European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2000:T080198.20000620 | ||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Date de la décision : | 20 Juin 2000 | ||||||||
Numéro de l'affaire : | T 0801/98 | ||||||||
Numéro de la demande : | 89402846.3 | ||||||||
Classe de la CIB : | E05B 15/06 | ||||||||
Langue de la procédure : | FR | ||||||||
Distribution : | C | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
|
||||||||
Titre de la demande : | Dispositif de serrure haute sécurité à rondelles de codage | ||||||||
Nom du demandeur : | ZAOUI, Charles | ||||||||
Nom de l'opposant : | DENY | ||||||||
Chambre : | 3.2.03 | ||||||||
Sommaire : | - | ||||||||
Dispositions juridiques pertinentes : |
|
||||||||
Mot-clé : | Usage antérieur : accessibilité au public (insuffisamment prouvée) Activité inventive (oui) |
||||||||
Exergue : |
- |
||||||||
Décisions citées : |
|
||||||||
Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
|
Exposé des faits et conclusions
I. Le recours vise à faire infirmer la décision datée du 25. juin 1998 d'une Division d'opposition de l'OEB, qui a maintenu sous une forme modifiée le brevet européen EP-B1-0 367 649 (numéro de dépôt : 89 402 846.3) suite à une opposition formée contre ce brevet avec présentation des deux documents suivants destinés à prouver un usage antérieur :
D1 : Plan n 16087 d'une serrure, daté du 12 mai 1987.
D2 : Plan n 14407D de la société DENY, daté du 1er juillet 1988.
Selon cette décision, la revendication 1 du brevet ci-dessus, telle que modifiée durant la procédure d'opposition et reçue le 19 juin 1997, satisfait à l'article 123(3) CBE et son objet est bien nouveau et implique une activité inventive, les documents D1 et D2 divulguant une serrure qui correspond uniquement au préambule de la revendication.
II. La revendication 1, telle que modifiée, a le libellé suivant :
"Dispositif de serrure du type comprenant un fût fixe (1) logeant solidairement une douille (2) qui loge solidairement à son tour un bloc interne (3) comportant une pile de rondelles conformées de codage (30), solidairement enserrées entre deux disques d'extrémité (31, 32), propres à admettre les panetons (40) d'une clé (4) jusqu'à une butée, à contrôler la rotation de ces panetons (40) et les autoriser ou non à traverser une fente de sortie (212), ménagée dans la paroi terminale (21) de la douille (2), à des fins d'entraînement d'au moins un pêne, caractérisé en ce que le bloc interne (3) comprend, en outre, un disque intermédiaire (34), situé entre les deux disques d'extrémité (31, 32) et comportant un passage (342) propre à permettre l'accès des panetons de la clé jusqu'à ladite butée ainsi que leur rotation, ledit disque intermédiaire présentant par son épaisseur et sa superficie une résistance élevée, par rapport aux rondelles minces (30) du jeu de rondelles, à toute tentative d'effraction tendant à tordre le profil conformé de codage des rondelles (30), et en ce que le dispositif comprend des moyens de liaison (33) formant au moins une partie des moyens d'attache pour solidariser le disque intermédiaire (34) avec lesdits disques d'extrémité (31, 32) et lesdites rondelles de codage (30), ce qui permet d'assurer une grande cohésion à la pile de rondelles de codage (30), et de rendre très difficile les tentatives de torsion desdites rondelles et les tentatives de perçage du bloc interne (3)."
III. L'opposante - ci-après la requérante - a formé recours le 11 août 1998 et payé la taxe de recours le jour suivant. Dans son mémoire reçu le 20 octobre 1998, elle reprend les mêmes motifs qu'en opposition, à savoir que la portée de la revendication 1 a été élargie par les modifications apportées et que l'objet de cette revendication n'est pas nouveau ou pour le moins n'implique pas d'activité inventive. Pour appuyer ses affirmations, elle a simultanément fourni des modèles de serrures, ainsi que le document suivant :
D3 : Fiche de montage datée de 1974
Par lettre datée du 19 février 1999, le titulaire du brevet - ci-après l'intimé - a réfuté la pertinence de ces motifs et mis en doute l'authenticité du contenu du document D3 et son caractère public.
IV. Le 19 novembre 1999, la Chambre de recours a envoyé, en annexe à une invitation à une procédure orale, une notification, dans laquelle elle indiquait, entre autres, qu'à première vue, le document D3 n'était pas pertinent et que l'usage antérieur et l'accessibilité au public du contenu du document D2 ne semblaient pas être suffisamment prouvés.
Par courrier reçu le 25 avril 2000, la requérante a fourni deux documents, à savoir le procès-verbal d'un constat d'huissier, qui avait procédé à la saisie de trois canons de serrure de la société DENY, qui figuraient en 1988 à l'inventaire de l'Hôpital Saint-Jean de Dieu à Lyon, et la photocopie certifiée par le même huissier d'une page des livres internes de la société DENY. La requérante a précisé que les canons seront présentés lors de la procédure orale.
V. La procédure orale s'est tenue le 20 juin 2000 et les canons de serrure avec leurs clés appropriées, tels que mis sous scellés, ont effectivement été montrés.
VI. La requérante a contesté la validité du brevet en faisant valoir ce qui suit :
a) Sur l'admissibilité de la revendication 1 modifiée :
Dans la partie caractérisante de la revendication 1 du brevet tel que délivré, les termes "ledit disque d'extrémité" apparaissaient à la place des termes actuels "ledit disque intermédiaire". Le changement de termes nécessairement modifie l'objet de la revendication et donc la portée de l'invention, si bien que l'article 123(3) CBE est enfreint. On ne peut non plus prétendre que, s'il y a bien une erreur au sens de la règle 88 CBE dans le texte délivré de la revendication 1, la rectification de cette erreur s'impose à l'évidence. En effet, la partie de phrase qui suit les termes litigieux dans la revendication 1, telle que délivrée, et indique que le disque présente par son épaisseur et sa superficie une résistance élevée, cette partie de phrase définit un résultat. Or, ce résultat est déjà obtenu par un disque d'extrémité, comme le confirment le terme "disque" lui-même et la description du brevet en cause, qui spécifie que chaque disque d'extrémité est plus épais qu'une rondelle de codage. L'homme du métier n'est donc pas amené de façon évidente à modifier le terme "d'extrémité" en "intermédiaire".
b) Sur la brevetabilité de l'objet de la revendication 1 :
Le genre de serrure concerné par la présente invention ne comporte pas de pièce rotative du cylindre, comme dans la plupart des serrures classiques. Seule la clé effectue un mouvement de rotation et le cylindre ou canon de serrure sert uniquement de filtre de passage pour pouvoir établir une hiérarchisation des serrures. Ce modèle de serrure a été conçu dès 1894 et est donc très ancien. Le problème que prétend résoudre la présente invention est fictif, car d'une part un bloc interne constitué de rondelles empilées est très compact et offre une résistance telle qu'il n'est pas possible de vriller une rondelle et, d'autre part, l'insertion d'un disque ou rondelle plus épaisse nécessairement aboutit à réduire le nombre de combinaisons possibles, ce qui va à l'encontre du but principal de ce genre de serrure. Il en résulte, qu'en ce qui concerne la nouveauté de la serrure selon la revendication 1, cette nouveauté est pour le moins dépourvue d'application industrielle.
De plus, pour l'homme du métier qui cherche à renforcer un assemblage de rondelles minces, la solution qui consiste à insérer une rondelle plus épaisse, est évidente en soi. Il n'y a pas de différence entre un disque intermédiaire, qui comporte un passage pour la clé selon les termes de la revendication 1, et un disque de codage intermédiaire, plus épais qu'une rondelle de codage. Depuis longtemps, la société DENY a fabriqué et vendu des canons de serrure de ce type avec un bloc interne composé de rondelles alternées de différentes épaisseurs. Le constat d'huissier montre que des blocs internes comportant des rondelles de 0.5 mm, 1. mm et 1,5 mm ont bien été installés avant 1988 dans un hôpital psychiatrique de Lyon. Ce n'est que pour des raisons de rationalisation et parce que l'on avait appris à assembler de façon précise une pile de rondelles minces que récemment l'emploi de rondelles minces avec une épaisseur uniforme de 0,5 mm s'est imposée pour les blocs internes de ce genre de serrure. La présente invention, en proposant l'insertion d'une rondelle plus épaisse de codage, ne fait qu'effectuer un retour vers l'art antérieur plus ancien, sans apporter aucun avantage particulier. Il n'y a par ailleurs aucune raison de garder secret la constitution de telles serrures, car sinon il faudrait supposer que toutes les serrures de type hiérarchisée doivent être tenues secrètes, ce qui à l'évidence n'est pas le cas. De plus, de telles serrures doivent être entretenues et réparées, ce qui implique l'intervention de personnes non tenues au secret.
V. L'intimé a défendu le brevet en présentant les arguments suivants :
L'existence d'une erreur dans la revendication 1 de la version délivrée du brevet est évidente et sa reproduction dans le texte de la description ne fait que résulter de l'usage bien établi d'y répéter le texte de la revendication. Le seul problème est donc de reconnaître le terme qui serait correct. Or l'emploi, notamment au singulier, du terme "ledit" dans le libellé de la revendication 1, telle que délivrée, ne laisse pas de doute, car ce terme d'usage peu courant en langue française a nécessairement été introduit volontairement et en toute connaissance de cause. Il ne peut s'appliquer qu'à ce qui précède immédiatement dans le texte de la revendication, à savoir au disque intermédiaire. Grammaticalement, il n'y a pas d'autre solution possible et, sur le fond, ceci est confirmé par le texte de la description, colonne 9, lignes 12 à 19, qui confère au seul disque intermédiaire la fonction d'augmenter la cohésion du bloc interne et de rendre ainsi plus difficile la torsion des rondelles de codage.
Dans l'art antérieur, les blocs internes composés uniquement de rondelles minces empilées et tenues par deux vis avaient tendance à vriller et il était alors possible de traverser leur ensemble avec l'aide d'un outil en forme d'hélice, qui ensuite manoeuvrait le penne. La présente invention en instituant une discontinuité au moyen d'un disque intermédiaire, plus épais que les rondelles, rend plus difficile la déformation du bloc et, par suite, les possibilités d'effraction.
Certains éléments de preuve et ces modèles de serrure, qui sont supposés concerner un usage antérieur, ont été introduits par la requérante de façon tardive, voire au dernier stade de la procédure. Déjà pour cette raison, leur rejet est demandé. C'est la requérante elle-même qui fabriquait ces modèles de serrure, et il est inadmissible qu'elle produise de tels moyens de preuve en dernière minute. Il convient aussi de noter que la dernière pièce produite, à savoir la page des livres de la société DENY, ne concerne que le taillage de la clé et, par conséquent ne dit rien sur le nombre de rondelles de codage impliquées, plusieurs rondelles minces pouvant couvrir un cran unique, large, de la clé. Si les blocs internes, objets du constat d'huissier, semblent effectivement comporter des rondelles d'épaisseur différentes, par contre une vente en grande quantité de serrures correspondantes n'est guère prouvée et l'inventeur de l'invention en cause, qui a été un représentant de la société DENY pendant de nombreuse années, n'a jamais eu connaissance de telles serrures et de leur commercialisation. Il semble donc s'agir uniquement d'un modèle spécial, fabriqué et livré pour un client bien précis.
VI. La requérante demande l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet.
L'intimé demande le rejet du recours.
Motifs de la décision
1. Le recours est recevable.
2. Recevabilité de la revendication 1 dans sa version modifiée (article 123(2) et (3) CBE)
Article 123(3) CBE
a) Une simple lecture de la revendication 1 du brevet en cause, dans sa version délivrée, montre à l'évidence qu'une incohérence existe avec les termes "ledit disque d'extrémité", puisqu'auparavant dans la revendication ce sont deux disques d'extrémité qui avaient été mentionnés. Il y a donc une erreur manifeste dans le texte de la revendication 1 délivrée.
La seule lecture de la revendication ne permet pas de déterminer l'étendue de cette erreur et l'emploi du terme "ledit", même s'il n'est pas d'un usage courant dans la langue française, peut résulter d'une confusion avec les termes "lesdits", "l'un desdits", etc. L'aspect grammatical du terme "ledit" peut lui-même être une erreur. De même, les caractéristiques physiques attribuées ensuite dans la revendication au disque d'extrémité concerné, à savoir son épaisseur et sa superficie, ne permettent pas non plus de déterminer la correction, car selon la description du brevet le terme "disque" implique déjà en lui-même une épaisseur supérieure à celle des rondelles de codage, et l'intimée a reconnu que les disques d'extrémité aussi contribuent à la résistance en torsion du bloc interne.
Cependant, selon la jurisprudence des Chambres de recours, le remplacement dans une revendication d'un brevet d'une indication technique inexacte, car de toute évidence incohérente avec la divulgation d'ensemble du brevet, par une indication exacte des caractéristiques techniques ne contrevient pas à l'article 123, paragraphe (3) CBE (cf. le sommaire de la décision T 108/91, JO OEB 1994, 228, dont la teneur a été acceptée par la décision G 1/93 de la Grande Chambre de recours, JO OEB 1994, 541 en son point 4 des motifs). Compte tenu de l'article 69(1) CBE et de son protocole interprétatif, il convient de se servir de la description et des dessins pour interpréter les revendications et, donc déterminer ce pour quoi la protection est demandée.
Or une lecture attentive et complète du brevet tel que délivré montre que, si un des premiers buts de l'invention était de renforcer la cohésion du bloc interne, les disques d'extrémité ou l'un seul d'entre eux ne pouvaient former la solution telle que revendiquée, dans la mesure où ils étaient déjà connus dans les blocs internes de l'art antérieur, et ce en tant que disques, c'est-à-dire avec une épaisseur supérieure à celle des rondelles. Dans la partie détaillée de la description, il n'est attribué aux disques d'extrémité aucun effet particulier pour l'amélioration de la cohésion ou de la résistance à la torsion du bloc interne, alors que, par contre, le passage de la colonne 9, lignes 12 à 19, enseigne que c'est le disque intermédiaire qui résout ce problème. Le lecteur est donc poussé à faire concorder le texte de la revendication avec cette divulgation de la description, et par suite à remplacer l'expression "disque d'extrémité " par "disque intermédiaire". Il est conforté dans ce choix par les revendications dépendantes, qui suivent immédiatement et qui concernent uniquement le disque intermédiaire. La revendication 2, en particulier, indique que le disque intermédiaire est interposé ente deux rondelles de codage. Or, le passage correspondant en colonne 2, ligne 48, de la description, cite une insertion de "ce disque d'extrémité", ce qui techniquement n'est pas logique pour un disque d'extrémité et ne peut que concerner le disque intermédiaire, amenant là aussi à modifier "d'extrémité" en "intermédiaire". En conséquence, la correction, telle que présentée dans la revendication 1, version modifiée, s'imposait à l'évidence pour le lecteur qui cherchait à déterminer ce pourquoi la protection avait été demandée.
b) De plus, dans le cas présent, du fait que les disques d'extrémité étaient connus de l'art antérieur avec leur épaisseur supérieure et leur superficie (un disque d'extrémité n'a aucune fonction de codage), donc avec leur action sur la cohésion du bloc interne, la caractéristique relative audit disque d'extrémité dans la partie caractérisante de la revendication apparaît être une redondance du préambule qui déjà cite les deux disques d'extrémité. Cette caractéristique, en fin de compte, n'apporte aucune limitation particulière au dispositif selon la revendication 1 telle que délivrée. Par contre, la revendication 1, dans sa version modifiée, lorsqu'elle spécifie la fonction du disque intermédiaire qui est satisfaite au moyen de l'épaisseur et de la superficie de ce disque, limite davantage l'objet revendiqué par rapport à celui de la revendication 1, version délivrée, qui se contentait seulement de citer le disque intermédiaire.
L'exigence de l'article 123(3) CBE est donc respectée.
Article 123(2) CBE
La revendication 1 satisfait aussi à l'article 123(2) CBE. Aucune référence directe à la superficie du disque intermédiaire en tant que moyen pour résoudre le problème posé n'apparaît dans la description d'origine, mais une référence est faite dans cette description au rôle particulier du cran transversal particulier de la clé, qui est situé en vis-à-vis du disque intermédiaire lorsque la clé est en position de rotation dans la serrure. Or, la figure 3 des documents d'origine du brevet montre que la profondeur de ce cran est supérieure à celles des autres crans de la clé, si bien que l'homme du métier comprend comment la superficie du disque intermédiaire peut être augmentée.
En conclusion, la revendication 1, version modifiée, est recevable.
3. Usage antérieur
3.1. Au cours de la procédure orale devant la Chambre de recours, il est apparu que les modèles de serrures mis sous scellés par l'huissier et présentés par la requérante étaient pertinents et pouvaient être destructeurs de la nouveauté de l'objet de la revendication 1, car cette dernière, bien que spécifiant un disque d'extrémité, n'exclut pas plusieurs disques intermédiaires. Or, les blocs internes présentés comportaient des rondelles de codage empilées de différentes épaisseurs, alternées les unes entre les autres, si bien que les rondelles les plus épaisses, qui ont une épaisseur triple de celle des rondelles les plus minces, pouvaient être assimilées aux "disques intermédiaires" de la présente invention, lesquelles selon la description du brevet en cause ont aussi une épaisseur au moins triple de celle des rondelles de codage. L'intimé n'a pas contesté cette pertinence des modèles de serrure présentés.
En raison de cette pertinence, la Chambre de recours, tout en reconnaissant le caractère tardif exagéré de l'introduction de ces moyens de preuve et la position défavorable dans laquelle l'intimé a été ainsi placé, a fait usage de la faculté d'appréciation que lui confère l'article 114(2) CBE et a admis ces éléments de preuve. Il reste néanmoins à examiner la réalité de l'usage antérieur invoqué et son caractère public.
3.2. Selon le constat d'huissier, la requérante, la société DENY qui fabrique des serrures, lui a indiqué qu'elle avait pour client depuis plusieurs dizaines d'années le Centre hospitalier Saint-Jean de Dieu à Lyon (FR), auquel elle a fourni un certain modèle de serrure fabriqué par elle et commercialisé également depuis plusieurs années. L'huissier avait pour mission de récupérer des exemplaires de ce modèle dans cet hôpital, mission qu'il a effectué le 10 mars 2000 en compagnie du mandataire en propriété industrielle de la requérante et d'un représentant de celle-ci. Sur place, l'adjoint technique du centre hospitalier leur a présenté trois exemplaires de canon de serrure comportant chacun deux numéros frappés respectivement au sommet et à la base du canon, à savoir la numéro de combinaison du canon et le numéro de client, qui est attribué par la société requérante. L'adjoint technique n'a pas pu précisé la date de livraison et de pose de ces canons à l'hôpital. Il a juste indiqué que ces canons figuraient à l'inventaire du matériel équipant la salle des sports du centre lors de sa prise de fonction, c'est-à-dire en 1988. Les canons avec leurs clés ont été identifiés, puis scellés par l'huissier et remis au mandataire de la requérante. Ces canons, examinés durant la procédure orale, avaient un aspect usagé. L'examen a aussi montré que les rondelles des canons correspondaient aux crans de la clé correspondante, infirmant de ce fait l'objection de l'intimé qui remarquait que la pièce photocopiée ne concernait que le taillage de la clé et ne disait rien sur le nombre de rondelles d'un canon.
La date de priorité du brevet en cause étant le 24. octobre 1988, la mention par l'adjoint technique de l'année 1988 s'avère trop vague. Toutefois, la requérante, pour confirmer la date des canons scellés, a fait faire une photocopie, confirmée par le même huissier, d'une page manuscrite de ses livres internes. En tête de cette page, au coin gauche, le numéro de client du centre hospitalier apparaît, correspondant à celui frappé sur les canons, tandis que sur la partie principale de la page les trois numéros de combinaison des canons scellés sont listés avec, en vis-à-vis de chacun, l'ordre successif des rondelles de codage concernées, chacune indiquée par son code respectif, le tout suivi d'une même date pour ces trois exemplaires, à savoir le 3 mars 1964.
Sur la base de ce dernier élément de preuve et au vu de la longue période entre 1964 et 1988, la Chambre estime plausible que les canons présenté aient été livrés avant l'année 1988 au Centre hospitalier. Cette longue période peut expliquer aussi la difficulté à trouver d'autres preuves écrites, telles que des factures ou bons de livraison.
Un usage antérieur est donc bien établi, consistant en une livraison de serrures au Centre hospitalier Saint-jean de Dieu à Lyon, et ce avant la date de priorité du brevet litigieux.
3.3. La Chambre, néanmoins, a des doutes sur le caractère public de cet usage. Au cours de la procédure orale devant la Chambre, la requérante a pour la première fois signalé que le centre hospitalier en question était un centre psychiatrique. De tels centres impliquent des mesures de sécurité bien plus draconiennes qu'un hôpital ordinaire, et ceci s'applique en particulier aux moyens de fermeture, donc aux serrures.
Du coup, la Chambre s'étonne :
a) que la requérante, qui est la fabricante de ces serrures, soit uniquement capable de retrouver des modèles qui ont été livrés à un centre psychiatrique, tout en affirmant simultanément que de telles serrures ont été fabriquées et vendues en de multiples exemplaires durant plusieurs dizaines d'années, et
b) qu'en même temps, l'intimé, qui a été durant de nombreuses années un agent agréé de la société DENY, affirme n'avoir jamais eu connaissance de ce genre de serrure et assure que de telles serrures n'ont jamais été vendues en grande quantité.
La Chambre remarque en outre que le Tribunal de Grande Instance de Paris, dans son jugement du 8 janvier 1997 concernant les deux parties ici en cause ainsi que le document prioritaire de 1988, indique que "le système DENY consiste à attribuer de façon exclusive et confidentielle (partie soulignée par la Chambre) à ses clients tels que des ministères, des administrations, des sites industriels, ..., ou maisons d'arrêt des équipements munis de ces serrures avec des séries établis suivant un organigramme spécifique ;" et que "la société DENY n'a jamais déposé de demande de brevet d'invention" (sans doute avant 1988, car l'intimé lui-même a signalé en procédure d'opposition et dans sa réponse au mémoire de recours qu'en 1988 la société DENY avait en 1988 déposé une demande de brevet concernant une clé à profil en croix).
Il apparaît, donc, que la société DENY utilisait essentiellement le secret comme système de protection de ces fabrications. Que ce secret s'appliquait à la constitution même des canons de serrure ou au codage demeure une question ouverte. Néanmoins, tenant compte du point a) ci-dessus, il y a lieu de s'interroger si le modèle de serrure livré au centre hospitalier n'était pas un modèle particulier, unique en son genre, en raison de sa destination, renforçant encore plus l'aspect secret du système DENY. Le centre psychiatrique, de son côté, avait tout intérêt à conserver l'aspect confidentiel des serrures en sa possession et, comme le bloc interne est fixé dans une douille, elle-même logée dans un fût, la seule pose ou démontage ou même l'entreposage de la serrure ne révèle rien sur le bloc interne. Seul un spécialiste pouvait accéder à ce bloc et en voir la constitution. De plus, d'après le constat d'huissier, les serrures étaient posées par la société DENY, ce qui laisse supposer qu'en cas de réparations, c'était la même société qui intervenait.
Dans de telles circonstances, en l'absence de preuves plus probantes, la Chambre ne peut qu'exprimer ses doutes sur le caractère public de l'usage antérieur invoqué, qui à ses yeux n'est pas suffisamment prouvé.
4. Nouveauté et activité inventive
La requérante n'ayant fourni aucun autre document que ceux concernant l'usage antérieur, la nouveauté de l'objet de la revendication doit être reconnue en l'absence de tout art antérieur selon l'article 54(2) CBE, qui concernerait une serrure avec toutes les caractéristiques de la revendication 1.
L'art antérieur le plus proche est celui reconnu dans la description du brevet en cause et présenté dans le préambule de la revendication 1 avec en particulier un bloc interne composé uniquement de rondelles minces de codage empilées et enserrées entre deux disques d'extrémité. La présente invention innove principalement en insérant à l'intérieur de cette pile un disque intermédiaire qui, par son épaisseur et sa superficie, renforce la cohésion du bloc en rendant plus difficile des tentatives de torsion du bloc entier ou d'une seule rondelle. Certes, la présence de ce disque réduit le nombre de combinaisons possibles des serrures, mais il est clair qu'elle renforce la cohésion du bloc interne, si bien que contrairement à l'avis de la requérante il y a bien une innovation technique.
Selon la requérante, dès que l'homme du métier est confronté au problème posé, à savoir renforcer la pile de rondelles, il est évident de prévoir une rondelle plus épaisse. La Chambre ne peut que rester réservée vis-à-vis d'une telle affirmation effectuée a posteriori et en l'absence de toute suggestion dans l'art antérieur, donc sans fondement. L'inconvénient de la pile de rondelles minces des blocs internes de l'art antérieur était sa facilité à vriller ou à provoquer une torsion des rondelles en cas d'effraction. La problème posé consistait donc non pas uniquement à renforcer la pile, mais plus précisément à augmenter sa résistance contre toute tentative de torsion des rondelles ou de vrillage du bloc. Confronté à ce problème, l'homme du métier aurait eu plutôt tendance à renforcer le système d'assemblage des rondelles entre elles, ou à prévoir des moyens dans la douille même qui auraient empêcher le vrillage du bloc. Rien ne suggérait a priori qu'une rondelle plus épaisse serait efficace pour résoudre le problème posé. En outre, la Chambre partage l'avis de la Division d'opposition, qui, dans sa décision, a fait valoir que le développement actuel visant à utiliser uniquement des rondelles minces pour de tels blocs internes à cause de la fabrication plus aisée des ouvertures de codage dans de telles rondelles créait un préjugé contre l'emploi d'un disque épais intermédiaire.
Par conséquent l'objet de la revendication 1 implique une activité inventive au sens de l'article 56 CBE. Les revendications 2 à 28, qui concernent des développements techniques additionnels du dispositif de serrure selon la revendication 1, peuvent donc être aussi maintenues.
DISPOSITIF
Pour ces raisons, il est statué comme suit :
Le recours est rejeté.