. Toute utilisation impropre ou ayant des effets destructeurs de ces techniques serait indubitablement contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs. Par conséquent, conformément à l'article 53a) CBE, une invention concernant une telle utilisation ne saurait en aucun cas donner lieu à la délivrance d'un brevet. Il y a donc lieu d'établir en l'espèce si l'objet revendiqué porte ou non sur une utilisation impropre ou ayant des effets destructeurs de la biotechnologie végétale.

17.2 La présente invention a essentiellement pour objectif de produire des plantes et des semences résistantes à une catégorie particulière d'herbicides, à savoir les inhibiteurs de la glutamine synthétase, et qui sont ainsi sélectivement protégées contre les mauvaises herbes et les maladies cryptogamiques. Il y a lieu de noter que les plantes ou les semences résistantes aux inhibiteurs de la glutamine synthétase pourraient également être obtenues par des méthodes traditionnelles de sélection des plantes, étant donné que certaines plantes peuvent être naturellement résistantes ou développer une telle résistance. Le brevet litigieux divulgue l'utilisation de techniques modernes de biotechnologie pour produire des plantes et des semences résistantes aux inhibiteurs de la glutamine synthétase et contenant, intégré de façon stable dans leur génome, un ADN hétérologue codant pour une protéine capable d'inactiver ou de neutraliser les herbicides susmentionnés. De cette façon, un nouveau caractère est ajouté au matériel génétique d'une plante intéressante, ce qui permet à cette plante de pousser en présence d'inhibiteurs de la glutamine synthétase.

17.3 De l'avis de la Chambre, aucune des revendications du brevet litigieux n'a pour objet une utilisation impropre ou ayant des effets destructeurs des techniques de biotechnologie végétale ; en effet, les revendications portent sur des activités (production de plantes et de semences, protection des plantes contre les mauvaises herbes ou les maladies cryptogamiques) et sur des produits (cellules de plante, plantes, semences) qui ne sauraient en soi être considérées comme inacceptables au regard des normes de conduite conventionnelles adoptées dans la culture européenne. Les conséquences que ces activités sont supposées avoir sur l'environnement devront être examinées dans le cadre de la question de l'ordre public (cf. point 18 infra).

18. S'agissant de la question de l'ordre public, la Chambre estime, comme indiqué au point 5 supra, que les inventions dont la mise en oeuvre risque de nuire gravement à l'environnement sont exclues de la brevetabilité en vertu de l'article 53a) CBE. Aussi faut-il examiner soigneusement les objections et les preuves présentées par le requérant à cet égard (cf. point IX c) supra).

18.1 Avant d'examiner en détail les points spécifiques soulevés par le requérant, il convient de faire quelques remarques d'ordre général sur les droits qu'un brevet confère à son/ses titulaire(s) ainsi que sur les fonctions des offices de brevets.

18.2 Les brevets constituent d'importants instruments dans les domaines de la recherche et du développement technologiques, ainsi que de la stratégie d'entreprise. Un brevet confère à son(ses) titulaire(s), pour une période définie, le droit exclusif d'exploiter l'objet des revendications, c'est-à-dire de le fabriquer, de l'utiliser et de le commercialiser, et ainsi d'empêcher autrui d'en faire autant. Cette protection est accordée en échange d'une divulgation complète de l'invention revendiquée. Toutefois, le droit d'exploiter l'invention n'est pas inconditionnel. Au contraire, l'invention revendiquée dans un brevet ne peut être mise en oeuvre que dans le cadre défini par les dispositions légales et réglementaires nationales relatives à l'exploitation de ladite invention.

18.3 Un office de brevets a pour mission de délivrer des brevets, c'est-à-dire de conférer le droit exclusif d'exploiter les inventions revendiquées dans les brevets en question sur une aire géographique limitée et pour une période déterminée. La Chambre partage l'avis du requérant, selon lequel les offices de brevets se trouvent au carrefour entre la science et l'intérêt public. Toutefois, ils ne sont pas seuls, mais agissent parallèlement à un nombre croissant d'autorités, et tout particulièrement d'autorités de contrôle, lesquelles sont notamment chargées de veiller au respect des lois, des traités internationaux, des dispositions administratives, etc. lors de la mise en oeuvre d'une technologie donnée, que celle-ci soit protégée ou non par un brevet (cf. par ex. la liste des autorités compétentes pour la mise en oeuvre de la Directive des CE 90/220/CEE, (preuve A présentée par l'intimé)). L'évaluation des dangers découlant de la mise en oeuvre d'une technologie donnée est l'une des tâches importantes de ces organismes de contrôle.

18.4 Dans la plupart des cas, les risques potentiels liés à la mise en oeuvre d'une invention ayant donné lieu à la délivrance d'un brevet ne peuvent pas être anticipés sur la seule base de la divulgation de l'invention contenue dans le fascicule du brevet. Un exemple typique est le cas des brevets délivrés pour des composés chimiques en vue d'un usage pharmaceutique. Dans ce domaine technique particulier, les brevets sont généralement délivrés sur la base de données obtenues in vitro ou chez l'animal, avant que les données cliniques obtenues chez l'homme ne soient disponibles. En fait, l'utilisation des produits pharmaceutiques n'est souvent autorisée (ou interdite) par les autorités compétentes qu'après la délivrance du brevet. En effet, une appréciation réaliste de l'efficacité thérapeutique nécessite un programme d'essais et d'évaluation des produits long et complet. Les offices de brevets ne disposent pas généralement des résultats de ces essais au cours de l'examen d'une affaire. A ce stade, l'exploitation des produits revendiqués se trouve selon toute probabilité, dans la phase initiale, lorsque les autorités compétentes n'ont pas encore évalué ou achevé d'évaluer les risques et l'innocuité des produits. Il en va de même pour de nombreux autres produits dont la mise en oeuvre est subordonnée à l'autorisation des autorités compétentes, tels que les herbicides, les insecticides, etc. Ces autorités spécialisées sont en mesure d'évaluer ces risques, voire les dangers, de façon réaliste, sur la base des réglementations en vigueur, de critères objectifs et de paramètres scientifiquement valables. De même, les plantes transgéniques doivent normalement être elles aussi autorisées par les autorités compétentes dans la majorité des pays où des développements biotechnologiques ont lieu avant même que des essais initiaux en champ puissent être réalisés à petite échelle (cf. par ex. Directives des CE 90/219/CEE et 90/220/CEE).

18.5 De l'avis de la Chambre, la révocation d'un brevet européen en vertu de l'article 53a) CBE, au motif que la mise en oeuvre de l'invention pour laquelle le brevet a été délivré nuirait gravement à l'environnement, présuppose que la menace pesant sur l'environnement ait été suffisamment prouvée au moment où l'OEB rend la décision de révoquer le brevet. Cela est conforme à l'exigence selon laquelle les exceptions à la brevetabilité conformément à l'article 53a) CBE doivent être interprétées de façon restrictive, que la mise en oeuvre d'une invention ayant donné lieu à la délivrance d'un brevet européen soit ou non interdite, dans tous les Etats contractants ou dans l'un ou plusieurs d'entre eux, par une disposition légale ou réglementaire (cf. points 7 et 8 supra).

18.6 Dans la présente affaire, le requérant n'a présenté aucune preuve concluante montrant que l'exploitation de l'objet revendiqué risque de nuire gravement à l'environnement. En fait, la plupart de ses arguments sont fondés sur l'éventuelle survenue de phénomènes indésirables, ayant des effets destructeurs (par ex. la transformation de cultures en mauvaises herbes, la dissémination du gène de résistance aux herbicides dans d'autres plantes, la détérioration de l'écosystème). Bien entendu, de tels phénomènes peuvent se produire dans une certaine mesure, ce que même l'intimé a admis. Toutefois, de l'avis de la Chambre, les preuves documentaires présentées à ce sujet ne sont pas suffisantes pour démontrer que la menace pesant sur l'environnement est telle que l'invention doit être exclue de la brevetabilité conformément à l'article 53a) CBE. En particulier :

- Beaumont (op.cit.) indique que l'utilisation des inhibiteurs de la glutamine synthétase peut entraîner le développement d'une résistance dans une population de mauvaises herbes et déclare en même temps qu'"il n'a jamais été rendu compte jusqu'à présent de la survenue d'une telle résistance" (cf. page 6). Mention est également faite de l'éventuelle transmission du gène de résistance aux herbicides à des mauvaises herbes appartenant à la même famille que la culture ainsi que de l'infiltration possible des inhibiteurs de la glutamine synthétase dans les eaux. Il est dit en outre qu'il n'existe "aucune preuve convaincante ou fiable établissant que l'introduction de cultures résistantes aux herbicides permettra de diminuer la quantité d'herbicides employée, une telle introduction pouvant même entraîner une augmentation des quantités utilisées" (caractères gras ajoutés). En conclusion, Beaumont souligne qu'il est urgent d'adopter un cadre réglementaire international régissant la dissémination, l'utilisation sans danger et le contrôle des organismes génétiquement modifiés, y compris les cultures résistantes aux herbicides, et d'arrêter des dispositions en assurant la mise en oeuvre.

- Fitter (op.cit.) traite d'un point de vue théorique de la probabilité d'une transformation d'une culture en mauvaises herbes.

- Williamson I (op. cit.) déclare que le développement de plantes cultivées résistantes aux herbicides peut comporter certains dangers qui ne sont pas aisément quantifiés et que les gènes manipulés peuvent être propagés. Il conclut qu'il incombe à l'"Advisory Committee on Genetic Manipulation Intentional Introduction Sub-committee" d'apprécier les risques présentés par l'introduction, dans l'environnement, d'organismes de toute sorte génétiquement modifiés, ainsi que de donner des conseils à ce sujet.

- Williamson II (op. cit.) examine d'une manière générale les effets potentiels des organismes contenant de l'ADN recombinant sur les écosystèmes ainsi que leurs composants. Selon lui, si le risque de dommages est limité, les dommages susceptibles d'être causés seraient néanmoins considérables. Des indications sont données sur la façon de minimiser les risques. En outre, la nécessité d'examiner au cas par cas les risques encourus est soulignée.

- Tout en insistant sur l'importance des herbicides en ce qu'ils permettent notamment d'éliminer les pertes de récoltes dues aux mauvaises herbes, Le Baron (op. cit.) suggère que la recherche biotechnologique en matière de développement de cultures résistantes aux herbicides devrait chercher à développer en particulier la résistance à plusieurs herbicides, et non pas uniquement à un ou deux d'entre eux, dans les cultures les plus importantes, afin de permettre un contrôle plus souple des mauvaises herbes résistantes.

- Tout en attirant l'attention du lecteur sur les risques potentiels liés à une utilisation impropre du génie génétique dans le cadre du développement de récoltes résistantes aux herbicides, l'article de J. Gressel paru dans Agro Food Industry Hi-Tech de novembre/décembre 1992, pages 3 à 7 (ci-après Gressel), et mentionné par l'intimé (preuve C), souligne également les avantages que pourrait présenter une telle technologie.

18.7 Ces documents fournissent des preuves fondamentales quant aux dangers possibles de l'application à des plantes des techniques du génie génétique, notamment en ce qui concerne la production de plantes résistantes aux herbicides. L'objectif est de sensibiliser davantage le lecteur à la nécessité d'exploiter cette technologie avec prudence. D'une part, les scientifiques sont invités à minimiser les risques en prenant toutes les précautions possibles lors des expérimentations. D'autre part, les administrateurs, en particulier les autorités de contrôle, sont appelés à s'acquitter de leur tâche, qui consiste à s'efforcer de déceler les dangers, même rares, et d'évaluer tous les risques impliqués par la mise en oeuvre de cette technologie. La Chambre fait observer que le simple fait que le cadre réglementaire actuel puisse s'avérer inadéquat à certains égards, comme le déplore Beaumont (op. cit.), n'investit pas l'OEB du pouvoir d'accomplir des tâches qui devraient incomber à une autorité de contrôle spéciale, instituée à cet effet. Toutefois, elle est d'avis que les documents cités ne permettent pas de conclure avec certitude que la mise en oeuvre de l'un des objets revendiqués nuirait gravement à l'environnement et serait donc contraire à l'ordre public. Il serait injustifié de refuser de délivrer un brevet en vertu de l'article 53a) CBE, sur la seule base d'éventuels dangers, non encore prouvés de façon concluante. Comme indiqué plus haut (cf. points 18.2 et 18.3 supra), un brevet n'équivaut pas en soi à autoriser l'exploitation de l'invention revendiquée dans ce brevet ; il faut pour cela obtenir l'autorisation d'une autorité de contrôle. Si les autorités compétentes interdisent de mettre en oeuvre l'invention, après avoir définitivement évalué les risques encourus, l'objet breveté ne peut de toute façon pas être exploité. Si, au contraire, elles autorisent l'exploitation de l'invention, après avoir conclu à l'absence de risques ou au caractère minime des risques impliqués, l'invention doit alors bénéficier d'une protection par brevet.

18.8 Aucune preuve suffisante n'ayant été soumise en l'espèce quant aux véritables inconvénients de l'invention, l'appréciation de la brevetabilité au regard de l'article 53a) CBE ne peut être fondée sur ce qu'il est convenu d'appeler la "mise en balance" des avantages et des inconvénients, comme l'a allégué le requérant. La Chambre observe qu'il ne s'agit pas là de la seule façon d'apprécier la brevetabilité au regard de l'article 53a) CBE, mais uniquement d'une possibilité, laquelle peut s'avérer utile dans des situations où il existe un dommage et/ou un inconvénient réel (par ex. la souffrance endurée par les animaux, comme dans l'affaire T 19/90 supra).

19. Pour résumer, la Chambre est d'avis que dans la présente affaire, la brevetabilité n'est pas exclue en vertu de l'article 53a) CBE, parce que le brevet litigieux ne comporte aucune revendication portant sur un objet dont la mise en oeuvre serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs au sens de cet article.

Notion de "variétés végétales" conformément à l'article 53b) CBE

20. Le premier membre de phrase de l'article 53b) CBE exclut les "variétés végétales" de la brevetabilité. Les décisions T 49/83 et T 320/87 (supra) portaient déjà sur l'exclusion de la brevetabilité des "variétés végétales" conformément à cette disposition. Dans ces deux affaires, les chambres alors compétentes avaient pris en considération la genèse de l'article 53b) CBE ainsi que la définition de la notion de "variété végétale" énoncée dans la Convention de l'UPOV.

21. En vertu de la décision T 49/83 (supra), les "variétés végétales" recouvrent "un grand nombre de végétaux qui sont, dans une large mesure, similaires de par leurs caractères et qui, dans une certaine marge de tolérance, ne sont pas modifiés à la fin de chacune de leurs reproductions ou multiplications successives ou de chaque cycle de reproduction ou de multiplication spécialement défini", conformément à la définition énoncée dans la version alors en vigueur de la Convention de l'UPOV. Elle comprennent donc "tous les cultivars, clones, lignées, souches et hybrides, susceptibles d'être cultivés, satisfaisant à la condition de pouvoir être nettement distingués de toute autre variété, d'être suffisamment homogènes et d'être stables dans leurs caractères essentiels..." (cf. point 2 des motifs). La chambre saisie de l'affaire a estimé que "pour ces variétés végétales, qu'elles se présentent sous la forme d'un matériel de reproduction ou de multiplication ou sous la forme de la plante elle-même, le législateur n'a pas voulu accorder de protection par brevet dans le cadre de la Convention sur le brevet européen". Elle a conclu que "l'article 53b) CBE exclut seulement la délivrance de brevet pour les plantes ou leurs matériels de reproduction ou de multiplication sous la forme génétiquement fixée de la variété végétale" (cf. point 3 des motifs). Elle a également déclaré que "la lettre même de l'article 53b), premier membre de phrase de la CBE ne permet pas d'assimiler les végétaux à des variétés végétales (cf. point 4 des motifs). Les revendications sur lesquelles se fondait la décision T 49/83 (supra) portaient sur du matériel de reproduction (semences) de plantes cultivées, traité avec un dérivé d'oxime. La chambre saisie de cette affaire a estimé que l'invention revendiquée n'appartenait pas au domaine des obtentions végétales, qui relève de la modification génétique des végétaux. Le paramètre "traité avec un dérivé d'oxime" n'a pas été considéré comme un critère caractéristique d'une variété végétale, parce que le traitement pouvait être également appliqué à un matériel de reproduction qui ne répondait pas à la notion de variété végétale en ce qui concerne les critères d'homogénéité ou de stabilité. Aussi l'article 53b) CBE n'a-t-il pas été considéré comme un obstacle à la brevetabilité du matériel de reproduction revendiqué.

22. La décision T 320/87 (supra) a confirmé les conclusions de la décision T 49/83 (supra) en ce qui concerne la signification de l'exclusion de la brevetabilité des "variétés végétales" au titre de l'article 53b) CBE. Dans cette affaire, les revendications portaient sur des plantes ou des semences hybrides qui n'étaient pas stables et ne pouvaient donc pas être définies comme des "variétés". En fait, l'invention supposait le retour répété aux parents en vue d'une reproduction ultérieure par clonage, car les hybrides issus du croisement des parents, dont l'un était hétérozygote, ne permettaient pas d'obtenir des plantes qui, reproduites ultérieurement par voie sexuée, restaient stables en ce qui concerne les caractères désirés. La chambre saisie de cette affaire avait alors considéré que de tels individus isolés ne devaient pas être considérés comme couverts par la revendication de produit. Pour ces raisons, elle avait décidé que l'exclusion de la brevetabilité prévue à l'article 53b) CBE ne s'appliquait pas à l'objet revendiqué.

23. La Chambre estime donc que la notion de "variétés végétales" visée à l'article 53b), premier membre de phrase CBE fait référence à tout ensemble végétal d'un taxon botanique du rang le plus bas connu, qui possède, qu'il réponde ou non aux conditions pour l'octroi d'un droit de protection en vertu de la Convention de l'UPOV, au moins un caractère transmissible le distinguant d'autres ensembles végétaux, et qui est suffisamment homogène et stable dans ses caractères importants (cf. points 21 et 22 supra et article premier, point vi) de la Convention de l'UPOV, dans sa version révisée, Genève,1991). Les cellules de plante en tant que telles, que l'on peut mettre en culture comme des bactéries ou des levures grâce à la technologie moderne, ne sauraient être définies comme une plante ou une variété végétale. A cet égard, il est également noté que d'après la pratique courante de l'OEB, les cellules de plante sont considérées comme des "produits microbiologiques" au sens large (cf. points 34 et 35 infra).

24. Une revendication de produit qui couvre des "variétés végétales" telles que définies au point 23 ci-dessus n'est pas brevetable en vertu de l'article 53b), premier membre de phrase CBE (cf. point 20 supra).

Notion de "procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux" visée à l'article 53b) CBE

25. L'article 53b) CBE exclut également de la brevetabilité les "procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux...". Les travaux préparatoires montrent que lors de la rédaction de l'article 53b) CBE, le groupe de travail "Brevets" a reconnu que même si l'on excluait du droit européen des brevets la protection des nouveautés végétales et des procédés d'obtention de nouvelles plantes, il fallait cependant maintenir la délivrance de brevets européens portant sur des procédés qui, tout en s'appliquant à des plantes, étaient de nature technique (cf. document IV/2071/61-F, page 6, premier paragraphe). Les procédés pour la culture de nouvelles plantes par irradiation des plantes elles-mêmes ou des semences au moyen d'isotopes étaient cités en exemple (ibid., loc. cit.). La Chambre note que dans l'exemple donné, les plantes ou les semences subissent des modifications génétiques dues à l'irradiation.

26. Afin d'établir une distinction entre les inventions résultant de procédés non techniques d'obtention de végétaux (par ex. des procédés essentiellement biologiques tels que la culture sélective), lesquelles devaient être exclues de la brevetabilité, et les inventions résultant de procédés techniques d'obtention de végétaux, lesquelles étaient considérées comme brevetables, le législateur a également exclu de la brevetabilité, à l'article 53b), premier membre de phrase CBE, les "procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux...". Comme il ressort de l'exemple donné dans le document cité du groupe de travail "Brevets" (cf. point 25 supra), il découle, au plan juridique, de cette disposition que les procédés d'obtention de végétaux qui sont de nature technique, y compris les procédés impliquant la modification génétique des plantes, sont brevetables. En vertu de l'article 64(2) CBE, les droits conférés par un brevet européen à un procédé s'étendent également aux produits obtenus directement par ce procédé (par ex. des plantes).

27. S'agissant de l'interprétation de la notion de "procédés essentiellement biologiques d'obtention de plantes...", il est noté dans la décision T 320/87 (supra) que pour apprécier si un procédé (non microbiologique) doit ou non être considéré comme "essentiellement biologique" au sens de l'article 53b) CBE, il convient de se fonder sur ce qui constitue l'essence de l'invention, en tenant compte de toutes les interventions humaines et des effets qu'elles exercent sur le résultat obtenu (cf. point 6 des motifs). La chambre saisie de cette affaire a considéré que les procédés d'obtention de plantes hybrides qui étaient revendiqués apportaient à des procédés traditionnels d'obtention et à des procédés biologiques connus une modification essentielle, dont l'impact était décisif sur la population hybride souhaitée qui en résultait. Elle a donc estimé que les procédés en question ne pouvaient pas être considérés comme "essentiellement biologiques" au sens de l'article 53b) CBE et qu'en conséquence, l'exclusion de la brevetabilité ne s'appliquait pas.

28. Il découle de ce qui précède qu'un procédé d'obtention de plantes comprenant au moins une étape technique essentielle, dont la mise en oeuvre est impossible sans intervention humaine et qui a un impact décisif sur le résultat final (cf. points 25 à 27 supra) ne tombe pas sous le coup des exceptions à la brevetabilité visées à l'article 53b), premier membre de phrase CBE.

Notions de "procédés microbiologiques" et de "produits obtenus par ces procédés" visées à l'article 53b) CBE

29. Enfin, l'article 53b), second membre de phrase CBE prévoit que la disposition de l'article 53b), premier membre de phrase CBE relatif aux exceptions à la brevetabilité ne s'applique pas "aux procédés microbiologiques et aux produits obtenus par ces procédés". A la lumière des travaux préparatoires, l'inclusion d'une dérogation spécifique à cette disposition pour les procédés microbiologiques ou les produits obtenus par ces procédés peut s'expliquer par la volonté du législateur de bien préciser que la CBE doit conférer une protection par brevet aux procédés susceptibles d'application industrielle impliquant des micro- organismes ainsi qu'à leurs produits. Cette clarification a très certainement été jugée utile pour éviter que des procédés utilisant des micro-organismes eucaryotes susceptibles d'être intégrés dans le règne animal ou végétal ne soient également exclus de la brevetabilité (par ex. certains champignons, les cellules de plante ou d'animaux).

30. Dans la décision T 19/90 (supra, cf. point 4.10 des motifs), la chambre saisie de cette affaire a fait observer que le second membre de phrase de l'article 53b) CBE est une dérogation à l'exception à la brevetabilité prévue dans le premier membre de phrase de cette disposition. Elle en a conclu que le second membre de phrase rétablit par conséquent le principe général de brevetabilité énoncé à l'article 52(1) CBE pour les inventions concernant des procédés microbiologiques et pour les produits obtenus par de tels procédés. Il découle donc de cette décision que les races animales sont brevetables lorsqu'elles sont le produit d'un procédé microbiologique au sens de l'article 53b), second membre de phrase CBE. De l'avis de la Chambre, ce principe s'applique par analogie aux variétés végétales.

31. La Chambre note que la CBE ne définit pas les notions de "procédés microbiologiques" et de "produits obtenus par ces procédés". Les travaux préparatoires relatifs à la CBE ne contiennent pas non plus de définition ou d'indication pertinente à ce sujet. En fait, le groupe de travail "Brevets" a déclaré qu'"il paraissait souhaitable de laisser la question aux juridictions sans prévoir une réglementation expresse, étant donné qu'une réglementation expresse risque de fausser le sens de la disposition en amenant une argumentation a contrario" (cf. document 6551/IV/62-F, pages 7 et 8). Les parties à la présente procédure de recours ont exprimé à ce sujet des avis différents.

- Le requérant a maintenu qu'il convenait d'interpréter littéralement ces notions. Selon lui, le second membre de phrase de l'article 53b) CBE est limité à des procédés (par ex. la production d'antibiotiques par fermentation) impliquant des micro- organismes au sens traditionnel, à savoir des bactéries, des levures et autres. Par conséquent, le terme "microbiologique" ne devrait pas, selon lui, être interprété comme étant synonyme de "technique".

- L'intimé a allégué qu'un procédé technique impliquant une étape microbiologique acquérait un caractère microbiologique et que les produits en résultant devaient donc être considérés comme des produits obtenus par un procédé microbiologique.

Ces deux points de vue sont corroborés par la littérature spécialisée (parmi les nombreuses citations possibles, cf. par exemple R. Lukes dans GRUR Int., 1987, vol. 5, pages 318 à 329, à l'appui de l'avis du requérant, et F. K. Beier et al. dans BIOTECHNOLOGIE ET PROTECTION PAR BREVET, Une analyse internationale, 1985, notamment page 75, à l'appui de l'avis de l'intimé).

32. La Chambre estime qu'au vu des récents développements importants dans le domaine de la microbiologie, l'article 53b), second membre de phrase CBE doit être interprété selon des critères téléologiques objectifs, et que cette méthode d'interprétation est conforme à l'intention du législateur qui sous-tend cette disposition. Parmi ces critères, le principe de l'égalité de traitement de tout ce qui appartient à la même catégorie ou est similaire revêt une grande importance. Il est possible qu'en vertu d'une telle interprétation, cette disposition puisse s'appliquer à un objet que le législateur ne pouvait pas prévoir.

33. La microbiologie traditionnelle avait à l'origine pour objectif de produire, au moyen de procédés de fermentation, des métabolites primaires et secondaires (par ex. de l'acide acétique ou des antibiotiques) et de réaliser des biotransformations (production de biomasse, réactions enzymatiques). La microbiologie moderne combine les techniques traditionnelles et celles du génie génétique, et utilise des approches expérimentales susceptibles d'être largement appliquées à des cellules humaines, animales et végétales qui peuvent être mises et maintenues en culture comme des bactéries et des levures.

34. Conformément à la pratique courante de l'OEB, le terme "micro- organisme" recouvre non seulement les bactéries et les levures, mais aussi les champignons, les algues, les protozoaires, ainsi que les cellules humaines, animales et végétales, autrement dit tous les organismes généralement unicellulaires, invisibles à l'oeil nu, qui peuvent être multipliés et manipulés en laboratoire. Les virus et les plasmides sont également considérés comme répondant à cette définition (cf. Directives pour l'examen, C-IV, 3.5). Cette pratique est conforme à l'interprétation téléologique objective de l'article 53b), second membre de phrase CBE, et notamment au principe de l'égalité de traitement (cf. point 32 supra). Elle est donc parfaitement acceptable. En outre, cette pratique tient manifestement compte des développements de la microbiologie industrielle moderne (cf. par ex. A. Kocková- Kratochvilová, "Characteristics of Industrial Microorganisms", dans "Biotechnology", 1981, vol. 1, H.-J. Rehm and G. Reeds eds, Verlag Chemie, Weinheim, chapitre 1, pages 5 à 71, et notamment la page 7), ce qui est conforme au but objectif de l'article 53b), second membre de phrase CBE.

35. En conséquence, le terme "microbiologique" est interprété comme qualifiant des activités techniques dans lesquelles des micro-organismes, tels que définis ci-dessus (cf. point 34 supra), sont directement utilisés. Ces activités comprennent non seulement les procédés traditionnels de fermentation et de biotransformation, mais également la manipulation de micro- organismes au moyen de techniques du génie génétique ou de fusion, la production ou la modification de produits dans des systèmes recombinants, etc., soit, en résumé, toutes les activités impliquant une utilisation intégrée des techniques biochimiques et microbiologiques, y compris les techniques du génie génétique et chimique, en vue d'exploiter les capacités des microbes et des cellules mises en culture (cf. par exemple H.-J. Rehm et G. Reed "Introduction" dans "Biotechnology", op. cit., chapitre 0 (sic), pages 1 à 3). Ainsi, les procédés du génie génétique mis en oeuvre sur des cellules végétales peuvent être définis comme des "procédés microbiologiques", et leurs produits, à savoir des cellules végétales génétiquement modifiées et leurs cultures, comme des "produits obtenus par ces procédés".

36. De l'avis de la Chambre, la notion de "procédés microbiologiques" selon l'article 53b), second membre de phrase CBE vise des procédés qui utilisent des micro-organismes, tels que définis plus haut (cf. point 34 supra), ou leurs éléments constitutifs, pour fabriquer ou modifier des produits, ou qui développent de nouveaux micro-organismes à des fins spécifiques. En conséquence, la notion de "produits obtenus par ces procédés" visée à l'article 53b), second membre de phrase CBE englobe les produits fabriqués ou modifiés par des micro-organismes, ainsi que les nouveaux micro-organismes en tant que tels.

37. Etant donné que la biotechnologie moderne utilise ou développe fréquemment des procédés d'obtention de végétaux comportant plusieurs étapes, dont au moins une étape consiste en un procédé microbiologique (par ex. la transformation de cellules avec de l'ADN recombinant), il y a lieu d'établir si de tels procédés pris chacun dans son ensemble peuvent être considérés comme des "procédés microbiologiques" au sens de l'article 53b), second membre de phrase CBE et si, par voie de conséquence, les produits issus de tels procédés (par ex. des plantes) peuvent être considérés comme "des produits obtenus par ces procédés" aux fins de cette disposition.

38. De l'avis de la Chambre, les procédés microbiologiques tels que définis plus haut (cf. points 35 et 36 supra) et les procédés techniques comprenant une succession d'étapes, dont au moins une étape essentielle est de nature microbiologique, ne peuvent pas être considérés comme appartenant à la même catégorie ou comme étant similaires, de telle sorte que le principe de l'égalité de traitement leur soit applicable (cf. point 32 supra). Par conséquent, interprétée selon des critères téléologiques objectifs (cf. point 32 supra), la notion de "procédés microbiologiques" visée à l'article 53b), second membre de phrase CBE, ne peut pas s'étendre à toutes les étapes de tels procédés techniques. Il n'existe pas non plus de raisons scientifiques de les inclure. En outre, le second membre de phrase de l'article 53b) CBE fait uniquement référence à des "procédés microbiologiques" et non pas à des "procédés essentiellement microbiologiques". De l'avis de la Chambre, cela signifie que le législateur ne voulait pas que la notion de "procédés microbiologiques" visée à l'article 53b), second membre de phrase CBE soit étendue de façon à inclure également de tels procédés techniques. De plus, l'article 53b), premier membre de phrase CBE n'exclut pas en principe de la brevetabilité les procédés modernes d'obtention de végétaux à plusieurs étapes, qui font appel aux techniques du génie génétique. En fait, lorsqu'il est démontré que de tels procédés sont de nature technique, ils sont brevetables sans restriction en vertu de la CBE. Selon la Chambre, si le législateur avait eu connaissance de tels procédés, il les aurait considérés comme d'autres exemples de procédés techniques, susceptibles notamment d'être appliqués aux plantes et pour lesquels des brevets européens peuvent être délivrés (cf. document IV/2071/61-F, loc. cit.; point 25 supra).

39. Pour conclure, la Chambre estime que les "procédés techniques comprenant une étape microbiologique" ne peuvent pas être simplement assimilés à des "procédés microbiologiques". Les produits finals résultant de tels procédés techniques (par ex. des variétés végétales) ne sauraient davantage être définis comme des "produits obtenus par des procédés microbiologiques" au sens de l'article 53b), second membre de phrase CBE (cf. points 23, 35 et 36 supra, ainsi que le point 40.9 infra).

Appréciation de la brevetabilité au regard des conditions énoncées à l'article 53b) CBE

40. L'examen de la requête principale (revendications 1 à 44 du brevet tel que délivré) appelle les réflexions suivantes :

40.1 En ce qui concerne le procédé selon la revendication 7, la Chambre ne partage pas l'avis du requérant selon lequel, en dépit de l'intervention technique de l'homme dans la première étape du procédé consistant à transformer de façon aléatoire des cellules ou du tissu de plante avec un ADN recombinant, les étapes suivantes de régénération et de réplication des plantes ou des semences confèrent au procédé un caractère biologique global, et qu'en conséquence, l'objet de cette revendication devrait être exclu de la brevetabilité conformément à l'article 53b), premier membre de phrase CBE. Au contraire, la revendication 7 ne porte pas sur un procédé qui est "essentiellement biologique" au sens de cette disposition (cf. points 27 et 28 supra), parce que l'étape de transformation des cellules ou du tissu de plante avec un ADN recombinant, qu'elle soit ou non le fait du hasard, constitue une étape technique essentielle ayant un impact décisif sur le résultat final souhaité. Au cas où cette étape ne serait pas menée avec succès, il est très probable que les plantes ou les semences pourraient encore être régénérées à partir des cellules ou du tissu de plante et être répliquées, mais elles n'auraient pas le caractère distinctif voulu, à savoir posséder l'ADN hétérologue intégré dans leur génome de façon stable. Par conséquent, bien que les étapes ultérieures de régénération et de réplication des plantes ou des semences fassent appel à des mécanismes "naturels", l'étape décisive de l'insertion de la séquence d'ADN pertinente dans le génome de la plante ne pourrait pas être réalisée sans intervention humaine. A cet égard, il convient également de noter que l'étape de régénération n'est pas entièrement biologique, mais plutôt de nature agrotechnique, étant donné qu'un certain degré d'intervention technique est nécessaire pour la sélection des conditions de travail appropriées. Par conséquent, considéré dans son ensemble, le procédé selon la revendication 7 n'est pas "essentiellement biologique", et n'est donc pas exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 53b), premier membre de phrase CBE.

40.2 S'agissant de la revendication 14, qui porte sur des cellules de plante, la Chambre ne souscrit pas à l'argument du requérant selon lequel cette revendication couvre de facto des variétés végétales et que de ce fait, elle n'est pas admissible en vertu de l'article 53b) CBE. En effet, comme indiqué plus haut au point 23, les cellules de plante en tant que telles ne peuvent pas être définies comme étant une plante ou une variété végétale. L'objet de la revendication 14 ne constitue donc pas une exception à la brevetabilité en vertu de l'article 53b) CBE.

40.3 En ce qui concerne la revendication 21, il convient d'observer qu'elle n'est pas formulée en des termes décrivant une variété, parce qu'elle ne fait pas référence à un taxon botanique du rang le plus bas connu (cf. point 23 supra). D'une manière générale, cette revendication a plutôt pour objet une plante qui comporte, intégré dans son génome de façon stable, un ADN hétérologue contenant une séquence étrangère de nucléotides codant pour une protéine ayant une activité enzymatique non spécifique de variété, capable de neutraliser ou d'inactiver un inhibiteur de glutamine synthétase sous le contrôle d'un promoteur reconnu par les polymérases des cellules de plante. S'il est fait référence à une activité enzymatique "non spécifique de variété", c'est pour souligner qu'elle n'est pas caractéristique de gènes ou d'espèces de plante spécifiques (cf. description du brevet litigieux, page 8, lignes 14 à 16).

40.4 L'objet de la revendication 21 diffère de façon décisive de celui examiné dans les décisions T 49/83 et T 320/87 (cf. points 21 et 22 supra) en ce qu'il porte sur des plantes génétiquement modifiées, qui restent stables dans leur(s) caractère(s) modifié(s). Le caractère indiqué de la plante revendiquée est en fait transmis de façon stable aux plantes et aux semences de génération en génération (cf. le fascicule du brevet litigieux, page 7, lignes 59 à 61). Les exemples de mise en oeuvre donnés dans le brevet litigieux portent sur la production de plantes transformées à partir de variétés connues (par ex. Nicotiana tabacum cv. Petit Havana SR1, Solanum tuberosum cv. Berolina ou cv. Désirée, Lycopersicum esculentum cv. Lucullus). Réalisés sur des variétés de tabac, ces exemples montrent que les plantes transformées de cette façon ont une fécondité normale et que les jeunes plantes de la deuxième génération sont homozygotes pour le gène de résistance. Par conséquent, les plantes ou les semences transformées dans les exemples de mise en oeuvre, qu'elles répondent ou non aux conditions en vue de l'octroi d'un droit d'obtenteur, sont des variétés végétales, étant donné qu'elles sont conformes à la définition d'une "variété végétale" (cf. points 21 à 23 supra), à savoir qu'elles se distinguent d'autres ensembles végétaux et qu'elles sont stables et homogènes dans leurs caractères essentiels. En fait, les variétés produites dans ces exemples peuvent être interprétées comme étant des "variétés essentiellement dérivées", celles-ci étant obtenues à partir de variétés connues, par transformation par génie génétique (cf. article 14(5), et en particulier la lettre c) de la Convention de l'UPOV dans sa version révisée, Genève 1991).

40.5 La revendication 21 définit des plantes qui, indépendamment de leur appartenance à une variété particulière, se distinguent de toutes les autres plantes par le caractère spécifique indiqué, qui est transmis d'une façon stable à la descendance. Tandis que la revendication 21 définit le caractère distinctif commun à toutes les plantes couvertes par cette revendication, les exemples de mise en oeuvre indiqués dans le brevet litigieux montrent que dans la pratique, la réalisation de l'invention conformément à la revendication 21 aboutit à l'obtention de variétés végétales "génétiquement transformées". Par conséquent, bien que la revendication 21 ne soit pas rédigée en des termes décrivant une variété, son objet englobe des variétés végétales génétiquement transformées, qui possèdent l'unique caractère distinctif en question. Ce raisonnement est conforme au principe général énoncé de façon constante par les chambres de recours, en vertu duquel la disposition de l'article 69(1) CBE, selon laquelle la description et les dessins (s'il y en a) servent à interpréter les revendications, s'applique également quand il s'agit de déterminer objectivement la teneur d'une revendication (cf. T 16/87, JO OEB 1992, 212 ; T 544/89 en date du 27 juin 1991 et T 565/89 en date du 26 septembre 1990, non publiées au JO OEB).

40.6 L'intimé admet que ces exemples de mise en oeuvre ont été réalisés sur des variétés existantes. Il ne nie pas non plus que la revendication 21 englobe également des variétés végétales. Comme il ne voit aucune possibilité d'introduire un disclaimer approprié, il allègue qu'une variété végétale spécifique couverte par la revendication 21 peut être comparée à une invention de sélection en chimie, une telle variété représentant une sélection parmi la vaste catégorie de plantes revendiquées. La Chambre ne peut accepter cet argument, parce que les variétés végétales sont exclues de la brevetabilité en vertu de l'article 53b), premier membre de phrase CBE, et ce qu'elles constituent ou non une invention de sélection, à moins que la dérogation prévue dans le deuxième membre de phrase de l'article 53b) CBE ne s'applique.

40.7 Une revendication n'est pas admissible si la délivrance d'un brevet pour l'invention définie dans ladite revendication a pour effet de contourner une disposition de la CBE établissant une exception à la brevetabilité. Ainsi, il a déjà été décidé qu'une revendication tombe sous le coup de l'interdiction visée à l'article 52(4) CBE, si l'invention revendiquée n'a pas pour seul objet un effet cosmétique, mais en même temps définit nécessairement une méthode thérapeutique appliquée au corps humain (cf. T 290/86, JO OEB 1992, 414).

40.8 La revendication 21 englobant des variétés végétales (cf. point 40.5 supra), il s'ensuit qu'elle n'est admissible que si l'exception à la brevetabilité relative aux variétés végétales, qui est visée à l'article 53b), premier membre de phrase CBE, ne s'applique pas, parce que l'objet de cette revendication doit être considéré comme un produit obtenu par un procédé microbiologique (cf. points 30 et 40.6 supra).

40.9 La plante selon la revendication 21 est produite par un procédé à plusieurs étapes (cf. le procédé selon la revendication 7), qui, outre l'étape initiale consistant en un procédé microbiologique au cours duquel des cellules ou du tissu de ladite plante sont transformés avec un ADN recombinant, comprend l'étape de régénération de la plante à partir des cellules ou du tissu de la plante transformée, ainsi que l'étape de reproduction du matériel de la plante. L'étape microbiologique initiale a indéniablement un impact décisif sur le résultat final, car c'est elle qui permet à la plante d'acquérir le caractère transmis de génération en génération (cf. point 40.4 supra). Toutefois, la Chambre fait observer que les étapes suivantes de régénération et de reproduction des plantes ont une valeur ajoutée importante et contribuent également, quoique de façon différente, à atteindre le résultat final. Ces deux étapes impliquent des phénomènes et des événements complexes, tels que la différenciation cellulaire, la morphogénèse et la reproduction. Elles ne peuvent donc pas être assimilées au procédé beaucoup plus simple de multiplication et de reproduction des cellules de plante transformées ou du tissu en culture, qui est un procédé typiquement microbiologique. En fait, dans un procédé de culture de cellules ou de tissu, les cellules végétales prolifèrent de façon plutôt désorganisée, soit en suspension, soit en produisant une masse de cellules relativement indifférenciées qui se ressemblent plus ou moins toutes (cals). Par comparaison, un procédé de régénération d'une plante entière à partir des cellules ou du tissu de la plante, qui met à profit la totipotence de nombreuses cellules végétales, comprend une série de phénomènes et de phases importants, tels que la formation de méristèmes au niveau des tiges, puis des racines, la division coordonnée, l'expansion et la différenciation des cellules, ce qui exige de sélectionner soigneusement les conditions de travail appropriées, telles que la manipulation des éléments nutritifs et des régulateurs de croissance. En outre, l'étape biologique suivante consistant à répliquer la plante régénérée implique une nouvelle série de phénomènes et d'événements pertinents, tels que la fécondation, la germination, la croissance et le développement. C'est grâce au contrôle et/ou au bon déroulement de l'ensemble de ces phases et événements que les cellules ou le tissu de la plante "imprimés" pourront ensuite se développer pour devenir une plante entière. Une telle plante n'est pas identique au produit de départ (les cellules ou le tissu de plante transformés), bien qu'elle contienne la même information génétique caractérisante. Une plante entière ne peut pas être assimilée à une cellule ou à du tissu de plante au seul motif qu'elle a acquis son caractère au cours de l'étape "microbiologique" initiale de transformation des cellules ou du tissu de plante. La plante selon la revendication 21 ne résulte donc pas uniquement de ladite étape initiale, mais également de la série d'étapes agrotechniques et biologiques pertinentes qui suivent.

40.10 Il s'ensuit qu'indépendamment de l'impact décisif que l'étape microbiologique a sur le résultat final, le procédé à plusieurs étapes d'obtention de la plante selon la revendication 21 n'est pas un procédé microbiologique au sens de l'article 53b), second membre de phrase CBE (cf. points 38 et 39 supra). En conséquence, une telle plante ne saurait être considérée comme un "produit obtenu par un procédé microbiologique".

40.11 Cela signifie que l'exception à la brevetabilité relative aux variétés végétales, qui est visée à l'article 53b), premier membre de phrase CBE, s'applique à l'invention telle que définie dans la revendication 21. Par conséquent, la revendication 21, qui englobe des variétés végétales, n'est pas admissible (cf. points 40.5 à 40.8 supra). Il ne peut donc être fait droit à la requête principale, dont fait partie la revendication 21.

40.12 Ces conclusions ne contredisent pas celles de la décision T 19/90 (cf. point 30 supra), dans laquelle la chambre saisie de cette affaire, tout en posant le principe que des brevets peuvent être délivrés pour des races animales obtenues par un procédé microbiologique, a renvoyé l'affaire devant la division d'examen aux fins de poursuivre l'examen quant au fond (cf. point 4.10 des motifs, dernière phrase).

41. La revendication 23 de la première requête subsidiaire est rédigée comme une revendication de "produit caractérisé par son procédé d'obtention" et a pour objet des plantes obtenues par le procédé selon les revendications 7 à 13. Le simple fait d'utiliser une formulation différente par rapport à la revendication 21 de la requête principale ne modifie pas le véritable objet revendiqué. Par conséquent, les variétés végétales ne sont pas exclues de la portée de la revendication 23 (cf. point 40.5 supra). Cette dernière n'est donc pas admissible pour les mêmes raisons que celles qui ont été invoquées au sujet de la revendication 21 de la requête principale (cf. points 40.7 à 40.11 supra). La première requête subsidiaire, dont fait partie la revendication 23, doit donc être également rejetée.

42. La revendication 20 de la deuxième requête subsidiaire, qui est rédigée comme une revendication dépendant des revendications 14 à 17, porte sur des cellules de plante "qui sont contenues dans une plante". Il convient de noter que les cellules végétales contenues dans une plante sont des cellules différenciées, lesquelles sont organisées selon leur morphologie et leur fonction de façon à constituer une plante. De l'avis de la Chambre, cela est forcément le cas pour l'homme du métier. Par conséquent, le fait que la revendication 20 dépende de la revendication 14, est plutôt trompeur, étant donné que cette dernière porte, d'une manière générale, sur des cellules de plante transformées. Ainsi, l'objet de la revendication 20, quelle que soit la façon dont celle-ci est formulée, n'est rien d'autre qu'une plante, cette revendication n'excluant pas de sa portée les variétés végétales pour les mêmes raisons que celles invoquées à propos de la revendication 21 de la requête principale (cf. point 40.5 supra). En outre, à l'instar des plantes selon la revendication 21 de la requête principale, de telles plantes ne peuvent pas être considérées comme le produit d'un procédé microbiologique (cf. points 40.9 à 40.11 supra). Par conséquent, la revendication 20 n'est pas admissible pour les mêmes raisons que celles invoquées à propos de la revendication 21 de la requête principale (cf. points 40.7 à 40.11 supra). Il ne peut donc pas non plus être fait droit à la deuxième requête subsidiaire, dont fait partie la revendication 20.

43. L'examen de la troisième requête subsidiaire appelle les réflexions suivantes. Comme on peut le voir plus haut (cf. point VIII supra), les revendications 1 à 38 de cette requête diffèrent de celles du brevet tel que délivré en ce que les revendications 18 à 23 (semences et plantes) ont été supprimées, toutes les autres revendications étant soit inchangées (revendications 1 à 17), soit modifiées et renumérotées en conséquence (revendications 18 à 38). Comme exposé plus haut (cf. points 40.1 et 40.2 supra), les revendications 7 et 14 de cette requête ne sont pas exclues de la brevetabilité en vertu des dispositions de l'article 53b) CBE. En ce qui concerne les autres revendications, aucune ne porte sur un objet tombant sous le coup de l'exclusion de la brevetabilité prévue à cet article.

Conclusion

44. Ni le paragraphe a, ni le paragraphe b de l'article 53 CBE n'excluent de la brevetabilité les revendications 1 à 38 de la troisième requête subsidiaire. Aucune autre objection sur le fond n'ayant été soulevée, le brevet litigieux peut être maintenu sous sa forme modifiée sur la base de cette requête.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

1. La décision attaquée est annulée.

2. L'affaire est renvoyée à l'instance du premier degré afin de maintenir le brevet sur la base des revendications 1 à 38 selon la troisième requête subsidiaire présentée au cours de la procédure orale.

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