Exposé des faits et conclusions
I. Question posée dans la saisine
La chambre de recours juridique, dans sa décision intermédiaire J 2/08 du 27 mai 2009, a soumis la question de droit suivante à la Grande Chambre de recours :
Une demande qui a été rejetée par décision de la division d'examen demeure-t-elle en instance au sens de la règle 25 CBE 1973 (règle 36(1) CBE) jusqu'à l'expiration du délai de recours, lorsqu'aucun recours n'a été formé ?
II. Décision de la section de dépôt faisant l'objet du recours
La demande de brevet européen n° 01 102 231.6 (demande initiale) a été rejetée par la division d'examen au moyen d'une décision prononcée oralement le 23 novembre 2005 à la fin de la procédure orale. Trois semaines plus tard, le 14 décembre 2005, le demandeur a déposé la demande de brevet européen n° 05 027 368.9 en tant que demande divisionnaire relative à la demande initiale rejetée. La décision écrite de rejet de la demande initiale a été signifiée au demandeur le 27 janvier 2006. Le demandeur n'a pas formé de recours contre cette décision. Le 9 août 2007, la section de dépôt, se fondant sur la règle 25 CBE 1973, a décidé que la demande de brevet européen n° 05 027 368.9 ne pouvait pas être considérée comme une demande divisionnaire valablement déposée. Dans sa décision, la section de dépôt a considéré que la règle 25 CBE 1973 subordonnait la possibilité de déposer une demande divisionnaire à l'existence d'une demande de brevet européen antérieure en instance. Le terme "en instance" s'entendait, conformément au Communiqué de l'OEB en date du 9 janvier 2002 relatif à la modification des règles 25(1), 29(2) et 51 CBE (JO OEB 2002, 112), des demandes dont la mention de la délivrance n'avait pas encore été publiée ou qui n'étaient pas encore rejetées, retirées ou réputées retirées. Une décision rendue oralement devenait effective et entrait en vigueur du fait de son prononcé, comme indiqué au point 2 de la décision G 12/91 de la Grande Chambre de recours. Il ne faisait donc aucun doute que, lorsqu'une décision de rejet d'une demande avait été prononcée lors d'une procédure orale, la demande n'était plus en instance et aucune demande divisionnaire relative à cette demande ne pouvait être déposée au titre de la règle 25 CBE 1973.
III. Recours formé par le demandeur
Le recours formé par le demandeur contre la décision de la section de dépôt a été traité par la chambre de recours juridique dans l'affaire J 2/08, qui est à l'origine de la présente saisine. En ce qui concerne les éléments pertinents pour la présente saisine, le requérant a estimé que la demande initiale était encore en instance lors du dépôt de la demande divisionnaire, puisque le délai prévu pour former un recours contre la décision de rejet de la demande initiale n'était pas encore arrivé à expiration à cette date. Il a également invoqué le principe de la bonne foi entre l'OEB et les parties à la procédure se tenant devant lui. La demande divisionnaire a été déposée le 14 décembre 2005, soit six semaines avant la signification de la décision par écrit. Si l'OEB avait envoyé sa notification constatant la perte d'un droit dans un délai raisonnable après cette date, le demandeur aurait disposé de suffisamment de temps pour sauvegarder ses droits en formant un recours contre la décision de rejet de la demande initiale dans le délai prévu à cet effet.
Dans le cadre du recours, le requérant a demandé à titre de requête principale que la décision de la section de dépôt soit annulée et, à titre de requête subsidiaire, que la Grande Chambre de recours soit saisie de trois questions concernant l'interprétation du terme "en instance" utilisé dans la règle 25(1) CBE 1973.
IV. Décision de saisine
Dans sa décision intermédiaire J 2/08 du 27 mai 2009, la chambre de recours juridique a conclu, à l'issue d'une analyse juridique approfondie de l'affaire, que la réponse à la question qui lui avait été posée ne pouvait pas être déduite sans ambiguïté du texte de la CBE, ni de l'application de l'article 125 CBE 1973. Même si la jurisprudence de la Grande Chambre de recours et de la chambre de recours juridique ont traité de questions connexes, la notion de "demande encore en instance" au sens de la règle 25 CBE 1973 n'est pas apparemment définie avec précision. La chambre de recours juridique a également relevé que, dans la CBE 2000, la règle 25 CBE 1973 n'avait pas été modifiée sur le fond, mais simplement renuméroté en règle 36(1) CBE 2000, et que par conséquent, l'ambiguïté du terme "en instance" demeurait. Quoi qu'il en soit, la détermination de la date jusqu'à laquelle les demandeurs peuvent déposer une demande divisionnaire est une question de droit d'importance fondamentale au sens de l'article 112(1) CBE, qui concerne directement le droit fondamental des demandeurs de déposer des demandes divisionnaires.
S'agissant des arguments du requérant fondés sur la violation présumée du principe de la bonne foi, la chambre de recours juridique a donné les raisons pour lesquelles ils sont inopérants. Aussi, l'issue du recours dépend-elle de l'évaluation juridique du terme "en instance".
V. Observations du requérant
1. La section de dépôt a fondé sa décision principalement sur le "Communiqué de l'OEB" (JO OEB 2002, 112) qui stipule au point 1 : "si le demandeur forme un recours contre la décision de rejet, il est encore possible de déposer une demande divisionnaire pendant la procédure de recours" (c'est la chambre qui souligne). Or, ce "Communiqué de l'OEB" ne fait pas partie de la Convention et ne saurait donc faire foi pour l'interprétation du terme "en instance" figurant à la règle 25 CBE 1973.
2. S'agissant de la genèse de cette disposition, il convient de se reporter au document CA/127/01 du 14 septembre 2001, rédigé à l'intention du Conseil d'administration pour que celui-ci statue sur la modification de la règle 25 CBE 1973. Au point 6, on peut lire que "la procédure de délivrance est en instance jusqu'à la date à laquelle la mention de la délivrance a été publiée au Bulletin européen des brevets ( ), ou jusqu'à la date à laquelle la demande a été définitivement rejetée ou (réputée) retirée" (c'est la chambre qui souligne). Une demande doit donc être considérée comme étant en instance tant que le demandeur a la possibilité de former un recours. Dès lors, au cas où aucun recours n'est formé, la demande cesse d'être en instance à l'expiration du délai prévu pour la formation d'un recours.
3. Toute tentative visant à répondre à la question soumise à la Grande Chambre de recours en se fondant sur la seule CBE doit tenir compte du fait que la CBE fait la distinction entre une demande "rejetée" (article 97 CBE 1973) et une demande "rejetée définitivement" (règle 48(2) CBE 1973). La règle 48(2) CBE 1973 porte sur les préparatifs techniques en vue de la publication d'une demande de brevet européen et dispose qu'une demande ne doit pas être publiée "lorsque la demande a été rejetée définitivement ( ) avant la fin des préparatifs techniques entrepris en vue de la publication". L'un des principes de base du droit des brevets étant que seules doivent être publiées les demandes portant sur un objet pour lequel le demandeur peut encore obtenir une protection, il faut déduire de la règle 48(2) CBE 1973 qu'une demande de brevet demeure en instance tant qu'elle n'a pas été rejetée définitivement.
4. Par ailleurs, pour une bonne compréhension de la règle 25 CBE 1973, certains principes généralement admis en matière procédurale dans les États contractants doivent être pris en compte en vertu de l'article 125 CBE 1973. L'un de ces principes est que toute procédure formelle ou mesure corrective superflue doit être évitée, dans un souci d'économie de la procédure. Ainsi, la Cour suprême fédérale allemande (Bundesgerichtshof - BGH) a décidé que les demandes divisionnaires pouvaient être valablement déposées pendant le délai de recours sans qu'il soit nécessaire de former un recours à cette seule fin (cf. décision de la BGH "Graustufenbild" du 28 mars 2000, publiée dans GRUR 2000, 688).
5. Le requérant a de nouveau présenté ses arguments à l'appui de la prétendue violation du principe de la bonne foi par l'OEB (cf. point III ci-dessus), question sur laquelle la chambre de recours juridique avait statué de façon définitive et dont la Grande Chambre de recours n'était pas saisie (cf. point IV ci-dessus, et points 61 à 66 de la décision de saisine J 2/08).
VI. La Grande Chambre de recours a invité la Présidente de l'Office européen des brevets, conformément à l'article 9 RPGCR, à s'exprimer sur cette affaire et a également émis, en vertu de l'article 10(2) RPGCR, une invitation à l'attention des tiers afin que ceux-ci présentent leurs observations.
VII. Observations de la Présidente de l'OEB
La Présidente de l'OEB a principalement indiqué que l'examen de la question de droit soumise à la Grande Chambre de recours devait tenir compte des aspects suivants :
1. S'agissant de la question de savoir jusqu'à quelle date la procédure de délivrance est en instance, le document CA/127/01 (cf. point V.2. ci-dessus) établit une distinction entre les délivrances et les rejets : "La procédure de délivrance est en instance jusqu'à la date à laquelle la mention de la délivrance a été publiée au Bulletin européen des brevets ( ), ou jusqu'à la date à laquelle la demande a été définitivement rejetée (...)".
2. Toutefois, pour une délivrance comme pour un rejet, le document CA/127/01 ne traite que la situation standard dans laquelle, en cas de délivrance, aucun recours n'est formé contre la décision de délivrance. De même, pour les rejets, l'utilisation du terme "définitivement rejetée" dans le document CA/127/01 n'introduit pas une nouvelle notion de "demande en instance", mais renvoie simplement à la situation standard dans laquelle un recours est formé contre la décision de rejet et une demande divisionnaire est déposée pendant la procédure de recours. Lorsque la règle 25(1) CBE 1973 a été modifiée en 2001, il était généralement admis qu'une demande était encore en instance si un recours contre la décision de rejet avait été formé, compte tenu du principe de l'effet suspensif prévu à l'article 106(1), deuxième phrase CBE 1973. Inversement, cela signifiait également qu'une décision de première instance mettait fin à la procédure si aucune des parties ne formait de recours. Le terme "définitivement" était censé souligner qu'une demande de brevet européen ne cessait pas nécessairement d'exister lorsque la division d'examen la rejetait, mais qu'elle pouvait être à nouveau en instance si un recours était formé, ce qui était primordial pour le dépôt de demandes divisionnaires dans les cas où un recours avait été formé contre une décision de rejet. Il découle de ce qui précède qu'une demande cesse d'être en instance à la date de signification de la décision de rejet dans le cadre d'une procédure écrite, ou au prononcé de la décision lors d'une procédure orale.
3. Le fait que le délai de recours ne soit pas arrivé à expiration, c'est-à-dire que la décision de rejet ne soit pas définitive, n'obère pas cette conclusion mais signifie seulement, en pratique, que la procédure peut être à nouveau en instance si un recours valable est déposé (c'est la chambre qui souligne). En outre, l'effet suspensif du recours étant rétroactif, la demande est alors considérée comme ayant toujours été en instance, c'est-à-dire y compris pendant la période écoulée entre la signification du rejet et la formation du recours. En raison de l'effet rétroactif du recours, il n'importe donc pas de savoir si la demande divisionnaire a été déposée avant ou après la formation du recours, du moment qu'un recours a été formé.
4. La conclusion de la Présidente concernant la réponse à apporter à la saisine est donc que la validité d'une demande divisionnaire déposée après le rejet de la demande principale dépend de la formation d'un recours valable.
5. S'appuyant sur cette conclusion, la Présidente s'est également penchée sur la question de savoir si le dépôt de demandes divisionnaires est admissible même si le recours est (manifestement) irrecevable, puisque former un recours (manifestement) irrecevable revient à ne pas former de recours du tout. En premier lieu, elle a fait remarquer que, selon la jurisprudence, un recours réputé non formé n'a aucune existence juridique et, partant, aucun effet suspensif. Toutefois, si le recours est réputé formé, l'effet suspensif ne saurait dépendre du respect de tous les critères de recevabilité, mais devrait être refusé uniquement dans les cas où le recours est manifestement irrecevable, puisque l'effet suspensif ne devrait pas indûment retarder l'entrée en vigueur et la mise en uvre d'une décision définitive. Cette approche permet d'éviter les recours abusifs visant à créer des "demandes initiales" maintenues artificiellement en instance, par exemple en cas de recours contre une décision de délivrance correspondant à la requête en délivrance du demandeur.
VIII. Observations de tiers
Un seul tiers a présenté des observations écrites. Il a fait valoir que même si la question soumise à la Grande Chambre de recours concernait uniquement la règle 25 CBE 1973, il fallait y apporter une réponse pour toutes les affaires dans lesquelles une décision était rendue oralement. Cependant, dans la situation juridique actuelle, ni une réponse positive ni une réponse négative ne seraient satisfaisantes. La Grande Chambre de recours devrait donc encourager le législateur à clarifier la question de savoir à quelle date une décision prend effet, en procédant à une modification de la CBE, et en particulier de sa règle 111(1) CBE.
Motifs de la décision
1. Recevabilité de la saisine
La Grande Chambre de recours se range à l'avis de la chambre de recours juridique selon lequel la question soumise doit être clarifiée non seulement pour statuer sur la présente affaire, mais aussi parce qu'elle touche à une question de droit d'importance fondamentale, et ceci bien que, dans l'intervalle, la règle 25 CBE 1973 ait été non seulement renumérotée pour devenir la règle 36 de la CBE 2000, mais également modifiée ultérieurement par décision du Conseil d'administration en date du 25 mars 2009. Toutefois, la version modifiée de la règle 36 CBE entrée en vigueur le 1er avril 2010 se fonde toujours sur le principe qu'il est possible de déposer une demande divisionnaire "relative à toute demande de brevet européen antérieure encore en instance". S'il est vrai que la nouvelle règle 36 CBE fixe des conditions supplémentaires (délais) pour le dépôt de demandes divisionnaires, la question soumise à la Grande Chambre de recours concernant la règle 25 CBE 1973 peut néanmoins avoir une pertinence dans les affaires où la demande antérieure a été rejetée avant l'expiration des nouveaux délais. Dès lors, la réponse à la question de saisine permettra non seulement de statuer sur la présente affaire au titre de la règle 25 CBE 1973, mais aussi d'assurer une application uniforme de la règle 36 CBE 2000 dans sa nouvelle version. La saisine satisfait ainsi aux conditions de l'article 112(1)a) CBE et est donc recevable.
2. Droit applicable
La question soumise à la Grande Chambre de recours porte sur la règle 25 CBE 1973 dans sa version adoptée par le Conseil d'administration le 18 octobre 2001, qui, en vertu des dispositions transitoires de la CBE 2000, régit la situation juridique dans la présente affaire (cf. point 4 de la décision de saisine). Il y a donc lieu d'examiner la question à la lumière de la CBE 1973. Toutefois, comme nous l'avons souligné plus haut, l'expression "demande de brevet européen antérieure encore en instance" est demeurée en usage dans les deux versions de la règle 36(1) CBE 2000.
3. Interprétation de la notion de "demande de brevet européen encore en instance"
3.1 Règles d'interprétation
Il est communément admis que la Convention sur le brevet européen ne définit pas la notion de "demande de brevet européen en instance". En particulier, la CBE ne détermine pas les dates auxquelles une demande commence et cesse d'être "en instance" dans tous les cas de figure possibles. La question posée appelle donc une interprétation de l'expression "demande de brevet européen en instance".
Selon la jurisprudence constante de la Grande Chambre de recours, il convient, pour interpréter la CBE, d'appliquer les règles d'interprétation énoncées dans la Convention de Vienne sur le droit des traités (voir par exemple G 5/83, points 2 à 5 des motifs ; G 1/07, point 3.1 des motifs ; G 2/08 du 19 février 2010, point 4 des motifs). En vertu de la règle générale d'interprétation figurant à l'article 31(1) de la Convention de Vienne, "un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but". Aux termes de l'article 32 de cette Convention, "il peut être fait appel à des moyens complémentaires dinterprétation, et notamment aux travaux préparatoires [ ], en vue, soit de confirmer le sens résultant de lapplication de larticle 31, soit de déterminer le sens lorsque linterprétation donnée conformément à larticle 31 : a) laisse le sens ambigu ou obscur ; ou b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable."
C'est pourquoi, avant d'aborder la genèse de la règle 25 CBE 1973, et notamment le document CA/127/01, il convient de déterminer le sens de l'expression "demande de brevet européen en instance" à la lumière de la règle générale d'interprétation énoncée à l'article 31 de la Convention de Vienne.
3.2 "Demande de brevet européen en instance"
3.2.1 Dans l'ordre juridique interne de la CBE, une demande de brevet européen comporte deux aspects. D'une part, c'est un objet de propriété (article 71 CBE 1973 s.) émanant du droit de l'inventeur à un brevet européen (article 60(1) CBE 1973) et conférant à son titulaire, entre autres, une protection provisoire au titre de l'article 67 CBE 1973. D'autre part, dans les procédures devant l'OEB, une demande de brevet européen confère aussi des droits de nature procédurale que le demandeur est habilité à exercer (article 60(3) CBE 1973). Le terme "demande de brevet européen" peut donc se rapporter aussi bien aux droits substantiels qu'aux droits procéduraux du demandeur.
3.2.2 S'agissant du terme "en instance" ("anhängig", "pending"), il y a lieu de noter que celui-ci n'est pas utilisé de manière uniforme dans la CBE. Il s'applique non seulement aux demandes de brevet en instance (règle 25(1) et article 175(2) CBE 1973), mais aussi aux procédures en instance devant l'OEB (voir par exemple la règle 13(3) CBE 1973 et l'article 175(3) CBE 1973). La signification du terme "en instance" n'est pas la même suivant le contexte. Par exemple, si une procédure n'est plus en instance devant l'OEB parce qu'elle a été suspendue en application de la règle 13(1) CBE 1973, la demande de brevet n'en demeure pas moins en instance, par définition, puisqu'elle ne saurait être retirée alors que la procédure est suspendue. Par ailleurs, une procédure d'opposition devant l'OEB ne peut commencer à être en instance qu'après la délivrance du brevet, c'est-à-dire lorsque la demande de brevet n'est plus en instance.
À cet égard, il y a lieu de souligner que la règle 25 CBE 1973 fait référence à "toute demande de brevet encore en instance" plutôt qu'à la procédure en instance devant l'OEB. Dans le contexte de la règle 25 CBE 1973, il n'importe donc pas de savoir si une procédure est ou non en instance devant l'OEB.
3.2.3 La règle 25 CBE 1973 mettant en application l'article 76 CBE 1973 a été modifiée à plusieurs reprises. Dans la version approuvée par le Conseil d'administration dans sa décision du 10 juin 1988, elle mentionnait pour la première fois comme condition explicite l'existence d'une demande antérieure en instance. Cette règle s'énonçait comme suit : "Le demandeur peut déposer une demande divisionnaire relative à une demande de brevet européen initiale encore en instance jusqu'au moment où il donne, conformément à la règle 51, paragraphe 4, son accord sur le texte dans lequel il est envisagé de délivrer le brevet européen." Si la date butoir que constitue l'approbation du texte a trait incontestablement à la procédure (G 10/92, JO OEB 1994, 633, point 4 des motifs), la condition posée de l'existence d'une demande de brevet antérieure encore en instance est d'une autre nature. Elle reflète plutôt le droit fondamental du demandeur, au titre de l'article 76 CBE 1973, de déposer une demande divisionnaire relative à une demande antérieure si l'objet de la demande antérieure "figure toujours" dans cette demande à la date de dépôt de la demande divisionnaire (cf. G 1/05, JO OEB 2008, 271, point 11.2 des motifs).
Par décision du Conseil d'administration du 18 octobre 2001, le délai procédural pour l'approbation du texte a été retiré de la règle 25 CBE 1973 et seule la condition de fond exigeant qu'une demande soit toujours en instance a été maintenue dans le texte applicable dans la présente espèce.
3.2.4 Il résulte des observations ci-dessus qu'une "demande de brevet européen (antérieure) encore en instance", dans le contexte spécifique de la règle 25 CBE 1973, est une demande de brevet se trouvant à un stade auquel les droits substantiels qu'elle confère au titre de la CBE existent (encore). Cette interprétation rejoint l'avis de la chambre de recours juridique dans sa décision J 18/04, selon laquelle la formule "demande de brevet en instance" figurant dans la règle 25 CBE 1973 ne définit pas un délai, mais plutôt une condition de fond (J 18/04, JO OEB 2006, 560, point 7 s. des motifs).
3.2.5 À l'évidence, le fait qu'une demande de brevet européen antérieure soit encore en instance ne veut pas dire qu'une demande divisionnaire relative à cette demande puisse être déposée à tout moment. Cela peut être exclu par des dispositions régissant la procédure telles que la règle 13 CBE 1973 qui empêche, à titre de lex specialis, le dépôt d'une demande divisionnaire en cas de suspension de la procédure relative à la demande antérieure encore en instance (J 20/05 du 6 septembre 2007, point 3 des motifs). De même, l'article 23(1) PCT, qui dispose qu'aucun office désigné ne traite ni n'examine la demande internationale avant l'expiration du délai applicable selon l'article 22 PCT, prime sur la règle 25 CBE 1973 en vertu de l'article 150(2) CBE 1973, empêchant ainsi le dépôt de demandes divisionnaires se rapportant à des demandes euro-PCT encore en instance avant que ces dernières soient traitées par l'OEB agissant en tant qu'office désigné ou élu. Enfin, la règle 36 CBE actuellement en vigueur fixe certains délais inhérents à la procédure pour le dépôt de demandes divisionnaires pendant la procédure d'examen.
4. Existence de droits substantiels conférés par des demandes de brevet européen
4.1 L'interprétation ci-dessus du terme juridique "demande de brevet européen en instance" (point 3.2.4 ci-dessus) soulève une nouvelle question, qui est de savoir jusqu'à quelle date subsistent les droits substantiels conférés par des demandes de brevet européen. Pour répondre à cette question, il convient de faire une distinction entre le rejet de la demande et la délivrance d'un brevet.
4.2 Rejet de la demande
4.2.1 La protection provisoire conférée au titre de l'article 67 CBE 1973 par la demande de brevet européen après sa publication (point 3.2.1 ci-dessus) fait partie des droits substantiels du demandeur. L'article 67(4) CBE 1973 indique clairement jusqu'à quelle date ces droits substantiels conférés par une demande de brevet européen existent si le brevet n'est pas délivré. En particulier, il dispose que la demande de brevet européen sera réputée n'avoir jamais eu pour effet de conférer une protection provisoire si cette demande est retirée, réputée retirée ou "rejetée en vertu d'une décision passée en force de chose jugée" (version allemande : "rechtskräftig zurückgewiesen" version anglaise : "finally refused").
Les droits substantiels du demandeur au titre de l'article 67 CBE 1973 peuvent dès lors continuer d'exister après le rejet de la demande, jusqu'à ce que la décision de rejet soit passée en force de chose jugée (rechtskräftig, final). Les tiers qui utilisent l'invention avant que la décision de rejet soit passée en force de chose jugée risquent de mettre en jeu leur responsabilité en vertu du droit national, conformément à l'article 67 CBE 1973.
4.2.2 Comme l'a fait observer la chambre de recours juridique au point 17 de la décision de saisine J 2/08, il est "admis qu'une décision rendue par une première instance n'a de caractère définitif (res judicata) qu'à l'expiration du délai prévu pour la formation d'un recours". Cette idée est en effet largement admise dans les États contractants, comme l'attestent par exemple les Codes de procédure civile en vigueur en Allemagne (§ 705 Zivilprozessordnung), en France (art. 500 Nouveau Code de Procédure Civile) et en Autriche (§ 411 Zivilprozessordnung). Pour la Suisse, on se réfèrera à Vogel/Spühler, Grundriss des Zivilprozessrechts, 8e édition 2006, § 40, n° 62. Ces dispositions nationales prévoient, en substance, que les décisions ne deviennent pas définitives avant l'expiration du délai prévu pour recourir aux voies de droit ordinaires. Il n'y a aucune raison de s'écarter de ce principe dans le contexte de l'article 67(4) CBE 1973 (cf. aussi Schennen dans Singer/Stauder, "Europäisches Patentübereinkommen", 5e édition 2010, Article 67, paragraphe numéroté 25).
4.2.3 Les effets juridiques de l'article 67(4) CBE 1973 mentionnés ci-dessus sont indépendants de l'effet suspensif d'un éventuel recours et ne dépendent pas non plus de la date à laquelle la décision de rejet prise par l'organe de première instance devient effective au sens de la décision G 12/91 (JO OEB 1994, 285, point 2 des motifs). L'article 67(4) CBE 1973 est plutôt une disposition autonome indiquant le moment auquel les droits substantiels conférés par une demande de brevet européen et, par là même, son statut de demande en instance, doivent prendre fin. L'effet rétroactif d'une décision de rejet passée en force de chose jugée sur les droits dont le demandeur peut se prévaloir en vertu de l'article 67 CBE 1973 n'a aucune influence sur le fait que la demande reste en instance jusqu'à ce qu'une telle décision passe en force de chose jugée.
4.2.4 La Grande Chambre de recours conclut de ce qui précède que, en vertu de la CBE, une demande de brevet qui a été rejetée par la division d'examen demeure encore en instance, au sens de la règle 25 CBE 1973, jusqu'à l'expiration du délai de recours et que le jour suivant, elle n'est plus en instance si aucun recours n'a été formé. Ceci vaut également pour la règle 36(1) CBE 2000, que ce soit dans sa version antérieure ou dans sa version actuelle.
4.2.5 L'interprétation donnée ci-dessus n'est pas en contradiction avec le document préparatoire CA/127/01 établi en vue de la modification de la règle 25 CBE 1973 (décision du Conseil d'administration du 18 octobre 2001), et auquel se réfèrent le requérant et la Présidente de l'OEB. Le point 6 de ce document aborde la question de savoir pendant combien de temps les "procédures de délivrance" demeurent en instance. Cependant, comme nous l'avons dit plus haut, une procédure en instance n'est pas exactement la même chose qu'une demande en instance. De plus, comme l'a justement fait remarquer la Présidente, le document CA/127/01 traite principalement du statut de "demande en instance" en cas de délivrance. S'agissant du rejet, il est néanmoins indiqué au point 6 que "la procédure de délivrance est en instance [ ] jusqu'à la date à laquelle la demande a été définitivement rejetée [ ]". Il n'y a aucune raison de supposer que les auteurs de ce document ont eu l'intention de donner au terme "définitivement rejetée" (rechtskräftig zurückgewiesen finally refused) un autre sens que le sens courant et généralement admis (cf. point 4.2.2).
4.2.6 Quoi qu'il en soit, cette interprétation de la règle 25(1) CBE 1973 s'accorde avec l'objectif affiché dans le document CA/127/01, à savoir rendre la date limite de dépôt d'une demande divisionnaire plus transparente pour le demandeur et pour les tiers. Selon la pratique actuelle de l'OEB au titre de la règle 25(1) CBE 1973, une demande cesse d'être en instance à la date de signification de la décision de rejet dans le cadre d'une procédure écrite, ou au prononcé de la décision lors d'une procédure orale, selon le cas. Dans l'interprétation choisie par la Grande Chambre de recours, la demande est au contraire en instance, dans les deux cas, jusqu'à l'expiration du délai prévu pour la formation d'un recours, et ne l'est plus le jour suivant, si aucun recours n'a été formé. Cette date peut toujours être déterminée à partir de la signification de la décision (écrite) de la première instance (Article 108 CBE 1973), ce qui devrait empêcher que les décisions de rejet aient des effets juridiques inattendus et éviter que des recours ne soient formés uniquement pour qu'une demande rejetée soit "à nouveau en instance".
4.3 Délivrance d'un brevet (opinion incidente)
4.3.1 La Présidente de l'OEB a également formulé des observations sur la question de savoir jusqu'à quelle date une demande de brevet européen demeure en instance au sens de la règle 25(1) CBE 1973, dans le cas où un brevet est délivré. La Présidente a renvoyé à la pratique constante de l'OEB selon laquelle, en vertu de l'article 97(4) CBE 1973, une demande est considérée comme étant toujours en instance pendant la période qui s'écoule entre la décision de délivrance du brevet et la publication de la mention de cette délivrance.
4.3.2 On notera que l'avis de la Présidente ci-dessus n'est pas en contradiction avec l'interprétation donnée par la Grande Chambre de recours de la règle 25(1) CBE 1973, selon laquelle une demande de brevet européen est en instance tant que les droits substantiels qui en découlent en vertu de la CBE existent (cf. point 3.2.4 ci-dessus). En cas de délivrance, l'article 64(1) CBE 1973 dispose qu'à compter de la date de publication de la mention de la délivrance, ce n'est plus la demande de brevet mais le brevet délivré qui confère à son titulaire les mêmes droits que ceux que lui confèrerait un brevet national délivré dans cet État. L'article 64(1) CBE 1973 concorde avec l'article 97(4) CBE 1973, selon lequel la décision relative à la délivrance ne prend effet qu'à compter de la publication de la mention de la délivrance. Ainsi, dans le cas d'une décision de délivrance, la demande de brevet européen est normalement en instance jusqu'au jour précédant la publication de la mention de la délivrance, puisqu'à partir de ce moment-là, les droits substantiels conférés par la CBE n'émanent plus de la demande de brevet, mais du brevet délivré.
4.3.3 La Présidente de l'OEB a en outre abordé la question de savoir si le dépôt d'une demande divisionnaire est admissible même lorsqu'un recours (manifestement) irrecevable a été formé contre la demande antérieure.
Il résulte de l'interprétation de la règle 25 CBE 1973 exposée ci-dessus que, si aucun recours n'a été formé, le délai pendant lequel une demande divisionnaire peut être déposée court soit jusqu'à la date d'expiration du délai de recours, soit jusqu'au jour précédant la date de publication de la mention de la délivrance, selon qu'une décision de rejet ou une décision de délivrance a été rendue. Dans aucune de ces situations il n'est nécessaire de former un recours pour garantir que la demande reste en instance.
Cette dernière question soulevée par la Présidente concerne toutefois les demandes divisionnaires déposées après l'expiration du délai prévu à cet effet, dans les cas où un recours (manifestement) irrecevable a été formé en vue de maintenir en instance la demande après l'expiration du délai.
Or, la question de droit soumise à la Grande Chambre de recours ne concerne que les cas dans lesquels il n'est pas formé de recours. La dernière question traitée par la Présidente n'étant pas couverte par la décision de saisine, la présente décision n'a pas à y apporter de réponse.
Dispositif
Par ces motifs, la Grande Chambre de recours apporte la réponse suivante à la question de droit qui lui a été soumise :
Lorsqu'aucun recours n'a été formé, une demande de brevet européen qui a été rejetée par décision de la division d'examen demeure en instance au sens de la règle 25 CBE 1973 (règle 36(1) CBE) jusqu'à l'expiration du délai de recours.