European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2012:T124206.20120531 | ||||||||
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Date de la décision : | 31 Mai 2012 | ||||||||
Numéro de l'affaire : | T 1242/06 | ||||||||
Décision de la Grande Chambre des recours | G 0002/12 | ||||||||
Numéro de la demande : | 00940724.8 | ||||||||
Classe de la CIB : | A01H 5/10 | ||||||||
Langue de la procédure : | EN | ||||||||
Distribution : | A | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
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Titre de la demande : | - | ||||||||
Nom du demandeur : | État d'Israël - Ministère de l'agriculture | ||||||||
Nom de l'opposant : | Unilever N.V. | ||||||||
Chambre : | 3.3.04 | ||||||||
Sommaire : | Les questions de droit suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours pour décision : 1. L'exclusion des procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux prévue à l'article 53b) CBE peut-elle avoir un effet négatif sur l'admissibilité d'une revendication de produit portant sur des végétaux ou une matière végétale comme un fruit ? 2. En particulier, une revendication portant sur des végétaux ou une matière végétale autres qu'une variété végétale est-elle admissible même si l'unique procédé disponible à la date de dépôt pour obtenir l'objet revendiqué est un procédé essentiellement biologique d'obtention de végétaux divulgué dans la demande de brevet ? 3. Est-il important, dans le contexte des questions 1 et 2, que la protection conférée par la revendication de produit englobe l'obtention du produit, tel que revendiqué, au moyen d'un procédé essentiellement biologique d'obtention de végétaux, exclu en tant que tel en vertu de l'article 53b) CBE ? |
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Dispositions juridiques pertinentes : |
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Mot-clé : | Exclusion des procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux - effet éventuel sur l'admissibilité de revendications de produits portant sur des végétaux ou du matériel végétal - question de droit d'importance fondamentale - saisine de la Grande Chambre de recours | ||||||||
Exergue : |
- |
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Décisions citées : |
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Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
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Exposé des faits et conclusions
I. Des recours ont été formés par le titulaire du brevet (requérant I) et l'opposant (requérant II) contre la décision intermédiaire de la division d'opposition selon laquelle le brevet européen n° 1 211 926 pouvait être maintenu sous une forme modifiée sur la base de la requête subsidiaire IIIb qui figurait alors au dossier.
II. Les revendications indépendantes 1, 15 et 16 du brevet délivré s'énonçaient comme suit :
"1. Procédé pour sélectionner des plants de tomate qui produisent des tomates avec une teneur réduite en eau de végétation, comprenant les étapes consistant à :
croiser au moins un plant de Lycopersicon esculentum avec un Lycopersicon spp. pour produire une graine hybride ;
récolter la première génération de graines hybrides ;
cultiver des plants à partir de la première génération de graines hybrides ;
polliniser les plants de la génération hybride la plus récente ;
récolter les graines produites par la génération hybride la plus récente ;
cultiver des plants à partir des graines de la génération hybride la plus récente ;
laisser les plants [sic] sur pied après le point normal de mûrissement, et
détecter une teneur réduite en eau de végétation telle qu'indiquée par une conservation accrue du fruit mûr et la formation de plis sur la peau du fruit.
15. Fruit de tomate caractérisé par une capacité de déshydratation naturelle lorsqu'il est sur un plant de tomate, la déshydratation naturelle étant définie comme la formation de plis sur la peau du fruit de tomate lorsque l'on laisse le fruit sur le plant après le stade de cueillette normale du fruit mûr, ladite déshydratation naturelle n'étant pas en général accompagnée d'une dégradation microbienne.
16. Fruit de tomate caractérisé par une peau non traitée qui permet la déshydratation du fruit de manière à obtenir la formation de plis sur la peau, ladite déshydratation n'étant pas en général accompagnée d'une dégradation microbienne."
Les revendications 2 à 14 étaient des revendications de méthode dépendantes de la revendication 1.
III. Dans son acte d'opposition, le requérant II avait notamment invoqué un motif d'opposition en vertu de l'article 100a) CBE 1973 ensemble l'article 53b) CBE 1973. L'argument était que les revendications de méthode et de produit portaient sur un objet exclu de la brevetabilité puisqu'il s'agissait d'un procédé essentiellement biologique d'obtention de végétaux ou d'une variété végétale.
IV. Lors de la procédure orale devant la division d'opposition, le titulaire du brevet a demandé que le brevet soit maintenu sous une forme modifiée, sur la base de la requête principale ou d'une des requêtes subsidiaires I, II et IIIb. En ce qui concerne la requête principale, la division d'opposition a estimé que l'objet de la revendication 1 (identique à la revendication 1 du brevet tel que délivré si ce n'est le remplacement de l'expression "laisser les plants sur pied" par "laisser le fruit sur pied") était exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 53b) et de la règle 23ter(5) CBE 1973. Elle a rejeté la requête subsidiaire I au motif que la revendication de méthode indépendante modifiée qu'elle contenait ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 123(2) et (3) CBE 1973.
Les revendications de la requête subsidiaire II se limitaient à deux revendications de produit indépendantes qui s'énonçaient comme suit :
"1. Fruit de tomate de l'espèce Lycopersicon esculentum à déshydratation naturelle, la déshydratation naturelle étant définie comme la formation de plis sur la peau du fruit de tomate lorsque l'on laisse le fruit sur le plant après le stade de la cueillette normale du fruit mûr, ladite déshydratation naturelle n'étant pas en général accompagnée d'une dégradation microbienne.
2. Fruit de tomate de l'espèce Lycopersicon esculentum caractérisé par une peau non traitée, par la déshydratation du fruit et par la formation de plis sur la peau, ladite déshydratation n'étant pas en général accompagnée d'une dégradation microbienne."
La division d'opposition a estimé que ces revendications étaient admissibles notamment en vertu de l'article 53b) et de la règle 23ter(4) CBE 1973 au motif que leur objet n'était pas limité à une seule variété, mais qu'elles ne satisfaisaient pas à l'exigence de nouveauté (article 54 CBE 1973).
La requête subsidiaire IIIb ne diffèrait de la requête subsidiaire II qu'en ce que, dans les deux revendications, le fruit de tomate était en outre caractérisé comme étant un fruit de tomate du type "raisins secs". Cette requête a été considéré comme satisfaisant à l'ensemble des exigences de la CBE.
V. Dans l'exposé des motifs de son recours, le requérant I a demandé que la décision contestée soit annulée et que le brevet soit maintenu sur la base des revendications 1 à 17 de la requête principale, qui était identique à la requête principale soumise à la division d'opposition, ou sur la base de l'une des requêtes subsidiaires I à V nouvellement déposées (la requête subsidiaire V étant identique à la requête subsidiaire IIIb soumise à la division d'opposition). Par lettre en date du 16 juillet 2007, le requérant I a encore déposé une nouvelle requête subsidiaire, la requête subsidiaire VI. Les requêtes subsidiaires I à III contenaient des revendications de méthode et de produit, les requêtes subsidiaires IV à VI uniquement des revendications de produit.
VI. Dans l'exposé des motifs de son recours, le requérant II a demandé que la décision attaquée soit annulée et que le brevet soit révoqué. Il a en outre demandé que la taxe de recours soit remboursée au motif que la division d'opposition avait commis un vice substantiel de procédure en admettant la requête subsidiaire IIIb du requérant I dans la procédure.
VII. Le 19 septembre 2007, une première procédure orale limitée à la question d'une saisine éventuelle de la Grande Chambre de recours au titre de l'article 112 CBE 1973 s'est tenue devant la présente Chambre siégeant dans une composition différente. Par une décision intermédiaire du 4 avril 2008, la Chambre a soumis trois questions de droit à la Grande Chambre de recours. Ces trois questions concernaient l'interprétation de l'exclusion des procédés prévue à l'article 53b) CBE, autrement dit les conditions dans lesquelles les procédés d'obtention de végétaux doivent être considérés comme étant "essentiellement biologiques". La Grande Chambre de recours a répondu à ces questions dans sa décision G 1/08 du 9 décembre 2010.
VIII. Les parties ont produit d'autres moyens en préparation d'une seconde procédure orale convoquée par la Chambre dans sa composition actuelle. La Chambre a aussi reçu des observations de tiers en application de l'article 115 CBE.
IX. Le requérant I a modifié ses requêtes en déposant une nouvelle requête principale et les requêtes subsidiaires I à III par lettre du 7 septembre 2011, ainsi que les requêtes subsidiaires IV et V par lettre du 28 octobre 2011. Toutes ces requêtes ne comportaient que des revendications de produit :
La requête principale était identique à la requête subsidiaire II présentée à la division d'opposition (cf. point IV ci-dessus) et ses deux revendications indépendantes figuraient dans plusieurs requêtes déposées précédemment avec les motifs du recours.
La requête subsidiaire I était identique à la requête subsidiaire IIIb présentée à la division d'opposition (cf. point IV ci-dessus).
La requête subsidiaire II était identique à la requête subsidiaire VI antérieure présentée par lettre du 16 juillet 2007 (cf. point V ci-dessus) et se distinguait de la requête subsidiaire I en ce que, dans les deux revendications, le mot "produit" était ajouté à "fruit de tomate du type raisins secs".
La requête subsidiaire III se distinguait de la requête principale en ce que, dans les deux revendications, le mot "récolté" était ajouté à "fruit de tomate".
La requête subsidiaire IV se distinguait de la requête principale en ce qu'à la fin de chaque revendication était ajouté : "où ledit fruit de tomate est issu d'un plant pouvant être obtenu par une méthode d'obtention comportant le croisement de Lycopersicon esculentum avec Lycopersicon hirsutum".
La requête subsidiaire V se distinguait de la requête principale en ce qu'à la fin de chaque revendication était ajouté ce qui suit :
"où ledit fruit de tomate est issu d'un plant pouvant être obtenu par une méthode pour sélectionner des plants de tomate qui produisent des tomates avec une teneur réduite en eau de végétation, ladite méthode comprenant les étapes suivantes :
croiser au moins un plant de Lycopersicon esculentum avec un plant de Lycopersicon hirsutum pour produire une graine hybride ;
récolter la première génération de graines hybrides ;
cultiver des plants à partir de la première génération de graines hybrides ;
polliniser les plants de la génération hybride la plus récente ;
récolter les graines produites par la génération hybride la plus récente ;
cultiver des plants à partir des graines de la génération hybride la plus récente ;
laisser le fruit sur pied après le point normal de mûrissement, et
détecter une teneur réduite en eau de végétation telle qu'indiquée par une conservation accrue du fruit mûr et la formation de plis sur la peau du fruit."
X. Par lettre datée du 3 novembre 2011, le requérant II a demandé que la Chambre soumette d'autres questions de droit à la Grande Chambre de recours. Ces questions avaient trait à la brevetabilité de revendications portant sur des végétaux, des fruits ou des graines, le requérant II estimant que de telles revendications conféreraient de fait une protection par brevet à des procédés essentiellement biologiques tels que définis dans la décision G 1/08.
XI. La seconde procédure orale s'est tenue le 8 novembre 2011. Au cours de cette procédure, le requérant I a déposé une nouvelle requête subsidiaire I.
La revendication 1 de cette requête était identique à la revendication 1 de la requête principale déposée par lettre en date du 7 septembre 2011 (cf. point IX ci-dessus). La revendication 2 avait été modifiée comme suit :
"2. Fruit de tomate déshydraté de l'espèce Lycopersicon esculentum caractérisé par une peau non traitée qui permet ladite déshydratation du fruit de manière à obtenir la formation de plis sur la peau, ladite déshydratation n'étant pas en général accompagnée d'une dégradation microbienne." (C'est la Chambre qui souligne).
XII. Le requérant I a demandé que la décision attaquée soit annulée et que le brevet soit maintenu sous une forme modifiée sur la base de la requête principale déposée par lettre en date du 7 septembre 2011 ou, à titre subsidiaire, sur la base de la requête subsidiaire I déposée lors de la procédure orale ou de l'une des requêtes subsidiaires II à VI, ces dernières ayant été déposées en tant que requêtes subsidiaires I à III par lettre en date du 7 septembre 2011 et en tant que requêtes subsidiaires IV et V par lettre en date du 28 octobre 2011.
Le requérant II a demandé que la décision attaquée soit annulée, que le brevet soit révoqué, que la taxe de recours soit remboursée et que, si la Chambre n'entend pas révoquer le brevet, les questions de droit posées lors de la procédure orale soient soumises à la Grande Chambre de recours.
Le requérant II a proposé de saisir la Grande Chambre de recours des questions suivantes :
"1. Une revendication qui ne porte pas sur un procédé essentiellement biologique en soi tel que défini à l'article 53b) CBE et dans la décision G 1/08 est-elle brevetable si elle rend inopérante l'exclusion de la brevetabilité telle que définie dans la décision G 1/08 ?
2. Une revendication qui porte sur un végétal, un fruit, une graine ou tout autre partie d'un procédé essentiellement biologique tel que défini à l'article 53b) et dans la décision G 1/08 est-elle brevetable si elle rend inopérante l'exclusion de la brevetabilité telle que définie dans la décision G 1/08 ?
3. Si une telle revendication est brevetable, à quelles autres exigences doit-il être satisfait ?
4. Si une telle revendication n'est pas brevetable, à quelles autres exigences doit-il être satisfait pour qu'elle échappe à l'exclusion de la brevetabilité telle que définie dans la décision G 1/08 ?"
XIII. À la fin de la procédure orale, la décision de la Chambre a été prononcée : la requête principale du requérant I a été rejetée ; eu égard à la nouvelle requête subsidiaire I, le débat a été clos en ce qui concerne les exigences de la règle 80, de l'article 123(2) et (3), de l'article 84 et de l'article 53b) CBE ; il a été décidé que la procédure se poursuivrait par écrit. La Chambre a également indiqué qu'elle avait l'intention de soumettre des questions de droit à la Grande Chambre de recours.
XIV. D'autres observations de tiers portant sur l'interprétation de l'article 53b) CBE ont été reçues après la procédure orale.
XV. Les arguments avancés par le requérant I pendant cette procédure de recours et pertinents pour la présente décision peuvent se résumer comme suit.
Requête principale
Règle 80 CBE
- Les revendications de produit ont été modifiées afin de les protéger de toute objection pour absence de nouveauté. Par conséquent, les modifications ont pour origine un motif d'opposition.
Article 123(2) CBE
- La demande telle que déposée divulgue à la page 3, ligne 10 que l'invention porte notamment sur des "tomates ayant une teneur réduite en eau". L'homme du métier peut donc déduire directement et sans ambiguïté que l'invention porte aussi sur des tomates où est réalisée la "capacité de déshydratation naturelle" ainsi que sur des tomates où est réalisée la déshydratation permise par la peau non traitée.
Article 123(3) CBE
- La caractéristique "capacité de déshydratation naturelle lorsqu'il est sur un plant de tomate", de la revendication 15 du brevet délivré, et la caractéristique "qui permet la déshydratation du fruit", de la revendication 16 du brevet délivré, définissent toutes deux le fruit revendiqué, par une gradation commençant par un fruit totalement hydraté et passant par des fruits où la teneur en eau décroît progressivement. Par ailleurs, le point d'aboutissement, à savoir la tomate la plus déshydratée, possède une teneur résiduelle en eau susceptible d'être encore réduite si les conditions le permettent. Ainsi, les fruits définis dans les revendications 1 et 2 sont couverts par les revendications 15 et 16 du brevet tel que délivré puisqu'ils gardent leur capacité de déshydratation naturelle tout en permettant une déshydratation supplémentaire.
- Même dans l'hypothèse où il pourrait exister un fruit de tomate avec une teneur en eau si basse qu'une déshydratation naturelle supplémentaire ne serait plus possible, ce fruit serait également couvert par les revendications du brevet tel que délivré. En particulier, la revendication 16 du brevet délivré caractérise le fruit de tomate revendiqué par la présence d'une peau non traitée qui permet la déshydratation du fruit. Les fruits de tomate selon la revendication 2 ont une peau de ce type. Si ce n'était pas le cas, on ne pourrait pas les obtenir sous forme déshydratée aussi longtemps que la peau est non traitée.
Requête subsidiaire I
Recevabilité de la requête subsidiaire I
- Les modifications apportées à la revendication 2 remédient aux objections élevées à l'encontre de la revendication 2 de la requête principale. La nécessité d'avoir un fruit de tomate déshydraté est conservée comme caractéristique restrictive mais pour le reste, la formulation de la nouvelle revendication 2 est un retour à celle de la revendication 16 du brevet délivré, ceci afin de préserver l'interdépendance des caractéristiques concernant la peau non traitée, la déshydratation du fruit et la formation de plis sur la peau.
Article 123(2) et (3) CBE
- La revendication 2 se fonde sur la revendication 16 telle que déposée initialement en combinaison avec la divulgation de la page 3, ligne 10. Elle limite l'étendue de la protection par rapport à celle conférée par la revendication 16 du brevet tel que délivré.
Article 84 CBE
- L'homme du métier peut identifier un plant de tomate L. esculentum et ses fruits en analysant les caractéristiques taxonomiques bien connues de cette espèce. Ces caractéristiques sont par exemple décrites dans les clés taxonomiques des espèces très voisines appartenant à Lycopersicon et Solanum. La caractéristique concernée a donc une signification claire pour l'homme du métier.
- De par ses connaissances générales, l'homme du métier sait qu'un hybride interspécifique initial entre une lignée cultivée et un parent sauvage donne les caractéristiques de la lignée cultivée après plusieurs séries d'autofécondations et de rétrocroisements, en diluant par paliers le germoplasme sauvage.
- Les conditions de la règle 43(2) CBE ne s'appliquent pas dans les procédures de recours sur opposition.
Article 53b) CBE
- Compte tenu de l'évolution de la procédure dans l'affaire parallèle T 83/05, il est surprenant que l'article 53b) CBE soit à nouveau pertinent en ce qui concerne les revendications de produit, d'autant que l'opposant a abandonné cette question pendant la procédure d'opposition et qu'il ne l'a pas reprise dans les motifs de son recours.
- Les aspects ayant trait à l'exception à la brevetabilité en vertu de l'article 53b) CBE pour ce qui est des revendications de produit et de méthode ont déjà été traités par la Grande Chambre de recours dans ses décisions G 1/98 et G 1/08 respectivement. Selon la décision G 1/98, les revendications sont admissibles. La Chambre (siégeant dans une composition différente) l'avait déjà reconnu dans sa première décision intermédiaire (cf. point 17 des motifs).
- Même si les conclusions de la décision G 1/08 débouchent sur une situation juridique quelque peu paradoxale qui gagnerait à être clarifiée, une seconde saisine prolongerait inutilement la procédure et serait dénuée de fondement eu égard à l'article 112 CBE. La Chambre ne doit pas trancher la question de l'article 53b) CBE sans se prononcer préalablement sur les autres critères de brevetabilité.
- Il existe d'autres domaines techniques où des méthodes peuvent être non brevetables alors que les produits le sont. C'est le cas par exemple des méthodes de traitement thérapeutique du corps humain, qui sont exclues de la brevetabilité bien que les médicaments soient brevetables.
XVI. Les arguments avancés par le requérant II pendant cette procédure de recours et pertinents pour la présente décision peuvent se résumer comme suit.
Requête principale
Règle 80 CBE
- La revendication 1 ne reprend plus la caractéristique technique "caractérisé par une capacité de déshydratation naturelle lorsqu'il est sur un plant de tomate". La revendication 2 ne contient plus les expressions "qui permet" et "de manière à obtenir", de sorte que la relation de causalité n'existe plus entre la peau du fruit et une de ses caractéristiques fonctionnelles. Aucune de ces modifications ne résulte des motifs d'opposition.
Article 123(2) CBE
- En lisant les passages de la page 4, lignes 21 à 29, et de la page 9, lignes 20 à 27, ainsi que les revendications de produit de la demande publiée, l'homme du métier n'a aucun motif raisonnable de supposer que les caractéristiques "capacité de déshydratation naturelle lorsqu'il est sur un plant de tomate" et "peau non traitée qui permet ..." sont facultatives. Ces caractéristiques ne figurent pas dans les revendications en instance, lesquelles sont par conséquent contraires à l'article 123(2) CBE.
Article 123(3) CBE
- En caractérisant le fruit de tomate selon la revendication 1, non plus comme ayant la "capacité de déshydratation naturelle lorsqu'il est sur un plant de tomate", mais comme un fruit de tomate "à déshydratation naturelle", on élargit l'étendue de la protection.
- La revendication 2 englobe désormais également les fruits de tomate dont la peau non traitée ne permet pas la déshydratation. L'étendue de la protection s'en trouve élargie.
Requête subsidiaire I
Recevabilité de la requête subsidiaire I
- Les faits et arguments censés être pris en considération par le biais de la modification de la revendication 2 dans la requête subsidiaire I se trouvaient déjà dans le dossier auparavant. Cette requête aurait donc pu être présentée bien avant le stade on ne peut plus tardif de la seconde procédure orale devant la Chambre. Cette requête était par ailleurs inattendue et posait des problèmes de clarté.
Article 84 CBE
- L'utilisation du terme "Lycopersicon esculentum" manque de clarté. Le brevet litigieux porte sur un croisement initial de L. esculentum et de L. hirsutum en vue de créer de nouveaux plants qui peuvent être rétrocroisés avec L. esculentum. On ne voit pas clairement quels sont les plants ainsi obtenus qui appartiennent à l'espèce L. esculentum.
- Le terme "déshydraté" utilisé dans la revendication 2 manque de clarté au sens de l'article 84 CBE. En particulier, il n'est pas possible de savoir si le terme "déshydraté" couvre aussi la notion de "partiellement déshydraté".
- Les deux revendications indépendantes enfreignent la règle 43(2) CBE, car leur recoupement est source d'ambiguïté quant à l'étendue de la protection conférée.
Article 53b) CBE
- L'exclusion de procédés essentiellement biologiques en vertu de l'article 53b) CBE est une exclusion en soi, et elle doit par conséquent être abordée avant d'examiner d'autres critères de brevetabilité tels que la suffisance de l'exposé, la nouveauté et l'activité inventive.
- Bien que le libellé des revendications parle du fruit d'un plant, la Grande Chambre de recours a indiqué dans sa décision G 1/98 que ce n'est pas le libellé, mais le contenu d'une revendication qui revêt une importance décisive pour l'appréciation de l'objet sur lequel porte cette revendication. Dans la présente affaire, l'invention à la base des revendications est constituée par des plants spécifiques de Lycopersicon esculentum.
- La seule façon d'obtenir l'objet revendiqué est de croiser deux plants spécifiques de tomate, puis de sélectionner les plants de tomate dont le phénotype recherché constitue "une caractéristique héréditaire sélectible" (cf. page 5, lignes 1 et 2 de la description du brevet). Le paragraphe [0027] de la description du brevet indique qu'en cas de rétrocroisement de la génération F4 avec des lignées de L. esculentum différentes, tous les plants ont le phénotype recherché des tomates déshydratées. La caractéristique est donc stable et peut être reproduite conforme. Aussi l'objet revendiqué est-il nécessairement une variété végétale au sens de la règle 26(4) CBE.
- Dans sa décision G 1/98 (cf. points 3.7 et 3.8 des motifs), la Grande Chambre de recours a fixé deux conditions auxquelles doivent répondre des végétaux pour échapper à l'exclusion qui frappe les variétés végétales. Premièrement, l'invention doit ressortir au domaine du génie génétique. Deuxièmement, l'invention à la base de l'objet revendiqué doit être applicable à tous les végétaux appropriés de manière suffisamment générale pour que l'inventeur ne puisse pas obtenir de protection appropriée dans le cadre du régime de protection des droits d'obtenteurs. L'invention à la base de la présente affaire ne relève pas du domaine du génie génétique. Elle n'est pas non plus d'application générale, mais limitée à L. esculentum, la seule espèce de tomates utilisée dans l'industrie alimentaire. En outre, rien n'indique que les tomates revendiquées ne pourraient pas être protégées dans le cadre du régime de protection des droits d'obtenteurs. Par conséquent, les revendications enfreignent l'article 53b) CBE au motif qu'elles portent sur une variété végétale.
- Le procédé d'obtention classique décrit dans le brevet, qui est non brevetable pour les motifs énoncés dans la décision G 1/08, est indissociablement lié aux tomates déshydratées revendiquées puisqu'il comporte comme étape l'utilisation du fruit de tomate (récolté) afin d'en tirer les graines pour la génération suivante dans le procédé d'obtention. En outre, le fruit récolté est utilisé pour obtenir la caractéristique voulue. Considérer comme admissibles les revendications portant sur le fruit de tomate viderait de ses effets l'exclusion des procédés prévue à l'article 53b) CBE ainsi que l'interprétation qu'en donne la Grande Chambre de recours dans sa décision G 1/08. Cela reviendrait de fait à protéger les procédés d'obtention classiques. De surcroît, il est sans importance que les fruits de tomate couverts par les revendications puissent être obtenus, en s'appuyant sur les connaissances postérieures à la publication concernant le gène cwp, au moyen de procédés non essentiellement biologiques.
- Au point 5.3 des motifs de sa décision G 1/98, la Grande Chambre de recours n'a fait que répondre à la question de savoir si les variétés végétales obtenues par recombinaison génétique échappent à l'exclusion des variétés végétales prévue à l'article 53b) CBE. La question de la brevetabilité de végétaux obtenus par des procédés essentiellement biologiques n'y est pas abordée. Au point 6 de la même décision, la Grande Chambre de recours renonce explicitement à se prononcer sur l'exclusion des procédés essentiellement biologiques. Toute tentative d'extrapoler les observations formulées par la Grande Chambre de recours au point 5.3 en vue de résoudre un problème qu'elle ne voulait pas aborder est donc vouée à l'échec, et interpréter ces observations pour en conclure à l'admissibilité des revendications portant sur les fruits de tomate est incompatible avec la décision G 1/08 prononcée ultérieurement.
Motifs de la décision
Requête principale
Règle 80 CBE
1. La requête principale est identique à la requête subsidiaire II soumise lors de la procédure devant la division d'opposition (cf. points IV et IX ci-dessus). Ses deux revendications ont été modifiées par rapport aux revendications de produits indépendantes 15 et 16 du brevet délivré. Dans les deux revendications, les fruits de tomate sont désormais définis comme appartenant à l'espèce Lycopersicon esculentum. Par ailleurs, dans la revendication 1, la caractéristique "caractérisé par une capacité de déshydratation naturelle lorsqu'il est sur un plant de tomate", qui figurait dans la revendication 15 du brevet délivré, a été remplacée par la caractéristique "à déshydratation naturelle", et dans la revendication 2, la formulation "caractérisé par une peau non traitée qui permet la déshydratation du fruit de manière à obtenir la formation de plis sur la peau", qui figurait dans la revendication 16 du brevet délivré, a été remplacée par "caractérisé par une peau non traitée, par la déshydratation du fruit et par la formation de plis sur la peau".
2. L'historique de la procédure montre que les modifications précitées ont été effectuées par le requérant I dans le but de remédier aux objections pour absence de nouveauté soulevées par le requérant II. Ces objections se fondaient sur un état de la technique censé divulguer, d'une part, des fruits de tomate capables de se déshydrater naturellement, et d'autre part, des tomates du Bush déshydratées. La Chambre est donc convaincue que les modifications ont été apportées pour pouvoir répondre à l'un des motifs d'opposition prévus à l'article 100 CBE, et qu'elles sont donc conformes à la règle 80 CBE.
Article 123(2) CBE
3. La demande telle que déposée comprenait des revendications identiques aux revendications 15 et 16 du brevet délivré. Dans la mesure où ces revendications ont maintenant été modifiées dans la requête principale, leur objet était initialement divulgué. Il découle notamment de la première phrase du résumé de l'invention (page 3, lignes 8 à 10 de la demande publiée) que l'invention a pour objet de fournir des tomates présentant une teneur réduite en eau, c'est-à-dire des tomates avec lesquelles la capacité de déshydratation naturelle est réalisée. La demande divulgue aussi les autres caractéristiques qui apparaissent dans les revendications modifiées, telles que l'appartenance à "l'espèce Lycopersicon esculentum" (page 4, lignes 1 et 2, et page 5, lignes 15 à 26 de la demande publiée, où le rétrocroisement avec Lycopersicon esculentum est divulgué comme mode de réalisation préféré), une "peau non traitée" (page 4, ligne 27 et page 9, ligne 21) et la "formation de plis sur la peau" (page 3, ligne 28, page 5, ligne 12 et page 6, lignes 11 et 29 de la demande publiée).
4. Par conséquent, les revendications 1 et 2 de la requête principale satisfont aux exigences de l'article 123(2) CBE.
Article 123(3) CBE
5. Dans la mesure où les revendications modifiées précisent que les tomates revendiquées doivent appartenir à l'espèce Lycopersicon esculentum, l'étendue de la protection des revendications telles que délivrées a été réduite. La question se pose toutefois de savoir si les autres modifications des revendications 1 et 2 étendent cette protection au-delà de celle conférée par le brevet tel que délivré, auquel cas elles seraient contraires à l'article 123(3) CBE.
6. Pour ce qui est de la revendication 1, la Chambre estime que la caractéristique modifiée "à déshydratation naturelle" n'étend pas la protection conférée. La revendication 15 du brevet délivré (cf. point II ci-dessus) caractérisait le fruit de tomate par "une capacité de déshydratation naturelle lorsqu'il est sur un plant de tomate". La Chambre considère que cette revendication englobe non seulement les fruits dont la capacité de déshydratation sera réalisée à l'avenir, c'est-à-dire les tomates non encore déshydratées, mais également les fruits dont la capacité de déshydratation est déjà réalisée, à savoir les tomates déshydratées.
7. Les modifications de la revendication 2 sont similaires dans la mesure où elles limitent l'objet revendiqué aux fruits de tomate déshydratés, mais en caractérisant les fruits par trois caractéristiques indépendantes (peau non traitée, déshydratation du fruit et formation de plis sur la peau), l'interdépendance qui existait entre ces caractéristiques dans la revendication 16 du brevet tel que délivré (cf. point II ci-dessus) a disparu. Comme l'a fait remarquer à juste titre le requérant II, il en découle que la revendication 2 de la requête principale n'exige plus que la peau du fruit permette la déshydratation du fruit de manière à obtenir la formation de plis sur la peau. Dès lors, dans cet aspect de la définition du fruit de tomate, l'étendue de la protection conférée par la revendication 2 est plus large que celle conférée par n'importe laquelle des revendications du brevet tel que délivré.
8. La Chambre en conclut que si la revendication 1 de la requête principale satisfait aux exigences de l'article 123(3) CBE, tel n'est pas le cas de la revendication 2 de cette même requête. Par conséquent, la requête principale n'est pas admissible.
Requête subsidiaire I
Recevabilité
9. La requête subsidiaire I a seulement été déposée pendant la seconde procédure orale. La recevabilité de cette requête doit donc être appréciée à la lumière de l'article 13 du règlement de procédure des chambres de recours (RPCR), en tenant compte de la complexité des nouveaux éléments produits, de l'état de la procédure et du principe de l'économie de procédure.
10. La requête a été déposée en réaction à la notification de la Chambre selon laquelle la revendication 2 de la requête principale élargissait l'étendue de la protection conférée (cf. point 8 ci-dessus). En l'occurrence, la Chambre n'a pas confirmé la décision de la division d'opposition qui avait estimé que les revendications de la requête subsidiaire II étaient conformes à l'article 123(3) CBE.
11. Par rapport à la requête principale, la requête subsidiaire I n'apporte des modifications qu'à la revendication 2 (cf. point XI ci-dessus). Le libellé de cette revendication exige toujours que le fruit de tomate soit déshydraté, mais il s'en tient par ailleurs au libellé de la revendication 16 du brevet tel que délivré, préservant par là l'interdépendance des caractéristiques concernant la peau non traitée, la déshydratation du fruit et la formation de plis sur la peau.
12. Ces modifications ne sont ni complexes ni difficiles à comprendre et à apprécier. Elles surmontent l'objection élevée au titre de l'article 123(3) CBE par laquelle la requête principale a été rejetée, et elles ne soulèvent aucune question supplémentaire susceptible de prendre l'autre partie ou la Chambre au dépourvu. Exerçant le pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 13(1) RPCR, la Chambre décide donc d'admettre la requête subsidiaire I dans la procédure.
Règle 80 CBE et article 123(2) et (3) CBE
13. Les raisons pour lesquelles la revendication 1 de la requête subsidiaire I (identique à la revendication 1 de la requête principale) satisfait aux exigences de la règle 80 CBE et de l'article 123(2) et (3) CBE ont déjà été exposées (cf. points 1 à 6 ci-dessus). Elles s'appliquent par analogie à la revendication 2 modifiée de la requête subsidiaire I. En particulier, la Chambre estime que le fait d'attribuer aux fruits de tomate revendiqués la caractéristique "déshydratés" n'élargit pas l'étendue de la protection conférée par la revendication 16 du brevet tel que délivré, celle-ci englobant les fruits déshydratés en raison de leur peau non traitée qui permet la déshydratation.
Article 84 CBE
14. Etant donné que l'article 84 CBE n'est pas un motif d'opposition, les objections pour manque de clarté qui s'en réclament ne doivent être examinées dans la procédure d'opposition que si elles visent des modifications apportées par le titulaire du brevet pendant cette procédure.
15. L'insertion de la caractéristique "de l'espèce Lycopersicon esculentum" dans les revendications 1 et 2 n'entraîne aucun manque de clarté. Dans le domaine général de la botanique, et dans celui des obtentions végétales en particulier, il est très courant de décrire les végétaux par leurs appellations scientifiques, conformément à la nomenclature internationale. La signification technique de ces appellations est sans ambiguïté pour l'homme du métier même si dans certaines situations, notamment pour la génération F1 d'un croisement interspécifique, il est parfois difficile, dans la pratique, de délimiter les espèces de façon précise.
16. Le requérant II a par ailleurs élevé une objection pour manque de clarté à l'encontre de la caractéristique "déshydratés" ajoutée dans les revendications 1 et 2, au motif qu'il serait impossible de savoir si ce terme inclut un fruit de tomate partiellement déshydraté. Toutefois, comme les revendications ne précisent pas le degré de déshydratation, il est évident qu'elles ne recouvrent pas seulement les fruits complètement déshydratés mais également les fruits partiellement déshydratés. La Chambre note de surcroît que les revendications 15 et 16 du brevet tel que délivré contenaient déjà le terme "déshydratation", si bien que l'on peut même se demander si, vu les principes énoncés plus haut (point 14), la question de la clarté se pose véritablement à cet égard.
17. Le requérant II a fait valoir également que la présence de deux revendications indépendantes était contraire à la règle 43(2) CBE, au motif que leur recoupement est source d'ambiguïté quant à l'étendue de la protection. Néanmoins, comme cela est expliqué plus en détail dans la décision T 263/05 (JO OEB 2008, 329, points 5.11 à 5.20 des motifs), cette règle est une disposition administrative applicable à l'examen des demandes de brevets et non aux procédures d'opposition. Au demeurant, puisque le brevet délivré contenait déjà deux revendications de produits indépendantes qui se recoupent du point de vue de l'étendue de la protection, la Chambre estime que le manque de clarté invoqué ne provient pas des modifications apportées au cours de la procédure d'opposition.
18. La Chambre en conclut qu'aucune des modifications apportées aux revendications 1 et 2 de la requête subsidiaire I n'est contraire à l'article 84 CBE.
Article 53b) CBE
Généralités
19. En ce qui concerne les obtentions végétales, l'article 53b) CBE prévoit deux exceptions à la brevetabilité. Il interdit de breveter les variétés végétales d'une part, et les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux d'autre part. Quand la présente Chambre a rendu sa première décision intermédiaire, la requête principale et la requête subsidiaire I du titulaire du brevet qui figuraient alors dans le dossier contenaient des revendications de procédé portant sur des méthodes pour sélectionner des plants de tomate, ainsi que des revendications de produit portant sur des fruits de tomate et des plants de tomate. Estimant que l'interprétation de l'exclusion des procédés prévue à l'article 53b) CBE devait être clarifiée à la lumière de la règle 26(5) CBE, la Chambre a soumis des questions à ce sujet à la Grande Chambre de recours.
20. Au vu des réponses données par la Grande Chambre de recours dans sa décision G 1/08 du 9 décembre 2010, le requérant I a supprimé les revendications de procédé de sorte que les requêtes actuellement au dossier sont limitées à des revendications de produit portant sur des fruits de tomate ou des produits de fruits de tomate (cf. point IX ci?dessus). Le requérant II n'en est pas moins d'avis que les revendications de produit restantes portent malgré tout sur des éléments exclus de la brevetabilité en vertu de l'article 53b) CBE. Il fait essentiellement valoir d'une part que les revendications portent sur des variétés végétales exclues de la brevetabilité, et d'autre part que le fait d'admettre ces revendications reviendrait à contourner l'exclusion des procédés prévue à l'article 53b) CBE tel qu'interprétée dans la décision G 1/08, ce qui irait à l'encontre du but poursuivi par le législateur, à savoir ne pas accorder de protection par brevet aux procédés d'obtention de végétaux.
Aspects procéduraux
21. Dans son acte d'opposition, le requérant II a contesté les revendications de procédé et de produit du brevet délivré, au motif qu'elles n'étaient pas conformes à l'article 53b) CBE 1973, en faisant notamment valoir que le fruit de tomate revendiqué devait être considéré comme une variété végétale exclue de la brevetabilité. Ainsi, comme l'a fait également remarquer le requérant I dans sa réponse à l'acte d'opposition, le motif d'opposition fondé sur l'article 100a) CBE 1973 en liaison avec l'exclusion de produit au titre de l'article 53b) CBE 1973 était déjà invoqué de façon spécifique au début de la procédure d'opposition.
22. Pendant la procédure orale devant la division d'opposition, le requérant II n'a pas maintenu cette objection lorsqu'il a pris connaissance des nouvelles requêtes subsidiaires II et IIIb introduites dans le dossier, lesquelles contenaient seulement des revendications de produit visant des fruits de tomate. La division d'opposition a néanmoins examiné l'objection sur le fond (cf. page 7 de sa décision), et a constaté que les revendications 1 et 2 de la requête subsidiaire II étaient admissibles au titre de l'article 53b) et de la règle 23ter(4) CBE 1973 parce qu'elles n'étaient pas limitées à une seule variété végétale.
23. Dans ces conditions, l'objection formulée au titre de l'article 100a) CBE ensemble l'article 53b) CBE à l'encontre des revendications de produit portant sur des fruits de tomate ne saurait être considérée comme un nouveau motif d'opposition ne pouvant être introduit dans la procédure de recours qu'avec l'accord du titulaire du brevet conformément aux décisions G 10/91 (JO OEB 1993, 420) et G 1/95 (JO OEB 1996, 615) (voir également la décision T 275/05 du 20 mars 2007, point 1 des motifs).
24. Bien qu'il n'ait pas maintenu l'objection susmentionnée dans les motifs de son recours ou dans sa réponse aux motifs du recours formé par le requérant I, le requérant II a réitéré cette objection lors de la première procédure orale devant la présente Chambre (plus de quatre ans avant la seconde procédure orale) et demandé que soient soumises à la Grande Chambre de recours des questions de droit relatives à l'interprétation de l'exclusion des produits visée à l'article 53b) CBE. Par ailleurs, dans les moyens écrits qu'il a fournis suite à la décision G 1/08 de la Grande Chambre de recours, le requérant II a avancé plusieurs arguments visant à démontrer que les revendications de produit contenues dans les requêtes du requérant I devaient être considérées comme non brevetables en vertu de l'article 53b) CBE. Le requérant I a donc eu largement l'occasion de prendre en compte cette objection ainsi que les arguments avancés par le requérant II. De ce fait, en vertu du pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 13(1) RPCR, la Chambre décide d'admettre et d'examiner l'objection dans le cadre de la présente procédure de recours.
Le concept de variétés végétales
25. Tant le législateur européen (voir l'article 2(3) de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, JO OEB 1999, 101, ci-après dénommée "directive Biotechnologie" et la règle 26(4) CBE) que la Grande Chambre de recours dans sa décision G 1/98 (JO OEB 2000, 111) ont contribué à clarifier le sens du terme "variétés végétales" qui figure à l'article 53b) CBE. D'après la définition donnée dans la règle 26(4) CBE, on entend par "variété végétale" tout ensemble végétal dun seul taxon botanique du rang le plus bas connu qui, quil réponde ou non pleinement aux conditions doctroi dune protection des obtentions végétales, peut : a) être défini par lexpression des caractères résultant dun certain génotype ou dune certaine combinaison de génotypes, b) être distingué de tout autre ensemble végétal par lexpression dau moins un desdits caractères et c) être considéré comme une entité eu égard à son aptitude à être reproduit sans changement. Des définitions identiques ou très semblables se retrouvent dans le cadre législatif européen et international en matière de protection des droits d'obtenteurs (cf. article 5(2) du règlement (CE) du Conseil n° 2100/94 du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, ci-après dénommé "règlement PCOV") et l'article 1er (vi) Convention UPOV de 1991).
26. Conformément à la décision G 1/98 (cf. points 3.1 et 3.8 des motifs), la référence de la règle 26(4)a) CBE à l'expression des caractères résultant d'un certain génotype ou d'une certaine combinaison de génotypes est une référence faite à l'ensemble de la structure d'une plante ou à un jeu d'informations génétiques. Le concept de variété végétale exige que les ensembles végétaux soient définis par la totalité de leur génome, et non pas simplement par des caractéristiques individuelles. La Grande Chambre de recours a donc estimé qu'une revendication portant sur des plantes transgéniques caractérisées uniquement par des séquences spécifiques d'ADN recombinant ne porte pas sur une variété végétale. Les passages pertinents de la décision G 1/98 s'énoncent comme suit :
"En revanche, une plante définie par des séquences individuelles d'ADN recombinant ne constitue pas un ensemble végétal individuel auquel il est possible d'attribuer toute une structure [...]. Ce n'est pas un être vivant concret ou un ensemble d'êtres vivants concrets, mais une définition abstraite et ouverte englobant un nombre indéfini d'entités individuelles définies par une partie de leur génotype ou par une propriété que celle-ci leur a conféré. Comme l'a expliqué plus en détail la décision de saisine, les plantes transgéniques revendiquées dans la demande en cause sont définies par certains caractères qui permettent aux plantes d'inhiber la croissance d'agents pathogènes (point 11 des motifs et point 8 de l'annexe I de cette décision). La catégorie taxonomique à laquelle appartiennent les plantes revendiquées au sein de la classification traditionnelle du règne végétal n'est pas spécifiée, pas plus que ne le sont les autres caractères dont la présence est nécessaire pour l'appréciation de l'homogénéité et de la stabilité des variétés à l'intérieur d'une espèce donnée. Il semblerait donc que l'invention revendiquée ne définit pas une seule variété, que ce soit expressément ou implicitement, qu'il s'agisse d'une variété répondant à la définition donnée de la "variété végétale" à l'article premier, alinéa vi) de la Convention UPOV de 1991 ou à l'une des autres définitions de la "variété végétale" qui ont été mentionnées ci-dessus. Cela signifie également que l'invention ne définit pas non plus une multiplicité de variétés composée nécessairement de plusieurs variétés individuelles. Les revendications de produit n'identifiant pas de variétés particulières, l'objet de l'invention revendiquée n'est pas limité à une ou plusieurs variété(s) et ne porte même pas sur une ou plusieurs variété(s).
27. Dans la présente affaire, les revendications de la requête subsidiaire I ne portent pas sur des plants de tomate entiers mais sur des fruits de tomate déshydratés. La question se pose donc de savoir si cela constitue un motif suffisant pour que l'objet revendiqué échappe à l'exclusion qui frappe les variétés végétales. Toutefois, une variété végétale peut être représentée non seulement par des végétaux entiers mais également par le matériel de reproduction tel que les graines, et par certaines parties de la plante. Il est à noter que l'article 5(3) du règlement PCOV définit les "constituants variétaux" comme des "végétaux entiers ou [...] parties de végétaux dans la mesure où ces parties peuvent produire des végétaux entiers". En outre, l'article 13(2) du règlement PCOV définit les droits du titulaire d'un droit de protection communautaire des obtentions végétales comme couvrant certains actes en ce qui concerne les constituants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée. La Convention UPOV de 1991 définit la portée du droit d'obtenteur principalement en énumérant certains actes concernant le matériel de reproduction de la variété protégée, mais il étend ces droits sous certaines conditions à des actes relatifs au matériel récolté (cf. article 14 (1) et (2) de la Convention UPOV de 1991). La Chambre en conclut que lorsqu'elles portent, comme c'est le cas en l'espèce, sur des fruits porteurs de graines et pouvant donc être considérés comme des parties de végétaux capables de produire des végétaux entiers, des revendications sont tout à fait susceptibles de tomber généralement sous le régime de l'exclusion des variétés végétales au titre de l'article 53b) CBE.
28. L'ensemble végétal auquel appartiennent les tomates revendiquées est limité aux végétaux de l'espèce Lycopersicon esculentum. Il est donc moins large et moins générique que l'ensemble végétal dans l'affaire G 1/98, où les revendications portaient sur des plantes transgéniques qui, bien que caractérisées par des séquences spécifiques d'ADN recombinant, pouvaient appartenir à des catégories taxonomiques complètement différentes au sein de la classification traditionnelle du règne végétal.
29. Néanmoins, même un ensemble végétal dont tous les éléments appartiennent à une seule espèce comme Lycopersicon esculentum n'est pas nécessairement une variété végétale. Il existe actuellement plusieurs milliers de variétés de tomates cultivées à des fins diverses. Chacune de ces variétés est basée sur un jeu complet de matériel génétique et sur certaines caractéristiques précises, comme par exemple le type de feuille, le port de la plante, sa hauteur, son poids et sa taille, son rythme saisonnier, la forme des fruits, la couleur de leur peau ou de leur pulpe, leur goût, la résistance de la plante aux maladies et aux parasites. En revanche, les tomates revendiquées dans la présente affaire ne sont pas définies par un ensemble de caractéristiques se traduisant par un génotype donné, mais par une caractéristique unique, à savoir la déshydratation (naturelle).
30. La Chambre n'ignore pas qu'une seule caractéristique peut suffire à distinguer un ensemble végétal d'un autre ensemble végétal très semblable dépourvu de cette caractéristique, et donc à servir de base à l'octroi d'un droit d'obtenteur pour cet ensemble végétal bien précis s'il est considéré comme une variété nouvelle (laquelle peut très bien être une variété essentiellement dérivée (cf. article 14(5)b) UPOV 1991 et article 13(6) du règlement PCOV). Toutefois, une unique caractéristique ne suffit généralement pas à définir une variété végétale si, hormis l'indication de l'espèce, aucune autre indication n'est fournie sur le génotype effectif de l'ensemble végétal. Comme il a déjà été souligné (cf. point 26 ci-dessus), le concept de variété végétale exige que les ensembles végétaux soient définis par la totalité de leur génome et non pas uniquement par une caractéristique individuelle particulière. Il ne suffit donc pas, comme l'affirme le requérant II dans la présente affaire, que la caractéristique spécifique soit insérée dans les plants de tomates de façon stable pour pouvoir être héritée par les générations futures.
31. La Chambre admet que la description du brevet litigieux utilise par endroits le terme "variétés de tomates", par exemple là où il est écrit que le développement de variétés de tomates caractérisées par une déshydratation naturelle est très utile pour l'industrie de la tomate (cf. paragraphe [0010] de la description) ou que l'on peut croiser les plants sélectionnés avec d'autres cultivars de Lycopersicon esculentum pour créer des variétés qui incorporent d'autres caractéristiques que la teneur réduite en eau de végétation (cf. paragraphe [0024] de la description). En outre, comme décrit aux exemples 1 et 2, des lignées spécifiques de Lycopersicon esculentum ont été utilisées dans le programme d'obtention pour développer des tomates à déshydratation naturelle. En l'occurrence, l'objet des revendications n'est cependant pas limité à des tomates appartenant à l'une quelconque de ces variétés ou lignées spécifiques. Les revendications laissent entièrement en suspens la question de savoir quelles autres caractéristiques peuvent comporter les fruits de tomate à déshydratation naturelle revendiqués et les plants sur lesquels ils poussent.
32. D'après la description du brevet, les fruits de tomate selon l'invention ont été développés par croisement et sélection, c'est-à-dire par des méthodes d'obtention classique. Il ne s'ensuit pas toutefois qu'ils doivent être considérés comme une variété végétale. La question de savoir si un ensemble végétal constitue une variété végétale ne dépend pas de son mode d'obtention, comme le génie génétique ou les techniques d'obtention plus traditionnelles fondées sur le croisement et la sélection. La Grande Chambre de recours n'a laissé aucun doute à ce sujet, ainsi qu'il ressort du passage suivant de sa décision G 1/98, point 5.3 des motifs (cf. aussi T 1854/07 du 12 mai 2010, point 10.4 des motifs) :
"Comme l'avait déjà souligné la chambre 3.3.4, le mode d'obtention de la variété ne joue aucun rôle lorsqu'il s'agit de déterminer s'il est satisfait aux conditions requises dans la Convention UPOV ou dans le règlement instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales. La question de savoir si une variété végétale a été obtenue par les techniques de sélection traditionnelles ou si l'on a utilisé les techniques du génie génétique pour obtenir un ensemble végétal distinct est sans importance pour la définition des critères de la variété distincte, de l'homogénéité et de la stabilité de la variété, ainsi que pour l'examen de la mesure dans laquelle il a été satisfait à ces critères. Autrement dit, il peut fort bien être fait appel à l'expression "variété végétale" pour définir la limite entre la protection par brevet et la protection par le droit d'obtenteur, et ce indépendamment de l'origine de la variété."
Pas d'extension de l'exclusion des variétés végétales aux végétaux en général
33. Après avoir constaté dans sa décision G 1/98 que l'invention revendiquée en cause n'était pas limitée à une ou plusieurs variétés et ne portait même pas sur une ou plusieurs variétés, la Grande Chambre de recours a examiné attentivement et de manière approfondie l'autre question qui était de savoir si l'exclusion des variétés végétales avait une incidence négative sur l'admissibilité de revendications qui comportent des variétés végétales comme modes de réalisation possibles, c'est-à-dire si cette exclusion interdit de breveter un objet qui englobe des variétés végétales même s'il ne porte pas sur une variété végétale.
34. La Grande Chambre de recours a conclu qu'il n'existe aucun principe général en vertu duquel une revendication qui englobe un mode de réalisation non conforme aux exigences de la CBE serait automatiquement exclue de la brevetabilité. Ce principe n'est applicable que dans certaines situations, notamment dans l'examen de la nouveauté ou de l'activité inventive, mais pas dans d'autres (par exemple dans l'examen de la suffisance de l'exposé ou de l'exception à la brevetabilité au titre de l'article 53a) CBE 1973).
35. La Grande Chambre de recours a en outre estimé qu'en excluant les variétés végétales à l'article 53b) CBE 1973, le législateur voulait départager les deux formes de protection des innovations végétales que sont les brevets et les droits d'obtenteurs, en prenant ainsi en compte l'interdiction de la double protection prévue par la Convention UPOV 1961. Le législateur considérait que les droits d'obtenteurs et les brevets devaient constituer un système unique intégré, de telle sorte que les deux formes de protection coexistent sans recoupement ni lacune dans la protection conférée à l'objet éligible. Il était donc prévu que les inventions inéligibles dans le régime des droits d'obtenteurs soient brevetables au titre de la CBE pour autant qu'elles satisfassent aux autres critères de brevetabilité. L'étendue de l'exclusion de la protection par brevet est la réplique exacte de l'étendue du droit de protection des variétés végétales qui est accordé.
36. La Grande Chambre de recours en a conclu qu'il ne suffit pas que les revendications englobent une ou plusieurs variétés végétales pour que s'applique l'exclusion visée à l'article 53b) CBE 1973. Dès lors, une revendication dans laquelle il n'est pas revendiqué individuellement des variétés végétales spécifiques n'est pas exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 53b) CBE, même si elle peut couvrir des variétés végétales. La conclusion de la Grande Chambre de recours est corroborée par la règle 27b) CBE, introduite dans le droit européen des brevets en tant que règle 23ter(b) CBE 1973 dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive Biotechnologie, et qui prévoit que les inventions biotechnologiques sont également brevetables lorsqu'elles ont pour objet des végétaux ou des animaux si la faisabilité technique de l'invention n'est pas limitée à une variété végétale ou à une race animale déterminée.
37. La Grande Chambre de recours a étayé son analyse juridique en soulignant que l'objet revendiqué en termes généraux dans l'affaire à la base de la saisine, à savoir les plantes transgéniques caractérisées par des séquences spécifiques d'ADN recombinant, ne pouvait être protégé par un droit d'obtenteur et que l'inventeur dans le domaine du génie génétique ne pourrait obtenir une protection adéquate s'il était limité à des variétés particulières. Bien que ces arguments s'appliquent plus particulièrement à la technologie spécifique concernée, la Grande Chambre de recours n'a pas limité ses conclusions aux inventions basées sur le génie génétique.
38. En fait, le fond de son raisonnement était que l'exclusion des variétés végétales sert uniquement à exclure de la brevetabilité les inventions végétales qui peuvent être protégés par des droits d'obtenteurs. Généraliser l'exclusion de produit selon l'article 53b) CBE à une invention végétale qui ne porte pas directement sur une variété végétale serait difficilement conciliable avec cet objectif législatif et risquerait d'engendrer des lacunes indésirables dans la protection. Le fait que l'invention ressortisse au domaine du génie génétique (comme dans l'affaire à la base de la décision G 1/98) ou au domaine de la sélection végétale traditionnelle, comme c'est le cas en l'espèce, ne change rien lorsqu'il s'agit de considérer l'incidence de l'exclusion des variétés végétales sur la brevetabilité de l'objet revendiqué (cf. aussi la décision T 1854/07, point 10.4 des motifs).
39. Par conséquent, la présente Chambre est d'avis que si elle avait uniquement eu à examiner l'exclusion des variétés végétales au titre de l'article 53b) CBE, l'objet des revendications de la requête subsidiaire I ne serait pas exclu de la brevetabilité.
Incidence sur l'objet revendiqué de l'exclusion des procédés
40. La conclusion qui précède ne met cependant pas fin à l'analyse des objections soulevées par le requérant II au titre de l'article 53b) CBE (cf. point 20 ci-dessus). La Chambre doit encore examiner l'argument selon lequel, indépendamment de l'interprétation donnée à l'exclusion des variétés végétales, breveter l'objet revendiqué rendrait sans aucun effet l'exclusion des procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux et irait à l'encontre du but que poursuivait le législateur en excluant les procédés par le biais de l'article 53b) CBE.
41. La signification et la portée de cette exclusion des procédés a été analysée en détail dans la décision G 1/08, dans le cadre de la procédure de saisine relative à l'affaire en question. Même si la règle 26(5) CBE (introduite dans le droit européen des brevets en tant que règle 23ter(5) CBE 1973 dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive Biotechnologie) tente de définir l'expression "procédé essentiellement biologique d'obtention de végétaux", la Grande Chambre de recours a jugé cette disposition floue et contradictoire. La règle 26(5) CBE ne fournissant aucune orientation utile sur l'interprétation à donner à cette expression, il est nécessaire de l'interpréter telle quelle.
42. La Grande Chambre de recours est arrivée à la conclusion qu'un procédé non microbiologique d'obtention de végétaux qui comporte les étapes consistant à croiser par voie sexuée le génome complet de végétaux et à sélectionner ultérieurement des végétaux, ou un procédé non microbiologique d'obtention de végétaux qui est constitué desdites étapes, est en principe exclu de la brevetabilité comme étant "essentiellement biologique" au sens de l'article 53b) CBE. Les procédés exclus se définissent par le fait que les caractères des végétaux issus du croisement dépendent du phénomène naturel sous-jacent de la méiose qui détermine la composition génétique des végétaux obtenus (cf. décision G 1/08, point 6.4.2.3 des motifs). Un procédé n'échappe pas à l'exclusion visée à l'article 53b) CBE au seul motif qu'il contient, en tant qu'étape supplémentaire ou en tant que partie d'une des étapes de croisement et de sélection, une étape de nature technique qui a pour but de permettre ou de soutenir l'exécution des étapes consistant à croiser par voie sexuée le génome complet de végétaux ou à sélectionner ultérieurement des végétaux. Il ne peut être dérogé à l'exclusion que si le procédé contient, dans le cadre des étapes de croisement par voie sexuée et de sélection, une étape supplémentaire de nature technique qui, de façon autonome, introduit un caractère dans le génome.
43. Vu les conclusions ci-dessus, la suppression de toutes les revendications de méthode dans les requêtes actuelles du requérant I (cf. points IX et XI) n'a pas de quoi surprendre. Il découle des principes énoncés dans la décision G 1/08 que les revendications de méthode figurant dans le brevet délivré et dans les requêtes du requérant I au moment où l'affaire était devant la Grande Chambre de recours tombaient sous le coup de l'exclusion des procédés prévue à l'article 53b) CBE. En effet, elles reposaient sur - ou contenaient - des étapes consistant à croiser par voie sexuée le génome complet de végétaux et à sélectionner ultérieurement des végétaux en détectant une teneur réduite en eau de végétation, et aucune d'entre elles ne semblait contenir une étape supplémentaire de nature technique qui, de façon autonome, introduisait un caractère dans le génome ou modifiait un caractère dans le génome.
44. Le requérant II a toutefois estimé que la suppression des revendications de méthode ne suffisait pas à éviter l'exclusion de procédé prévue par l'article 53b) CBE. Son argumentation peut se résumer comme suit : du point de vue du législateur, il serait illogique d'exclure de la brevetabilité les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux tout en autorisant la protection par brevet de végétaux qui, selon la divulgation de l'invention, sont produits au moyen d'un procédé exclu. Les raisons pour lesquelles le législateur a voulu exclure ces procédés doivent être respectées, et elles impliquent nécessairement l'exclusion des végétaux ou des parties de végétaux produits par des procédés essentiellement biologiques. L'approche inverse aboutirait à un cadre juridique incohérent. Même en l'absence de dispositions explicites excluant les produits issus de procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux, la CBE ne doit pas être interprétée d'une façon aussi contradictoire.
45. Selon la Chambre, si l'on examine l'étendue des protections conférées par les revendications de produits et de procédés, on se rend compte qu'admettre en l'espèce les revendications de produits serait incompatible avec la décision du législateur d'exclure les procédés visés à l'article 53b) CBE. En vertu des principes établis du droit des brevets, la protection conférée par une revendication de produit est absolue (cf. décision G 2/88, JO OEB 1990, 93, point 5 des motifs) et le titulaire du brevet a notamment le droit d'interdire à autrui de fabriquer ou d'utiliser son produit breveté (cf. décision G 2/06, JO OEB 2009, 306, point 25 des motifs ; article 28.1(a) de l'Accord sur les ADPIC et dispositions correspondantes des lois nationales des États contractants). En revanche, la protection conférée par une revendication de procédé pour fabriquer un produit est plus étroite puisqu'elle ne couvre en principe que l'utilisation du procédé et les produits obtenus directement par ce procédé (cf. article 64(2) CBE et article 28.1(b) de l'Accord sur les ADPIC). Par conséquent, une revendication de produit donne au titulaire du brevet une protection qui englobe généralement la protection apportée par une revendication portant sur le procédé servant à obtenir ce produit.
46. Dans la présente espèce, si les revendications de produits de la requête subsidiaire I étaient admises, l'obtention et l'utilisation des fruits de tomates déshydratés revendiqués seraient en principe l'apanage du titulaire du brevet. En conséquence, celui-ci pourrait empêcher autrui d'utiliser la méthode essentiellement biologique d'obtention de végétaux enseignée dans la description du brevet, qui constituait l'objet des revendications de méthode supprimées. En fait, si l'on tient compte des caractéristiques de la méthode d'obtention définie dans la revendication 1 du brevet tel que délivré ("sélectionner des plants de tomate qui produisent des tomates avec une teneur réduite en eau de végétation, comprenant les étapes consistant à : croiser [...] ; cultiver des plants à partir de la première génération de graines hybrides ; [...] cultiver des plants à partir des graines de la génération hybride la plus récente ; laisser les plants [sic] sur pied après le point normal de mûrissement ; et détecter une teneur réduite en eau de végétation telle qu'indiquée par une conservation accrue du fruit mûr et la formation de plis sur la peau du fruit"), il ressort que cette méthode ne peut être mise en oeuvre sans produire et utiliser les fruits de tomates revendiqués dans la requête subsidiaire I.
47. Compte tenu de ce qui précède, la question se pose de savoir si le fait d'admettre en l'espèce les revendications de produits irait effectivement à l'encontre de l'intention du législateur mise en évidence dans la décision G 1/08 (cf. point 6.4.2.3 des motifs), à savoir "exclure de la brevetabilité les procédés d'obtention de végétaux qui correspondaient aux procédés classiques d'obtention de variétés végétales". Ignorer complètement l'exclusion des procédés lors de l'examen de revendications de produits aurait généralement comme conséquence que pour de nombreuses inventions portant sur des obtentions végétales, les demandeurs et titulaires de brevets pourraient facilement contourner l'exclusion des procédés visée à l'article 53b) CBE en se rabattant sur des revendications de produits qui confèrent une large protection et englobent celle qu'aurait offerte une revendication de procédé exclue. Ceci serait, du moins de prime abord, en contradiction avec une interprétation téléologique de l'article 53b) CBE.
Question non résolue par la décision G 1/98 et la règle 27b) CBE
48. Selon la Chambre, la décision G 1/98 n'abordait cette argumentation ni explicitement ni implicitement. Certes, la Grande Chambre de recours a conclu qu'une revendication dans laquelle il n'est pas revendiqué individuellement des variétés végétales spécifiques, n'est pas exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 53b) CBE 1973, même si elle peut couvrir des variétés végétales (cf. point 36 ci-dessus), mais les motifs à la base de cette conclusion avaient seulement trait à la signification et à l'étendue de l'exclusion des variétés végétales. L'incidence éventuelle de l'exclusion des procédés visée à l'article 53b) CBE 1973 sur les revendications portant sur des végétaux ou du matériel végétal n'y était pas abordée. Ceci peut s'expliquer par le fait que l'affaire ayant donné lieu à la saisine dans la décision G 1/98 concernait des plantes transgéniques produites par les techniques modernes du génie génétique, et non par une méthode d'obtention fondée sur le croisement et la sélection.
49. De même, la Chambre estime que la règle 27b) CBE vise à restreindre la portée de l'exclusion des produits visée à l'article 53b) CBE et non la portée de l'exclusion des procédés. Si le législateur avait voulu indiquer clairement que les produits obtenus par des procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux, autres qu'une variété végétale, ne devaient pas être exclus de la brevetabilité, il y a lieu de croire qu'il aurait pu le faire par le biais de la règle 27c) CBE, en vertu de laquelle sont considérés comme brevetables les produits obtenus au moyen d'un procédé microbiologique ou d'autres procédés techniques, dans la mesure où il ne sagit pas dune variété végétale ou dune race animale. Or il ne l'a pas fait. La Chambre considère en outre qu'à la lumière de l'article 164(2) CBE, il semble douteux qu'une disposition du règlement d'exécution de la CBE puisse atténuer l'incidence qu'aurait une disposition de la Convention si elle était interprétée telle quelle.
Interprétation d'autres exclusions de procédés - l'exemple de la règle 28c) CBE
50. La jurisprudence montre qu'il existe des cas où une disposition d'exclusion visant des utilisations ou des procédés bien précis peut avoir une incidence sur l'admissibilité des revendications de produits. La règle 28c) CBE dispose que les brevets européens ne sont pas délivrés pour les inventions biotechnologiques qui ont pour objet des utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales. Dans sa décision G 2/06, la Grande Chambre de recours est parvenue à la conclusion que cette disposition interdit de délivrer des brevets sur la base de revendications portant sur des produits qui - comme indiqué dans la demande - ne pouvaient être obtenus, à la date de dépôt, qu'à l'aide d'une méthode impliquant nécessairement la destruction des embryons humains à l'origine desdits produits, même si ladite méthode ne fait pas partie des revendications. Au contre-argument du demandeur selon lequel l'interdiction prévue à la règle 28c) CBE ne s'appliquait que si l'utilisation d'embryons humains était revendiquée, il a été répondu ce qui suit au point 22 des motifs de la décision :
"Toutefois, à l'instar de la disposition correspondante de la Directive, cette règle ne se réfère pas aux "revendications", mais à une "invention" dans le contexte de son exploitation. Il convient d'examiner non seulement le libellé explicite des revendications, mais également l'enseignement technique de la demande dans son ensemble eu égard à la manière de mettre en oeuvre l'invention. Avant d'utiliser les cultures de cellules souches embryonnaires humaines, il faut les produire. Dans l'affaire soumise à la Grande Chambre, le seul enseignement relatif à la manière de mettre en oeuvre l'invention en vue d'obtenir des cultures de cellules souches embryonnaires humaines est l'utilisation (impliquant leur destruction préalable) d'embryons humains. Aussi l'invention tombe-t-elle sous le coup de l'interdiction prévue à la règle 28c) [...]. Restreindre l'application de la règle 28c) [...] à ce que le demandeur choisit explicitement de mentionner dans sa revendication aurait comme fâcheuse conséquence de permettre au demandeur d'éluder simplement l'exclusion de la brevetabilité en rédigeant habilement et judicieusement une telle revendication."
51. La disposition correspondante de la directive Biotechnologie a été interprétée de façon similaire par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans son arrêt C?34/10 du 18 octobre 2011 (Oliver Brüstle contre Greenpeace e.V.). En réponse à la troisième question que lui posait la Cour fédérale de justice allemande (BGH), la CJUE a conclu que l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive exclut la brevetabilité dune invention lorsque lenseignement technique qui fait lobjet de la demande de brevet requiert la destruction préalable dembryons humains ou leur utilisation comme matériau de départ, quel que soit le stade auquel celles-ci interviennent et même si la description de lenseignement technique revendiqué ne mentionne pas lutilisation dembryons humains. Selon la CJUE, ne pas inclure dans le champ de lexclusion de la brevetabilité un enseignement technique revendiqué au motif quil ne mentionne pas lutilisation dembryons humains, aurait pour conséquence de priver deffet utile la disposition concernée en permettant au demandeur dun brevet den éluder lapplication par une rédaction habile de la revendication.
52. La Chambre n'ignore pas que les intentions du législateur étaient différentes eu égard aux exceptions à la brevetabilité des articles 53a) et b) CBE, et que par conséquent, les considérations qui précèdent ne s'appliquent pas nécessairement par analogie à l'interprétation de l'exclusion des procédés visée à l'article 53b) CBE. Elles n'en démontrent pas moins qu'il existe des situations où une exclusion visant des procédés bien précis (d'après la jurisprudence de la Grande Chambre de recours, les "utilisations" constituent une sous-classe de procédés, cf. par exemple la décision G 5/83, JO OEB 1985, 64, point 11 des motifs) peut avoir une incidence négative sur l'admissibilité des revendications de produits.
Arguments s'opposant à ce que l'exclusion des procédés ait une incidence négative sur les revendications de produits
53. La Chambre estime nécessaire d'aborder les arguments interdépendants suivants qui s'opposent à l'extension de l'exclusion des procédés visée à l'article 53b) CBE aux revendications de produits :
- Les questions de brevetabilité (y compris l'applicabilité d'une disposition d'exclusion) doivent être traitées de manière stricte par rapport à l'objet de la revendication à examiner.
- L'objet d'une revendication de produit est différent de celui d'une revendication de procédé. Il est donc justifié de traiter l'un et l'autre différemment lorsqu'il s'agit de déterminer ce qui est brevetable et ce qui ne l'est pas.
- La différence entre les objets ne doit pas être aplanie par la prise en compte de l'étendue de la protection ou des prérogatives que les revendications confèrent au titulaire du brevet, car cela reviendrait à mélanger indûment deux ensembles de règles différents, celui qui concerne la brevetabilité des inventions et celui qui concerne la contrefaçon des brevets.
Ces arguments doivent être examinés en gardant présentes à l'esprit les considérations suivantes.
54. Comme l'a constaté la Grande Chambre de recours dans la décision G 2/88 (cf. points 2.2 et 2.6 des motifs), l'objet d'une invention revendiquée comporte deux aspects : premièrement, la catégorie ou le type de revendications, et deuxièmement, les caractéristiques techniques qui constituent l'objet technique de l'invention. Fondamentalement, on distingue deux types de revendications, à savoir les revendications portant sur une entité physique (par exemple des produits et des dispositifs) et les revendications portant sur une activité physique (par exemple des méthodes, des procédés, des utilisations), bien qu'il n'y ait pas de démarcation stricte entre les différentes formes de revendications. Aussi n'y a-t-il pas identité entre l'objet d'une revendication de procédé pour la production de végétaux (qui se rapporte à une activité physique) et l'objet d'une revendication de produit pour des végétaux ou des parties de végétaux (qui se rapporte à des entités physiques).
55. La différence entre l'objet de revendications de produits et celui de revendications de procédés est notamment importante pour l'examen des critères de brevetabilité que sont la nouveauté et l'activité inventive. Alors qu'une revendication de produits ne peut être admise que si le produit revendiqué est nouveau et inventif, une revendication pour un procédé de fabrication d'un produit peut satisfaire aux exigences de nouveauté et d'activité inventive, même si le produit à fabriquer ne répond pas lui-même à ces exigences. Etant donné que toute invention visée par une revendication de produit doit donc posséder une "qualité inventive" différente de celle d'une invention visée par une revendication de procédé, on peut affirmer que lorsqu'il a conçu la disposition d'exclusion de l'article 53b) CBE, le législateur a établi délibérément une distinction en excluant uniquement certains procédés d'obtention de végétaux et non pas l'ensemble des produits obtenus à l'aide de ces procédés.
56. En tant que telle, l'exclusion des procédés ne distingue cependant pas entre les procédés qui permettent d'obtenir des végétaux nouveaux et inventifs et les procédés qui ne le permettent pas. En fait, elle les exclut tous. Cette approche uniforme se reflète dans la genèse législative, au cours de laquelle il a été expliqué que les procédés (essentiellement) biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux devaient être ceux qui peuvent conduire à l'obtention de variétés ou de races connues, aussi bien que de variétés ou de races nouvelles (cf. décision G 1/08, point 6.4.2.2 des motifs). En outre, lorsqu'un objet nouveau et inventif est développé dans le contexte d'une invention relative à une sélection végétale basée sur le phénomène naturel de la méiose, il est très souvent possible de formuler des revendications de procédé et de produit qui satisfont à la fois aux exigences de nouveauté et d'activité inventive. L'argument selon lequel une qualité inventive distinctive des inventions de produits justifierait leur admissibilité en général par opposition à la non-admissibilité généralisée des revendications de procédés, ne semble donc pas convaincant dans le présent contexte.
57. Dans la décision G 1/98, la Grande Chambre de recours abordait, dans sa réponse à la question 3 qui lui était soumise, un aspect qui peut être considéré comme le pendant de la question au coeur de la présente affaire, puisqu'il s'agissait d'analyser l'incidence éventuelle de l'exclusion des produits visée à l'article 53b) CBE 1973 sur l'examen des revendications de procédés, c'est-à-dire d'examiner si, eu égard à l'article 64(2) CBE 1973, l'exclusion des variétés végétales doit faire obstacle aux revendications de procédés lorsque les produits directement obtenus par ces procédés constituent ou recouvrent des variétés végétales. La Grande Chambre de recours a répondu par la négative à cette question, en faisant remarquer que la protection du produit obtenu par un procédé breveté revêt une importance particulière dans les cas où il n'est pas accordé de protection pour le produit. En conclusion, lors de l'examen d'une revendication relative à un procédé d'obtention d'une variété végétale, les dispositions de l'article 64(2) CBE 1973 ne doivent pas être prises en considération.
58. En effet, la protection conférée par l'article 64(2) CBE pour un procédé d'obtention d'une variété végétale est limitée à la variété obtenue directement par ledit procédé. Elle est donc nettement plus étroite que la protection que conférerait une revendication de produit pour la même variété végétale. Comme l'a souligné la Grande Chambre de recours au point 4 des motifs de sa décision G 1/98, la protection accordée au produit obtenu par un procédé breveté n'a rien à voir avec la protection que confère une revendication de produit caractérisé par son procédé d'obtention ("product-by-process claim"), laquelle fait partie des revendications de produit. On peut déduire de ce qui précède qu'un cadre juridique n'est pas incohérent lorsqu'il interdit la protection plus large conférée par les revendications de produits tout en autorisant la protection plus étroite conférée par les revendications de procédés.
59. La question centrale en l'espèce est néanmoins très différente car, si l'on ne tient aucun compte de l'exclusion des procédés visée à l'article 53b) CBE lors de l'examen des revendications de produit, on pourrait se retrouver dans une situation où le cadre juridique interdit la protection plus étroite conférée par des revendications portant sur des procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux tout en autorisant la protection généralement plus large conférée par des revendications de produits. Aussi les conclusions précitées auxquelles était parvenue la Grande Chambre de recours dans la décision G 1/98 ne peuvent-elles être extrapolées à la présente affaire.
60. Le droit européen des brevets fait clairement la distinction entre la brevetabilité, régie par la CBE, et la contrefaçon, qui relève des lois en vigueur dans les États contractants. L'exclusion des procédés visée à l'article 53b) CBE fait partie des dispositions qui déterminent ce qui est brevetable ou non en vertu de la CBE. Il ne s'agit pas d'une disposition qui exonère certaines activités des droits conférés par les brevets, et elle ne met pas entièrement à l'abri d'une contrefaçon des droits liés aux brevets ceux qui utilisent un procédé essentiellement biologique d'obtention de végétaux.
61. À un stade précoce de la genèse de l'article 2b) de la Convention de Strasbourg (sur l'unification de certains éléments du droit des brevets d'invention) et de l'article 53b) CBE, il a déjà été reconnu et admis que les dispositifs techniques utilisés dans un procédé exclu de la brevetabilité (par exemple l'intervention d'un instrument d'un type particulier dans un procédé de greffe, ou d'une serre spéciale dans la production d'une plante) sont parfaitement brevetables (voir notamment le document EXP/Brev 61(8), pages 4-5, cité dans la décision T 83/05, JO OEB 2007, 644, point 40, et résumé dans la décision G 1/08, point 6.4.2.2). Le législateur n'a apparemment pas jugé incohérent d'autoriser la protection par brevet de ces dispositifs malgré le risque de voir alors les prérogatives du titulaire du brevet s'étendre à l'utilisation des dispositifs brevetés dans le cadre d'un procédé exclu de la brevetabilité.
62. Une approche similaire sous-tend l'article 53b) CBE, lequel exclut de la brevetabilité certaines méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales, tout en disposant par ailleurs que l'exclusion ne s'applique pas aux produits, notamment aux substances ou compositions, pour la mise en uvre d'une de ces méthodes. Par conséquent, même si l'on explique couramment l'exclusion des méthodes médicales à l'article 53c) CBE par la volonté du législateur de libérer la profession médicale des contraintes que pourraient leur imposer les brevets (cf. par exemple la décision G 1/07, JO OEB 2011, 134, point 3.2.3.2), il n'est pas inconcevable que des médecins qui utilisent de tels produits dans le cadre d'une méthode médicale exclue en tant que telle contrefassent des brevets (cf. décision G 2/08, JO OEB 2010, 456, point 6.5, à propos des posologies).
63. Il s'ensuit que l'exclusion des procédés ne peut pas avoir pour effet général d'empêcher la délivrance de brevets pour tout produit susceptible d'être utilisé dans un procédé exclu. Ceci semble également s'imposer du point de vue de la politique juridique. En règle générale, il existera toujours un marché pour l'utilisation, dans des procédés exclus, de produits commerciaux fabriqués légalement (par exemple les serres ou les médicaments). Ceux qui souhaitent utiliser ces produits dans leurs activités professionnelles (par exemple les obtenteurs ou les médecins) pourront donc se les procurer. En vertu de la doctrine de l'épuisement, l'utilisation de ces produits mis sur le marché avec l'accord du titulaire du brevet ne constituera donc pas une contrefaçon.
64. Dans la présente espèce, cependant, le produit revendiqué est fabriqué - et non pas seulement utilisé - lors de la mise en oeuvre d'un procédé exclu. La méthode d'obtention divulguée dans le brevet implique nécessairement la production des tomates revendiquées (cf. point 46 ci-dessus). En mettant en oeuvre ce procédé essentiellement biologique, les obtenteurs tomberaient sous le coup de la protection conférée par le brevet du requérant I, sans pouvoir invoquer la doctrine de l'épuisement. Il leur serait par ailleurs interdit de commercialiser les tomates produites par la méthode d'obtention. Si les revendications de produits du requérant I étaient admises, les obtenteurs seraient plus strictement limités quant à la mise en oeuvre d'un procédé essentiellement biologique que dans la situation susmentionnée, où (seul) un produit utilisé dans le cadre de cette activité est breveté.
65. En résumé, la Chambre n'est pas pleinement convaincue par les arguments examinés ci-dessus qui s'opposent à la prise en considération de l'exclusion des procédés visée à l'article 53b) CBE lors de l'examen de revendications portant sur des végétaux ou du matériel végétal. Elle craint tout particulièrement que le fait d'admettre des revendications portant sur du matériel végétal obtenu, selon le brevet, par un procédé essentiellement biologique d'obtention, n'aille de facto à l'encontre des intentions du législateur - mises en évidence dans la décision G 1/08 - lorsqu'il a conçu l'exclusion des procédés, et ne permette de contourner dans nombre de cas l'exclusion par une rédaction ingénieuse des revendications, compromettant ainsi la cohérence et l'autorité de la CBE quant à la définition de ce qui est brevetable.
66. La Chambre estime que, même si l'on fait valoir que les législateurs nationaux, dans la mesure où l'autorise la directive Biotechnologie, pourraient faire adopter, dans leurs dispositions nationales sur la contrefaçon, des exemptions ciblées pour les activités d'obtenteurs (cf. par exemple l'article L613-5-3 du Code français de la propriété industrielle, et l'article 11, alinéa 2a de la Loi allemande sur les brevets), ces craintes ne sont pas pour autant dissipées. Les tribunaux doivent s'efforcer d'interpréter de manière aussi cohérente que possible les dispositions de la CBE relatives aux objets brevetables. Selon la Chambre, le fait de s'en remettre à ce que des dispositions nationales en matière de contrefaçon viennent remédier partiellement aux incohérences ne constitue qu'un pis-aller.
Saisine au titre de l'article 112(1) CBE
67. Selon la Chambre, les aspects analysés ci-dessus aux points 40 à 66 soulèvent des questions de droit d'importance fondamentale. Une décision de la Grande Chambre de recours est donc nécessaire pour trancher les présents recours sur une base juridique solide.
68. Bien qu'il y ait dans la présente procédure de recours d'autres motifs d'opposition que la Chambre n'a pas encore examinés en détail, la question de savoir si l'objet revendiqué est exclu de la brevetabilité doit normalement être tranchée en premier lieu, car elle précède logiquement l'examen des autres conditions de fond telles que la nouveauté et l'activité inventive. C'est ce qui a été également énoncé dans la décision T 1384/06 du 26 juin 2007 (cf. point 5 des motifs) : "[...] il convient d'examiner si un tel objet entre dans la catégorie des exceptions à la brevetabilité. Ceci doit à l'évidence constituer la première étape de l'examen, car il est parfaitement inutile de se demander si un objet remplit les conditions de brevetabilité dès lors qu'il a été considéré comme une exception à la brevetabilité.")
69. De même, dans les décisions G 1/03 (JO OEB 2004, 413, point 1.2 des motifs) et G 2/10 du 30 août 2011 (cf. point 1 des motifs), la Grande Chambre de recours a conclu qu'une saisine portant sur les conditions auxquelles doit répondre un disclaimer pour être conforme à l'article 123(2) CBE est justifiée dans la mesure où la recevabilité quant à la forme est normalement examinée avant les conditions de fond.
70. La Chambre note en outre que la question d'une incidence éventuelle de l'exclusion des procédés visée à l'article 53b) CBE sur l'admissibilité des revendications de produits ne se pose pas seulement au sujet de la requête subsidiaire I. Elle est également cruciale pour toutes les autres requêtes du requérant I encore en instance.
71. La Chambre n'a donc pas suivi la suggestion du requérant I qui souhaitait qu'elle examine ces autres conditions avant de soumettre des questions de droit à la Grande Chambre de recours.
72. Les questions de droit soumises par la Chambre dans sa première décision intermédiaire consistaient seulement à demander si certains procédés d'obtention de végétaux tombaient sous le régime de l'exclusion des procédés visée à l'article 53b) CBE. Aussi la Grande Chambre de recours n'a-t-elle pas eu l'occasion d'examiner les autres questions maintenant en instance.
73. En effet, lorsque la Chambre a rendu cette première décision intermédiaire, la question actuelle ne se posait pas encore, du moins pas de manière claire. Dans la mesure où la décision attaquée et les moyens des parties avaient trait à l'admissibilité des revendications de produits au titre de l'article 53b) CBE, l'accent était mis uniquement sur la portée de l'exclusion des variétés végétales. La Chambre étant - et restant (cf. point 39 ci-dessus) - d'avis que la Grande Chambre de recours a déjà suffisamment clarifié l'interprétation de l'exclusion des variétés végétales dans sa décision G 1/98, elle n'a pas suivi la suggestion formulée par le requérant II lors de la première procédure orale de saisir la Grande Chambre de recours d'une question supplémentaire concernant cette interprétation.
74. La question actuellement en suspens, à savoir celle relative aux incidences négatives éventuelles de l'exclusion des procédés visée à l'article 53b) CBE sur l'admissibilité des revendications de produit du requérant I, diffère des questions examinées par la Chambre dans sa première décision intermédiaire. Elle résulte d'une part de la décision de la Grande Chambre de recours G 1/08 laquelle, comme il est résumé aux point 41 et 42 ci?dessus, donne une interprétation large de l'exclusion des procédés, et d'autre part des moyens invoqués par les parties à la suite de cette décision. Pleinement consciente du caractère insolite d'une telle démarche, la Chambre décide donc de soumettre à nouveau des questions de droit à la Grande Chambre de recours. En les formulant, la Chambre a tenu compte des suggestions du requérant II (cf. points X et XII ci-dessus) mais n'a pas pris en considération les moyens produits par les tiers sur cette question après la clôture des débats à l'issue de la procédure orale.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
I. La requête principale du requérant I est rejetée.
II. Les questions de droit suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours pour décision :
1. L'exclusion des procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux prévue à l'article 53b) CBE peut-elle avoir un effet négatif sur l'admissibilité d'une revendication de produit portant sur des végétaux ou une matière végétale comme un fruit ?
2. En particulier, une revendication portant sur des végétaux ou une matière végétale autres qu'une variété végétale est-elle admissible même si l'unique procédé disponible à la date de dépôt pour obtenir l'objet revendiqué est un procédé essentiellement biologique d'obtention de végétaux divulgué dans la demande de brevet ?
3. Est-il important, dans le contexte des questions 1 et 2, que la protection conférée par la revendication de produit englobe l'obtention du produit, tel que revendiqué, au moyen d'un procédé essentiellement biologique d'obtention de végétaux, exclu en tant que tel en vertu de l'article 53b) CBE ?