T 0740/90 () of 2.10.1991

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:1991:T074090.19911002
Date de la décision : 02 Octobre 1991
Numéro de l'affaire : T 0740/90
Numéro de la demande : 79400555.3
Classe de la CIB : C12N 1/18
Langue de la procédure : FR
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Titre de la demande : Levure sèche active de panification; procédé et souche permettant de l'obtenir, application à la fermentation
Nom du demandeur : Lesaffre et Cie
Nom de l'opposant : Gist-Brocades N.V.
Chambre : 3.3.02
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 83
Mot-clé : Reproducibility of example (yes)
Deposit of yeast culture
Equivalent cultures available
Reproductibilité (oui) - Dépôt d'une souche de levure
Souches équivalentes disponibles
Exergue :

-

Décisions citées :
T 0292/85
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
T 2242/16

Exposé des faits et conclusions

I. La demande de brevet européen n° 79 400 555.3 a donné lieu à la délivrance du brevet n° 8 554 sur la base de cinq revendications dont les revendications 1 et 2 avaient le libellé suivant :

"1. Levure sèche active de panification à teneur en matières sèches supérieure à 94 % et contenant un émulsifiant, caractérisée par le fait que simultanément :

- dans le test A'1, sur 2 heures, elle donne un dégagement gazeux compris entre 125 ml et 135 ml,

- dans le test A'2, sur 1 heure, elle donne un dégagement gazeux compris entre 55 ml et 60 ml,

- dans le test A'3, sur 1 heure, elle donne un dégagement gazeux compris entre 47 ml et 54 ml,

- dans le test A'4, sur 1 heure, elle donne un dégagement gazeux compris entre 26 ml et 30 ml.

2. Levure sèche active de panification selon la revendication 1, caractérisé par le fait qu'elle a été obtenue à partir de la souche a alpha 1217 ayant fait l'objet d'un dépôt au National Collection of Yeast Cultures sous le n° NCYC 890 et à la Collection Nationale de microorganismes tenue par l'Institut Pasteur sous le n° I-094."

II. La requérante (opposante) a formé une opposition au brevet européen et requis sa révocation pour les motifs visés à l'article 100(a)(b)(c) CBE. Lors d'une procédure orale devant la Division d'opposition, la requérante a limité ses motifs d'opposition à l'article 100(b) CBE.

A l'issue de la procédure orale tenue le 12 mars 1986, le président de la Division d'opposition a rendu la décision de révoquer le brevet conformément à l'article 102(1) CBE.

La requérante a formé un recours contre ladite décision. La Chambre de recours a décidé d'annuler la décision de la Division d'opposition et de lui renvoyer l'affaire pour un nouvel examen parce que la décision écrite motivée avait été signée par le président de la Division d'opposition et deux membres techniciens dont l'un n'avait pas participé auparavant à l'affaire et n'était intervenu qu'après la tenue de la procédure orale (décision T 243/87 du 30 août 1989).

La Division d'opposition a tenu une nouvelle procédure orale le 11 juillet 1990 et, à la fin de l'audience, le président de la Division d'opposition a rendu la décision de révoquer le brevet conformément à l'article 102(1) CBE.

Dans cette décision, la Division d'opposition a indiqué que le but de l'invention était la mise à disposition d'une levure sèche de panification plus performante que les levures sèches de panification connues du brevet BE-A-862 191, qui représentait l'état de la technique le plus proche. Une levure sèche conforme à l'invention est obtenue à partir d'une souche de levure combinant les propriétés d'adaptation au maltose, d'osmotolérance et de résistance au séchage, en procédant à des hybridations et à des tests de sélection, puis mise en culture de ladite souche et séchage. La Division d'opposition n'a pas mis en doute que l'invention était exposée de façon suffisamment claire et complète pour autant que la souche a alpha 1217 était concernée. Elle a estimé que le brevet attaqué ne décrivait pas de méthode d'obtention systématique de souches équivalentes à la souche a alpha 1217. A la date de priorité du brevet attaqué, seule la souche a alpha 1217 permettait donc d'obtenir des résultats absolument sûrs et représentatifs. En conséquence, le brevet ne répondait pas aux exigences de l'article 83 CBE.

La requérante a formé un recours contre cette décision.

Une procédure orale a eu lieu le 2 octobre 1991.

Les arguments présentés par la requérante dans son mémoire de recours en réponse à une notification de la Chambre de recours et lors de la procédure orale, peuvent être résumés comme suit :

La Division d'opposition ne met pas en doute que l'invention soit exposée de façon suffisamment claire et complète, pour autant que la souche a alpha 1217 soit concernée, d'o" il s'ensuit que la description donne un enseignement suffisamment clair et complet pour que l'homme du métier puisse exécuter l'invention, c'est-à-dire obtenir le produit nouveau objet de la revendication 1. L'exigence édictée par la Division d'opposition selon laquelle le brevet attaqué devrait comporter, pour satisfaire à la condition de l'article 83 CBE, la description d'un procédé de préparation de souches équivalentes à la souche a alpha 1217, va au-delà des dispositions spécifiques de la CBE et des Directives relatives à l'examen pratique à l'OEB. De toutes façons, même si cette exigence devait être satisfaite, le brevet attaqué n'est pas critiquable sur ce point puisqu'il décrit une méthode d'obtention systématique de souches équivalentes à la souche a alpha 1217. Une telle méthode est décrite au brevet comme comprenant la sélection de souches parentes selon des critères de sélection clairement identifiés (cf page 3, lignes 33 à 41), le croisement de ces souches selon une méthode indiquée de manière claire et complète (cf page 3, lignes 41 à 45), la sélection par screening des souches convenables obtenues (cf page 3, lignes 44 à 64).

Par ailleurs, l'affidavit de Mr. Clément (l'inventeur désigné dans le brevet attaqué) du 1 juin 1990 qui indique que des souches équivalentes à la souche a alpha 1217, conduisant à des levures couvertes par la revendication 1, avaient été préparées en 1978 n'a jamais été contesté par l'intimée.

La Chambre de recours fait référence, dans sa notification en date du 4 juin 1991, aux prétentions de l'intimée selon lesquelles les résultats des essais décrits dans l'affidavit de Mr. Langejan (employé de l'intimée) en date du 20 mai 1983, réalisés avec la souche de levure déposée auprès de l'Institut Pasteur conformément à la Règle 28 CBE ne sont pas conformes aux caractéristiques définies dans la revendication principale.

IV. Les arguments présentés par l'intimée en réponse au mémoire de recours et pendant la procédure orale peuvent être résumés comme suit :

La levure revendiquée ne peut être obtenue avec certitude qu'avec un procédé mettant en oeuvre la souche de levure a alpha 1217. Or il est bien connu que parfois un seul exemple de réalisation ne suffit pas à assurer qu'une invention définie par une revendication large soit suffisamment décrite pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter (voir la décision T 292/85 JO OEB 1989, 275). A la date de priorité, il était notamment très difficile de trouver d'autres souches car les méthodes d'hybridation n'étaient pas reproductibles, les techniques de sélection ne faisaient pas partie des connaissances communes et le seul moyen de savoir avec certitude si la souche obtenue convenait était de mettre en oeuvre toutes les étapes du procédé à une échelle industrielle, ce qui rendait nécessaire l'utilisation d'un marqueur et représentait un effort allant au-delà de ce que l'on peut exiger de l'homme du métier.

Il est inexact qu'un seul stade de multiplication aérobie ait été utilisé, l'affidavit de Mr. Langejan faisant clairement référence aux conditions usuelles de culture. D'ailleurs, la quantité désirée de levure d'ensemencement a été produite, et non un excès, comme cela aurait été le cas si plusieurs stades de multiplication aérobie avaient été mis en oeuvre.

En ce qui concerne le taux de dilution, la requérante elle-même n'utilise pas toujours le même taux de dilution qui n'est pas indiqué au brevet comme étant une caractéristique essentielle.

Les expériences conduites par Mr. Langejan démontrent donc bien que l'invention telle que décrite dans le seul exemple de réalisation disponible n'est pas reproductible par un homme du métier.

V. La requérante requiert l'annulation de la décision de la division d'opposition et le maintien du brevet tel que délivré. L'intimée requiert le maintien de la décision de la division d'opposition et la révocation du brevet.

Motifs de la décision

1. Le recours est recevable.

2. La revendication 1 du brevet délivré couvre une famille de levures sèches actives de panification caractérisées par les paramètres A'1 à A'4 qui représentent une indication des performances d'une levure de panification selon un mode de caractérisation généralement accepté. Un exemple de réalisation décrit la préparation, à partir de la souche de levure a alpha 1217 d'une levure répondant à ces caractéristiques.

2.1. L'intimée conteste la suffisance de description de l'exposé de l'invention eu égard à la portée de la revendication principale du brevet tel que délivré, le seul exemple de réalisation décrit ne permettant l'obtention d'une levure sèche qu'à partir de la souche de levure a alpha 1217 déposée auprès de l'Institut Pasteur conformément à la Règle 28 CBE alors qu'il serait nécessaire de disposer de souches équivalentes à la souche a alpha 1217 pour couvrir toute la revendication. En outre, comme le montre l'affidavit de Mr. Langejan, l'exemple décrit ne permettrait même pas la reproduction de la levure telle qu'obtenue à partir de la souche a alpha 1217.

Dans cet affidavit, Mr. Langejan n'indique pas les performances de la levure fraîche intermédiaire aux tests A1 à A4 ; il se réfère uniquement aux conditions de culture de l'ouvrage Yeast Technology, G. Reed and H. Peppler 1973 alors qu'il est spécifié au brevet à la page 5 ligne 14, de la description, que certaines conditions ne correspondent pas au manuel. En particulier, la dilution du milieu de fermentation utilisée pendant la culture pour obtenir la levure fraîche est deux fois plus faible que celle utilisée dans les expériences de Mr. Langejan. Mr. Langejan n'a pas non plus suivi les conditions indiquées dans l'ouvrage de référence (qui sont aussi celles du brevet) relatives au nombre de stades de multiplication aérobie. Les essais de Mr. Langejan sont à l'échelle de quelques litres alors que la requérante décrit un procédé industriel de fermentation. Il est bien connu que la maîtrise de la fermentation est bien plus difficile sur de faibles volumes que sur des grands volumes. Enfin, Mr. Langejan n'a jamais tenté, depuis sa seule expérience de 1983, de reproduire une nouvelle fois l'invention dans des conditions plus proches de celles décrites au brevet. Or, pour prouver de façon convaincante que l'unique exemple de réalisation décrit au brevet ne permet pas d'atteindre le but recherché, l'intimée doit s'appuyer sur cet exemple. Si l'échelle est modifiée, il convient alors de respecter les paramètres. Or, à l'échelle du laboratoire, qui est celle utilisée par Mr. Langejan, la requérante n'est pas allée jusqu'à la levure sèche finale en raison de la mauvaise maîtrise des paramètres. L'exemple unique de réalisation a été effectué à l'échelle industrielle. L'intimée ne s'étant pas appuyée sur l'exemple unique du brevet, elle n'apporte pas la preuve de non-reproductibilité de l'invention.

2.2. L'intimée cite la décision T 292/85 (voir paragraphe IV supra) pour soutenir que l'exposé n'est suffisant que si l'homme du métier connaît, grâce à l'exposé de l'invention ou aux connaissances générales communes dans son domaine technique, des variantes appropriées produisant le même effet pour l'invention et qu'il est donc nécessaire, en l'espèce, que l'homme du métier connaisse des souches équivalentes à la souche a alpha 1217.

2.3. De l'avis de la Chambre, la référence à cette décision est inappropriée. La décision T 292/85 concernait une invention dont un élément, défini en termes de fonction, était de nature telle que soit certaines variantes particulières n'étaient pas disponibles, soit certaines autres variantes non spécifiées ne convenaient pas. La Chambre de recours a jugé que l'exposé était suffisant dès lors que l'homme du métier connaît, grâce à l'exposé de l'invention ou aux connaissances générales communes dans son domaine technique, des variantes appropriées produisant le même effet pour l'invention. La Chambre a bien précisé cependant qu'il n'est pas nécessaire que l'exposé comprenne des indications particulières sur la manière d'obtenir toutes les variantes possibles d'un élément couvertes par la définition fonctionnelle (point 3.5.1 des motifs de la décision).

2.4. La présente invention n'est pas définie de façon fonctionnelle mais par des paramètres. Elle est donc définie de façon claire et l'existence de variantes possibles ne se retrouve qu'au niveau des produits de départ nécessaires pour préparer les levures couvertes par la revendication. La CBE n'exige pas la description de plusieurs modes de réalisation de l'invention (Règle 27 (1) e) CBE). La seule question à laquelle il s'agit de répondre, au titre de l'article 83 CBE est celle de savoir si la description comporte un mode de préparation, reproductible par l'homme du métier, d'une levure telle que définie dans la revendication.

2.5. La description comporte, de la page 3 ligne 33 à la page 6 ligne 40, un exemple de préparation d'une levure sèche de panification selon la revendication 1. Les caractéristiques de la levure obtenue sont effectivement couvertes par les fourchettes de valeur indiquées à la revendication 1, ce qui suffit en soi à satisfaire la condition édictée à l'article 83 CBE. L'intimée contestant toutefois la reproductibilité de l'exemple de réalisation, il convient d'examiner si les arguments présentés peuvent emporter la conviction de la Chambre.

2.6. L'intimée s'appuie sur l'affidavit de Mr. Langejan dans lequel ce dernier explique qu'il a tenté en vain de reproduire une levure conforme à l'invention en suivant l'enseignement du brevet.

Mr. Langejan s'est procuré une souche de levure a alpha 1217 auprès de l'Institut Pasteur, l'a mise en culture dans les conditions indiquées dans le manuel Yeast Technology, G. Reed and H. Peppler (1973) dans un fermenteur de laboratoire (volume net: 6 litres), puis séchée par un procédé de séchage ménagé conformément au brevet. La levure sèche obtenue présente, dans les tests A'1 à A'4, des valeurs qui se situent en dehors des fourchettes de la revendication 1.

2.7. Il apparaît cependant à la lecture du brevet, comme la requérante l'a rappelé, que "les résultats positifs de tous ces essais au stade trois litres de volume utile ont permis de passer directement à des essais au stade usine" (page 5 lignes 11-13 de la description) et qu'ainsi "la souche a été propagée en usine à plusieurs stades de multiplication" (page 5 lignes 14-15 de la description). Les conditions de réalisation de l'invention telles que décrites au brevet sont donc des conditions industrielles et non des conditions de laboratoire commes celles qui ont été mises en oeuvre par Mr. Langejan. La requérante a expliqué de façon convaincante à la Chambre que l'échelle des essais a une incidence non négligeable sur la maîtrise des paramètres du procédé et donc sur les caractéristiques de la levure sèche obtenue. Même si cette échelle n'était pas indiquée comme déterminante pour atteindre le but souhaité, il n'en demeure pas moins que le seul exemple de réalisation du brevet avait été mis en oeuvre à l'échelle industrielle et que l'intimée, cherchant à prouver que l'invention n'était pas reproductible, devait reprendre les conditions telles qu'elles figuraient dans l'exemple disponible.

2.8. Dès lors que déjà l'échelle n'a pas été respectée, l'essai de Mr. Langejan ne peut pas être considéré comme valable et peu importe que d'autres points de désaccord subsistent entre la requérante et l'intimée quant aux conditions de l'essai, par exemple le taux de dilution ou le nombre de stades aérobie de multiplication.

2.9. Il résulte de ce qui précède que l'intimée, à qui incombait la charge de la preuve, n'a pas démontré que l'invention n'était pas décrite de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. L'invention satisfait donc la condition édictée à l'article 83 CBE.

2.10. La Division d'opposition était d'ailleurs également de cet avis, la suffisance de description n'étant cependant réalisée, selon elle, que pour autant que la souche a alpha 1217 soit concernée.

2.11. Cependant, l'objection selon laquelle la revendication 1 serait de portée trop large, eu égard à la description qui en est donnée, relève plutôt des dispositions de l'article 84 CBE et 56 CBE.

2.12. La requête de l'intimée est limitée au motif d'opposition selon lequel le brevet européen n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter (article 100 b) CBE) et la Chambre n'a pas de raison de mettre en doute la nouveauté et l'activité inventive de l'invention objet du brevet attaqué.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

1. La décision de la Division d'opposition est annulée.

2. Le brevet est maintenu tel que délivré.

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