T 0418/89 (Anticorps monoclonal) of 8.1.1991

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:1991:T041889.19910108
Date de la décision : 08 Janvier 1991
Numéro de l'affaire : T 0418/89
Numéro de la demande : 80300829.1
Classe de la CIB : C12P 1/00
Langue de la procédure : EN
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Titre de la demande : -
Nom du demandeur : ORTHO
Nom de l'opposant : Behringwerke; Sandoz; Becton; Boehringer
Chambre : 3.3.02
Sommaire : 1. Un exposé consistant en un dépôt effectué conformément à la règle 28 CBE ne saurait être considéré comme suffisant au sens de l'article 83 CBE dès lors qu'il n'est possible de reproduire l'invention qu'après avoir demandé des échantillons à plusieurs reprises à l'autorité de dépôt et mis en oeuvre des techniques bien plus sophistiquées que celles recommandées par cette dernière (cf. point 3.14 des motifs de la décision).
2. Le simple dépôt d'un hybridome sans aucune description écrite correspondante ne constitue pas un exposé suffisant d'un enseignement technique au sens de l'article 83 CBE (cf. point 5.3 des motifs de la décision).
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 83
European Patent Convention 1973 R 28
Mot-clé : Exposé suffisant (non)
Dépôt de culture ne correspondant pas à l'exposé écrit
Exergue :

-

Décisions citées :
-
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
T 0594/89
T 0412/93
T 0225/94
T 0436/94
T 0498/94
T 0510/94
T 0512/94
T 0513/94
T 0277/95
T 0431/96
T 1023/00

Exposé des faits et conclusions

I. La demande de brevet européen n° 80 300 829.1 a donné lieu à la délivrance du brevet européen n° 17 381 comportant dix-sept revendications. Les revendications 1, 4, 5, 8, 11, 13 et 15 s'énoncent comme suit :

1. Anticorps monoclonal de souris qui (i) réagit avec essentiellement toutes les cellules T périphériques humaines normales, mais (ii) ne réagit avec aucune des cellules périphériques humaines normales dans le groupe comprenant les cellules B, les cellules nulles et les macrophages.

4. Anticorps monoclonal selon l'une quelconque des revendications 1 à 3, qui réagit avec de 5% à 10% de thymocytes humains normaux.

5. Anticorps monoclonal selon l'une quelconque des revendications 1 à 4, qui réagit avec des cellules leucémiques provenant d'êtres humains atteints de leucémie lymphoblastique chronique des cellules T mais ne réagit pas avec les cellules leucémiques provenant d'êtres humains atteints de leucémie lymphoblastique aiguë des cellules T.

8. Anticorps monoclonal qui est produit à partir de l'hybridome ATCC CRL 8000 (OKT1).

11. L'hybridome ATCC CRL 8000 (OKT1).

13. Procédé pour préparer un anticorps monoclonal selon l'une quelconque des revendications 1 à 7, comprenant les étapes consistant à :

i) immuniser des souris avec des cellules T humaines purifiées positives à la rosette E ;

ii) enlever la rate desdites souris et faire une suspension de cellules de rate ;

iii) fusionner lesdites cellules de rate avec des cellules de myélome de souris en présence d'un promoteur de fusion ;

iv) diluer et cultiver les cellules fusionnées dans des réservoirs séparés dans un milieu qui n'entretient pas les cellules de myélome non fusionnées ;

v) évaluer dans le surnageant de chaque réservoir contenant un hybridome la présence d'un anticorps ayant les propriétés spécifiées dans l'une quelconque des revendications 1-7 ;

vi) sélectionner et cloner les hybridomes produisant l'anticorps désiré ; et

vii) recueillir l'anticorps à partir du surnageant au-dessus desdits clones.

15. Procédé pour préparer un anticorps monoclonal dans lequel on cultive l'hybridome ATCC CRL 8000 dans un milieu approprié et on recueille l'anticorps à partir du surnageant au-dessus dudit hybridome.

II. Quatre parties ont fait opposition au brevet européen et demandé qu'il soit révoqué en application de l'article 100a) et b) CBE. Au cours de la procédure devant la division d'opposition, environ 160 documents au total ont été pris en considération.

Durant cette procédure, l'intimé a soumis à la division d'opposition un nouveau jeu de revendications à titre de requête principale, dans lequel les revendications 7, 13 et 14 étaient modifiées comme suit (modifications signalées en gras par la Chambre) :

"7. Anticorps monoclonal selon l'une quelconque des revendications 1 à 6, qui est produit par un hybridome formé par fusion de cellules de rate provenant d'une souris antérieurement immunisée avec des cellules T périphériques humaines normales purifiées positives à la rosette E et des cellules provenant d'une lignée de myélome de souris."

Les revendications 13 et 14 étaient modifiées en conséquence, afin que les souris soient immunisées avec des "cellules T périphériques humaines normales purifiées positives à la rosette E."

III. La division d'opposition a maintenu le brevet sur la base des revendications modifiées.

Elle a déclaré qu'il était satisfait aux conditions énoncées aux articles 83, 54 et 56 CBE.

En ce qui concerne l'article 83 CBE, la division d'opposition n'a pas été convaincue que l'anticorps monoclonal, déposé par l'intimé et faisant objet de la revendication 8, et celui décrit dans des documents publiés ultérieurement étaient bien identiques. Elle a estimé que les requérants n'apportaient donc pas la preuve que les caractéristiques de l'anticorps monoclonal déposé étaient différentes de celles mentionnées dans la revendication 1 et dans le fascicule du brevet et qu'il convenait par conséquent de rejeter les arguments d'insuffisance de l'exposé qui se fondaient sur cette allégation.

Les requérants n'ont pas fourni leurs propres données expérimentales montrant que l'anticorps monoclonal suivant la revendication 8 ne présentait pas le type de réactivité décrit dans les revendications et dans le fascicule du brevet. En conséquence, le brevet indiquait au moins une façon d'exécuter l'invention brevetée, et les conditions énoncées à l'article 83 CBE étaient ainsi remplies.

IV. Les requérants I, II et IV ont formé un recours contre la décision et déposé des mémoires en exposant les motifs. Une procédure orale a eu lieu le 8 janvier 1991.

A. Au cours de la procédure orale, toutes les parties ont déposé de nouveaux documents, par exemple :

un rapport d'essais déposé par le requérant I,

une déclaration tenant lieu de serment du Professeur Janossy, produite par le requérant II,

un rapport d'essais déposé par le requérant IV.

B. Concernant l'article 83 CBE, les requérants ont avancé essentiellement les arguments suivants :

a) Comme chacun sait, la reproduction d'un anticorps monoclonal présentant certaines caractéristiques selon une description écrite est généralement compliquée et en outre peu susceptible de réussir. Toute tentative de reproduction de l'invention en suivant simplement l'exposé écrit du fascicule de brevet exigerait un trop gros effort de la part de l'homme du métier pour obtenir le résultat souhaité, si tant est qu'il y parvienne. Il est donc nécessaire de déposer, à titre d'exemple d'exécution de l'invention, l'hybridome produisant l'anticorps monoclonal, conformément à la règle 28 CBE. Or, l'anticorps monoclonal produit par l'hybridome ne correspondait pas à l'exposé écrit.

b) Des documents publiés ultérieurement et soumis à la division d'opposition ont déjà fourni la preuve que les anticorps monoclonaux produits par les hybridomes déposés avaient des caractéristiques de fixation différentes de celles divulguées dans le brevet litigieux, aussi bien dans la description que dans les revendications. La division d'opposition ayant estimé dans sa décision que cette preuve ne suffisait pas à montrer de façon convaincante que les anticorps monoclonaux respectifs étaient identiques, les trois requérants ont déposé, en même temps que leur mémoire de recours, des données expérimentales montrant en premier lieu qu'un trop gros effort serait nécessaire pour isoler les anticorps monoclonaux à partir de l'hybridome déposé, si tant est que cela soit possible, et deuxièmement que la très faible production d'anticorps monoclonaux obtenue en définitive ne mettait pas en évidence les caractéristiques de l'invention décrite dans le brevet en litige. Les trois requérants ont insisté en particulier sur le fait qu'aucun d'eux n'était parvenu à produire des anticorps monoclonaux à partir du premier échantillon de l'hybridome déposé qu'ils avaient demandé à l'autorité de dépôt. Au contraire, ce n'est qu'après avoir consulté à de nombreuses reprises des responsables de l'autorité de dépôt et déployé des trésors d'ingéniosité allant bien au-delà des connaissances générales que deux des requérants ont été enfin en mesure de produire une quantité minime d'anticorps monoclonaux à partir de l'hybridome déposé. Cependant, les anticorps monoclonaux ainsi obtenus présentaient des caractéristiques en contradiction avec le fascicule.

C. Les requérants ont en outre contesté l'existence d'une activité inventive au sens de l'article 56 CBE.

V. Dans sa réponse, l'intimé a déposé comme nouveau document une

déclaration de Mme Patricia E. Rao

et développé pour l'essentiel les arguments suivants :

a) En ce qui concerne les arguments des requérants, qui affirment qu'il n'était pas possible de produire l'anticorps monoclonal à partir de l'hybridome déposé, l'intimé s'est référé à la déclaration de Mme Rao, selon laquelle la procédure utilisée par les requérants était une procédure standard qui aurait pu être exécutée par tout homme du métier de compétence moyenne avec un lot d'un hybridome provenant d'une source telle que l'autorité de dépôt ATCC. La déclaration du Professeur Janossy a montré qu'un homme du métier pouvait, sans consacrer une part excessive de son temps à des travaux d'expérimentation, produire l'anticorps monoclonal à partir de l'hybridome déposé auprès de l'ATCC. De nombreuses personnes ont demandé des échantillons de l'hybridome à l'autorité de dépôt, et ont apparemment pu produire à partir de ces échantillons l'anticorps monoclonal correspondant puisque personne n'a à ce jour informé l'autorité de dépôt ou le titulaire du brevet qu'il n'avait pas été en mesure de produire l'anticorps monoclonal à partir de l'hybridome déposé. L'autorité de dépôt n'a jamais demandé au titulaire du brevet de déposer un nouvel échantillon de l'hybridome, ce qui aurait été nécessaire en vertu de la règle 28 CBE si l'autorité de dépôt avait appris que l'hybridome déposé ne produisait plus l'anticorps monoclonal, et ce quelle qu'en soit la raison.

b) A propos de l'argument selon lequel l'hybridome déposé ne permettait pas de produire des anticorps présentant les caractéristiques telles qu'exposées dans la description et dans la revendication 1, l'intimé a déclaré qu'il était nécessaire de consulter la description comme l'aurait fait un homme du métier à la date de priorité et qu'il n'était pas admissible d'utiliser des techniques et des machines développées après la date pertinente de la demande de brevet pour vérifier si l'invention était exposée de manière suffisante dans un brevet. Si cela n'était pas le cas, il serait impossible de juger de la validité d'un brevet pendant sa durée de vie. L'intimé a fait remarquer que les résultats présentés dans le brevet litigieux avaient été obtenus en utilisant la meilleure machine disponible à la date de priorité et en s'entourant des avis les plus autorisés formulés par les opérateurs de la machine pour interpréter les données. Le titulaire du brevet a accompli en toute bonne foi des efforts pour présenter les meilleurs résultats possibles à cette date. A la date de dépôt, la demande de brevet répondait donc à toutes les exigences visées à l'article 83 CBE.

c) Aucun des requérants n'est parvenu à prouver l'insuffisance alléguée de l'exposé car ils ont tous utilisé des techniques et des machines non disponibles à la date de priorité du brevet litigieux. Ces techniques et ces machines étant beaucoup plus sensibles et sophistiquées, il n'est pas surprenant que les résultats obtenus n'aient pas été exactement les mêmes que ceux obtenus avec les machines disponibles à la date de priorité. Toute comparaison entre les résultats n'a donc aucun sens.

d) Sur cette question en général, l'intimé a invoqué une décision de 1910 rendue par la Court of Appeal (Cour d'appel) de Grande- Bretagne -"Z" Electric Lamp Manufacturing Company Limited v. Marples, Leach & Co. Limited (Reports of patent cases, vol. XXVIII, 1910, page 737) - qui concluait que le titulaire du brevet n'était pas tenu d'être omniscient ; il avait pour obligation de rendre son invention accessible au public et, s'il le faisait de bonne foi et de façon à ce que celui-ci connaisse les avantages de l'invention et puisse les obtenir dans la pratique, le fait qu'il se soit fait une fausse idée en théorie sur ce qui procure ces avantages ou sur les conditions dans lesquelles ces avantages sont apparus, ne jouait pas, de l'avis de la cour, en sa défaveur. Ces principes n'étaient pas limités au Royaume-Uni, mais s'appliquaient généralement au droit des brevets dans le monde entier.

e) Interrogé par la Chambre au cours de la procédure orale, l'intimé n'a pas contesté que les caractéristiques de l'anticorps monoclonal produit par un hybridome tel que celui déposé sous le n° ATCC 8000, mises en évidence par les données expérimentales présentées par les requérants II et IV, et celles apparaissant dans les documents publiés ultérieurement, étaient correctement reproduites.

VIII. Les requérants ont demandé l'annulation de la décision attaquée et la révocation du brevet.

L'intimé a demandé le rejet des recours et le maintien du brevet sur la base des revendications du brevet tel que délivré, à titre de requête subsidiaire sur la base des revendications telles qu'elles ont été maintenues par la décision attaquée et à titre de seconde requête subsidiaire, sur la base des revendications 8, 11, 15 et 16.

Les requêtes tendant à la saisine de la Grande Chambre de recours ont été retirées.

Motifs de la décision

1. Les recours sont recevables.

2. Modifications (article 123(2) et (3) CBE)

Les revendications modifiées 7, 13 et 14 de la première requête subsidiaire ont été soumises à la division d'opposition qui n'a fait aucune objection à ces modifications au titre de l'article susmentionné. La Chambre ne voit aucune raison de soulever d'objection à ce propos.

Les revendications faisant l'objet de la seconde requête subsidiaire n'ayant pas été modifiées, elles ne donnent lieu à aucune objection au regard de l'article 123(2) et (3) CBE.

3. Exposé suffisant de l'invention (article 83 CBE)

Requête principale

3.1 La revendication principale de la requête principale concerne un anticorps monoclonal de souris caractérisé par certaines réactivités ; il réagit avec essentiellement toutes les cellules T périphériques humaines normales, mais ne réagit avec aucune des cellules périphériques humaines normales dans le groupe comprenant les cellules B, les cellules nulles et les macrophages. L'intimé décrit donc son invention par des caractéristiques fonctionnelles. Selon la jurisprudence constante des chambres de recours, il convient d'admettre dans une revendication de brevet des caractéristiques fonctionnelles, c'est-à-dire des caractéristiques qui définissent un résultat technique, s'il n'est pas possible autrement d'exposer ces caractéristiques de manière plus précise, objectivement parlant, et si elles constituent pour l'homme du métier un enseignement technique suffisamment clair, qu'il peut mettre en oeuvre (T 68/85, JO OEB 1987, 228 Herbicides à effet synergique/CIBA- GEIGY; T 292/85, JO OEB 1989, 275 Expression polypeptidique/GENENTECH I).

3.2 Pour qu'une invention soit exposée de manière suffisante au sens de l'article 83 CBE, il faut non seulement qu'elle puisse être exécutée, mais aussi qu'elle puisse l'être au prix d'un effort raisonnable. Cette exigence découle de l'article 83 CBE, en vertu duquel l'invention doit être exposée de façon suffisamment claire et complète. L'exposé de l'invention est insuffisant lorsqu'il laisse l'homme du métier dans le doute et que ce dernier ne peut ainsi exécuter l'invention en utilisant ses compétences et en procédant à un nombre raisonnable d'expériences.

3.3 Dans la présente espèce, la première question concernant le caractère suffisant de l'exposé au sens de l'article 83 CBE est de savoir si la description écrite du brevet litigieux contient ou non suffisamment d'indications détaillées permettant de mettre en oeuvre, dans les conditions décrites et sans effort excessif, le procédé - reconnu à la fois aléatoire et compliqué - d'obtention d'un hybridome produisant un anticorps monoclonal tel que revendiqué, en vue de reproduire l'invention faisant l'objet de la revendication 1.

3.4 La description du brevet litigieux contient des informations relatives à un procédé général de production d'hybridomes et d'anticorps monoclonaux, la seule caractéristique particulièrement spécifique de la présente affaire étant l'utilisation de cellules T périphériques humaines normales purifiées positives à la rosette E en tant qu'antigène stimulant l'anticorps. Toutefois, ce fait n'est pas suffisant à lui seul pour rendre le procédé reproductible dans le cas des anticorps monoclonaux ayant les caractéristiques de la revendication 1. D'énormes efforts sont en tout état de cause nécessaires pour sélectionner un hybridome du type souhaité et, surtout, il n'est absolument pas certain que cet hybridome puisse être sélectionné. Si l'homme du métier se fiait à la description écrite, il produirait un grand nombre d'anticorps monoclonaux différents, chacun étant défini uniquement par son antigène.

3.5 La technique permettant de produire des anticorps monoclonaux a été décrite pour la première fois en 1975 dans "Nature", vol. 256, p. 495, par Köhler et Milstein. Les connaissances et les phases essentielles du procédé sur lesquelles est basée cette technique sont les suivantes :

L'organisme d'un animal ou d'un être humain, infecté par une substance appelée antigène, induit une réponse immunitaire, durant laquelle sont produits entre autres des anticorps contre l'antigène. Les cellules qui produisent ces anticorps sont isolées et fusionnées avec des cellules d'un autre type ayant une capacité de croissance infinie. Il s'agit de cellules tumorales, par exemple des cellules de myélome. Le produit de la fusion est appelé hybridome et il est capable de produire indéfiniment un anticorps monospécifique, c'est-à-dire monoclonal, l'anticorps étant spécifique de l'antigène utilisé comme stimulant pour la production de l'anticorps chez l'animal ou chez l'homme.

3.6 Si l'homme du métier travaille sur la base de la présente description, une multitude d'anticorps contre les cellules T utilisées comme antigène stimulant sera produite. Une des raisons de la diversité des anticorps est que la cellule T possède sur sa surface une grande variété de déterminants antigéniques ou épitopes différents et que des anticorps peuvent être produits en réponse à chaque déterminant antigénique. De plus, les anticorps peuvent différer par leur affinité avec certains déterminants antigéniques.

3.7 La Chambre considère que, dans la présente affaire, les conditions visées à l'article 83 CBE ne sont pas remplies, puisque le mode de production de l'hybridome décrit dans l'invention correspond essentiellement au procédé général, connu, compliqué et aléatoire, et que l'enseignement technique divulgué réside seulement dans l'identification du type d'antigène, à savoir les cellules T périphériques humaines normales purifiées positives à la rosette E.

3.8 La seconde question qui se pose est de savoir si l'hybridome déposé permet ou non à l'homme du métier d'exécuter l'invention telle que revendiquée.

En fait, dans la présente affaire, l'intimé a déposé un hybridome auprès d'une autorité de dépôt reconnue, en application des dispositions de la règle 28 CBE.

Les requérants considèrent ce dépôt comme un exemple de réalisation au sens de la description générale écrite figurant dans le brevet litigieux. Il est normal qu'un exemple tiré d'une description générale constitue une certaine forme de réalisation de cette description et qu'il corresponde donc à celle-ci ; il convient toutefois d'examiner si l'hybridome déposé représente vraiment en l'espèce un tel exemple de réalisation.

Selon la déclaration sous serment faite par le requérant II,

i) l'échantillon des anticorps monoclonaux produits par l'hybridome déposé sous le n° de dépôt ATCC 8000 (OKT1) réagit avec 55 à 61 % de cellules T positives à la rosette E ;

ii) OKT1 réagit avec 65 à 66 % de thymocytes normaux ;

iii) OKT1 réagit avec 79 % de cellules T de leucémie lymphoblastique aiguë.

Les caractéristiques observées par le requérant IV ont été les suivantes :

i) OKT1 réagit avec environ 72 % de cellules T périphériques humaines normales ;

ii) OKT1 réagit avec environ 15 % de cellules B ;

iii) OKT1 réagit avec les macrophages (monocytes).

3.9 Ces résultats montrent que les caractéristiques de l'anticorps monoclonal produit par l'hybridome déposé sont différentes de celles mentionnées dans la revendication 1 et dans la description du brevet litigieux. Les informations fournies par ces expériences correspondent à ce qui a été divulgué dans les documents publiés ultérieurement (par exemple, entre autres documents pertinents, Reinherz et al., Eur. j. Immunol. 1980. 10 : 758 "Un anticorps monoclonal bloquant la fonction de la cellule T humaine"). L'intimé n'a pas contesté les différences existant entre les caractéristiques particulières des anticorps monoclonaux à comparer. Par conséquent, la Chambre est convaincue que les caractéristiques des anticorps monoclonaux produits par l'hybridome déposé sous le n° de dépôt ATCC CRL 8000 diffèrent de celles indiquées dans la revendication 1 et de celles mentionnées dans les revendications 4 et 5.

3.10 La Chambre est en total accord avec la décision citée par l'intimé (voir paragraphe V(d) ci-dessus), selon laquelle une invention est exposée de manière suffisante à condition que son enseignement technique puisse être reproduit pendant la durée de validité du brevet ; s'il s'avère que l'idée réputée être à la base de l'effet technique est erronée, l'exposé peut encore être considéré comme suffisant, dès lors que l'invention en tant que telle peut malgré tout être reproduite. Il en va tout autrement dans la présente espèce.

3.11 Au cours de la procédure, l'intimé a souligné que, lorsque le titulaire du brevet avait décrit son invention à la date de priorité, il avait fait de son mieux et eu recours aux techniques et aux machines alors disponibles, que cette description de l'invention n'avait pas pu être exposée de manière plus satisfaisante et devait donc être considérée comme suffisante au sens de l'article 83 CBE. Le fait que cette description se soit révélée erronée par la suite ne pouvait en rien affecter le caractère suffisant de l'exposé de l'invention à la date de priorité. La Chambre ne saurait accepter cet argument. En effet, dans la présente affaire, la description écrite de l'invention était erronée dès le début. Pour que l'invention puisse être reproduite et examinée sans effort excessif, l'intimé avait déposé l'hybridome comme exemple de réalisation et l'avait rendu accessible au public comme le prescrit la règle 28 CBE. Il est maintenant établi que les caractéristiques de l'anticorps monoclonal produit par l'hybridome déposé ne correspondaient pas à "l'invention" décrite dans le brevet litigieux. Il apparaît donc que l'intimé lui-même n'était pas en mesure d'exécuter "l'invention" sur la base de son propre exposé écrit. Force est de conclure que "l'exemple" constitué par le dépôt ne correspond pas à la description écrite.

3.12 Les requérants ont en outre prouvé de manière convaincante qu'il n'était pas possible de produire des anticorps monoclonaux à partir de l'hybridome déposé, en utilisant, lors d'un premier essai, les techniques recommandées par l'autorité de dépôt. Ce n'est qu'après avoir demandé à l'autorité de dépôt un deuxième et même un troisième échantillon et en faisant appel à des compétences spéciales que deux des requérants ont pu produire une très faible quantité d'anticorps. Au cours de la procédure orale, le Professeur Janossy, expert du requérant II, a commenté les expériences décrites dans sa déclaration sous serment et expliqué qu'il avait effectué un clonage cellulaire pour une densité cellulaire de 3 à 6 cellules par réservoir, ce qui ne pouvait être considéré comme une mise en oeuvre de routine d'une technique standard.

Interrogé par la Chambre au cours de la procédure orale, le requérant IV a répondu que les instructions données par l'autorité de dépôt ne lui avaient pas permis de produire des anticorps à partir de l'hybridome déposé. Il a discuté de ce problème à plusieurs reprises avec des responsables de l'autorité de dépôt et ces derniers n'ont pas été en mesure de le conseiller davantage. Ce n'est qu'après avoir reçu un nouvel échantillon qu'il a été capable de produire une très faible quantité de l'anticorps souhaité en appliquant la même technique que le requérant II.

Le requérant I a lui aussi demandé à plusieurs reprises de nouveaux échantillons de l'hybridome mais n'a pu produire aucun anticorps.

Bien que les conclusions et preuves des requérants aient été contestées dans la déclaration de Mme Rao, déposée par l'intimé, il est néanmoins précisé au point 15 de ladite déclaration qu'il se pouvait que la technique utilisée par les requérants II et IV "ne constitue pas une procédure de premier choix". De toute évidence, il serait beaucoup plus facile d'effectuer une culture discontinue à partir du lot original ou de réaliser avec succès un clonage cellulaire unique. Cependant, en cas d'échec de ces deux options, l'homme du métier aurait tout naturellement procédé à un clonage de densité multiple."

3.13 La Chambre considère que si les requérants ont déployé tant d'efforts, c'est uniquement dans le but de répondre aux motifs de la décision attaquée. Ils ont jugé nécessaire de produire à tout prix les anticorps monoclonaux afin d'apporter la preuve, et, en déterminant leurs caractéristiques, de montrer qu'ils sont différents de ceux mentionnés dans la revendication principale et la description du brevet litigieux. Les demandes répétées d'hybridome et les techniques utilisées par les requérants s'expliquent donc par les circonstances particulières de l'affaire. On peut supposer que, dans d'autres circonstances, des tiers auraient abandonné plus tôt leurs tentatives de produire les anticorps monoclonaux à partir de l'hybridome déposé.

3.14 Par conséquent, eu égard à ce qui précède et compte tenu de ce qui a été exposé au point 3.2, la Chambre est d'avis qu'un exposé consistant en un dépôt d'un hybridome conformément à la règle 28 CBE ne saurait être considéré comme suffisant au sens de l'article 83 CBE dès lors qu'il n'est possible de reproduire l'invention qu'après avoir demandé des échantillons à plusieurs reprises à l'autorité de dépôt et mis en oeuvre des techniques bien plus sophistiquées que celles recommandées par cette dernière.

3.15 Dans ces conditions, l'invention faisant l'objet du brevet litigieux n'est pas exposée de manière suffisante au sens de l'article 83 CBE, que l'on considère la description écrite ou le dépôt effectué en application de la règle 28 CBE.

4. Première requête subsidiaire

Les revendications de la première requête subsidiaire ne diffèrent pas de celles de la requête principale au point de justifier une appréciation différente du caractère suffisant de l'exposé de la revendication principale. Le raisonnement ci- dessus s'applique donc à la première requête subsidiaire.

5. Seconde requête subsidiaire

5.1 La seconde requête subsidiaire se limite aux revendications qui concernent des anticorps monoclonaux et des hybridomes ainsi que des procédés de préparation des anticorps monoclonaux basés simplement sur l'hybridome déposé, à savoir les revendications 8, 11, 15 et 16.

5.2 L'hybridome déposé et les revendications correspondantes doivent être considérés dans le contexte général de la description du brevet litigieux qui expose ce que l'intimé considère être comme son invention. Grâce à la publication de l'exposé écrit du brevet litigieux, le public est informé de l'invention telle qu'elle y est décrite. L'hybridome déposé doit lui aussi être accessible au public au même moment et peut être remis aux tiers qui en font la demande aux fins de reproduction de l'invention. Si, comme c'est le cas en l'espèce, les caractéristiques de l'hybridome déposé diffèrent de l'exposé écrit figurant dans le brevet, le public n'en aura pas connaissance, à moins que l'on ait analysé l'hybridome demandé en déterminant les anticorps monoclonaux qu'il produit. Cela signifie que les véritables caractéristiques desdits anticorps monoclonaux ne sont pas en fait rendues publiques par la description écrite correspondante.

5.3 Par conséquent, même si l'on avait envisagé de limiter l'objet du brevet à ce qui avait été déposé, laissant ainsi de côté les informations contenues dans l'exposé écrit du brevet litigieux, y compris les réflexions sur l'état de la technique, le problème et sa solution, ainsi que les possibilités d'application industrielle qui ne correspondaient pas du tout aux caractéristiques de "l'invention" représentée par l'hybridome déposé, ladite "invention" n'aurait pas été suffisamment exposée, car les véritables caractéristiques des anticorps monoclonaux produits par l'hybridome déposé ne sont décrites nulle part et ne sont donc pas accessibles au public. Il n'est donc divulgué aucun enseignement technique qui permette un examen de la brevetabilité. Ainsi, le simple dépôt d'un hybridome sans aucune description écrite correspondante ne constitue pas un exposé suffisant d'un enseignement technique au sens de l'article 83 CBE.

5.4 En conséquence, les revendications ayant pour objet l'hybridome déposé ou ses anticorps monoclonaux ne répondent pas à l'obligation de fournir un exposé suffisant énoncée à l'article 83 CBE.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

1. La décision attaquée est annulée.

2. Le brevet européen n° 17 381 est révoqué.

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