T 0648/88 ((R,R,R)-Alpha-Tocophérol) of 23.11.1989

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:1989:T064888.19891123
Date de la décision : 23 Novembre 1989
Numéro de l'affaire : T 0648/88
Numéro de la demande : 82108913.3
Classe de la CIB : C07C 19/02
Langue de la procédure : DE
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Titre de la demande : -
Nom du demandeur : BASF
Nom de l'opposant : Hoffmann - La Roche & Co.
Chambre : 3.3.01
Sommaire : 1. Les critères déterminants de manière générale pour apprécier si l'obtention d'une substance chimique nouvelle implique une activité inventive doivent être également appliqués lorsque cette substance est un produit intermédiaire. Le point de savoir si son obtention enrichit la technique d'une manière non évidente est seul décisif.
2. Un produit intermédiaire destiné à la préparation d'un produit final connu implique une activité inventive dès lors que le produit final est obtenu dans le cadre du mode de préparation inventif ou de la transformation inventive du produit intermédiaire ou encore dans le cadre d'un procédé global inventif (cf. T 22/82, "Bis-époxyéthers/BASF", JO OEB 1982, 341).
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 56
Mot-clé : Activité inventive (oui)
Produits intermédiaires dans un procédé global impliquant une activité inventive,
Transformation en tant que telle dépourvue d'activité inventive
Exergue :

-

Décisions citées :
-
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
T 0021/89
T 0378/91
T 1239/01
T 1089/15

Exposé des faits et conclusions

I. La demande de brevet européen n° 82 108 913.3, déposée le 27 septembre 1982 et revendiquant la priorité d'une demande allemande en date du 2 octobre 1981, a donné lieu, le 19 décembre 1984, à la délivrance du brevet européen n° 76 448 sur la base des revendications suivantes (la revendication 1 figure ci-après sous une forme abrégée) :

"1. Procédé de préparation de (2R, 6R)-1-chloro-2,6,10-triméthyl- undécane répondant à la formule ... (i) caractérisé en ce que

A) on utilise le nouvel acide (r)-(+)-ß-chloro-isobutyrique répondant à la formule ... (II) comme matière de départ optiquement active,

B) on la réduit ... en (r)-(-)-3-chloro-2-méthyl-propanol répondant à la formule ... (III),

C) on brome ce dernier ... , obtenant ainsi le nouveau (s)-(+)-1- bromo-3-chloro-2-méthylpropane répondant à la formule ... (IV),

D) on transforme celui-ci ... en le nouveau (2R)-(+)-1-chloro- 2,6-diméthylheptane répondant à la formule ... (v),

E) on transforme ce dernier ... en le (3R)-3,7-diméthyl-octane-1- 0l répondant à la formule ... (VI),

F) on brome ce dernier ... en (3R)-1-bromo-3,7-diméthyl-octane répondant à la formule ... (VII) et

G) on transforme ce dernier ... en le composé organomagnésien correspondant, que l'on peut faire réagir ... pour obtenir I.

2. Acide (r)-(+)-ß-chloro-isobutyrique (II).

3. (s)-(+)-1-bromo-3-chloro-2-méthyl-propane (IV).

4. (2R)-(+)-1-chloro-2,6-diméthyl-heptane (v).

5. Utilisation des composés selon les revendications 2 à 4 comme composants optiquement actifs pour la synthèse des chaînes latérales de (R,R,R)-|-tocophérol."

II. Le 13 septembre 1985, l'actuel intimé a fait opposition au brevet et a demandé que les revendications 4 et 5 soient annulées pour défaut d'activité inventive. A l'appui de sa requête, il a invoqué deux documents, déjà cités dans le brevet en litige, divulguant des composés bromés analogues ainsi que leur préparation, de sorte que les composés chlorés, notamment le composé (v) faisant l'objet de la revendication 4, étaient évidents. Ces documents sont les suivants :

(1) DE-A-2 602 507 et

(2) GB-A-1 456 830.

III. Après avoir estimé, dans une décision intermédiaire, qu'il y avait lieu de supprimer la revendication 4 et de modifier la revendication 5 en conséquence, ce que l'actuel requérant a contesté en défendant le brevet tel qu'il a été délivré, la division d'opposition a révoqué le brevet dans sa totalité par décision du 3 novembre 1988.

Dans l'exposé des motifs de cette décision, il est affirmé qu'en règle générale, on ne saurait reconnaître une activité inventive à des substances chimiques que lorsque leur utilisation va de pair avec des effets inattendus. L'inventivité du procédé de préparation de substances confère aux substances elles-mêmes un caractère inventif non pas automatiquement, mais uniquement en cas de préjugé ou si l'on s'attend à ce que leur préparation suscite des difficultés particulières. Cela vaut également pour les substances chimiques qui sont des produits intermédiaires : dans le cas de ces produits, un effet inattendu ne saurait fonder une activité inventive que s'il survient lors de la transformation en un produit final. En l'absence d'un tel effet, il faut que la préparation du produit intermédiaire se heurte à un préjugé ou à des difficultés quasi insurmontables. A ce sujet, il a été fait référence à la décision T 163/84 "Dérivés d'acétophénone/BAYER" (JO OEB 1987, 301), et notamment au point 10.

Les conclusions suivantes en ont été tirées pour la présente espèce : selon le brevet litigieux, le racémate correspondant au composé (v) est connu, et si sa séparation peut se révéler difficile, elle n'est cependant pas exclue. En outre, comme on peut le constater, le composé (v) peut être obtenu de manière analogue à la préparation, décrite dans le document (1), du composé bromé correspondant. D'autre part, aucun indice ne permet de considérer que la transformation du composé (v) implique une activité inventive. Il résulte de cette double constatation que la revendication 4 est dépourvue d'activité inventive. Le brevet ayant été défendu dans sa totalité, il y avait lieu de le révoquer dans sa totalité.

IV. Le requérant (titulaire du brevet) a formé un recours contre la décision de la division d'opposition le 20 décembre 1988 et a acquitté simultanément la taxe prescrite. Dans le mémoire exposant les motifs du recours, qu'il a produit le 4 mars 1989, il s'élève contre la "discrimination" des produits intermédiaires. En l'espèce, le composé (v) implique une activité inventive du fait que son obtention ouvre une voie avantageuse de préparation d'un produit final recherché.

La décision T 163/84 citée a été mal interprétée par la division d'opposition. Dans cette décision, les faits de la cause se distinguent du cas présent (la transformation du produit intermédiaire à protéger implique une activité inventive). C'est seulement à titre d'exemple, et non de manière définitive, qu'il est fait référence à d'autres situations dans lesquelles des produits intermédiaires nouveaux peuvent être protégés. La décision T 22/82 "Bis-époxyéthers/BASF" (JO OEB 1982, 341) dont la décision T 163/84 se veut la suite, puisqu'elle y renvoie ("cf."), demeure applicable.

V. L'intimé n'a ni présenté de requête, ni formulé d'observations pendant la procédure de recours.

VI. Le requérant conclut à l'annulation de la décision de la division d'opposition et au maintien du brevet tel qu'il a été délivré, à titre subsidiaire en supprimant la revendication 4 et en modifiant en conséquence la revendication 5 du brevet délivré....

Motifs de la décision

1. Le recours répond aux conditions énoncées aux articles 106, 107 et 108 et à la règle 64 CBE ; il est donc recevable.

(...)

4. La Chambre se rallie au principe affirmé par le requérant, selon lequel les produits intermédiaires au sens où on les entend en droit des brevets, c'est-à-dire les substances chimiques dont l'application industrielle découle exclusivement de ce qu'elles se prêtent à la préparation d'autres produits "directement" susceptibles d'application industrielle, ne doivent pas être "discriminés" ; autrement dit, la brevetabilité ne doit pas être appréciée selon un critère différent (plus rigoureux) que celui posé pour les produits "directement" applicables. Ni la CBE, ni son règlement d'exécution ne le permettent ; en effet, dans la mesure où elles font référence à des substances, leurs dispositions n'opèrent pas de distinction entre ces deux catégories.

Il est certes dans la nature des choses que les circonstances justifiant la non-évidence dans le cas du produit intermédiaire ne se situent pas au même niveau que dans le cas du produit final. En effet, un produit chimique intermédiaire, qui ne peut être exploité industriellement qu'après transformation en un produit final déterminé, n'exerce pas comme le produit final un effet directement susceptible d'application technique. Vu le principe de la brevetabilité énoncé par l'article 52(1) CBE, cela ne justifie cependant pas une appréciation fondamentalement divergente de l'activité inventive impliquée par chacune des deux catégories de substance.

5. La jurisprudence des chambres de recours en a tenu compte en ouvrant la voie de la reconnaissance de l'activité inventive impliquée par un produit intermédiaire sur la base d'un "effet dérivant du procédé". Ainsi, dans la décision T 22/82 (loc.cit.) par exemple, il a été considéré que l'obtention de produits intermédiaires nouveaux en vue de la préparation, selon un procédé global présentant des avantages surprenants, de produits finals connus et recherchés impliquait une activité inventive. De même, dans la décision T 163/84 (loc.cit.), une autre chambre a reconnu la brevetabilité de produits intermédiaires dont la transformation en vue d'obtenir des produits finals connus impliquait une activité inventive (cf. points 3 à 6).

6. Dans cette dernière décision toutefois, la chambre a estimé en passant (obiter dictum), sans préciser ses motifs, qu'un produit chimique intermédiaire nouveau n'impliquait pas une activité inventive du seul fait qu'il est obtenu au cours d'un procédé en plusieurs étapes impliquant une activité inventive, et qu'il est transformé en un produit final connu (cf. point 10). Il faut pour cela que d'"autres considérations puissent intervenir : ce serait le cas par exemple si le procédé de préparation du nouveau produit intermédiaire était le premier qui permette sa préparation d'une manière inventive, et s'il paraissait exclu que ce produit puisse être préparé par un autre moyen".

7. Dans la décision antérieure T 61/86 en date du 2 décembre 1988 (non publiée), la Chambre a déjà déclaré qu'elle ne se ralliait pas à cet avis, mais qu'elle s'en tenait à la ligne tracée dans la décision T 22/82 (cf. points 5.5 et 5.6).

La première instance a fait sien l'avis qui a été émis, en passant seulement (obiter dictum), dans la décision T 163/84 et - sans indiquer d'autres motifs - a révoqué le brevet essentiellement parce qu'aucune "des conditions obligatoires de brevetabilité énoncées ci-après" n'étaient remplies, alors qu'"au moins" l'une d'entre elle devait l'être :

a) le procédé de préparation du nouveau produit intermédiaire doit être le premier qui permette l'obtention du produit d'une manière inventive, et il doit paraître exclu qu'il puisse être préparé par un autre moyen ; ou

b) la transformation des produits intermédiaires doit impliquer une activité inventive.

8. La Chambre ne partage pas cet avis. Aux termes de l'article 56 CBE, l'invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique. S'agissant d'une invention de substance chimique, cela signifie que l'obtention de la substance doit conduire à un enrichissement non évident de la technique, autrement dit à un enrichissement inattendu. On ne saurait exiger davantage. Aussi est-il illégal de faire dépendre l'activité inventive impliquée par une substance chimique de conditions supplémentaires, comme celles proposées dans la décision attaquée.

Ainsi qu'il est dit plus haut, l'enrichissement non évident de la technique par l'obtention d'une substance sert de critère pour apprécier s'il y a activité inventive dans le cas tant d'un produit chimique final que d'un produit dit intermédiaire, en d'autres termes quel que soit le moyen, c'est-à-dire l'"effet" (effet permettant directement une application technique ou effet dérivant d'un procédé) invoqué pour fonder la non-évidence.

Par contre, dès lors que le seul critère déterminant pour reconnaître l'activité inventive dans le cas d'un produit chimique intermédiaire est que son obtention enrichisse l'état de la technique de manière surprenante, peu importe que cette obtention ait eu lieu dans le cadre du mode de préparation inventif de ce produit, de sa transformation inventive ou de la conception d'un procédé global inventif en vue de la préparation du produit final.

9. Les faits qui ont donné lieu à la décision attaquée sont examinés plus en détail ci-après.

9.1. Comme le brevet litigieux (page 2, ligne 36 s.), on peut considérer que l'état de la technique le plus proche est constitué par le document (1). On y trouve décrits la préparation par hydrolyse ou hydrogénolyse d'éthers clivables de 1-hydroxy-2,6,10- triméthyl-undécane, qui est une substance clé pour la synthèse d'|-tocophérol naturel optiquement actif (page 3) ainsi que divers produits intermédiaires permettant d'obtenir la substance clé, y compris le produit analogue au brome du composé (v) selon le brevet litigieux (page 16, avant dernier alinéa).

9.2. L'invention se propose par contre de trouver un nouveau moyen de synthèse, techniquement moins complexe, et de nouveaux produits intermédiaires permettant d'obtenir un produit clé connu optiquement actif et que l'on peut faire réagir sur un 2- carboxaldéhyde-chromane pour obtenir le (2R, 4'R, 6'R)-|- tocophérol, la vitamine E naturelle optiquement active (cf. brevet litigieux, page 4, lignes 63 à 65). (L'expression "produit clé" utilisée ci-dessus a été choisie pour éviter tout malentendu sur les termes "produit intermédiaire" et "produit final", étant donné que la substance (i) à préparer selon la revendication 1, qui est visée concrètement par cette expression, est non seulement (techniquement) le "produit final" d'un procédé à plusieurs étapes (B à G) passant par plusieurs nouveaux "produits intermédiaires" (II, IV, V) sur le plan technique, mais aussi un "produit intermédiaire" au sens où on l'entend en droit des brevets ; cf. point 4).

9.3. Selon le brevet litigieux, ce problème est résolu par le procédé à six étapes prévu par la revendication 1 et par les produits intermédiaires nouveaux (II), (IV) et (v) selon les revendications 2, 3 et 4, qu'il permet d'obtenir. Vu le brevet litigieux, page 5, ligne 62 à page 6, ligne 11, et notamment la réduction mentionnée du nombre d'étapes nécessaires, qui passe de quinze, seize ou dix-sept à six, il semble plausible que la proposition faite dans le brevet apporte effectivement une solution au problème, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté, si bien qu'il est superflu de s'étendre là-dessus. Cela vaut également pour la nouveauté, comme indiqué au point III.

9.4. Il n'est pas contesté que le procédé selon la revendication 1, qui n'a pas été attaquée, et les produits intermédiaires visés aux revendications 2 et 3, qui elles non plus n'ont pas été attaquées, impliquent une activité inventive. C'est à dessein que l'intimé a, au cours de la procédure d'opposition, limité l'action qu'il a dirigée contre le brevet à l'objet des revendications 4 et 5, donnant ainsi à entendre que rien ne s'opposait à la brevetabilité de l'objet des revendications 1 (procédé), 2 et 3 (produits intermédiaires précédents). Les moyens de preuve utilisés ne faisant apparaître aucun autre élément, la Chambre applique en l'espèce le même critère pour apprécier les revendications 4 et 5. On ne voit alors pas pourquoi l'existence d'une activité inventive ne devrait pas non plus être admise pour le produit intermédiaire faisant l'objet de la revendication 4. En effet - pour reprendre en substance la deuxième phrase du point 7 de la décision T 22/82 - si l'on parvient à l'effet conférant au procédé global à six étapes son caractère inventif en utilisant dans le procédé des produits intermédiaires nouveaux obtenus au cours du procédé global, l'"effet dérivant du procédé" supporte aussi l'activité inventive pour les produits intermédiaires eux-mêmes, sans lesquels le procédé global avantageux n'est pas concevable. Peu importe que le composé chloré (v) revendiqué présente une structure voisine de celle du produit analogue au brome connu selon le document 1, ou qu'il puisse en principe être obtenu, selon le brevet litigieux, page 2, lignes 27 et 28, à partir du racémate lui correspondant, déjà connu lui aussi. Comme indiqué plus haut, c'est plutôt le fait que l'obtention du produit intermédiaire selon la revendication 4 conduise à un enrichissement non évident de la technique qui est déterminant. Tel est le cas en l'espèce, puisque ni le document (1), ni le document (2) ne suggèrent le procédé global, qui implique incontestablement une activité inventive.

10. Dans la mesure où la revendication 5, qui est elle aussi attaquée, se réfère aux revendications 2 et 3, son maintien se justifie par celui de ces dernières. Dans la mesure où elle se réfère à la revendication 4, elle se fonde sur le même concept inventif que celle-ci, et elle est donc elle aussi admissible.

(...)

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

1. (...)

2. ... la décision attaquée est ... annulée.

3. L'opposition est rejetée.

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