European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2024:T002522.20240604 | ||||||||
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Date de la décision : | 04 Juin 2024 | ||||||||
Numéro de l'affaire : | T 0025/22 | ||||||||
Numéro de la demande : | 15725598.5 | ||||||||
Classe de la CIB : | B60C 1/00 C08C 19/44 C08K 3/36 C08L 19/00 C08L 15/00 |
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Langue de la procédure : | FR | ||||||||
Distribution : | D | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
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Titre de la demande : | PNEUMATIQUE À FAIBLE RÉSISTANCE AU ROULEMENT | ||||||||
Nom du demandeur : | Compagnie Générale des Etablissements Michelin | ||||||||
Nom de l'opposant : | ABG Intellectual Property Law, S.L. | ||||||||
Chambre : | 3.3.03 | ||||||||
Sommaire : | - | ||||||||
Dispositions juridiques pertinentes : |
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Mot-clé : | Nouveauté - (oui) Activité inventive - (non) |
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Exergue : |
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Décisions citées : |
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Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
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Exposé des faits et conclusions
I. Le recours de l'opposante porte sur la décision intermédiaire de la division d'opposition selon laquelle le brevet européen No. 3 152 239 modifié sur la base des revendications de la requête principale déposée par lettre du 10 septembre 2020 et d'une description adaptée en conséquence satisfaisait aux conditions de la CBE.
II. La décision de la division d'opposition était fondée entre autres sur les documents suivants: D1: US 2012/0245270 A1 D12: EP 0 501 227 A1 D13: Résultats expérimentaux déposés par la titulaire avec lettre du 10 septembre 2020| | | |
III. Les conclusions tirées par la division d'opposition dans cette décision, dans la mesure où elles sont pertinentes pour le présent recours, peuvent être résumées comme suit:
L'objet des revendications indépendantes 1 et 2 de la requête principale était nouveau vis-à-vis du document D1 et impliquait une activité inventive en partant de D1 comme état de la technique le plus proche.
Etant donné qu'aucune des autres objections présentées par l'opposante n'était convaincante, le brevet modifié sur la base de la requête principale satisfaisait aux conditions de la CBE.
IV. L'opposante (requérante) a formé un recours contre cette décision.
V. La titulaire (intimée) a déposé quatre requêtes auxiliaires avec sa réponse au mémoire de recours.
VI. Dans sa notification selon l'article 15(1) RPCR envoyée en préparation de la procédure orale, la Chambre a donné son opinion préliminaire.
VII. Les requêtes finales des parties étaient les suivantes:
La requérante a demandé l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet.
L'intimée a demandé, à titre principal, le rejet du recours ou, à titre subsidiaire, le maintien du brevet sous forme modifiée selon l'une des requêtes auxiliaires 1 à 4 déposées avec sa réponse au mémoire de recours.
VIII. Les revendications 1 et 2 de la requête principale s'énoncent comme suit:
"1. Pneumatique dont la bande de roulement comporte une composition de caoutchouc à base d'au moins :
- une matrice élastomère comprenant plus de 50% en masse d'un SBR solution qui porte une fonction silanol en extrémité de chaîne,
- une charge renforçante présente à un taux compris entre 40 et 80 pce, laquelle charge renforçante comprend entre 40 et 80 pce d'une silice,
- un agent de couplage pour coupler la silice au SBR solution,
- 10 à 50 pce d'une résine hydrocarbonée présentant une Tg supérieure à 20°C,
- 0 à moins de 5 pce d'un plastifiant liquide,
dans lequel le SBR solution présente une température de transition vitreuse inférieure à -40°C.".
"2. Pneumatique dont la bande de roulement comporte une composition de caoutchouc à base d'au moins :
- une matrice élastomère comprenant plus de 50% en masse d'un SBR solution qui porte une fonction silanol en extrémité de chaîne,
- une charge renforçante présente à un taux compris entre 40 et 80 pce, laquelle charge renforçante comprend de 50 à 70 pce de silice,
- un agent de couplage pour coupler la silice au SBR solution,
- 20 à 40 pce de résine hydrocarbonée présentant une Tg supérieure à 20°C,
- 0 à moins de 5 pce d'un plastifiant liquide.".
IX. La revendication 1 de la requête auxiliaire 1 est identique à la revendication 1 de la requête principale.
X. La revendication 1 de la requête auxiliaire 2 est identique à la revendication 2 de la requête principale.
XI. La revendication 1 de la requête auxiliaire 3 se différencie de la revendication 1 de la requête principale en ce que
- la quantité de silice de la charge renforçante est limitée à "de 50 à 70 pce" (au lieu de "entre 40 et 80 pce); et
- la quantité de résine hydrocarbonée présentant une Tg supérieure à 20°C est limitée à "20 à 40 pce" (au lieu de "10 à 50 pce").
XII. La revendication 1 de la requête auxiliaire 4 se différencie de la revendication 1 de la requête auxiliaire 3 en ce que la quantité de SBR solution qui porte une fonction silanol en extrémité de chaîne compris dans la matrice élastomère doit être de "plus de 85% en masse" (au lieu de "plus de 50% en masse").
XIII. Les arguments de la requérante pertinents pour la présente décision sont indiqués ci-dessous dans les motifs de la décision. Ils peuvent se résumer ainsi :
- L'objet des revendications 1 et 2 de la requête principale n'était pas nouveau vis-à-vis de la divulgation de D1 et n'impliquait pas d'activité inventive au vu de D1 comme état de la technique le plus proche;
- L'objet de la revendication 1 de chacune des requêtes auxiliaires 1 à 4 n'impliquait pas d'activité inventive au vu de D1 comme état de la technique le plus proche.
XIV. Les arguments de l'intimée pertinents pour la présente décision sont indiqués ci-dessous dans les motifs de la décision. Ils peuvent se résumer ainsi :
- L'objet des revendications 1 et 2 de la requête principale était nouveau vis-à-vis de la divulgation de D1 et impliquait une activité inventive au vu de D1 comme état de la technique le plus proche;
- L'objet de la revendication 1 de chacune des requêtes auxiliaires 1 à 4 impliquait une activité inventive au vu de D1 comme état de la technique le plus proche.
Motifs de la décision
Requête principale
1. Nouveauté vis-à-vis de D1
1.1 La requérante conteste la décision de la division d'opposition concernant la nouveauté de l'objet des revendications indépendantes 1 et 2 de la requête principale au vu de la divulgation du document D1. Il convient donc d'évaluer si l'objet de chacune de ces revendications indépendantes découle directement et de façon non équivoque de ce document de l'état de la technique.
Revendication 1 de la requête principale
1.2 La requérante estime que la revendication 1 de la requête principale est anticipée par les revendications 18, 20, 29, 32 et 33 de D1 en combinaison avec l'enseignement des exemples et de divers passages de la description de D1 (mémoire de recours: point 4.1.1, passage commençant par "Firstly,...").
A cet égard, la Chambre partage l'avis de la division d'opposition (motifs de la décision: point 6.1.1) et de l'intimée (réponse au mémoire: point II.1.1) que la combinaison de caractéristiques selon la revendication 1 ne peut être obtenue que par combinaison de multiples passages de D1 spécifiquement choisis parmi toutes les alternatives proposées dans D1. En particulier, pour arriver à l'objet revendiqué, il faudrait faire - en acceptant que les compositions de D1 comprennent implicitement un agent de couplage sur la base des indications du paragraphe 84 de D1 et des connaissances générales de la personne du métier - les choix suivants:
- Parmi les différentes formes de réalisation proposées aux revendications 18 ou 20 ou aux paragraphes 22-55 et 67 de D1 (en particulier les modes de réalisation préférés), prendre une matrice élastomère à base d'un SBR solution qui porte une fonction silanol en extrémité de chaîne et choisir de plus un SBR solution présentant une température de transition vitreuse (Tg) inférieure à -40°C. Rien que pour cette matrice particulière, une série de choix est nécessaire (SBR solution; fonction silanol, en particulier en extrémité de chaine; Tg);
- Parmi les différentes formes de réalisation proposées aux revendications 28 ou 29 ou aux paragraphes 73-83 (en particulier les modes de réalisation préférés), prendre une/des charge(s) renforçante(s) dans une quantité totale entre 40 et 80 pce et comprenant entre 40 et 80 pce de silice. A nouveau, plusieurs choix sont nécessaires (silice; quantité de silice; quantité totale de charge renforçante);
- Parmi les différentes formes de réalisation proposées aux paragraphes 99-108, prendre entre 10 et 50 pce d'une résine hydrocarbonée présentant une Tg supérieure à 20°C tout en prenant - facultativement - un plastifiant liquide dans une quantité maximale de 5 pce.
En l'absence de toute indication dans D1 incitant à une telle combinaison, l'objection de la requérante revient à créer de manière artificielle un mode de réalisation particulier qui ne ressort pas de la divulgation de D1. En particulier, même si l'on considère les caractéristiques préférées selon l'enseignement de D1, des choix restent à faire: il n'y a pas de préférence pour une matrice élastomère à base d'un SBR solution qui porte une fonction silanol en extrémité de chaîne; la silice et les composés d'aluminium sont tous deux préférés selon le paragraphe 77 de D1; le domaine préféré de quantité totale de charge renforçante va jusqu'à 130 pce selon le paragraphe 82; le domaine préféré de quantité de silice comme charge renforçante va jusqu'à 110 pce selon le paragraphe 83; selon les paragraphes 99 et 100, la résine hydrocarbonée est optionnelle et la quantité de plastifiant liquide peut être supérieure à 5 pce.
Pour ces raisons, les passages indiqués par la requérante ne constituent pas une divulgation directe et non équivoque de l'objet défini par la combinaison de caractéristiques selon la revendication 1 de la requête principale.
1.3 La requérante argumente par ailleurs que l'objet de la revendication 1 de la requête principale est anticipé par les exemples A et A+glycérol (tableau 1) de D1 car la seule caractéristique de cette revendication qui n'y est pas divulguée explicitement est la suivante: "dans lequel le SBR solution présente une température de transition vitreuse inférieure à -40°C". Selon la requérante, étant donné que la seule information contenue dans D1 (paragraphe 54) est que cette Tg doit être dans le domaine de -10°C à -55°C, l'objet de la revendication 1 n'est pas nouveau per se ou manque de nouveauté au vu de la combinaison de ces exemples et du paragraphe 54 de D1 (mémoire de recours: point 4.1.1, à partir du paragraphe commençant pas "Alternatively,...").
A cet égard, la division d'opposition avait déjà reconnu la nouveauté de la revendication 1 de la requête principale par rapport à ces exemples de D1 car l'opposante n'avait pas montré que le SBR A de D1 - qui est utilisé dans les exemples A et A+glycérol - avait une Tg inférieure à -40°C (motifs de la décision: point 6.1.2, deuxième paragraphe). En l'absence de tout élément de preuve supplémentaire apporté par la requérante en recours, il n'y a aucune raison pour la Chambre de renverser cette décision.
De plus, la plage de -10°C à -55°C divulguée au paragraphe 54 de D1 ne permet pas d'exclure que la Tg du SBR A de D1 puisse avoir une valeur supérieure à -40°C. Les exemples de D1 cités par la requérante per se ne peuvent donc pas anticiper l'objet de la revendication 1.
Une modification des exemples du tableau 1 de D1 sur la base des valeurs de Tg divulguées au paragraphe 54 de D1 tel que proposé par la requérante constitue un mode de réalisation qui n'est pas divulgué, explicitement ou implicitement, dans D1. Une telle modification de la divulgation de D1 ne correspond pas non plus au cadre des décisions citées par la requérante (T 666/89: "overlapping ranges"; T 2350/16: "multiple selections") et il n'y a donc pas de raison de prendre ces décisions en considération. A cet égard, il est de plus noté que D1 divulgue une plage de valeurs de Tg allant de -10°C à -55°C et non les deux seules bornes de cette plage ("-10°C" et "-55°C"), comme considéré par la requérante (mémoire de recours: point 4.1.1, paragraphe commençant par "Whether the case law applied is that of ..."). Dès lors, aussi pour cette raison, les considérations indiquées au point 7.2 des motifs de la décision T 2350/16 ne sont elles pas valables pour le cas d'espèce.
Par ailleurs, la charge de la preuve pour démontrer un manque de nouveauté dans le cadre d'une procédure d'opposition ou de recours sur opposition repose en premier lieu sur l'opposante, ici la requérante. Etant donné que la Chambre considère que la requérante n'a pas démontré que le SBR A de D1 présentait - directement et sans équivoque - une Tg selon la revendication 1 de la requête principale, il n'est pas nécessaire de répondre à la question de savoir si D12 démontre que la caractéristique manquante ne serait pas satisfaite, comme avancé par l'intimée.
1.4 Il est noté que tous les arguments indiqués ci-dessus avaient été mentionnés dans la notification de la Chambre (point 7.2.1) et qu'aucun contre-argument n'a été présenté par la requérante à l'encontre de ces considérations préliminaires, en particulier pendant la procédure orale devant la Chambre. Aussi, la Chambre n'a aucune raison de dévier de son avis préliminaire.
1.5 Au vu de ce qui précède, l'objet de la revendication 1 de la requête principale est nouveau par rapport à D1.
Revendication 2 de la requête principale
1.6 La revendication 2 de la requête principale se différencie de la revendication 1 de la requête principale pour les raisons suivantes:
- Le SBR solution n'est pas limité au niveau de sa Tg;
- La quantité de silice est de 50 à 70 pce (au lieu de 40 à 80 pce);
- La quantité de résine hydrocarbonée est de 20 à 40 pce (au lieu de 10 à 50 pce).
1.7 L'objet de la revendication 2 est nouveau par rapport à la divulgation de D1 au moins pour les mêmes raisons que celles évoquées ci-dessus pour la revendication 1 (D1 ne divulgue pas de manière directe et non équivoque l'objet revendiqué, qui ne peut être obtenu que de manière artificielle par de multiples combinaisons de passages de D1).
1.8 En ce qui concerne les exemples A et A+glycérol du tableau 1 de D1, il est de plus noté que les quantités de silice et de résine hydrocarbonée définies dans la revendication 2 de la requête principale ne sont pas satisfaites, comme indiqué par l'intimée (réponse au mémoire: bas de la page 6).
1.9 Pour ces raisons, l'objet de la revendication 2 de la requête principale est nouveau par rapport à D1.
2. Activité inventive
2.1 La requérante poursuit en recours les objections de manque d'activité inventive présentées à l'encontre des revendications indépendantes 1 et 2 de la requête principale au vu de D1 comme état de la technique le plus proche. Ces objections sont donc traitées séparément pour chacune de ces revendications ci-après.
Revendication 1 de la requête principale
2.2 Art antérieur le plus proche, point de départ et caractéristique(s) distinctive(s)
2.2.1 Les parties sont d'accord sur les faits suivants:
a) D1 est un document qui peut être choisi comme état de la technique le plus proche et l'exemple A+glycérol du tableau 1 est particulièrement pertinent et peut être choisi comme point de départ pour l'analyse de l'activité inventive.
b) Dans la mesure où la nouveauté a été reconnue, l'objet de la revendication 1 de la requête principale ne se différencie de l'exemple A+glycérol du tableau 1 de D1 que par la caractéristique selon laquelle "le SBR solution présente une température de transition vitreuse inférieure à -40°C".
2.2.2 La Chambre n'a aucune raison d'être d'un avis différent.
a) Concernant le point 2.2.1.a ci-dessus, il est noté que l'intimée a indiqué dans sa lettre du 4 avril 2024 (page 3, cinquième paragraphe complet) que l'exemple A du tableau 1 de D1 concernait une composition plus molle que celle de l'exemple A+glycérol de D1 et était donc plus pertinent pour la détermination du problème technique objectif.
b) Ce faisant, l'intimée n'a cependant pas argumenté que l'exemple A+glycérol du tableau 1 de D1 ne constituait pas un (autre) point de départ raisonnable pour l'analyse de l'activité inventive.
c) De plus, l'intimée avait elle-même convenu explicitement dans sa réponse au mémoire de recours que l'exemple A+glycérol de D1 constituait un point de départ raisonnable (page 16, cinquième paragraphe). Pendant la procédure orale devant la Chambre, l'intimée n'a par ailleurs pas dévié de cette ligne et n'a considéré que l'exemple A+glycérol du tableau 1 de D1 comme point de départ pour l'analyse de l'activité inventive au vu de D1 comme état de la technique le plus proche. Elle ne s'est en particulier référé à aucun moment à l'exemple A dudit tableau comme (autre) point de départ.
d) De ce fait, la Chambre ne voit aucune raison de considérer que l'exemple A+glycérol du tableau 1 de D1 ne constituerait pas un point de départ raisonnable pour l'évaluation de l'activité inventive. Ce dernier est donc considéré pour l'analyse de l'activité inventive ci-dessous.
2.3 Problème résolu par rapport à l'état de la technique le plus proche
2.3.1 Dans la décision contestée, la division d'opposition a conclu que sur la base de la comparaison de l'exemple C-1 de D13, qui illustre la revendication 1 en instance, avec l'exemple T-1 de D13 (comparatif, qui n'est pas selon la revendication 1 en instance et ne se différencie de C-1 que par la Tg du SBR solution), le problème effectivement résolu par rapport à l'exemple A+glycérol de D1 résidait dans la mise à disposition d'un pneumatique comprenant une bande de roulement ayant une composition caractérisée par "une amélioration du compromis de trois performances que sont l'adhérence, la résistance au roulement et le comportement routier" (motifs de la décision: point 7.2.1).
2.3.2 L'intimée considère pour sa part que les exemples C-1 et T-1 de D13 démontrent que le problème résolu réside non pas dans une "amélioration du compromis" entre les trois performances indiquées par la division d'opposition mais dans une amélioration simultanée de ces trois performances (réponse: page 16, septième et huitième paragraphes).
2.3.3 Dans son mémoire de recours, la requérante a reconnu que la comparaison des exemples C-1 et T-1 de D13 démontrait effectivement l'amélioration des trois propriétés indiquées par l'intimée mais a opposé différentes raisons pour lesquelles i) il ne devrait pas être tenu compte de D13 et pour lesquelles, si D13 devait être retenu, ii) le résultat démontré ne devrait pas être considéré pour formuler le problème objectivement résolu par rapport à l'état de la technique le plus proche.
2.3.4 Cependant, étant donné que la Chambre est arrivée à la conclusion que l'effet démontré dans D13 ne pouvait pas être pris en compte pour la formulation du problème technique effectivement résolu par rapport à l'état de la technique le plus proche, il n'est pas nécessaire d'indiquer dans la présente décision les raisons pour lesquelles la Chambre est arrivée à la conclusion que les résultats expérimentaux de D13 pouvaient être considérés (cf. notification: points 9.2.4, 9.2.5 et 9.2.7).
2.3.5 La requérante oppose que la comparaison effectuée dans D13 n'est pas valable car elle n'a pas été réalisée par rapport à une composition comprenant du glycérol selon l'enseignement de D1 (mémoire de recours: point 4.2.1, cinquième paragraphe).
2.3.6 S'il est vrai que la composition T-1 de D13 n'est pas conforme à la composition A+glycérol du tableau 1 de D1 et n'illustre en particulier pas l'enseignement de D1 concernant l'utilisation du glycérol, la question se pose de savoir si la personne du métier aurait de bonnes raisons de penser que les améliorations démontrées entre les compositions C-1 et T-1 selon D13 (qui ne sont pas remises en cause par la requérante) pourraient être extrapolées et seraient également obtenues en utilisant une composition selon la revendication 1 de la requête principale comprenant du glycérol selon l'enseignement de D1.
A cet égard, selon la jurisprudence, la titulaire d'un brevet peut s'acquitter de la charge de la preuve qui lui incombe, en produisant volontairement des tests comparatifs avec de nouvelles variantes de l'état de la technique le plus proche, qui présentent des caractéristiques identiques à celles de l'invention de façon à disposer d'une variante qui se rapproche davantage encore de l'invention, et ce afin de démontrer plus clairement l'effet avantageux attribuable à la caractéristique distinctive (Jurisprudence des Chambres de Recours de l'OEB, 10ème édition, 2022, I.D.4.3.2: voir en particulier le paragraphe concernant T 35/85). Cependant, dans le cas d'espèce, s'il est vrai que les exemples C-1 e T-1 de D13 démontrent un effet technique lié à la seule différence entre la revendication 1 et la divulgation de l'exemple A+glycérol selon D1, toute chose égale par ailleurs (réponse: page 15, avant-dernier paragraphe; lettre du 4 avril 2024: page 3, quatrième paragraphe complet), il ne fait aucun doute que le glycérol est un élément essentiel de l'invention selon D1 (revendication 18; paragraphes 14, 71, 153-158). Dès lors, l'exemple comparatif T-1 de D13 ne constitue pas une variante de l'état de la technique le plus proche.
Par ailleurs, il ressort de l'enseignement de D1 dans son ensemble que le glycérol conduit à des modifications des propriétés des compositions préparées à base d'une matrice élastomère présentant une certaine polarité (revendication 18; paragraphe 14). Etant donné que les exemples C-1 et T-1 de D13 ont été effectués avec des matrices SBR solution comprenant des motifs silanol en bout de chaîne (D13: page 1, tableau 1, notes (1) et (2)), la question se pose de savoir si la présence de glycérol dans les compositions C-1 et T-1 aurait un effet comparable. En l'absence de tout élément de preuve ou même d'argument en ce sens, il ne peut cependant pas être conclu que cela serait obligatoirement le cas. En particulier, il est noté que l'intimée n'a pas expliqué pourquoi il conviendrait de rejeter l'objection de la requérante selon laquelle la personne du métier ne saurait dire quel serait l'effet d'une modification de l'exemple A+glycérol de D1 liée à utiliser une matrice dont le SBR solution aurait une Tg inférieure à -40°C (mémoire de recours: point 4.2.1, fin du cinquième paragraphe). A cet égard, il n'a jamais été contesté par l'intimée, en particulier pendant la procédure orale devant la Chambre, qu'au vu de l'enseignement de D1 il ne puisse être exclu que la présence de glycérol ait un impact sur les propriétés d'une bande de roulement considérées par l'intimée pour la formulation du problème résolu par rapport à l'état de la technique le plus proche (cf. D1: paragraphes 153 à 158). Ainsi, les résultats expérimentaux de D13 obtenus pour des compositions ne comprenant pas de glycérol ne permettent-ils pas de savoir ce qu'il advient lorsque l'on modifie le point de départ de D1 considéré comme état de la technique le plus proche. Dans ces circonstances, la Chambre considère que l'augmentation des trois propriétés mentionnée par l'intimée ne peut pas être prise en compte dans la formulation du problème effectivement résolu par rapport à l'état de la technique le plus proche.
Il est de plus noté que D13 a été déposé par l'intimée en réaction à l'avis préliminaire de la division d'opposition daté du 24 février 2020 dans lequel il avait été indiqué qu'aucune comparaison avec l'état de la technique le plus proche A+glycérol selon D1 n'était disponible et que par conséquent le problème à résoudre consistait en la mise à disposition d'une simple alternative (page 5, deux derniers paragraphes de la notification). Ce point avait par ailleurs également été discuté pendant la procédure orale devant la division d'opposition (procès-verbal: page 6, première moitié). Le fait de ne pas avoir effectué de comparaison directement avec l'état de la technique le plus proche, que ce soit pendant la procédure d'opposition ou en recours, repose donc sur un choix délibéré de l'intimée. Il lui incombe de ce fait de démontrer ou pour le moins de justifier que le choix ainsi fait est effectivement à même de rendre crédible les améliorations revendiquées.
Il est vrai que l'objection de la requérante ne repose sur aucune preuve expérimentale, comme argumenté par l'intimée (réponse: page 15, quatrième paragraphe de la partie "Revendication 1"); lettre du 4 avril 2024: page 3, deux premiers paragraphes complets). En particulier, aucune preuve n'a été fournie en recours pour démontrer que la conclusion tirée par la division d'opposition n'était pas correcte.
Cependant, la Chambre considère que, dans le cas d'espèce, la charge de la preuve incombe en premier lieu à l'intimée puisqu'elle revendique une amélioration par rapport à l'état de la technique le plus proche. Le fait que la division d'opposition ait décidé en sa faveur n'est, de l'avis de la Chambre, pas suffisant pour renverser cette charge.
De plus, la Chambre ne partage pas l'avis de l'intimée selon lequel cela aurait été à la requérante, qui remet en cause les essais comparatifs de D13, de démontrer que l'effet technique démontré dans D13 ne pourrait pas être obtenu en présence de glycérol (lettre du 4 avril 2024: page 2, cinquième paragraphe à page 3, premier paragraphe complet). En effet, dans le cas d'espèce, il ne fait aucun doute que le glycérol est un élément essentiel de l'invention selon D1 et que la divulgation de D1 implique que la présence ou non de glycérol a une influence sur les propriétés retenues par l'intimée dans sa formulation du problème technique à résoudre: dans ces circonstances, il ne peut pas être conclu que l'effet effectivement démontré dans D13 est extrapolable à des compositions comprenant du glycérol selon l'état de la technique le plus proche. Bien que la Chambre partage l'avis de l'intimée qu'il n'est pas toujours nécessaire d'apporter la preuve absolue qu'un effet technique soit obtenu (par rapport à l'état de la technique le plus proche) pour que cet effet soit crédible, il est considéré que, dans le cas d'espèce, l'existence de doutes sérieux quant à l'obtention de l'effet revendiqué dans le cadre de l'état de la technique le plus proche rend, au vu des éléments de preuve du présent recours, une telle comparaison nécessaire.
Pour sa défense, l'intimée a également argumenté qu'il ne serait pas raisonnable de demander à la titulaire de produire des essais comparatifs à partir de toutes les compositions utilisées par l'opposante comme état de la technique le plus proche, car le nombre d'essais à réaliser dépendrait du nombre d'attaques d'activité inventive effectuées par l'opposante et pourrait même évoluer lors de l'avancement de la procédure d'opposition et de recours (réponse: page 15: troisième paragraphe en partant du bas; lettre du 4 avril 2024: page 3, troisième paragraphe complet).
A cet égard, la Chambre ne partage pas l'avis de l'intimée. En effet, il est de jurisprudence constante que si plusieurs documents peuvent constituer un état de la technique le plus proche raisonnable, alors l'activité inventive doit être évaluée par rapport à chacun de ces documents (Jurisprudence, supra, I.D.3.4.1). Dés lors, si plusieurs points de départ raisonnables pour l'évaluation de l'activité inventive peuvent être considérés, il ne peut être exclu que plusieurs essais comparatifs soient nécessaires, la nature et le nombre de ces essais dépendant du cas d'espèce. Pour ces raisons, l'argument de l'intimée est rejeté.
Au vu de ce qui précède, il est conclu qu'en l'absence d'une comparaison directe avec l'état de la technique le plus proche, l'amélioration revendiquée par l'intimée ne peut pas être reconnue.
2.3.7 Au vu de ce qui précède et en l'absence d'un quelconque effet technique qui puisse être retenu par rapport à l'état de la technique le plus proche, le problème objectif à résoudre réside dans la simple mise à disposition d'un autre pneumatique, en alternative à celui de l'état de la technique le plus proche.
2.4 Evidence
2.4.1 Il reste à déterminer si la solution proposée par la revendication 1 de la requête principale pour résoudre le problème défini ci-dessus découle de façon évidente de l'état de la technique disponible.
2.4.2 A cet égard, D1 divulgue, pour un SBR solution tel que celui utilisé dans l'exemple A+glycérol du tableau 1, une gamme de Tg englobant le domaine défini dans la revendication 1 de la requête principale (paragraphe 54 de D1: Tg entre -10°C et -55°C; revendication 1 de la requête principale: Tg inférieure à -40°C). Aussi, dans la mesure où le problème à résoudre réside dans la mise à disposition d'une simple alternative, il est évident de résoudre ce problème en utilisant un SBR solution ayant une Tg dans cette gamme de valeur, en particulier ayant une Tg inférieure à -40°C.
2.4.3 Au vu de ce qui précède, l'objet de la revendication 1 de la requête principale n'implique pas d'activité inventive.
Revendication 2 de la requête principale
2.5 Art antérieur le plus proche et caractéristique(s) distinctive(s)
2.5.1 Les parties étaient d'accord que, pour les mêmes raisons que pour la revendication 1 de la requête principale, l'exemple A+glycérol de D1 constituait l'état de la technique le plus proche pour la revendication 2 de la requête principale.
2.5.2 Au vu de la conclusion tirée quant à la nouveauté de la revendication 2 vis-à-vis de D1, les parties étaient également d'accord que l'objet de cette revendication ne se différenciait de la composition selon l'exemple A+glycérol de D1 qu'au niveau de la teneur en silice (75 pce dans D1 contre 50 à 70 pce dans la revendication 2) et de la teneur en résine hydrocarbonée (17 pce dans D1 contre 20 à 40 pce dans la revendication 2).
2.5.3 La Chambre n'a pas de raison d'être un avis différent.
2.6 Problème résolu par rapport à l'exemple A+glycérol de D1
2.6.1 Dans la décision contestée, la division d'opposition avait conclu que sur la base de la comparaison des exemples C-1 (selon la revendication 2 en instance) et T-2 (comparatif) de D13, le problème effectivement résolu par rapport à l'exemple A+glycérol de D1 résidait dans la mise à disposition d'un pneumatique comprenant une bande de roulement ayant une composition caractérisée par une amélioration du compromis entre l'adhérence et la résistance au roulement (motifs de la décision: point 7.3.1 des motifs).
2.6.2 L'intimée considère pour sa part que les exemples C-1 et T-2 de D13 démontrent que le problème résolu réside non pas dans une "amélioration du compromis" entre les deux performances indiquées par la division d'opposition mais en une amélioration simultanée de ces deux performances (réponse: page 19, quatrième à sixième paragraphes).
2.6.3 Dans son mémoire de recours, la requérante présente les mêmes objections à l'encontre de D13 pour la revendication 2 que pour la revendication 1.
2.6.4 A cet égard, pour les mêmes raisons que celles évoquées ci-dessus pour la revendication 1 de la requête principale, la Chambre estime que les exemples C-1 et T-2 de D13 démontrent effectivement qu'une plus faible teneur en silice selon la revendication 2 en instance conduise à une amélioration tant de la résistance au roulement que de l'adhérence (voir tableau en page 2 de D13). Toutefois, pour les mêmes raisons que celles évoquées ci-dessus pour la revendication 1 de la requête principale, il ne peut pas être conclu - au vu de l'enseignement de D1 quant aux effets du glycérol - que l'amélioration démontrée dans D13 est crédible en modifiant une composition selon l'exemple A+glycérol selon le tableau 1 de D1.
2.6.5 De ce fait, le problème objectif effectivement résolu réside - pour les mêmes raisons que pour la revendication 1 de la requête principale - dans la mise à disposition d'un autre pneumatique, en alternative à celui selon l'état de la technique le plus proche.
2.6.6 Evidence
a) Aucun argument n'a été avancé par l'intimée ou n'a été retenu par la division d'opposition pour lier la non-évidence de la solution à la teneur en résine hydrocarbonée (cf. décision: page 13, avant-dernier paragraphe; réponse au mémoire: page 19). Etant donné que D1 divulgue des teneurs de cette résine hydrocarbonée dans un domaine de 5 à 50 pce (D1: paragraphe 100), la caractéristique distinctive liée à la quantité de résine hydrocarbonée constitue une modification purement arbitraire dans le cadre de l'enseignement de D1. Cette caractéristique ne peut donc pas contribuer à une activité inventive.
b) En ce qui concerne la quantité de silice, il n'a pas été contesté par l'intimée que la personne du métier s'attendrait, sur la base de ses connaissances générales, à ce qu'une diminution de la teneur en silice s'accompagnerait d'une amélioration de la résistance au roulement mais d'une perte d'adhérence (paragraphe 4 du brevet en litige; réponse au mémoire de recours: page 19, troisième paragraphe en partant du bas). De plus, il n'a pas été contredit qu'une teneur de silice de 70 pce serait dans le cadre de l'enseignement général du paragraphe 83 de D1 (50 à 150 pce) et en bordure du domaine préféré (entre 70 et 110 pce, bornes exclues au vu du paragraphe 20 de D1). Le fait que la borne inférieur de 70 pce soit exclue du mode de réalisation préféré selon le paragraphe 83 de D1 (au vu du paragraphe 20 de D1) n'est, pour la Chambre, par ailleurs pas suffisant pour exclure une telle modification en vue de résoudre le problème posé (mise à disposition d'une simple alternative) car D1 ne donne aucune explication pourquoi ce domaine serait préféré.
c) Au vu de ce qui précède, aucune des deux caractéristiques distinctives vis-à-vis de l'état de la technique le plus proche ne contribue à une activité inventive. Dès lors, l'objet de la revendication 2 de la requête principale est dépourvu d'activité inventive.
3. L'objet des revendications 1 et 2 de la requête principale n'impliquant pas d'activité inventive, la requête principale n'est pas admissible.
Requêtes auxiliaires 1 à 4
4. Le libellé de la revendication 1 des requêtes auxiliaires 1 et 2 est identique à celui des revendications 1 et 2, respectivement, de la requête principale. Aussi, l'objet de ces revendications n'implique pas d'activité inventive vis-à-vis de D1 comme état de la technique le plus proche et ces requêtes auxiliaires ne sont pas admissibles pour les mêmes raisons.
5. La revendication 1 de la requête auxiliaire 3 correspond à la revendication 1 de la requête principale dans laquelle les quantités de silice et de résine hydrocarbonée sont définies dans les mêmes termes que dans la revendication 2 de la requête principale. Dès lors, la même conclusion est à tirer quant à l'activité inventive que pour la requête principale.
La revendication 1 de la requête auxiliaire 4 correspond à la revendication 1 de la requête auxiliaire 3 dans laquelle la quantité de SBR solution modifié est de plus de 85% en masse. Etant donné qu'aucun effet particulier n'est alloué à cette modification par l'intimée (réponse: point III.5), une telle modification est évidente au vu du paragraphe 67 de D1, comme avancé par la requérante (mémoire de recours: dernière page, avant-dernier paragraphe).
Il est noté que ces conclusions concernant les requêtes auxiliaires 3 et 4 avaient été indiquées dans la notification de la Chambre (points 14 et 15) et qu'aucun contre-argument n'a été avancé par l'intimée à l'encontre de ces considérations préliminaires. Au contraire, pendant la procédure orale devant la Chambre, l'intimée a explicitement indiqué qu'elle n'avait pas d'arguments supplémentaires ou différents quant à l'activité inventive des requêtes auxiliaires 3 et 4 (par rapport à l'argumentaire présenté pour les requêtes de plus haut rang; cf. procès-verbal: page 2, quatrième paragraphe en partant du bas). Aussi, la Chambre n'a aucune raison de dévier de son avis préliminaire et l'objet de la revendication 1 des requêtes auxiliaires 3 et 4 n'implique pas d'activité inventive au vu de D1 comme état de la technique le plus proche.
6. L'objet des revendications 1 et 2 de la requête principale et celui de la revendication 1 des requêtes auxiliaires 1 à 4 n'étant pas inventif (article 56 CBE), aucune des requêtes de l'intimée n'est admissible et le brevet en litige est à révoquer.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision contestée est annulée.
2. Le brevet est révoqué.