T 0261/88 (Décision susceptible de recours) of 28.3.1991

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:1991:T026188.19910328
Date de la décision : 28 Mars 1991
Numéro de l'affaire : T 0261/88
Décision de la Grande Chambre des recours G 0005/91
Numéro de la demande : 81201022.1
Classe de la CIB : G11B 7/00
Langue de la procédure : EN
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Titre de la demande : -
Nom du demandeur : Discovision
Nom de l'opposant : N.V. Philips
Chambre : 3.5.02
Sommaire : Les questions suivantes concernant des points de droit d'importance fondamentale sont soumises à la Grande Chambre de recours :
I. Lorsqu'une partie à la procédure d'opposition récuse un membre de la division d'opposition désigné pour statuer sur une affaire particulière, au motif que ce membre peut être soupçonné de partialité, et que le directeur de la direction dont fait administrativement partie la division d'opposition décide de rejeter cette récusation, cette décision est-elle susceptible de recours devant la chambre de recours ?
II. Si la réponse à la question 1 est affirmative :
a) Les considérations applicables à un membre d'une chambre de recours en vertu de l'article 24 CBE le sont-elles également à l'égard d'un membre d'une division d'opposition, lorsqu'il s'agit de trancher la question de la partialité ?
b) Dans la présente affaire, quelle est la date effective de la décision à partir de laquelle il faut calculer le délai de recours ?
III. Dans la présente affaire, les récusations du requérant, qui reposent sur une présumée partialité d'un membre de la division d'opposition, constituent-elles des motifs de recours valables ?
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 24
European Patent Convention 1973 Art 125
European Patent Convention 1973 Art 112(1)(a)
Mot-clé : Présomption de partialité à l'égard d'un examinateur de la division d'opposition
Possibilité d'invoquer ce motif dans un recours
Saisine de la Grande Chambre de recours
Exergue :

-

Décisions citées :
-
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
G 0001/05
T 0433/93
T 0377/95
T 1028/96
T 0954/98
T 0985/01
T 1021/01
T 1193/02
T 0190/03
T 0281/03
T 0283/03
T 0572/03
T 1257/14
T 0049/15
T 1824/15
T 2175/15
T 1243/17
T 0450/18
T 2805/19

Exposé des faits et conclusions

I. Le brevet européen n° 45 117 a été délivré à Discovision Associates. N.V. Philips' Gloeilampenfabrieken a dûment fait opposition à ce brevet en alléguant qu'il n'impliquait pas d'activité inventive eu égard à certains documents antérieurs. Une procédure orale a été requise.

Des observations en réponse à l'acte d'opposition ont été présentées au nom du titulaire du brevet (requérant) ; des observations ont également été formulées au nom de l'opposant (intimé). A ce stade, une notification établie conformément à l'article 101(2) et à la règle 58(1) à (3) CBE et datée du 9 mars 1987 a été adressée aux parties par la division d'opposition. Dans cette notification, la division d'opposition faisait référence à un autre document antérieur, en sus des cinq documents sur lesquels s'était appuyé l'intimé, et concluait que le brevet serait vraisemblablement révoqué en vertu de l'article 102(1) CBE. La notification était signée par un agent des formalités et par le premier examinateur de la division d'opposition. Les parties étaient invitées à présenter leurs observations.

Le requérant a dûment présenté ses observations le 10 septembre 1987. Il a tout d'abord demandé si le premier examinateur était bien la personne qui avait déjà participé à l'instruction d'une opposition antérieure formée au nom de l'intimé contre un autre brevet européen, détenu également par le requérant. Il a demandé que si c'était le cas, la division d'opposition soit reconstituée afin de n'être composée que de personnes n'ayant pas eu auparavant de lien direct avec le requérant ou l'intimé. En réponse, le requérant a reçu du directeur responsable de la composition de la division d'opposition en question une lettre datée du 19 novembre 1987, dans laquelle celui-ci reconnaissait que le premier examinateur avait été employé par l'intimé et qu'il avait représenté ce dernier à plusieurs reprises lors de procédures d'examen et d'opposition. La lettre précisait en outre que :

"(1) Dans la CBE, les seuls cas d'exclusion ou de récusation sont prévus à l'article 24, en vertu duquel les membres d'une chambre de recours ne peuvent participer au règlement d'une affaire s'ils y possèdent un intérêt personnel, s'ils y sont antérieurement intervenus en qualité de représentants de l'une des parties ou s'ils ont pris part à la décision qui fait l'objet du recours.

(2) En ce qui concerne les procédures d'examen et d'opposition en première instance, nous nous efforçons, dans la mesure du possible, d'exclure les examinateurs des affaires où est impliquée une entreprise qui les a employés antérieurement. Mais il ne peut pas toujours en être ainsi. Pour des raisons d'ordre pratique, nous ne pouvons exclure (le premier examinateur) des divisions d'examen ou d'opposition dans les nombreuses affaires où l'entreprise intimée est le demandeur ou l'opposant.

Toutefois, nous pouvons vous assurer que (le premier examinateur) agira objectivement dans la présente affaire comme dans les affaires similaires. En tout état de cause, le fait que toute division d'examen ou d'opposition se compose de trois membres constitue une garantie pour le demandeur, le titulaire du brevet ou l'opposant."

Cette lettre n'a pas été classée dans le dossier d'opposition, et rien n'indique dans celui-ci qu'elle ait été envoyée à l'intimé.

Une citation à la procédure orale fixée au 23 février 1988 a été établie le 29 décembre 1987.

Dans une lettre versée au dossier le 11 février 1988, l'intimé a déclaré qu'il ne participerait pas à la procédure orale. A l'issue de la procédure orale devant la division d'opposition (dont le premier examinateur n'a pas été remplacé), la décision de la division d'opposition de révoquer le brevet a été annoncée. Le procès-verbal de la procédure orale ainsi que la décision écrite ont été ensuite établis en bonne et due forme le 19 avril 1988, mais ces documents ne mentionnent pas l'objection formulée par le requérant à l'encontre de la composition de la division d'opposition.

II. Le requérant a dûment formé un recours le 23 juin 1988 et a déposé son mémoire exposant les motifs du recours le 18 août 1988. Dans ce mémoire, il a remis en cause non seulement les motifs de révocation du brevet tels qu'exposés dans la décision, mais également la décision elle-même en faisant valoir que la "procédure d'opposition avait été excessivement et injustement favorable à l'autre partie (même si cela était involontaire) en raison de la désignation (du premier examinateur) comme membre de la division d'opposition". A l'appui de ce motif, le requérant a contesté le paragraphe 1 de la lettre datée du 19 novembre 1987 où il est affirmé que "les seuls cas dans lesquels un membre de l'OEB ne peut intervenir dans une procédure particulière sont énumérés à l'article 24 CBE" et l'a qualifié "de manifestement absurde et de contraire à la natural justice".

( Note de la rédaction : "natural justice" = notion du droit anglais englobant surtout deux principes relatifs à la procédure devant une juridiction, à savoir le principe de l'impartialité du juge (nemo iudex in causa sua) et le principe selon lequel tout personne qui peut être affectée par une décision doit être mise en mesure de présenter utilement sa défense (audi et alteram partem).

Il s'est référé à l'article 19 CBE qui traite de la composition des divisions d'opposition et ne prévoit qu'un seul cas d'exclusion, à savoir qu'"un examinateur qui a participé à la procédure de délivrance du brevet européen ne peut assumer la présidence". Toutefois, il a affirmé qu'"il existe de nombreuses autres circonstances dans lesquelles il ne serait manifestement pas dans l'intérêt de la justice qu'un membre d'une division d'opposition possède un intérêt dans l'affaire qu'il instruit" et il en a fourni des exemples. Il a notamment soutenu qu'une erreur de jugement ou de droit avait été commise dans cette affaire par la division d'opposition, "dans la mesure où il est manifestement contraire à la "natural justice"2 que la tâche consistant à interpréter les antériorités et même à trancher toutes les questions concernant l'affaire relève essentiellement de la responsabilité d'une personne dont le point de vue est influencé par sa participation à des affaires antérieures" (pour le compte de l'intimé). La récusation du premier examinateur ne tient pas "seulement au fait que ce dernier a agi auparavant pour (l'intimé) en qualité de mandataire agréé (bien que ... cela suffise en soi), mais également qu'il a représenté (l'intimé) à un certain nombre de procédures d'opposition engagées contre (le présent requérant) et concernant une technologie très étroitement liée à l'objet du présent (brevet européen)". Le premier examinateur ayant déjà participé pour le compte de l'intimé à des affaires dans lesquelles étaient impliqués le même opposant et le même titulaire du brevet, et qui concernaient une technologie très proche, cela affecte inévitablement son approche de l'affaire en faveur de l'intimé, ainsi que le prouvent plusieurs passages précisément cités de la décision rendue par la division d'opposition. La preuve de la participation en 1985 du premier examinateur, au nom de l'intimé, à une procédure d'opposition concernant une technologie très proche a été produite avec le mémoire exposant les motifs du recours.

Pour les motifs exposés ci-dessus, le requérant a affirmé que la nomination et le maintien du premier examinateur dans la division d'opposition constituait, dans cette affaire, un vice substantiel de procédure ; il a demandé que la taxe de recours lui soit remboursée.

L'intimé n'a présenté aucune observation sur le mémoire exposant les motifs du recours.

III. Eu égard à la teneur du mémoire exposant les motifs du recours, une notification a été adressée aux deux parties par la Chambre de recours, qui a notamment suggéré de soumettre la question suivante à la Grande Chambre de recours :

"Lorsqu'une partie à la procédure d'opposition récuse un membre de la division d'opposition désigné pour statuer sur une affaire particulière, au motif que ce membre peut être soupçonné de partialité, et que le directeur de la direction dont fait administrativement partie la division d'opposition décide de rejeter cette récusation, cette décision est-elle susceptible de recours devant la Chambre de recours ?"

IV. Dans sa réponse, le requérant a fait remarquer que si la lettre datée du 19 novembre 1987 constituait une décision susceptible de recours, cela en tout cas ne ressortait pas clairement de cette lettre; il a suggéré qu'une prorogation de délai soit octroyée, si nécessaire, jusqu'au 18 août 1988 par exemple, date à laquelle le recours a en fait été formé, et ce dans l'intérêt de la justice.

V. Le requérant a proposé de soumettre également les questions suivantes à la Grande Chambre de recours :

1) Est-il contraire à la "natural justice"2 qu'une personne qui est intervenue en qualité de mandataire agréé pour un opposant et a représenté ce dernier lors de procédures d'opposition engagées contre le titulaire d'un brevet agisse en tant que premier examinateur au cours d'une procédure d'opposition engagée contre le même titulaire d'un brevet et concernant un domaine technologique très proche ?

2) Si la lettre du directeur constitue une décision susceptible de recours, une prorogation du délai de recours devrait-elle être octroyée, dans l'intérêt de la justice, jusqu'au 18 août 1988 ou jusqu'à une date ultérieure non spécifiée, et le recours formé par le demandeur le 18 août 1988 devrait-il être réputé constituer un recours contre ladite décision susceptible de recours ?

Le requérant a fait valoir qu'en tout état de cause, la partialité présumée du premier examinateur constituait un motif de recours valable dans cette procédure de recours.

VI. L'intimé n'a fait aucun commentaire ni aucune autre observation dans le délai qui lui a été imparti pour répondre à la notification de la Chambre.

Motifs de la décision

1. L'article 112(1)a) CBE habilite les chambres de recours à saisir d'office, en cours d'instance, la Grande Chambre de recours lorsqu'une décision est nécessaire sur une question de droit d'importance fondamentale. Dans la présente affaire, la Chambre de recours considère que la Grande Chambre de recours doit être saisie pour statuer sur certaines questions de droit d'importance fondamentale qui se sont posées, comme indiqué ci-après.

2. Ainsi qu'il ressort clairement de l'exposé des faits et conclusions ci-dessus, le requérant a invoqué comme motif de recours la partialité présumée du premier examinateur de la division d'opposition. Si ce motif était admis, il semblerait légitime de conclure, sur la base de la jurisprudence antérieure des chambres de recours, que la décision de la division d'opposition était nulle et dépourvue d'effet juridique et que l'affaire devrait donc être renvoyée à la division d'opposition pour nouvel examen et décision par une division d'opposition convenablement constituée.

2.1 A cet égard, il convient de se reporter aux décisions T 390/86 (JO OEB 1989, 30), T 243/87 (30 août 1989) et T 251/88 (14 novembre 1989). Dans les deux premières affaires, la composition de la division d'opposition avait été modifiée entre le moment où la décision avait été prononcée lors de la procédure orale et celui où elle avait été formulée par écrit. Dans la troisième affaire, la composition de la division d'opposition était contraire à l'article 19(2) CBE, deux des trois membres ayant participé à la procédure de délivrance du brevet auquel se rapportait l'opposition. Dans ces trois affaires, la chambre de recours a ordonné l'annulation de la décision de la division d'opposition et le renvoi de l'affaire à la division d'opposition, dont la composition serait modifiée, pour nouvel examen.

2.2 Toutefois, la présente Chambre de recours estime qu'une telle décision n'est pas nécessairement correcte, que ce soit dans les trois affaires susmentionnées ou dans la présente affaire. On pourrait en effet considérer à l'inverse que la composition d'une division d'opposition est une question interne d'ordre administratif, qui ne relève pas de la division d'opposition elle-même ; elle découle en effet d'une "décision" administrative interne, prise par le directeur de la direction dont fait administrativement partie la division d'opposition, au sein de l'instance de l'OEB qui se compose des divisions d'opposition conformément à l'article 15d) CBE. Une telle "décision" administrative interne ne semble pas constituer une décision au sens de l'article 106(1) CBE ; elle n'est donc pas susceptible de recours.

La CBE ne contient aucune disposition prévoyant qu'un membre d'une première instance peut être exclu de toute participation au règlement d'une affaire, voire même récusé, au motif qu'il est soupçonné de partialité. Il en va tout autrement pour les membres des chambres de recours, dans la mesure où un membre d'une chambre peut, aux termes de l'article 24(2) CBE, demander sa propre récusation "pour tout autre motif", et, aux termes de l'article 24(3) CBE, être récusé par une partie "s'il peut être soupçonné de partialité". On peut donc se demander si une partie à une procédure devant une première instance à l'OEB a le droit de récuser également des membres de cette instance désignés pour statuer sur une affaire particulière.

3. La lettre du 19 novembre 1987 laisse supposer que les seuls cas où des agents de l'OEB peuvent faire l'objet d'une exclusion ou d'une récusation en raison de leur participation à des décisions rendues lors de procédures devant l'OEB sont énoncés à l'article 24 CBE. Si cela était exact, on pourrait conclure à la limite que tous les membres désignés dans une division d'opposition pourraient manifestement être partiaux à l'égard d'une partie, sans qu'il soit possible d'y remédier. Dans ce cas, la composition de la division d'opposition pourrait, à juste titre, être source de mécontentement pour l'autre partie.

Cette lettre laisse également entendre que même s'il est possible qu'un membre d'une division d'opposition ne soit pas totalement objectif, le fait que celle-ci se compose de deux autres membres impartiaux représente néanmoins une garantie suffisante pour l'autre partie. Toutefois, dans la présente affaire, le requérant ne semble pas prêt à accepter un tel argument et cela est certainement compréhensible. Il n'y a pas de raison en principe qu'une partie à la procédure soit désavantagée de cette manière.

3.1 Le requérant suggère que la présence de l'article 24 CBE, qui traite uniquement des motifs d'exclusion ou de récusation des membres des chambres de recours, s'explique aisément ; il s'agit en effet d'ancrer dans la CBE elle-même des dispositions (articles 21 à 24 CBE) visant à assurer l'indépendance des chambres de recours et à garantir l'impartialité de leurs membres, les chambres de recours étant notamment responsables, en tant que dernières instances de recours à l'OEB, de la correction d'erreurs de droit commises par les organes de première instance. Cette argumentation semble au moins admettre que la garantie d'impartialité revêt une plus grande importance pour les chambres de recours que pour les premières instances.

3.2 En outre, le requérant fait valoir que la participation du premier examinateur de la division d'opposition à la présente affaire est contraire à la "natural justice"2 et erronée.

Le concept de "natural justice"2 n'est pas expressément mentionné dans la CBE. Toutefois, il est habituellement considéré comme faisant partie "des principes généraux du droit", qui sont généralement admis dans les pays tels que les Etats contractants de la CBE. Le droit pour un individu à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal impartial est réputé conforme à la "natural justice"2 et représenter l'un de ces principes généraux du droit, ce qui a été exprimé en ces termes par le tribunal administratif de l'OIT (jugement n° 179, Varnet c/ UNESCO, en date du 8 novembre 1971) :

"Selon un principe général du droit, toute personne appelée à prendre des décisions qui touchent les droits ou les devoirs d'autres personnes soumises à son autorité doit se récuser au cas où son impartialité peut être mise en doute pour des motifs objectifs. Peu importe que, subjectivement, elle s'estime en mesure de se prononcer sans parti pris; il ne suffit pas non plus que les personnes affectées par la décision soupçonnent son auteur de parti pris.

Les personnes qui participent avec voix consultative aux délibérations des organes de décision sont également soumises à cette règle. Il en est de même des membres des organes chargés de donner des avis aux organes de décision. Bien qu'ils ne décident pas eux-mêmes, les uns et les autres peuvent exercer sur la décision à prendre une influence parfois déterminante.

En raison de son but, à savoir garantir les particuliers contre l'arbitraire, la règle s'applique dans les organisations internationales même en l'absence de texte exprès. A défaut de dispositions statutaires et réglementaires, les fonctionnaires visés sont donc tenus de se récuser s'ils ont déjà exprimé leurs vues dans l'affaire en cause au point de rendre douteuse leur impartialité ou si, pour d'autres motifs, ils peuvent être suspects de partialité."

De la même manière, le Tribunal administratif de la Banque mondiale a déclaré dans la décision n° 28 (Recueils du Tribunal administratif de la Banque mondiale, 1986) :

"Selon un principe fondamental en matière de procédure judiciaire et quasi-judiciaire, toute personne invitée à rendre un jugement sur une autre personne doit assumer sa responsabilité, libre de tout parti pris dû à des interventions antérieures dans l'affaire."

La désignation des membres d'une division d'opposition semblerait donc être une question de procédure. L'article 125 CBE dispose à cet égard qu'"en l'absence d'une disposition de procédure dans la CBE, l'Office européen des brevets prend en considération les principes généralement admis en la matière dans les Etats contractants". Les arguments invoqués dans la lettre du 19 novembre 1987 ne se réfèrent aucunement à ces principes généralement reconnus en matière de droit procédural (qui sembleraient correspondre aux "principes généraux du droit" susmentionnées).

Si l'article 125 CBE s'applique aux circonstances de la présente affaire, il se pourrait que la Convention de Strasbourg de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales apporte également quelque lumière sur ce qui est généralement reconnu dans les Etats contractants comme un principe de droit procédural : l'article 6(1) de ladite Convention dispose en effet que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi qui décidera... des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ...". On peut toutefois se demander si un organe de première instance, telle qu'une division d'opposition de l'OEB, est un tribunal tenu de respecter cet article de la Convention de Strasbourg, ou tout autre principe de droit généralement reconnu régissant les procédures judiciaires.

4. Aussi, les arguments avancés par le requérant dans son mémoire exposant les motifs du recours et dans sa réponse à la notification de la Chambre soulèvent la question de droit d'importance fondamentale suivante : la partialité présumée d'un membre d'une division d'opposition peut-elle constituer un motif de recours ? De l'avis de la Chambre, la CBE elle-même n'apporte pas de réponse claire à cette importante question de droit. La Chambre a donc décidé de la soumettre à la Grande Chambre de recours, afin d'assurer l'application uniforme du droit.

Si un tel motif de recours peut être invoqué devant une Chambre de recours, il se pose alors d'autres questions de droit d'importance fondamentale.

5. Si les membres d'un organe de première instance, tel qu'une division d'opposition, peuvent être récusés par une partie au motif qu'ils y possèdent un intérêt personnel ou sont soupçonnés de partialité, la question se pose de savoir quel est le degré de partialité à établir afin que cette récusation aboutisse.

Ainsi, un membre d'un organe de première instance ayant participé antérieurement à la rédaction d'une demande de brevet qui fait l'objet d'une procédure devant l'OEB devrait-il être empêché de prendre part, en tant que premier examinateur, à la décision que doit rendre cette instance, ou être exclu, d'une manière générale, de toute participation ? S'il a été employé récemment par une partie à cette procédure, dans une affaire étroitement liée aux questions en litige lors de cette procédure, mais qu'il n'a pas participé à l'examen du brevet ou de la demande qui fait l'objet de cette procédure, devrait-il être, dans ce cas également, exclu de toute participation en tant que premier examinateur à la procédure, ou totalement exclu ? Que signifie, dans ce contexte, la notion d'emploi "récent" par une partie ? Que signifie également l'expression de domaine technologique "étroitement lié" ?

Il s'agit là de questions de faits plutôt que de questions de droit. Aussi, la Chambre estime-t-elle qu'il n'est pas opportun de soumettre à la Grande Chambre de recours une question telle que la question (1) proposée par le requérant.

5.1 Toutefois, le fait que la CBE ne comporte aucune disposition concernant les membres des premières instances, qui corresponde à l'article 24 CBE relatif aux membres des Chambres de recours, soulève la question de savoir si les mêmes critères d'impartialité doivent être appliqués aux membres des Chambres de recours et aux membres de premières instances, telles que les divisions d'opposition.

6. Enfin, les conclusions du requérant soulèvent d'importantes questions de procédure (dans l'hypothèse où des objections formulées quant à la composition d'une division d'opposition peuvent faire l'objet d'une décision susceptible de recours).

Se pose notamment la question de savoir ce qui constitue la décision susceptible de recours, et quelle en est la date. Ainsi, dans la présente affaire, on peut se demander si c'est la lettre datée du 19 novembre 1987 ou la décision rendue le 19 avril 1988 qui constitue la décision susceptible de recours en ce qui concerne la composition de la division d'opposition. Si la lettre du 19 novembre 1987 est une décision susceptible de recours, elle ne satisfait pas aux exigences de la règle 68 CBE. En outre, la Chambre est d'avis que dans ce cas d'espèce, aucune prorogation des délais fixés à l'article 108 CBE ne peut être accordée.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

Les questions suivantes concernant des points de droit d'importance fondamentale sont soumises à la Grande Chambre de recours :

1. Lorsqu'une partie à la procédure d'opposition récuse un membre de la division d'opposition désigné pour statuer sur une affaire particulière, au motif que ce membre peut être soupçonné de partialité, et que le directeur de la direction dont fait administrativement partie la division d'opposition décide de rejeter cette récusation, cette décision est-elle susceptible de recours devant la chambre de recours ?

2. Si la réponse à la question 1 est affirmative :

a) Les considérations applicables à un membre d'une chambre de recours en vertu de l'article 24 CBE le sont-elles également à l'égard d'un membre d'une division d'opposition, lorsqu'il s'agit de trancher la question de la partialité ?

b) Dans la présente affaire, quelle est la date effective de la décision à partir de laquelle il faut calculer le délai de recours ?

3. Dans la présente affaire, les récusations du requérant, qui reposent sur une présumée partialité d'un membre de la division d'opposition, constituent-elles des motifs de recours valables ?

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