T 1842/06 () of 1.9.2009

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2009:T184206.20090901
Date de la décision : 01 Septembre 2009
Numéro de l'affaire : T 1842/06
Numéro de la demande : 01984149.3
Classe de la CIB : A61N 1/16
A61K 41/00
G01N 33/15
Langue de la procédure : FR
Distribution : D
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Titre de la demande : Procédé et dispositif pour éviter l'altération d'une substance ayant des activités biologiques
Nom du demandeur : Digibio
Nom de l'opposant : -
Chambre : 3.4.01
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
Rules of procedure of the Boards of Appeal R 13(1)
European Patent Convention 1973 Art 57
European Patent Convention 1973 Art 83
Mot-clé : Application industrielle (non)
Suffisance de description
Requêtes tardives (non recevables)
Exergue :

-

Décisions citées :
T 0541/96
T 0100/97
T 0792/00
T 1785/06
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
T 0978/09
T 1273/09
T 0518/10
T 2340/12
T 0275/16
T 1752/19
T 2345/19

Exposé des faits et conclusions

I. Le présent recours fait référence à la décision de la division d'examen de rejeter la demande de brevet européen EP 01 984 149.3, signifiée au demandeur par courrier daté du 12 juin 2006. La demande a été déposée initialement dans le cadre du traité de coopération en matière de brevet (PCT) et publiée sous le numéro WO-A-02/04067.

II. La division d'examen a fondé sa décision sur le constat que le "procédé de Jacques Benveniste", auquel il était fait référence dans la revendication indépendante, était contraire aux lois de la physique. Considérant les tentatives d'explication présentées par le déposant comme spéculatives et infondées, la division d'examen a conclu qu'il n'était pas satisfait aux conditions des articles 83 et 57 CBE 1973.

III. Dans un courrier transmis par facsimilé le 31 juillet 2006, le requérant (demandeur) a formé un recours contre cette décision et a acquitté la taxe exigible correspondante.

Dans le mémoire exposant les motifs du recours, déposé le 21 octobre 2006, le requérant, tout en reconnaissant la difficulté d'expliquer les phénomènes décrits dans la demande de brevet en instance, contestait les conclusions de la division d'examen selon lesquelles la description de l'invention serait insuffisante pour permettre sa réalisation par l'homme du métier. Le requérant rappelait, notamment, comme l'avait déjà précédemment souligné le Pr Montagnier dans une déclaration datée du 17 avril 2006, déposée au cours de la phase d'examen, que les lois de la physique ne font que refléter les connaissances scientifiques à un instant donné et que ces lois sont encore insuffisantes pour expliquer bon nombre de phénomènes.

IV. À la demande du requérant, celui-ci fut cité à comparaître à une procédure orale.

Dans une notification datée du 28 avril 2009, établie conformément à l'article 15(1) du Règlement de Procédure des Chambres de Recours (RPCR) en prévision de cette procédure orale, la Chambre fit état de ses observations au regard de la requête en délivrance alors en instance. Au delà des seuls aspects liés à la suffisance de description et à l'application industrielle du procédé alors revendiqué, la Chambre précisait qu'elle entendait aborder ex officio certains aspects de clarté (article 84 CBE 1973) et d'extension de l'objet de la demande (article 123(2) CBE) comme la décision de la Grande Chambre de recours G 10/93 (JO 1995, 172) lui en a reconnu la faculté.

Concernant, plus particulièrement, les motifs d'insuffisance de la description et de l'applicabilité industrielle retenus par la division d'examen pour rejeter la demande, la Chambre rappelait que même s'il convenait d'être très prudent avant de prétendre qu'une invention était contraire aux lois de la physique, il n'en demeurait pas moins que la demande de brevet devait contenir suffisamment d'informations pour permettre la mise en oeuvre de l'invention par l'homme du métier. La Chambre reconnaissait que cette condition devenait particulièrement lourde pour des inventions qui pouvaient apparaître quelque peu spéculatives au vu des connaissances scientifiques prévalant au moment de leur réalisation, pour lesquelles la possibilité de recourir aux connaissances générales afin de compléter l'enseignement incomplet ou défaillant d'une demande de brevet est pratiquement inexistante.

Dans le cadre de l'analyse préliminaire effectuée au titre des articles 57 CBE 1973 et 83 CBE 1973, la Chambre soulignait également la large portée de la revendication indépendante. Cette large portée résultait notamment de la référence à une substance source présentant, de façon très générale, une activité biologique et de la transmission de cette activité à une "substance réceptrice", alors que les modes de réalisation divulgués concernaient uniquement des substances sources présentant une activité coagulante ou anticoagulante et une substance réceptrice constituée d'eau.

V. Dans un facsimilé du 26 août 2009, le requérant déposa de nouvelles revendications 1 et 2 au titre d'une version modifiée de sa requête principale.

VI. La procédure orale, à l'issue de laquelle la Chambre a rendu sa décision, s'est tenue le 1 septembre 2009; le requérant y étant représenté par son mandataire.

Au cours de cette procédure orale, le requérant confirma sa requête en annulation de la décision de la division d'examen de rejet de la demande et requit le renvoi de l'affaire à la division d'examen pour suite à donner sur la base des revendications 1 et 2 telles que déposées par facsimilé du 26 août 2009, c'est-à-dire sur la base des documents suivants:

revendications : 1 et 2, reçues le 26.08.2009 ;

description :

pages 1-4, 7, telles que publiées dans la demande

WO-A-02/04067 ;

pages 5, 6, telles que reçues le 24.02.2003 ;

dessins :

feuilles 1/2 et 2/2, telles que publiées dans la demande WO-A-02/04067.

À titre de première requête auxiliaire, le requérant a demandé la délivrance d'un brevet sur la base d'un jeu modifié de revendications constitué de la revendication 1 telle que déposée au cours de la procédure orale et de la revendication dépendante de la requête principale.

À titre de seconde requête auxiliaire, il a demandé la délivrance d'un brevet sur la base d'un second jeu de revendications correspondant à une version modifiée des revendications de la première requête auxiliaire dans laquelle il est spécifié que la substance réceptrice est de l'eau.

VII. L'intitulé de la revendication indépendante 1 est le suivant:

"1 - Procédé pour protéger une substance traitée des influences externes qu'elle subit, ledit procédé étant appliqué à une substance présentant une activité biologique,

ladite substance ayant été obtenue, à partir d'une substance source (1) possédant ladite activité biologique, au terme d'un traitement tel que la substance ne contient pas de molécule de la substance source (1) en quantité significative, ladite substance étant ci-après appelée la substance traitée ;

ledit traitement consistant à mettre en oeuvre le procédé comportant les étapes suivantes:

l'étape de transformer le champ électromagnétique provenant de ladite substance source (1) ayant une activité biologique, en un signal, notamment un signal électrique, au moyen d'un transducteur-récepteur (6) captant ledit champ électromagnétique,

l'étape d'appliquer à une substance réceptrice ledit signal provenant dudit transducteur-récepteur (6), au moyen d'un transducteur-émetteur (13),

ledit procédé étant caractérisé en ce qu'il comprend l'étape de placer la substance traitée dans une enceinte (19), à l'abri des champs électromagnétiques."

La revendication 2 selon la requête principale dépend de la revendication indépendante.

L'intitulé de la revendication 1 de la première requête auxiliaire est le suivant (les éléments qui diffèrent de la revendication 1 de la requête principale ayant été ci-dessous soulignés à l'initiative de la Chambre):

"1 - Procédé pour protéger une substance traitée des influences externes qu'elle subit, ledit procédé étant appliqué à une substance présentant une activité biologique, coagulante ou anticoagulante

ladite substance ayant été obtenue, à partir d'une substance source (1) possédant ladite activité biologique, au terme d'un traitement tel que la substance réceptrice initialement inactive ne contient pas de molécule de la substance source (1) en quantité significative, ladite substance étant ci-après appelée la substance traitée ;

ledit traitement consistant à mettre en oeuvre le procédé comportant les étapes suivantes:

l'étape de transformer le champ électromagnétique provenant de ladite substance source (1) ayant ladite activité biologique, en un signal, notamment un signal électrique, au moyen d'un transducteur-récepteur (6) captant ledit champ électromagnétique,

l'étape d'appliquer à ladite substance réceptrice ledit signal provenant dudit transducteur-récepteur (6), au moyen d'un transducteur-émetteur (13),

ledit procédé étant caractérisé en ce qu'il comprend l'étape de placer la substance traitée dans une enceinte (19), à l'abri des champs électromagnétiques."

VIII. Un texte révisé de la CBE est entré en vigueur le 13 décembre 2007. Il ressort des dispositions de l'article 7 de l'acte de révision du 29 novembre 2000, relatives aux dispositions transitoires, qu'un certain nombre de dispositions nouvelles sont applicables aux demandes de brevet européen pendantes à la date de leur entrée en vigueur. L'article 1(1) de la décision du conseil d'administration de l'OEB du 28 juin 2001 fournit une liste des articles effectivement concernés.

Dans le cadre de cette décision, l'indication "1973", suivant l'évocation d'un article ou d'une règle, fait référence à l'ancienne version de la CBE. L'absence d'indication signifiera, au contraire, qu'il est fait référence au texte tel que révisé.

Motifs de la décision

1. Recevabilité du recours

Le recours est conforme aux exigences des articles 106, 107 et 108 et à celles des règles 1(1) et 64 de la CBE 1973 : il est donc recevable.

2. Défaut d'application industrielle - insuffisance de la description

Il résulte des dispositions de l'article 57 CBE 1973 qu' "une invention est considérée comme susceptible d'application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d'industrie...". Cette disposition requiert donc que les conditions nécessaires à la réalisation d'un procédé revendiqué puissent être remplies. Il en va, notamment, de la disponibilité des éléments requis pour la mise en oeuvre du procédé et donc, dans le cas d'espèce, de la substance traitée, utilisée dans le procédé revendiqué. Il en résulte que la demande doit suppléer à l'absence de sources d'approvisionnement connues et identifiées en fournissant toutes les informations requises pour la production d'une telle substance. Le problème qui se pose est dès lors identique à celui qui se pose lorsque qu'il convient de déterminer si la demande expose une invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. La Chambre considère donc justifié, dans la cadre de son analyse en vertu de l'article 57 CBE 1973, d'appliquer les mêmes critères que ceux qui sont applicables en vertu de l'article 83 CBE 1973, même si cette question de la suffisance ne porte pas, dans le cas présent, sur les étapes du procédé revendiqué, mais sur la possibilité de reproduire la substance traitée requise pour la mise en oeuvre de ce procédé.

3. Critiques soulevées à l'encontre de la décision de rejet - Charge de la preuve

3.1 Le requérant a rappelé dans le mémoire de recours que la délivrance d'un brevet ne devait pas être subordonnée à la validité des tentatives d'explication scientifique de phénomènes auxquels il peut être fait référence dans une demande de brevet. La Chambre reconnait la pertinence de cette observation et note également que lorsqu'il s'agit d'établir la suffisance de la description ou l'existence d'un effet technique particulier en vue d'apprécier l'activité inventive d'une invention, la délivrance d'un brevet n'est pas davantage subordonnée à la fourniture par le déposant du résultat d'expérimentations que celui-ci aurait réalisées. De telles exigences iraient, en effet, au-delà des dispositions effectivement adoptées par le législateur. La jurisprudence des Chambres de recours requiert uniquement, en matière de suffisance de la description, que la demande (ou la description en ce qui concerne les demandes déposées dans le cadre du PCT), éventuellement complétée des connaissances générales de l'homme du métier, permette de manière reproductible la réalisation effective de l'invention, sans que cela ne requiert de la part de l'homme du métier d'efforts indus.

En pratique, dans le cadre de procédures ex parte, l'Office Européen des Brevets (OEB) ne disposant pas des moyens lui permettant de vérifier la faisabilité de l'invention, l'enseignement d'une demande de brevet sera considéré suffisant dès lors que la possibilité de reproduire l'invention apparaîtra suffisamment crédible.

3.2 D'autre part, même s'il convient d'être particulièrement prudent avant d'affirmer qu'une invention est contraire aux lois de la physique et que le seul fait qu'aucune explication rationnelle n'ait été présentée ne constitue pas, en soi, la preuve que cela soit effectivement le cas, il n'en demeure pas moins que l'objet de la présente demande peut apparaître de nature quelque peu spéculative au vu des connaissances scientifiques existantes lors du dépôt de la demande dont la priorité est revendiquée ou de la demande elle-même.

Il découle de ce constat même, que l'homme du métier, supposé avoir accès à toutes les connaissances techniques générales de son domaine de compétence, ne disposera effectivement d'aucune information supplémentaire, susceptible de compléter l'enseignement contenu dans la demande de brevet. Aussi, lorsque le caractère "révolutionnaire" ou spéculatif d'une invention le justifie, convient-il au déposant de rédiger sa demande de façon particulièrement détaillée afin de tenir compte de cette impossibilité pour l'homme du métier de compléter l'enseignement de la demande par ses connaissances générales (cf. décisions T 541/96, point 6.2 et T 1785/06, point 3.4.3, non publiées).

3.3 Sur le plan de la charge de la preuve, il convient, en règle générale, à la partie soulevant une objection d'insuffisance de la description, aspect relevant des faits de la cause, d'en justifier le bien-fondé en vertu du principe selon lequel des faits ne sont pas présumés, mais prouvés ("Facta non praesumentur, sed probantur"). Il revient donc, en principe, dans le cadre de procédures ex parte, à la division d'examen ou à la chambre de recours qui soulève ce motif d'en supporter la charge. Une approche différente reviendrait à élargir le champ des conditions requises pour la délivrance d'un brevet au-delà de ce que requiert effectivement la CBE.

3.4 Il apparaît, cependant, également justifié, dans les cas d'inventions de nature quelque peu "révolutionnaire" ou simplement spéculative évoquées ci-dessus, pour lesquelles un haut degré de précision de la demande est requis, de procéder à un renversement de cette charge de la preuve dès lors que la demande n'aura pas suffi à rendre la faisabilité et reproductibilité de l'invention revendiquée suffisamment crédibles. De tels doutes pourront résulter, par exemple, du simple fait qu'un effet technique, a priori contraire aux lois de la physique, n'a pas été suffisamment étayé par des résultats expérimentaux ou, plus généralement, de ce que cet effet technique semble largement dépasser ce à quoi un homme du métier peut s'attendre. Il pourra s'agir, par exemple, d'effets surprenants quant à leur nature, comme dans le cas d'espèce, ou seulement étonnants quant à leur intensité. Dans de telles situations, le déposant est alors libre des moyens de preuve qu'il souhaitera faire valoir à l'appui de son argumentation. Ceux-ci pourront revêtir la forme de résultats expérimentaux, de tentatives d'explication des phénomènes considérés, de témoignages, de démonstrations, etc.

4. Requête principale - Recevabilité

Faisant application de son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 13(1) RPCR, la Chambre conclut à la recevabilité de la requête principale déposée le 26 août 2009 en prévision de la procédure orale. En effet, bien que tardive, cette requête vise à remédier à certains défauts de la requête principale précédente relevés ex officio par la Chambre dans sa notification selon l'article 15(1) RPCR du 28 avril 2009. En particulier, les questions relatives à l'opportunité d'un disclaimer dans la revendication indépendante selon la requête principale précédente du requérant, ainsi que certains problèmes d'extension de l'objet de la demande, s'avèrent désormais résolus. La nouvelle requête principale permet ainsi de concentrer les débats sur certains aspects essentiels tels que, notamment, l'application industrielle de l'invention. À ce titre, le dépôt de cette requête principale bénéficie à l'économie de la procédure.

5. Requête principale - Examen de la requête par la Chambre

5.1 La revendication indépendante de la requête principale diffère de la revendication rejetée par la division d'examen, notamment, en ce que la référence explicite au procédé de Jacques Benveniste a été supprimée. Les étapes essentielles de ce procédé, présentées comme nécessaires à l'obtention de la substance traitée, ont cependant été maintenues dans la formulation de la revendication. Par conséquent, la situation de fait et de droit est pour l'essentiel identique à celle sur laquelle la division d'examen s'est exprimée et qui l'a conduite à rejeter la demande.

Pour cette raison, la Chambre considère qu'il lui incombe de décider du bien-fondé de cette requête principale et rejette la demande de renvoi de l'affaire à la division d'examen.

5.2 La Chambre observe, tout d'abord, que la nécessité de protéger la substance réceptrice après traitement (i.e. la substance traitée) des influences externes repose sur le constat que des champs électromagnétiques externes sont susceptibles d'interférer avec la substance traitée et d'affecter ainsi l'activité biologique que cette substance présente à l'issue de la phase de traitement. Ce constat présuppose que la substance traitée soit effectivement à même de conserver pendant une certaine période (non spécifiée) l'information acquise au cours de la phase de traitement et qu'une activité biologique puisse être véhiculée et transmise au moyen de champs de signaux électromagnétiques. La Chambre note, cependant, que si des phénomènes physiques reconnus sont à même d'expliquer certaines interactions entre la matière et les ondes électromagnétiques, aucun de ces phénomènes ne permet d'expliquer la conservation d'une information dans une substance telle que de l'eau au delà d'une fraction de seconde. En effet, qu'il s'agisse de transitions entre états quantiques dans une molécule ou de la formation de "clusters" à partir de molécules d'eau, ces phénomènes ont une existence éphémère (de l'ordre de la femtoseconde en ce qui concerne les "clusters") et ne peuvent donc expliquer la conservation d'une information quelconque dans une substance réceptrice à la base de la présente invention.

Même si, comme rappelé ci-dessus, cette absence d'explication scientifique ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure à un manque d'application industrielle, elle n'en constitue pas moins, combinée au fait que les phénomènes auxquels il est fait référence sont de nature surprenante, un motif suffisant pour justifier un basculement de la charge de la preuve. C'est, dès lors, au requérant de démontrer que la demande contient suffisamment d'informations pour permettre à l'homme du métier de produire de manière reproductible, sans efforts excessifs de sa part, sur la base de cet enseignement et de ses connaissances générales, la substance traitée.

5.3 Lors de la procédure orale devant la Chambre, le requérant reconnut que, dans le cas d'espèce, l'issue de l'affaire dépendait essentiellement de l'évaluation par la Chambre des moyens de preuve proposés. Il rappela, à ce titre, que de nombreuses expériences avaient été réalisées selon des protocoles précisément définis et que ces résultats avaient démontré la faisabilité de la substance traitée. En outre, la Chambre ne devait pas se laisser influencer par les effets de la controverse qui avait accompagné la publication des travaux du Pr Benveniste. Enfin, le requérant insista sur le fait que la valeur scientifique de l'invention était attestée par deux lauréats de prix Nobel: le Pr Montagnier, dans une déclaration faite en prévision de la procédure orale devant la division d'examen, et le Pr Josephson qui a rédigé la préface du livre du Pr Benveniste "Ma vérité sur la mémoire de l'eau". Aussi, si l'on considère que des faits litigieux doivent être établis avec un degré suffisant de certitude, comme par exemple retenu dans les décisions T 100/97 et T 792/00 des Chambres de recours, les moyens de preuve mis en avant par le déposant devaient-ils, selon lui, largement suffire à combattre la présomption née de la seule absence d'une explication scientifique satisfaisante.

5.4 Sur la question des résultats expérimentaux

5.4.1 La présente demande fait référence à la demande antérieure WO-A-00/17637 dans laquelle le requérant décrit comment il peut produire de l'eau informée à partir d'une substance source, notamment une substance source ayant un effet anticoagulant telle que de l'héparine. Cette demande antérieure fait elle-même référence à une autre demande précédente du requérant WO-A-94/17406 dans laquelle sont reproduits les résultats d'expérimentations conduites avec de l'eau traitée selon le procédé développé par le Pr Benveniste. Les demandes WO-A-00/17637 et WO-A-94/17406 étaient publiées au moment du dépôt de la demande dont la priorité est revendiquée par la demande en instance: leur enseignement était donc disponible à cette date, permettant ainsi à l'homme du métier d'y recourir. Les résultats reproduits aux pages 15 à 17 de la demande WO-A-94/17406 montrent, en effet, que l'eau ainsi traitée, qui ne contient aucune proportion de la substance source, est néanmoins à même de produire l'activité biologique de celle-ci.

5.4.2 La Chambre observe, cependant, que ces résultats font référence à un type particulier de substance réceptrice, en l'occurrence, l'eau, et à un type particulier d'activité biologique: une activité coagulante ou anticoagulante. De l'avis de la Chambre, ces modes particuliers de réalisation ne sont pas à même de soutenir une revendication qui fait référence à une substance traitée obtenue à partir d'une substance réceptrice quelconque reproduisant une activité biologique elle aussi quelconque. En effet, il est de jurisprudence établie qu'une revendication de portée large n'est admissible que si cette portée est effectivement soutenue par une pluralité de modes de réalisation susceptibles de justifier l'étendue de la protection conférée. En l'occurrence, rien ne permet de supposer que tout effet biologique puisse être transmis à une substance réceptrice. De même, il n'est pas permis d'affirmer que le procédé réalisé à partir de la substance réceptrice constituée d'eau puisse être transposé à d'autres substances. En effet, en l'absence de connaissances générales quant aux mécanismes à la base de ces phénomènes, il n'est pas possible de justifier une quelconque généralisation.

5.4.3 Indépendamment de l'aspect lié à la portée de la revendication indépendante selon la requête principale, évoqué ci-dessus, la Chambre considère que les phénomènes mis en oeuvre dans le procédé d'élaboration de la substance traitée rendent, en raison de leur caractère même, une reproductibilité du procédé d'obtention particulièrement délicate. Ce point de vue résulte d'une analyse des conséquences que l'existence de ce phénomène de conservation de l'information biologique impliquerait sur le comportement de la matière.

La possibilité de fabrication de la substance traitée repose sur le principe en vertu duquel il est possible de modifier l'activité biologique d'une substance réceptrice en la soumettant à un champ électromagnétique généré à partir d'une information préalablement obtenue à partir d'une substance source présentant une activité biologique autre qui sera alors transmise à la substance réceptrice. La demande antérieure WO-A-00/17637 fait référence à des signaux, reçus de la substance source et postérieurement transmis à la substance réceptrice, dont le spectre correspond à une gamme de fréquences allant de 10 Hz à 20 kHz. Cette faculté des ondes électromagnétiques d'interférer avec une substance donnée, dans la gamme de fréquences considérée, constitue d'ailleurs précisément le problème que le procédé de protection de la présente invention se propose de résoudre. Ce principe implique également que l'activité biologique d'une substance déterminée résulte de l'ensemble des influences électromagnétiques que cette substance aurait pu subir depuis sa synthèse. En d'autres termes, l'activité biologique d'une substance ne correspondrait plus véritablement à une caractéristique propre de celle-ci, mais dépendrait essentiellement de son "histoire", c'est-à-dire de la succession des influences électromagnétiques que cette substance aurait subie. Ce constat s'appliquerait aussi bien à la substance source qu'à la substance réceptrice évoquée dans la revendication 1. Mené à son terme et compte tenu du fait que des influences de nature électromagnétiques dans la gamme du spectre considérée sont omniprésentes dans notre environnement, ce raisonnement conduirait à la conclusion que toute substance est tôt au tard "déprogrammée" et donc inapte à présenter une activité biologique propre.

De même, on peut également imaginer qu'une substance réceptrice présentant une certaine activité biologique puisse être influencée, conformément au procédé d'élaboration évoqué dans la présente demande, de façon à présenter l'activité biologique opposée.

Il découle de cette analyse que le procédé de traitement ne sera véritablement reproductible que si la substance source n'a pas subi d'influences électromagnétiques antérieures ayant affecté son activité biologique propre, aspect qui, dans l'état des connaissances au moment du dépôt de la demande, n'était pas vérifiable (et ne l'est pas davantage au jour de la présente décision). Il semblerait de même que les influences subies préalablement au traitement par la substance réceptrice puissent influencer l'efficacité de celui-ci.

Le requérant a fait valoir au cours de la procédure orale devant la Chambre que le fait qu'une substance puisse être potentiellement influencée par certains champs électromagnétiques ne signifiait pas pour autant que sa capacité propre disparaissait, de même qu'une carte disposant d'un support magnétique, soumise à des influences magnétiques externes, ne perd pas nécessairement l'information qu'elle contient. Cet argument ne peut convaincre la Chambre qui rappelle que la possibilité de traiter une substance réceptrice repose précisément sur le postulat général selon lequel l'activité biologique d'une telle substance peut être modifiée en lui appliquant un signal préalablement obtenu à partir d'une substance source. Si, comme le soutient le requérant, une substance gardait son activité biologique propre, il en serait notamment de même pour la substance réceptrice. Les possibilités de lui transmettre une autre activité biologique seraient alors très limitées. Cet aspect n'est cependant abordé ni dans la présente demande ni dans les deux demandes antérieures auxquelles il est fait référence par renvoi successif. La tâche de l'homme du métier s'en trouverait alors singulièrement compliquée; celui-ci devrait en effet identifier dans quelle mesure telle ou telle activité biologique peut se superposer à une activité biologique propre. D'autre part, cet argument est en contradiction avec les propres affirmations du requérant qui précise en page 7, lignes 4 à 6 de la demande antérieure WO-A-94/17406 que grâce au procédé de traitement qu'il a développé "On peut ainsi et notamment influencer (augmenter, s'opposer, voir supprimer) une activité biologique déterminée".

5.4.4 Il résulte de ce qui précède que des résultats tels que ceux évoqués dans la demande WO-A-94/17406 ne peuvent être obtenus que lorsque les substances source et réceptrice utilisées pour le procédé de traitement n'auront pas préalablement été soumises à des influences électromagnétiques affectant leur caractéristiques propres. Ce critère étant cependant invérifiable, il apparait dès lors particulièrement difficile pour l'homme du métier de reproduire l'invention de façon prévisible.

La difficulté liée à la reproductibilité des résultats des mesures de l'activité biologique de la substance traitée est d'ailleurs reconnue par le déposant qui précise en page 2 de la demande en instance, telle que publiée dans le cadre du PCT, que "De tels tests sont particulièrement sensibles à des phénomènes perturbateurs. Les inventeurs ont constaté de manière surprenante et non expliquée que certains individus ont un effet inhibiteur ou potentialisateur sur l'Eau Informée. Par exemple il leur suffit de s'approcher de l'Eau Informée pour en altérer les propriétés. Or, il n'est pas possible de connaître à priori quelles sont les personnes ayant de tels effets inhibiteurs. Le transport et la manipulation, par de telles personnes, de Substances Traitées constituent un obstacle (l'activité est altérée) au développement industriel de ces substances". Ce paragraphe souligne l'extrême vulnérabilité des substances vis-à-vis de phénomènes perturbateurs et par là même, la difficulté qu'il y a à reproduire les tests effectués à partir de substances traitées.

5.5 Sur la question des témoignages

5.5.1 La déclaration du Pr Montagnier du 25 janvier 2006, produite par le déposant au cours de la phase d'examen, développe un ensemble de considérations liées au fait, notamment, que bon nombre de phénomènes ne peuvent être expliqués par les connaissances actuelles de la physique. Le Pr Montagnier rappelle, à ce titre, qu'il convient d'être très prudent avant de conclure qu'une invention est contraire aux "lois physiques". Comme il est rappelé au point 3 ci-dessus la Chambre est parfaitement consciente de cette situation et ne peut que souscrire à ces affirmations. Il n'en demeure pas moins qu'une demande de brevet, éventuellement complétée des connaissances générales, doit permettre la réalisation de l'invention. Dans le cas d'espèce, cette condition implique que la substance traitée nécessaire à la mise en oeuvre du procédé revendiqué puisse être reproduite.

Dans cette optique, et compte tenu du fait que le requérant fait explicitement référence à ce document pour démontrer la faisabilité de la substance traitée, c'est la valeur probatoire de ce témoignage qu'il convient d'établir.

Or, ce témoignage ne contient aucune affirmation relative au procédé de traitement décrit dans la demande. Seul, le passage introductif permet d'établir un lien avec la présente demande. Il y est en effet précisé: "la société DIGIBIO m'a communiqué la citation à une procédure orale concernant cette demande de brevet intitulée "Procédé et dispositif pour éviter l'altération d'une substance ayant des activités biologiques"." Suivent un certain nombre de considérations générales sur le fait que la citation produite par la division d'examen ne démontre pas de contrariété avec les lois de la physique et que bon nombre de phénomènes expérimentaux ne sauraient être expliqués. La lettre du Pr Montagnier qui accompagnait le dépôt de cette déclaration précise uniquement: "malgré le décès de Mr Jacques Benveniste, ses travaux ont été continués par ses collaborateurs et j'ai moi-même depuis le mois de juin 2005 entrepris avec eux des expériences qui confirment et étendent ses conceptions à la détection de microorganismes dans des pathologies humaines". Ni la déclaration du Pr Montagnier ni la lettre qui accompagnait le dépôt de cette déclaration ne contiennent donc d'éléments se rapportant directement à la demande de brevet en instance ou les demandes antérieures WO-A-00/17637 et WO-A-94/17406. Ces pièces ne sauraient donc en aucune manière établir que le contenu de ces demandes est suffisant pour permettre la réalisation de manière reproductible de la substance traitée.

5.5.2 Dans la préface du livre du Pr Benveniste "Ma vérité sur la mémoire de l'eau", Le Pr Brian D. Josephson souligne le caractère complexe de l'eau. Selon lui, le fait que ces molécules puissent interagir de façon à produire un mécanisme permettant la mémoire de l'eau n'aurait rien d'inconcevable. Un passage de cette préface est consacré plus particulièrement aux expériences du Pr Benveniste. Il y est précisé notamment: "Lors de son intervention, le docteur Benveniste a décrit des expériences au cours desquelles un signal biologique est enregistré sur le disque dur d'un ordinateur, transmis par internet en un autre lieu d'expérimentation où les effets spécifiques de la molécule source sont alors restitués sur un système biologique. Benveniste avait apporté du matériel d'expérience et il a reproduit devant nous ses plus récentes expériences. Celles-ci se sont avérées aussi probantes que possible, compte tenu du temps limité dont nous disposions."

Pour la Chambre, la référence aux expériences les plus récentes du Pr Benveniste ne suffit pas à définir le contenu, l'objet et les conditions de ces expériences. Il est donc là encore impossible d'établir un lien univoque avec le procédé de traitement d'une substance source évoqué dans la présente demande de brevet. A fortiori, les commentaires du Pr Josephson ne contiennent aucune information quant au caractère suffisant de la demande de brevet en instance ou des demandes antérieures WO-A-00/17637 et WO-A-94/17406.

5.5.3 Par conséquent, les témoignages évoqués par le requérant ne fournissent aucun élément indiquant que les informations disponibles dans les demandes de brevet considérées sont effectivement suffisantes pour assurer la reproductibilité de la substance traitée. Ces témoignages contribuent essentiellement à mettre en garde contre l'attitude qui consisterait à nier l'existence des phénomènes à la base des travaux du Pr Benveniste. La Chambre ne peut, à cet égard, que rappeler qu'il existe une marge très importante entre la reconnaissance d'un phénomène et la détermination des conditions nécessaires à sa manifestation.

5.6 En conclusion, pour les raisons exposées ci-dessus et sans même que soit exigé un degré suffisant de certitude, la Chambre considère que ni les résultats évoqués par le requérant ni les témoignages qu'il invoque ne suffisent à rendre suffisamment crédible la production, de façon prévisible (et donc reproductible), de la substance traitée.

Il en découle que le procédé de la revendication 1 de la requête principale n'est pas susceptible d'application industrielle au sens de l'article 57 CBE 1973 en raison de l'impossibilité de reproduire un élément essentiel à sa mise en oeuvre, en l'occurrence, la substance traitée.

6. Requêtes auxiliaires - Recevabilité

6.1 À l'issue de la discussion concernant la requête principale, le requérant fit part de son intention de déposer une première et seconde requête auxiliaire, arguant du fait qu'il était surpris par l'argument selon lequel la portée de la revendication 1 de la requête principale était préjudiciable à la suffisance de la description. Il fit notamment valoir que, si la Chambre introduisait un tel argument, il convenait, pour des raisons d'équité, que le requérant puisse réagir en conséquence en déposant des requêtes adaptées.

6.2 La Chambre réfute les arguments présentés par le requérant à l'appui de la recevabilité de ses requêtes auxiliaires et rappelle, de manière générale, que l'évocation d'un nouvel argument par la Chambre ne crée aucune obligation pour celle-ci d'accepter de nouvelles requêtes du requérant. En effet, en vertu de l'article 13(1) RPCR: "L´admission et l´examen de toute modification présentée par une partie après que celle-ci a déposé son mémoire exposant les motifs du recours ou sa réponse sont laissés à l'appréciation de la Chambre. La Chambre exerce son pouvoir d´appréciation en tenant compte, entre autres, de la complexité du nouvel objet, de l´état de la procédure et du principe de l´économie de la procédure." L'évocation d'un nouvel argument crée donc pour la Chambre uniquement l'obligation d'entendre le point de vue que le requérant souhaitera développer pour tenter de le réfuter (article 113 CBE 1973).

En outre, dans le cas présent, contrairement à ce qu'indique le requérant, celui-ci ne peut prétendre être surpris par l'argument ayant trait à la portée de la revendication puisque la notification de la Chambre du 28 Avril 2009, établie en vertu de l'article 15(1) RPCR, faisait déjà état au paragraphe 4.5 de la section consacrée à l'applicabilité industrielle et à la suffisance de description de cet aspect en relation avec la revendication 1 alors en vigueur. Il y était notamment précisé: "La Chambre souligne la large portée de la revendication qui fait référence, de façon très générale, à une substance présentant une activité biologique. Le premier aspect qu'il conviendra donc d'évoquer concerne la possibilité d'une telle généralisation du procédé revendiqué compte tenu du fait que seuls des modes de réalisation faisant référence à une substance présentant une activité coagulante ou anticoagulante sont évoqués. [...] Un second aspect lié à l'étendue de la protection concerne l'évocation, dans la revendication 1, d'une "substance" alors même que les modes de réalisation divulgués concernent uniquement l'eau."

6.3 La Chambre note que les modifications introduites par le requérant dans la revendication 1 des deux requêtes auxiliaires visent effectivement à en limiter la portée. La revendication 1 de la première requête auxiliaire précise notamment que l'activité biologique à laquelle il est fait référence, est une activité biologique coagulante ou anticoagulante. La revendication 1 de la seconde requête auxiliaire précise, en outre, que la substance réceptrice est de l'eau. Dans la mesure où l'aspect lié à la portée de la revendication indépendante ne constitue pas la seule raison ayant conduit au rejet de la requête principale (cf. point 5, ci-dessus), mais n'en constitue qu'une circonstance aggravante, ces seules modifications ne sauraient, de prime abord, suffire à rendre le procédé revendiqué susceptible d'application industrielle. À ce titre, l'introduction de ces requêtes, dont les modifications apparaissent insuffisantes pour affecter les conclusions de la Chambre rendues en relation avec la requête principale, serait donc contraire au principe d'économie de la procédure.

Par conséquent, compte tenu, d'une part, du caractère particulièrement tardif du dépôt des requêtes auxiliaires 1 et 2 et, d'autre part, des exigences relevant du principe d'économie de la procédure, la Chambre fait usage de son pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 13(1) RPCR pour conclure à l'irrecevabilité des requêtes auxiliaires 1 et 2.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

Le recours est rejeté.

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