T 0200/89 (Erreur manifeste) of 7.12.1989

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:1989:T020089.19891207
Date de la décision : 07 Décembre 1989
Numéro de l'affaire : T 0200/89
Numéro de la demande : 80201130.4
Classe de la CIB : C22C 21/16
C22F 1/04
Langue de la procédure : EN
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Versions : OJ
Titre de la demande : -
Nom du demandeur : Boeing
Nom de l'opposant : Schweiz. Aluminium; Pechiney S.A.
Chambre : 3.3.01
Sommaire : 1. Une rectification admissible en vertu de la règle 88 CBE a un effet rétroactif (suivant décisions J 4/85 - 3.1.1 en date du 28 février 1986 "Correction des dessins/ETAT FRANCAIS", JO OEB 1986, 205, et T 219/86 - 3.2.2 en date du 3 juillet 1987 "Désignation de l'opposant/ZOKOR", JO OEB 1988, 254), contrairement aux modifications visées à l'article 123 CBE.
2. L'article 123(3) CBE et la règle 88 CBE fixent des conditions qui, tout en étant formulées différemment, tendent chacune à garantir la sécurité juridique en ce sens que la protection conférée par le brevet après modification ou rectification ne doit pas, pour l'homme du métier, être plus étendue que celle qui ressortait auparavant du texte du brevet.
3. Si, après avoir donné son accord sur le texte d'un brevet, le titulaire y découvre une erreur, il a la possibilité de la corriger en vertu de la règle 88 CBE.
4. Aux fins de la règle 88 CBE, l'appréciation de la question de savoir si une erreur s'est glissée dans une pièce soumise à l'OEB s'effectue sur la base d'éléments circonstanciels (approche subjective) qui peuvent consister en toute preuve pertinente (y compris, en l'occurrence, le dossier tel qu'il a été mis en état).
5. La question de savoir si la rectification d'une telle erreur dans un brevet s'impose à l'évidence au sens de la règle 88 CBE doit être appréciée par référence au brevet pris dans sa totalité certes, mais isolément, et sans consultion du dossier tel qu'il a été mis en état (approche objective).
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 123(2)
European Patent Convention 1973 Art 123(3)
European Patent Convention 1973 R 88 Sent 2
European Patent Convention 1973 R 51(4)
Mot-clé : Erreurs dans les revendications
résence d'erreurs avérée après consultation du dossier tel qu'il a été mis en état
Correction évidente en partie, pour l'homme du métier qui lit le brevet considéré isolément
Exergue :

-

Décisions citées :
-
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
T 0344/88
T 0184/91
T 0946/91
T 0404/92
T 0962/92
T 0438/98
T 2523/11
T 1702/12

Exposé des faits et conclusions

I. La demande de brevet européen n° 80 201 130.4, déposée le 27 novembre 1980 et revendiquant la priorité d'une demande américaine du 28 décembre 1979, a donné lieu à la délivrance, le 3 octobre 1984, du brevet européen n° 31 605 qui comporte cinq revendications, dont la seule revendication indépendante, la revendication 1, est formulée comme suit :

"1. Un procédé de fabrication d'un produit en alliage d'aluminium de la série 2000, ledit alliage comprenant comme éléments d'alliage principaux du cuivre, du magnésium et du manganèse, caractérisé en ce que l'on part d'un alliage de composition suivante :

% en poids--------------------élément

4,2 à 4,7-----------------------Cu

1,3 à 1,8---------------------- Mg

0,8 à 1,3---------------------- Mn

0,08 à 0,15---------------------Zr

au maximum 0,25-----------------Zn

au maximum 0,15---------------- Ti

au maximum 0,10-----------------Fe

au maximum 0,12---------------- Si

au maximum 0,05 chaque autre élément é l'état de traces

au maximum 0,15 Total desdit autres éléments à l'état de traces

complément Al

l'état de traces complément Al

en ce que l'on soumet un corps formé dudit alliage à un traitement comprenant les étapes suivantes :

on homogénéise ledit corps pour avoir une distribution sensiblement uniforme des éléments d'alliage,

on façonne à chaud ledit corps pour former un produit façonné, ledit façonnage à chaud étant effectué à des températures efficaces pour donner un produit ayant une microstructure de grain fortement allongée et sensiblement non recristallisée après traitement en solution et trempe dudit corps."

II. Deux oppositions ont été formées contre le brevet, les 14 et 21 juin 1985, respectivement par

1) Schweizerische Aluminium AG (ci-après dénommée "intimé 1") et

2) Pechiney S.A. (ci-après dénommée "intimé 2"),

oppositions dans lesquelles la révocation du brevet dans sa totalité a été demandée pour absence d'activité inventive et, dans le cas de l'intimé 2, également pour absence de nouveauté.

III. Après avoir cité les parties à une procédure orale, la division d'opposition s'est aperçue d'une différence entre d'une part le texte de la revendication 1 du brevet tel que délivré et la partie correspondante de la description (colonne 2, lignes 8 à 51) et, d'autre part, le texte de la demande telle qu'elle avait été initialement déposée (revendications 1 et 5). Cette différence est la suivante :

Comme il ressort du texte de la revendication 1 du brevet tel que délivré, énoncé au point I supra, la liste citée des composants de l'alliage comporte du fer à concurrence de 0,10 % au plus mais pas de chrome (Cr) ; cependant, dans le texte de la demande telle qu'initialement déposée, la teneur en fer indiquée pouvait aller jusqu'à 0,15 %, tandis que la teneur en chrome était de 0,10 % au maximum. Par ailleurs, le texte de la description du brevet délivré correspond, à l'exception du passage de la colonne 2, lignes 8 à 51, au texte de la demande telle qu'initialement déposée, et mentionne une teneur maximale en fer de 0,15 %, et une teneur maximale en chrome de 0,10 % (cf. par exemple colonne 3, lignes 26 à 29, et colonne 4, lignes 59 et suivantes).

Dans une notification, la division d'opposition a estimé que la modification apportée en cours de procédure contrevenait aux dispositions de l'article 123(2) CBE. En réponse, le titulaire du brevet a demandé de pouvoir apporter une rectification à la revendication 1 du brevet tel que délivré ainsi qu'au passage correspondant de la colonne 2 de manière à les faire coïncider avec le texte de la demande telle qu'initialement déposée ; il a affirmé qu'il s'agissait d'une erreur de frappe et que la rectification d'une erreur de transcription aussi manifeste pouvait être autorisée en vertu de la règle 88 CBE.

IV. Dans la décision prononcée à l'issue de la procédure orale du 8 novembre 1988 et remise à la poste le 11 janvier 1989, la division d'opposition a révoqué le brevet au motif que la rectification qu'il était proposé d'apporter à la revendication 1 ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 123(3) CBE. Elle a estimé que cette rectification était différente d'une rectification qui supprimerait une incohérence évidente, le texte du brevet tel que délivré pouvant être compris comme une limitation. Par conséquent, une rectification au titre de la règle 88 CBE n'était pas possible. Elle a expressément déclaré qu'elle s'abstenait d'examiner les motifs d'opposition invoqués par les opposants.

V. Le titulaire du brevet (requérant) a formé recours le 10 mars 1989 en acquittant simultanément la taxe de recours. Dans l'exposé des motifs du recours, déposé le 9 mai 1989, il a affirmé que la revendication 1 modifiée était due à la correction d'une erreur de transcription, correction autorisée conformément à la décision T 113/86 en date du 28 octobre 1987 (non publiée). En effet, l'incohérence que comportait la revendication du brevet délivré était à ce point évidente pour l'homme du métier, compte tenu de la description, que la protection conférée par la revendication modifiée était prévisible pour un tiers. A cet égard, le titulaire du brevet a mentionné la colonne 3, lignes 26 à 29, la colonne 4, ligne 64, la colonne 5, ligne 1 et l'Exemple I où il était question de 0,11 % de fer ; il a en outre invoqué le dossier tel qu'il avait été mis en état et qui, selon lui, devait également être pris en considération.

VI. L'intimé 1 n'a pas présenté d'observations, tandis que l'intimé 2, dans une réponse écrite, a nié l'existence d'une erreur de transcription, soulignant que le requérant, après avoir reçu la notification visée à la règle 51(4) et (5) CBE, avait donné son accord sur le texte du brevet devant être délivré (y compris sur les parties prétendument erronées). De l'avis de l'intimé 2, la modification apportée au stade de l'examen était donc une limitation voulue qui ne pouvait être annulée après la délivrance.

VII. Toutes les parties ont été régulièrement citées à une procédure orale qui a eu lieu le 7 décembre 1989. Seuls le requérant et l'intimé 2 ont comparu.

VIII. Le requérant a fait valoir que les deux conditions nécessaires pour pouvoir apporter une correction à la revendication en vertu de la règle 88 CBE étaient remplies, à savoir qu'il y avait bien eu erreur et que, pour le lecteur attentif, le texte correct de la revendication (avec le passage correspondant de la colonne 2) s'imposait à l'évidence ; il a également déclaré qu'un examen du dossier tel qu'il avait été mis en état permettrait de dissiper tous les doutes quant à la justesse de son interprétation.

Le requérant a également allégué que les modifications proposées étaient admissibles au titre de l'article 123 CBE compte tenu du texte de la description du brevet tel que délivré.

Il a requis l'annulation de la décision attaquée et le maintien du brevet dans le texte sur lequel s'était fondée la division d'opposition (c'est-à-dire avec la revendication 1 et la colonne 2 telles que proposées le 16 juillet 1987) - requête principale - ou sur la base des revendications déposées au cours de la procédure orale (c'est-à-dire de la revendication 1 du brevet tel que délivré, avec comme seule différence une teneur maximale en fer de 0,15 % au lieu de 0,10 %) - première requête subsidiaire - ou encore dans le texte du brevet tel que délivré - seconde requête subsidiaire.

IX. L'intimé 2 a fait valoir que même en admettant la présence d'une erreur manifeste, il était difficile de savoir, à la lecture du brevet tel que délivré, quel devait être le texte correct. C'est ainsi que, en particulier, l'Exemple I mentionnait une teneur en fer de 0,11 % mais était muet sur la teneur en chrome ; en outre, il n'était pas rare qu'après une limitation apportée à des revendications, il subsiste des exemples qui ne sont plus couverts par les revendications. Il a demandé le rejet du recours.

X. Au terme de la procédure orale, le président a déclaré que la Chambre avait décidé d'annuler la décision attaquée et de renvoyer l'affaire devant la division d'opposition pour poursuite de la procédure sur la base du texte correspondant à la première requête subsidiaire.

Motifs de la décision

1. Le recours répond aux conditions énoncées aux articles 106, 107 et 108 et à la règle 64 CBE ; il est donc recevable.

2. Le présent recours pose la question de l'interprétation correcte de la CBE en ce qui concerne le lien entre l'article 123 CBE et la règle 88 CBE. Comme indiqué plus haut, le requérant a affirmé tout d'abord que la correction qu'il proposait d'apporter à la revendication 1 du brevet tel que délivré (conformément à sa requête principale), de manière à correspondre pour l'essentiel au texte de la revendication 5 de la demande telle qu'initialement déposée, était admissible au titre de la règle 88 CBE. Il a également soutenu que la proposition de modification n'enfreignait pas les dispositions de l'article 123 CBE. De son côté, la division d'opposition a dit que la rectification ne s'imposait pas à l'évidence au sens de la règle 88 CBE, notamment - faisant en cela allusion à la décision T 113/86 en date du 28 octobre 1987 - parce que l'homme du métier n'aurait pas été en mesure de prévoir l'étendue de la protection conférée par la revendication modifiée. Elle a ajouté que le texte de la revendication 1 du brevet tel que délivré violait les dispositions de l'article 100c) CBE (c'est-à-dire aussi celles de l'article 123(2) CBE), tandis que la modification proposée de ce même texte contrevenait aux dispositions de l'article 123(3) CBE.

2.1. De l'avis de la Chambre, la règle 88 CBE s'applique aux situations où le demandeur ou le titulaire du brevet affirme qu'une erreur s'étant glissée dans une pièce soumise à l'OEB, le contenu de cette pièce au moment où elle a été soumise ne correspondait pas à ses intentions. Aussi le demandeur ou le titulaire du brevet cherche-t-il à rectifier l'erreur de manière à faire coïncider le texte corrigé avec ce qui était initialement envisagé.

Pour qu'une rectification en vertu de la règle 88 CBE soit admissible, deux conditions doivent être remplies :

(i) il faut qu'une erreur se soit glissée dans la pièce soumise à l'OEB ;

(ii) la rectification de l'erreur doit s'imposer à l'évidence, au sens de cette règle (à savoir "en ce sens qu'il apparaît immédiatement qu'aucun texte autre que celui résultant de la rectification n'a pu être envisagé par le demandeur").

Les rectifications admissibles en vertu de la règle 88 CBE ont un effet rétroactif (cf. décisions J 4/85 (JO OEB 1986, 205) et T 219/86 (JO OEB 1988, 254). En d'autres termes, il y a lieu de supposer (fiction juridique) que le texte corrigé est, en réalité, le texte qui a été initialement déposé. Pourtant, la Chambre estime qu'il est inutile d'examiner la question de savoir si une correction admissible en vertu de la règle 88 CBE l'est également en vertu des dispositions de l'article 123 CBE, parce que l'article 123 CBE ne concerne que les modifications et non pas les corrections, et qu'une modification consiste à changer le texte par rapport à la version précédente (et, en règle générale, par rapport à ce que celle-ci était censée signifier précédemment) et n'a pas d'effet rétroactif.

Quoi qu'il en soit, et comme l'a mis en évidence la décision T 401/88 (JO OEB 1991, 297), l'article 123 CBE et la règle 88 CBE énoncent des conditions analogues visant clairement à garantir la sécurité juridique en ce qui concerne l'étendue de la protection conférée par le brevet. Ainsi, pour ce qui est des modifications suggérées au cours de la procédure d'opposition, elles ne doivent pas, conformément à l'article 123(3) CBE, avoir pour effet d'étendre la protection conférée. La règle 88 CBE prévoit en même temps que la rectification proposée doit s'imposer à l'évidence, au sens de cette règle. Ces deux conditions garantissent la sécurité juridique en ce sens que, après la modification ou la correction, la protection conférée par le brevet ne doit pas, pour l'homme du métier, être plus étendue que celle qui ressortait auparavant du texte. Il n'en reste pas moins que ces deux conditions sont formulées différemment, de sorte que les requêtes en rectification (règle 88 CBE) et modification (article 123 CBE) présentées par le requérant doivent être examinées séparément. Une requête en rectification en vertu de la règle 88 CBE à laquelle il ne peut être fait droit n'exclut pas, en principe, qu'une modification puisse être admissible au titre de l'article 123 CBE, et inversement.

2.2. Par ailleurs, contrairement aux conclusions de l'intimé, la Chambre estime que l'accord donné par le requérant sur le texte dans lequel il était envisagé de délivrer le brevet, après qu'il ait reçu une notification établie conformément à la règle 51(4) CBE, ne lie pas le requérant de manière à l'empêcher de procéder à la rectification d'une erreur dans ce texte au titre de la règle 88 CBE. Cette règle a pour objet de permettre la correction d'une erreur dans une pièce soumise à l'OEB, si cela est opportun, afin de conférer à celle-ci la forme initialement envisagée. Vu que la correction a un effet rétroactif, le texte sur lequel le requérant avait donné son accord doit être considéré comme ayant revêtu la forme envisagée.

3. Règle 88 CBE

3.1. En ce qui concerne la requête formulée au titre de la règle 88 CBE, il découle de ce qui précède que pour qu'il puisse être fait droit, tant au cours de la procédure d'opposition qu'à un autre moment, à une requête en rectification d'une erreur contenue dans la description (ou dans les revendications ou les dessins) d'un brevet, il faut que les deux conditions énoncées au point 2.1 supra soient remplies. Pour le reste, une correction est toujours affaire d'appréciation.

3.2. L'examen de la question de savoir si la condition (i) est remplie s'effectue sur la base d'éléments circonstanciels (approche subjective) qui peuvent consister en tout document pertinent ou en toute autre preuve, y compris, le cas échéant, le dossier tel qu'il a été mis en état (cf. à cet égard décision J 4/85, point 7, troisième alinéa).

La Chambre estime que dans la présente affaire, comme l'a affirmé le requérant, il ne fait aucun doute, vu le dossier tel qu'il a été mis en état, que la version de la revendication 1 du brevet tel que délivré contient effectivement une erreur de transcription involontaire. On se référera notamment aux éléments suivants : revendications 1 et 5 telles qu'initialement déposées ("... au maximum 0,10(%) Cr, au maximum 0,15(%)

Fe...") ; lettre du requérant en date du 17 décembre 1981, dans laquelle celui-ci se déclare disposé à adapter les revendications à la pratique européenne et à laquelle est jointe une revendication de produit 1, inchangée pour l'essentiel (au maximum 0,10 % Cr, au maximum 0,15 % Fe), mais aussi une revendication de procédé 5 dont le texte mentionne uniquement - sans qu'il soit possible d'expliquer de manière plausible pourquoi il y aurait eu une volonté de changement - 0,10 % Fe au maximum et ne fait aucune allusion au Cr ; enfin, nouveau jeu de revendications remis le 8 septembre 1983, dans lequel sont omises les revendications de produit et ne figurent plus que les revendications de procédé, l'ancienne revendication 5 (avec les pourcentages modifiés) devenant ainsi la nouvelle revendication 1, et la page 2 de la description comportant un passage approprié exposant l'invention.

Le dossier tel qu'il a été mis en état fait ressortir très clairement qu'une ligne a été involontairement oubliée lorsque la revendication 5 a été retapée pour être remise le 17 décembre 1981, et que l'erreur qui en découle a été reprise sans que l'on s'en aperçoive dans la revendication 1 en date du 8 septembre 1983 et, de là, dans le texte du brevet tel que délivré.

3.3. Du fait de cette erreur, la description du brevet tel que délivré est incohérente en ce qui concerne la teneur en chrome et en fer susceptible de se trouver dans l'alliage faisant l'objet de l'invention. En particulier, la composition énoncée dans la revendication 1 du brevet tel que délivré (et dans la description correspondante dans la colonne 2) exige 0,05 % de chrome au maximum (sous la rubrique "élément à l'état de traces") et 0,10 % de fer au maximum, tandis que dans les passages commençant à la colonne 3, ligne 26 et à la colonne 4, ligne 59, il est fait expressément mention d'une teneur de 0,10 % en chrome et de 0,15 % en fer au maximum.

3.4. Pour que la condition (ii) énoncée au point 2.1 supra soit remplie, il faut que le requérant prouve que la correction de cette incohérence (comme il avait proposé de le faire) s'impose à l'évidence au sens de la règle en question. Contrairement à la situation dans laquelle l'on se trouve lors de l'examen de la condition (i) traitée plus haut, la condition (ii) doit - cela ne fait aucun doute pour la Chambre - être appréciée selon une approche objective : autrement dit, il faut "qu'il apparaisse immédiatement" au lecteur averti, à savoir l'homme du métier, que le brevet doit être corrigé dans le sens proposé par le requérant. Ce lecteur est censé pour cela lire soigneusement tout le brevet. Cependant, la correction proposée doit s'imposer à lui lorsqu'il lit le texte du brevet pris dans sa totalité certes, mais isolément, c'est-à-dire sans consulter aucun autre document (comme le dossier tel qu'il a été mis en état). A cet égard, cf. décision T 401/88 en date du 28 février 1989, point 2.2.

De l'avis de la Chambre, cette façon de procéder pour déterminer si la condition (ii) a été remplie est dictée par les termes "doit s'imposer à l'évidence" (règle 88 CBE). A supposer que l'on considère qu'un lecteur averti ne pourrait se contenter du seul texte du brevet et devrait, notamment, consulter aussi le dossier du brevet tel qu'il a été mis en état (y compris, par exemple, les documents de priorité et les versions antérieures de la demande de brevet), la rectification nécessaire ne "s'imposerait" guère "à l'évidence". En outre, le texte publié d'un brevet est censé informer le public de l'étendue de la protection conférée.

Pour décider si la condition (ii) a été remplie, il est sans importance, de l'avis de la Chambre, de savoir que les parties intéressées - en l'occurrence, les opposants - n'ont pas vu l'erreur dans le brevet délivré avant qu'elle ne soit relevée par la division d'opposition (celle-ci a, dans sa décision, invoqué ce fait pour démontrer que l'erreur n'est pas évidente). Une erreur telle que celle en cause peut facilement passer inaperçue aux yeux de l'homme du métier qui ne lit qu'une partie du brevet ou, s'il le lit dans sa totalité, ne prête pas suffisamment d'attention à ce genre de détail. Comme indiqué plus haut, pour répondre à la question posée, en suivant une approche objective, il faut considérer que l'homme du métier lit et soupèse soigneusement chaque mot du texte du brevet.

3.5. En l'espèce, la Chambre estime qu'un lecteur averti du fascicule de brevet constaterait immédiatement l'incohérence dont il est question au point 3.3 supra et conclurait à la présence d'une erreur. Il convient maintenant de savoir si les corrections proposées par le requérant dans ses requêtes "s'imposeraient", elles aussi, "à l'évidence".

3.6. Requête principale

Le texte de la revendication 1 (et le passage correspondant de la colonne 2) proposé dans la requête principale (cf. point VIII supra) comporte une mention explicite de la teneur en chrome - "au maximum 0,10 %" - alors que le texte de la revendication 1 du brevet tel que délivré n'en comporte aucune. Cette mention explicite correspond aux indications de pourcentage en poids de chrome à la colonne 3, lignes 26 et suivantes, et à la colonne 4, lignes 59 et suivantes. Le texte du brevet délivré ne comporte qu'une seule autre mention du pourcentage en poids de chrome dans un alliage conformément à l'invention, à savoir dans l'Exemple 1 (colonne 11, ligne 7) où figure un pourcentage en poids de 0,01 % de chrome. Cependant, étant donné que cette teneur est bien en deçà du maximum envisagé dans la revendication 1, à la fois dans le texte du brevet tel que délivré et dans le texte proposé après correction, elle est compatible avec les deux versions de la revendication 1.

Comme cela a été dit au point 3.4, un lecteur averti du brevet délivré constaterait immédiatement l'incohérence existant entre la revendication 1 et le passage de la colonne 2 d'une part, et les passages des colonnes 3 et 4 d'autre part. Cependant, la Chambre est d'avis que la manière de remédier à cette incohérence ne s'imposerait pas à l'évidence ; autrement dit, le lecteur averti ne saurait pas s'il faut rectifier le texte de la revendication 1 et de la colonne 2 de façon à le faire concorder avec les passages des colonnes 3 et 4, ou vice-versa. Chacune de ces deux corrections possibles supprimerait l'incohérence dans le texte du brevet délivré, et elles seraient, pour le lecteur averti, susceptibles l'une comme l'autre de correspondre à l'intention initiale du titulaire du brevet.

Dans ces conditions, la Chambre rejette la correction proposée conformément à la requête principale, au motif qu'elle ne "s'impose" pas "à l'évidence en ce sens qu'il apparaît immédiatement qu'aucun texte autre que celui résultant de la rectification n'a pu être envisagé par le demandeur".

3.7. Première requête subsidiaire

Il est indiqué au point VIII supra que la seule correction proposée consiste à attribuer au fer dans la revendication 1 et la colonne 2 une teneur maximale de 0,15 %, au lieu de 0,10 % comme le spécifie la revendication 1 du brevet tel que délivré.

A cet égard, il faut également garder à l'esprit que dans chacun des exemples contenus dans le brevet délivré il est question directement ou indirectement des teneurs en fer, outre qu'il est fait référence, à la colonne 3, ligne 29, et à la colonne 4, lignes 65 et suivantes, à une teneur maximale en fer de 0,15 %.

C'est ainsi que l'Exemple I mentionne expressément une teneur en Fe de 0,11 % (colonne 11, ligne 7) ; l'Exemple II renvoie aux "limitations de teneur .... indiquées à l'Exemple I" (colonne 13, lignes 29 à 31), ce qui revient à faire allusion à la teneur en Fe précitée ; l'Exemple III se rapporte au tableau 1B (en bas des colonnes 13 et 14), dans lequel figure le chiffre de 0,11 % Fe (cinquième colonne) ; et l'Exemple IV renvoie, à son tour, à un "alliage ... préparé conformément à ... dans l'Exemple I" (colonne 16, lignes 8 à 10). Il s'ensuit que dans tous les exemples de réalisation contenus dans le brevet délivré, il faut une teneur en fer supérieure à 0,10 %. De l'avis de la Chambre, cette divulgation, combinée avec les passages des colonnes 3 et 4, pourrait dissiper tous les doutes dont l'homme du métier pourrait être saisi en ce qui concerne l'étendue envisagée de la protection conférée par le brevet ; il conclurait en effet que 0,10 % ne saurait être la teneur maximale en fer envisagée. Pour ce spécialiste, le fait que ladite teneur maximale doit être de 0,15 %, comme précisé dans la colonne 3, ligne 29, et dans la colonne 4, lignes 65 et suivantes, s'imposerait donc à l'évidence. Pour ce qui est de l'argument de l'intimé 2, évoqué au point IX supra, deuxième phrase, la Chambre formulera l'observation suivante : s'il est vrai qu'après des modifications apportées au cours de la procédure, un seul exemple qui n'est plus couvert par les revendications peut rester par inadvertance dans le fascicule de brevet, l'homme du métier exclurait néanmoins la possibilité d'une série de telles inadvertances ayant pour effet de maintenir dans le brevet chacun des quatre exemples ainsi que deux passages de la description générale après une limitation délibérée de la revendication 1 devant entraîner leur suppression.

3.8. La Chambre s'est demandé s'il y a lieu de maintenir dans la description les passages figurant à la colonne 3, lignes 28 et 29, et à la colonne 4, lignes 63 et 64, dans lesquels il est question d'une teneur en chrome incompatible avec la revendication 1. A son avis, la réponse est affirmative, puisque ces incohérences ne constituent pas un motif d'opposition.

3.9. Pour les raisons précitées, la rectification conformément à la première requête subsidiaire est admissible. Il est donc inutile d'examiner s'il peut être fait droit à la seconde requête subsidiaire.

4. Article 123 CBE

La Chambre a également examiné la question de savoir si une modification (par opposition à une correction) apportée au brevet conformément à la requête principale serait admissible au titre de l'article 123 CBE. Pour autant qu'une telle modification au brevet délivré se traduirait par un texte correspondant pour l'essentiel à la demande telle que déposée, il n'y aurait pas violation de l'article 123(2) CBE. Cependant, pour ce qui est de l'article 123(3) CBE, il convient de déterminer si la modification est de nature à étendre la protection. Conformément à la décision G 2/88 en date du 11 décembre 1989 (doit être publiée), point 4, il faut, pour ce faire, établir en premier lieu l'étendue de la protection conférée par le brevet avant la modification, c'est-à-dire dans le texte dans lequel il a été délivré.

Compte tenu des incohérences dans le brevet délivré indiquées au point 3.2 supra, la Chambre n'est pas convaincue que la protection conférée par le brevet tel que délivré est la même que celle qui serait conférée par le brevet après modification conformément à la requête principale. Aussi la Chambre est-elle d'avis qu'il y a lieu de rejeter la modification proposée, en vertu de l'article 123(3) CBE.

5. Comme indiqué au point IV supra, la division d'opposition, ayant relevé l'erreur contenue dans le texte, s'est abstenue d'examiner dans sa décision les motifs d'opposition invoqués expressément par les intimés. En conséquence, ces motifs doivent être examinés à la lumière du texte rectifié conformément à la première requête subsidiaire, sur laquelle la Chambre s'est déjà prononcée. L'affaire est donc renvoyée devant la division d'opposition pour être traitée dans les meilleurs délais compte tenu du retard survenu dans l'examen quant au fond des motifs d'opposition.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

1. La décision de la division d'opposition est annulée.

2. L'affaire est renvoyée devant la division d'opposition pour poursuite de la procédure sur la base de la revendication 1 conformément à la première requête subsidiaire.

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