T 0482/95 () of 28.8.1995

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:1995:T048295.19950828
Date de la décision : 28 Août 1995
Numéro de l'affaire : T 0482/95
Numéro de la demande : 90401684.7
Classe de la CIB : C08F 220/56
Langue de la procédure : FR
Distribution : C
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Titre de la demande : Procédé de préparation de poly beta-alanine réticulée en une seule étape, à partir d'acrylamide et d'un composé polyfonctionnel copolymérisable
Nom du demandeur : L'OREAL
Nom de l'opposant : -
Chambre : 3.3.03
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 84
Mot-clé : Caractéristique essentielle d'un procédé (non) - référence au contexte technique de l'invention et aux connaissances générales de l'homme du métier
Disclosure - sufficiency - essential features
Exergue :

-

Décisions citées :
T 0032/82
T 0115/82
T 0133/85
T 0331/87
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
-

Exposé des faits et conclusions

I. La demande de brevet européen n 90 401 684.7 déposée le 15. juin 1990 et publiée sous le numéro de publication 0. 403 395, pour laquelle a été revendiquée la priorité du 15. juin 1989 fondée sur un dépôt antérieur en France (8 907 946), a été rejetée en vertu de l'article 97(1) CBE le 9 mars 1994 par décision de la division d'examen.

II. La demande a été rejetée sur la base des revendications 1 à 6 telles que déposées le 12 juillet 1993, la revendication 1 s'énonçant comme suit :

"Procédé de préparation de poly-ß-alanine réticulée sous forme de microsphères ayant une faible dispersité de taille, caractérisé par le fait qu'il consiste à polymériser de l'acrylamide avec, en tant qu'agent réticulant, un composé polyfonctionnel copolymérisable avec l'acrylamide en une proportion suffisante par rapport à l'acrylamide pour réaliser la réticulation, ledit procédé étant réalisé dans un solvant organique choisi dans le groupe constitué par le tertiobutanol, le toluène et les mélanges tertiobutanol/toluène dans des rapports compris entre 1:24 et 10:1 et de préférence entre 1:6 et 6:1, en présence d'un initiateur anionique de polymérisation et d'un agent de suspension."

Les revendications 2 à 5 sont des revendications dépendantes.

La revendication indépendante 6 se réfère à des microsphères de poly-ß-alanine réticulée telles qu'obtenues selon le procédé des revendications 1 à 5.

III. Le motif invoqué pour cette décision était que la revendication 1 ne satisfaisait aux dispositions de l'article 84 CBE. En particulier, la revendication 1 ne contenait pas une caractéristique présentée dans la description comme impérative et nécessaire, donc essentielle du procédé revendiqué, à savoir la température de polymérisation de l'acrylamide en présence du composé polyfonctionnel. Alors que l'utilisation dans la description d'expressions comme "peut-être" avant certaines caractéristiques du procédé permettait d'interpréter ces caractéristiques comme simplement préférées, l'indication selon laquelle "La température de polymérisation est de l'ordre de 60°C à environ 100°C mais de préférence d'environ 80°C.", était au contraire l'évidence qu'il s'agissait là d'une caractéristique essentielle de l'invention. L'intervalle de température étant nécessaire pour mettre en oeuvre le procédé revendiqué, il convenait d'introduire cet intervalle dans la revendication 1 ; référence était faite à cet égard à la décision T 188/83.

IV. Le 9 mai 1994, la requérante (demanderesse) a formé un recours à l'encontre de cette décision, en acquittant simultanément la taxe prescrite et en exposant les motifs du recours dans un mémoire déposé le 8 juillet 1994. En faveur du libellé de la revendication 1 la requérante a fait valoir que l'indication du domaine de température de polymérisation dans la description n'excluait pas la mise en oeuvre du procédé à des températures extérieures à ce domaine. Le domaine indiqué ne jouait aucun rôle pour établir la nouveauté et l'inventivité de l'invention et son introduction dans la revendication 1 constituerait une limitation du procédé revendiqué non justifiée par les termes de la description.

A titre de requêtes subsidiaires deux jeux de revendications ont été déposés en annexe au mémoire de recours.

V. La requérante conclut à l'annulation de la décision attaquée et à la délivrance d'un brevet sur la base des revendications 1 à 6 déposées le 12 juillet 1993 à titre de requête principale, ou sur la base de l'un des deux jeux de revendications déposés le 8 juillet 1994 à titre de requêtes subsidiaires.

Motifs de la décision

1. Le recours est recevable.

2. La demande a été rejetée au seul motif que la revendication 1 n'était pas conforme aux critères énoncés à l'article 84 CBE, en l'occurrence qu'il y avait divergence entre la description de la demande et le procédé revendiqué, lequel ne mentionnait pas la température de réaction considérée comme une caractéristique essentielle de ce procédé.

L'article 84 CBE dispose que les revendications définissent l'objet de la protection demandée ; selon la règle 29(1) CBE cette exigence est satisfaite dès lors que les caractéristiques techniques de l'invention sont indiquées. Il s'ensuit, comme le conclut correctement l'instance du premier degré, que les caractéristiques essentielles de l'invention doivent figurer non seulement dans la description, mais également dans les revendications (cf. T 32/82, JO OEB 1984, 354 et T 115/83 du 8 novembre 1983).

La jurisprudence des chambres de recours montre qu'une caractéristique est considérée comme essentielle, (i) s'il apparaît directement et sans ambiguïté à l'homme du métier que cela ressort clairement de la présentation de l'invention dans la demande (cf. T 133/85, JO OEB 1988, 441 et T 331/87, JO OEB 1991, 22), ce qui requiert une interprétation objective du contenu de la demande, ou (ii) si cette caractéristique est indispensable à la réalisation de l'invention et à l'obtention de l'effet technique recherché (cf. T 32/82 supra et T 331/87 supra), y compris la résolution du problème technique auquel se rapporte la demande. Les considérations ci- dessous (points 4 et 5) vont montrer que, dans le cas de l'espèce, la prise en compte des connaissances générales de l'homme du métier et une analyse de l'état de la technique peuvent permettre de conclure si une caractéristique technique est à considérer comme indispensable ou non.

3. Il convient d'abord d'examiner les termes dans lesquels il est fait référence aux diverses caractéristiques du procédé du polymérisation dans la demande telle que déposée.

3.1. Selon la définition générale du procédé (page 2, lignes 12 à 18), qui correspond en substance au libellé de la revendication 1 d'origine, le procédé est "caractérisé par le fait qu'il consiste à polymériser de l'acrylamide avec un composé polyfonctionnel copolymérisable avec l'acrylamide, en tant qu'agent réticulant, la polymérisation étant conduite dans un solvant organique ou un mélange de tels solvants en présence d'un initiateur anionique de polymérisation et d'un agent de suspension."

3.2. La description précise ensuite que le solvant organique "peut être du tertio-butanol ou du toluène mais de préférence un mélange de tertio-butanol et de toluène" dans une certaine plage de rapports pondéraux (page 3, lignes 13 à 16). Bien que cette terminologie semble suggérer que d'autres solvants pourraient être envisageables, il ressort clairement des paragraphes suivants (page 3, lignes 17 à 28) et des deux exemples de préparation des microsphères que seul le milieu solvant particulier tertio-butanol et/ou toluène permet de contrôler à la fois la granulométrie et sa distribution. L'influence primordiale du solvant sur la formation des microsphères a d'ailleurs été explicitement reconnue par la requérante au cours de la procédure d'examen (réponse du 12 juillet 1993, page 1, paragraphe 2) et la revendication 1 déposée simultanément a été modifiée de manière à incorporer la définition du solvant en tant que caractéristique essentielle du procédé.

3.3. Les termes utilisés pour définir les autres caractéristiques du procédé, à savoir (i) l'initiateur anionique de polymérisation ainsi que (ii) la proportion à mettre en oeuvre, (iii) l'agent de suspension ainsi que (iv) la quantité à utiliser, et (v) la température de polymérisation, sont par contre beaucoup plus vagues. Ainsi, il est mentionné successivement (page 3, ligne 29 à page 4, ligne 4) que (i) "l'initiateur anionique de polymérisation est de préférence du tertiobutylate de sodium ou de potassium" (ii) "utilisé en une proportion d'environ 0,1 à environ 2 % moles par rapport à l'acrylamide", (iii) l'agent de suspension ... est de préférence le copolymère octadécène-anhydride maléique" (iv) présent en une quantité "généralement comprise entre 0,1 et 2 % en poids par rapport à l'acrylamide", et (v) "la température de polymérisation est de l'ordre de 60 C à environ 100 C".

A la différence de la caractéristique solvant ci-dessus, rien dans la suite de la description ne donne une image plus contraignante de ces diverses caractéristiques, que ce soit de l'ensemble ou de l'une d'entre elles, de sorte qu'il n'existe aucune raison de considérer la température de polymérisation (v) différemment des caractéristiques (i) à (iv). Comme l'a fait valoir la requérante dans le mémoire de recours (page 1, paragraphes 4 et 5), la terminologie utilisée pour ce paramètre doit en fait s'interpréter comme la divulgation d'un domaine non parfaitement défini dont le contour ne peut être exactement délimité et qui pour l'homme du métier peut s'étendre à un intervalle compris entre 50 et 110 C. En tout cas, rien ne permet de penser qu'un procédé de polymérisation mise en oeuvre p. ex. à 55 C ne conduirait pas, toutes choses égales par ailleurs, à des microsphères de poly- -alanine réticulée ayant la faible dispersité de taille souhaitée.

3.4. L'analyse de la terminologie utilisée pour les diverses caractéristiques du procédé met donc en évidence une différence entre, d'une part, le milieu solvant qui est décrit comme une caractéristique essentielle, et, d'autre part, les autres caractéristiques, dont la température de polymérisation, qui ne peuvent dès lors qu'être non essentielles.

4. Il convient en fait de ramener la question de la température de polymérisation d'acrylamide au contexte plus général de la polymérisation de monomères en milieu solvant en présence d'un initiateur anionique.

4.1. Il n'est guère contestable que la réaction de polymérisation par voie anionique de l'acrylamide dans un solvant organique en présence d'une base comme initiateur est un procédé connu. Ceci est admis dans l'introduction du document (1), FR-A-2 530 250 (page 2, lignes 3 à 8), qui est le seul document cité dans le rapport de recherche et qui sera discuté ci-dessous au point 5, où il est même fait référence à des documents antérieurs décrivant cette technique. Le brevet français lui-même enseigne que la réaction de polymérisation d'acrylamide dans un solvant organique en présence d'une base comme initiateur, en particulier le tertio-butylate de sodium, est de préférence conduite à une température de l'ordre de 40 à 140 C (page 2, lignes 23 à 27). De plus, les informations générales contenues dans l'Encyclopedia of Polymer Science and Technology, volume 1, pages 184 à 187, 1964, John Wiley & Sons) ne font pas état de conditions de température spécifiques, en particulier dans le cas de la copolymérisation avec de faibles quantités de N,N'-méthylènebisacrylamide, qui est censée être une réaction rapide.

4.2. Le domaine de température mentionné dans la description de la demande, qui s'étend sur une plage d'environ 40 C, n'est par ailleurs pas suffisamment étroit pour pouvoir être considéré comme une sélection à laquelle pourrait être associé un effet technique particulier. Au contraire, ce domaine se situe pratiquement au milieu de l'intervalle de température opérationnel divulgué dans le document (1) et correspond donc à une plage de température a priori favorable, c'est-à-dire à un domaine prometteur pour la mise en oeuvre de la même réaction en présence d'un composé difonctionnel. Dans ces conditions, la mention explicite dans la revendication 1 d'un intervalle de température de polymérisation ne serait que la traduction d'une information découlant implicitement des connaissances générales de l'homme du métier relatives à la polymérisation anionique.

4.3. Cette conclusion relative à la température rend la référence à la décision T 188/83 (JO OEB 1984, 555) inappropriée.

En effet, si la chambre ne peut que se rallier, d'une part, au principe général selon lequel "un procédé de préparation chimique est clairement défini et décrit de façon à pouvoir être reproduit, lorsque sont indiqués les substances de départ, les paramètres opératoires et le produit final" (motifs de la décision, point 6), et, d'autre part, à l'affirmation de la division d'examen dans sa décision selon laquelle "la température de réaction est un paramètre d'influence sur le déroulement d'une réaction chimique et donc bien un des "paramètres" que l'homme de l'art inclurait naturellement" (point 4)e)), elle ne peut en revanche en accepter le corollaire, à savoir que de l'absence de la température de polymérisation résulte une définition insuffisante du procédé. En effet, rien ne suggère une influence majeure entre la mise en oeuvre d'un milieu solvant particulier et la température de polymérisation, de sorte que le procédé revendiqué se réduit à un simple procédé de polymérisation anionique, ce qui laisse à l'homme du métier une marge d'initiative relativement large quant à la valeur de la température.

5. Le rôle non essentiel joué par la température apparaît également si on considère la contribution effective de la requérante, c'est-à-dire les développements qui ont été à la base de la présente demande (page 1, ligne 4 à page 2, ligne 11). Le document (1), qui correspond au point de départ de la démarche de la requérante, décrit un procédé de préparation de sphères de poly- -alanine réticulée par polymérisation d'acrylamide, puis réticulation d'une solution aqueuse de poly- -alanine en suspension dans un solvant organique à l'aide d'un aldéhyde ou par irradiation, suivie d'une opération de tamisage en vue d'obtenir des particules de taille plus homogène. Dans ce procédé, l'agent de suspension a un rôle essentiel, puisqu'il permet d'orienter la formation de poly- - alanine réticulée sous forme de sphères et d'en contrôler le diamètre en fonction de sa nature et de la qualité utilisée (document (1), page 3, lignes 12 à 16). Les sphères de poly- -alanine réticulée ainsi obtenues ont une capacité d'absorption et d'imprégnation remarquable qui leur confère en particulier de nombreuses applications dans le domaine thérapeutique (document (1), page 5, ligne 20 à page 7, ligne 11). En dépit de ces propriétés avantageuses, la séquence d'étapes nécessaires à la préparation des microsphères, en particulier dans le cas d'une réticulation à l'aide d'un dialdéhyde qui impose une réaction de réduction supplémentaire des fonctions aldéhydes libres (document (1), page 5, lignes 8 à 14), rend le procédé globalement lourd à mettre en oeuvre.

Le procédé selon la présente demande doit donc être considéré comme une méthode simplifiée de préparation de microsphères de poly- -alanine réticulée ayant des propriétés comparables (page 1, ligne 35 à page 2, ligne 4). Cet objectif est atteint (i) en polymérisant l'acrylamide en présence d'un composé polyfonctionnel copolymérisable, de sorte que la polymérisation et la réticulation se développent de manière concomitante, et (ii) en contrôlant la granulométrie et la dispersité de taille des particules par le milieu solvant. Ces deux mesures, qui diffèrent fondamentalement de l'approche suivie dans l'art antérieur, sont à la fois nécessaires et suffisantes pour parvenir à l'objectif de l'invention et constituent, par conséquent, les deux caractéristiques essentielles du procédé revendiqué ; elles apportent également la preuve a contrario que la température de polymérisation n'est pas une caractéristique essentielle de la solution enseignée et revendiquée.

6. En conclusion, ni la terminologie utilisée dans la demande d'origine pour définir les diverses caractéristiques (point 3), ni le modèle opératoire imposé par la système (acrylamide/milieu solvant organique particulier/initiateur anionique) (point 4), ni la démarche de la requérante à partir de l'art antérieur le plus proche (point 5) ne font apparaître la température de polymérisation comme une caractéristique essentielle du procédé. Pour cette raison, la chambre conclut qu'il n'y a pas lieu d'inclure la température de polymérisation dans la revendication 1 et que, de ce point de vue, les dispositions de l'article 84 CBE sont satisfaites.

7. La chambre entend bien souligner que la conclusion relative à la température en tant que caractéristique non essentielle du procédé ne va pas à l'encontre du principe général selon lequel la température est effectivement un des paramètres caractéristiques d'un procédé de polymérisation. Même si une mention explicite dans la revendication 1 d'une plage de température pouvait par conséquent être souhaitable en soi, son absence, était implicitement compensée par les autres caractéristiques et la définition générale du procédé (cf. point 4) et ne pouvait donc pas constituer à elle seule un motif suffisant de rejet au titre de l'article 84 CBE.

8. La chambre s'est également penchée sur la question de savoir si les autres critères énoncés à l'article 84 CBE, en particulier l'exigence de clarté et de concision, étaient satisfaits. Après examen, la chambre est parvenue à la conclusion que toutes les conditions énoncées à l'article 84 CBE sont remplies.

9. La chambre partage également les conclusions relatives à la nouveauté et l'activité inventive annoncées par la division d'examen dans sa notification du 2 octobre 1992 (point 1). D'une part, la polymérisation d'acrylamide en présence d'un composé polyfonctionnel copolymérisable est différente d'une homopolymérisation d'acrylamide suivie d'une réaction de réticulation à l'aide d'un aldéhyde ou par irradiation, telle que l'enseigne le document (1) (cf. point 5 ci-dessus), ce qui confère la nouveauté à la fois au procédé selon la revendication 1 et aux microsphères de poly- -alanine selon la revendication 6. D'autre part, rien ne suggère cette simplification opératoire, ni la modification structurelle résultante, de sorte que le procédé et les produits impliquent une activité inventive.

10. En ce qui concerne l'objection soulevée au titre de l'article 83 CBE dans la notification du 15 mars 1993, qui n'a pas été ultérieurement maintenue, la chambre est pour sa part également parvenue à la conclusion que l'invention est exposée dans la demande de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter.

11. La description n'appelant par ailleurs pas de modifications, essentiellement pour les raisons qui découlent des considérations faites au point 3, rien ne s'oppose donc à la délivrance d'un brevet.

12. Comme il a été fait droit à la requête principale, il n'y a pas lieu d'examiner les requêtes subsidiaires.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

1. La décision attaquée est annulée.

2. L'affaire est renvoyée devant l'instance du premier degré avec mission de délivrer un brevet sur la base des revendications 1 à 6 soumises le 12 juillet 1993 à titre de requête principale et de la description d'origine.

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