T 2023/14 () of 20.3.2018

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2018:T202314.20180320
Date de la décision : 20 Mars 2018
Numéro de l'affaire : T 2023/14
Numéro de la demande : 97940198.1
Classe de la CIB : G02C 7/02
Langue de la procédure : FR
Distribution : D
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Titre de la demande : JEU DE LENTILLES OPHTALMIQUES MULTIFOCALES PROGRESSIVES
Nom du demandeur : Essilor International
Nom de l'opposant : Rodenstock GmbH
Chambre : 3.4.02
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 54(1)
European Patent Convention 1973 Art 56
European Patent Convention Art 52(1)
European Patent Convention Art 108
European Patent Convention Art 122
European Patent Convention R 136
Mot-clé : Dépôt tardif du mémoire de recours: Restitutio in integrum (oui, erreur isolée)
Nouveauté et activité inventive (oui)
Exergue :

-

Décisions citées :
J 0005/80
R 0018/13
T 0413/91
T 1962/08
T 0836/09
T 2336/10
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
-

Exposé des faits et conclusions

I. La requérante (titulaire du brevet) a formé un recours contre la décision de la division d'opposition par laquelle le brevet européen n° 0927377 a été révoqué.

L'opposition était basée sur les motifs d'opposition de manque de nouveauté et d'absence d'activité inventive (article 100 a) CBE 1973 ensemble l'article 52(1) CBE et les articles 54(1) et 56 CBE 1973).

II. Les documents suivants ont été cités au cours de la procédure d'opposition:

E1: "Auf Ferne oder auf Nähe ?", G. Stollenwerk; Optische Brillenfassung, NOJ, Vol. 1, 1994, pages 14 à 27;

E2: DE 28 14 916 C3;

E2': "PROGRESSIV R - das neue Rodenstock-Progressiv-Glas", G. Guilino et al.; Optometrie, Vol. 5, 1981, pages 266 à 271;

E2'': "Mehrstärkengläser", G. Guilino; der Augenoptiker, Vol. 32, cahier 7+8, 1977, pages 2 à 12;

E4: "Handbuch für Augenoptik"; Carl Zeiss, 3ème édition, 1987, pages 3, 120 à 125, 308 et 309;

E5: "PROSECTAL - die erste progressive Halbbrille", R. Barth et al.; 37. Sonderdruck der WVAO, 1985, pages 1 et 167 à 171;

E6: "Gradal Top - ein neues Gleitsichtglas", B. J. L. Kratzer et al.; 48. Sonderdruck der WVAO, 1996, pages 57 à 63;

E6': "Über die Meßbarkeit der dioptrischen Wirkungen von Brillengläsern", B. J. L. Kratzer et al.; DOZ, Nr. 9, 1979, pages 16 à 22;

E7: US 5 444 503 A;

E9: "Taschenbuch der Mathematik", I. N. Bronstein et al.; Verlag Harri Deutsch, 24ème édition, 1989, données bibliographiques et pages 564 et 565; et

documentation concernant l'utilisation antérieure alléguée du jeu de lentilles "Progressiv Life 1,6":

GM1 et GM1': Rodenstock, "Preisliste mit Lieferprogramm", "Brillengläser - 1.5.1994" et "Brillengläser - 1.7.1995";

GM2: représentations graphiques "Brillenglas- entwicklung - Progressivglaeser" (1994);

E3: représentations graphiques (10 pages);

E8: calculs et représentations graphiques (14 pages);

E10: déclaration de Winfried Nikolaus, 2009;

E11: calculs et représentations graphiques (12 pages);

E12: "Messung von Pfeilhöhen der progressiven Flächen von Referenzgläsern des Typs «Progressiv life»", P. Baumbach, 2010;

E13: déclaration de Bernd Klement, 2011;

E14: déclaration de Roswitha Fendt, 2012, et annexes (3 pages);

E15 à E19: représentations graphiques.

Dans sa décision, la division d'opposition a, entre autres, jugé que

- l'objet de la revendication 1 de la requête principale (correspondant au brevet tel que délivré) et de la requête auxiliaire 1 alors en vigueur n'était pas nouveau au vu du document E7, et que

- l'objet de la revendication 1 de la requête auxiliaire 2 alors en vigueur était nouveau eu égard à l'utilisation alléguée des lentilles "Progressiv Life 1,6" et aussi par rapport au document E7, mais qu'il ne présentait pas d'activité inventive compte tenu du document E7.

III. Suite à une notification de la chambre informant les parties que le mémoire exposant les motifs du recours n'avait pas été déposé, la requérante a présenté par lettre datée du 26 décembre 2014

- une requête en restitutio in integrum et un mémoire exposant les motifs de cette requête (article 122 CBE) quant au délai de production du mémoire exposant les motifs du recours, ainsi que les documents "Annexe 1" à "Annexe 13" soumis à l'appui de sa requête, et

- un mémoire exposant les motifs du recours.

IV. Par lettre en date du 29 septembre 2015, l'opposant a retiré son opposition.

V. Par lettre du 2 novembre 2017, la requérante a informé la chambre qu'elle souhaitait que la procédure de recours soit poursuivie, et ce malgré l'expiration du brevet concerné ayant pour date de dépôt le 9 septembre 1997 (article 63(1) CBE).

VI. En réponse aux observations émises par la chambre dans une notification jointe à la convocation à une procédure orale, la requérante a présenté dans la lettre datée du 20 février 2018, entre autres, les documents suivants:

- un jeu de revendications N° 1 à 10 selon une requête auxiliaire 1bis, et des pages 3, 3a, 4 et 13 modifiées de la description selon la requête auxiliaire 1bis, et

- les documents supplémentaires suivants à l'appui de sa requête en restitutio in integrum:

- copie de la lettre datée du 3 décembre 2014 et signée par le mandataire,

- comptes rendus "Réunion équipe brevets" datés du 27 janvier 2014, 24 mars 2014, 5 mai 2014, 26 mai 2014, 30 septembre 2014 et 17 novembre 2014, et

- curriculum vitae de Bintou Toure (2 pages) et copie des diplômes (4 pages).

Par la même lettre, la requérante a retiré sa requête en remboursement de la taxe de recours préalablement formulée dans son mémoire exposant les motifs du recours.

VII. Une procédure orale a eu lieu devant la chambre le 20 mars 2018.

La requérante a demandé la restitutio in integrum ainsi que l'annulation de la décision contestée et le renvoi de l'affaire à l'instance du premier degré afin de maintenir le brevet tel qu'il a été modifié dans la version suivante:

Revendications: No 1 à 10 selon la requête auxiliaire 1bis telle que déposée avec la lettre du 20 février 2018.

Description: Pages 3, 3a, 4 et 13 selon la requête auxiliaire 1bis telle que déposée avec la lettre du 20 février 2018, et pages 2 et 5 à 12 du fascicule de brevet.

Dessins: Feuilles 20 à 32 du fascicule de brevet.

Le prononcé de la décision a eu lieu à l'issue de la procédure orale.

VIII. La teneur de la revendication 1 de la seule requête de la requérante s'énonce comme suit:

"Jeu de lentilles ophtalmiques multifocales progressives, déterminées au moyen d'ergoramas associant à chaque direction du regard une proximité objet et une puissance porteur, pour une amétropie et une addition données d'un porteur de lentille standard,

dans lequel pour une lentille dans les conditions du porté pour un porteur de lentille standard, une puissance porteur est définie en une direction du regard et pour un point objet comme la somme de la proximité objet et de la proximité image dudit point objet,

dans lequel chacune des lentilles présente

une première et une deuxième surface, la première surface étant une surface multifocale progressive et la deuxième surface étant une surface sphérique;

une zone de vision de loin, une zone de vision de près et une méridienne principale de progression traversant ces deux zones, les zones de vision de loin et de près et la méridienne étant des ensembles de directions du regard dans les conditions du porté;

une addition de puissance A égale à la variation de puissance porteur pour le point visé de l'ergorama entre une direction du regard de référence dans la zone de vision de loin et une direction du regard de référence dans la zone de vision de près;

et dans lequel, les variations le long de la méridienne, de la puissance porteur pour le point visé de l'ergorama, sont sensiblement identiques pour toutes les lentilles du jeu présentant la même addition."

Les revendications dépendantes 2 à 10 renvoient toutes au jeu de lentilles selon la revendication 1.

Motifs de la décision

1. Requête en restitutio in integrum - Admissibilité du recours

Selon l'article 122(1) CBE,

... le titulaire d'un brevet européen qui, bien qu'ayant fait preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances, n'a pas été en mesure d'observer un délai à l'égard de l'Office européen des brevets est, sur requête, rétabli dans ses droits si l'inobservation de ce délai a pour conséquence directe ... la perte de tout autre droit ou d'un moyen de recours.

La requête en restitutio d'un demandeur qui est représenté par un mandataire agréé agissant pour lui ne peut être acceptée qu'à la condition que le demandeur lui-même et le mandataire aient tous deux observé le niveau de vigilance requis (voir T 1962/08, motifs, point 5.1). Ces principes s'appliquent aussi au titulaire d'un brevet.

Dans l'exposé suivant, la chambre va traiter la question de savoir si ces conditions et les exigences y afférentes prévues par le règlement d'exécution ont été remplies, auquel cas elle fera droit à la requête en restitutio (article 122(2) CBE).

1.1 Applicabilité

1.1.1 Perte de droit ou moyen de recours

Le délai de quatre mois pour déposer le mémoire exposant les motifs du recours (article 108, troisième phrase CBE) formé à l'encontre de la décision attaquée du 24 juillet 2014 s'achevait le 3 décembre 2014 (règles 126(2), 131(1), (2) et (4) CBE). Étant donné que le mémoire exposant les motifs du recours n'est pas parvenu à l'OEB jusqu'à ce jour, le recours devrait être rejeté comme irrecevable (règle 101(1) CBE) si la chambre ne peut pas faire droit à la requête en restitutio. Il s'ensuit que le critère sus-mentionné est rempli.

1.1.2 Incapacité de respecter un délai à l'égard de l'OEB

Selon la décision rendue dans l'affaire T 413/91 (voir le point 4), l'expression "pas en mesure" implique un fait objectif ou un obstacle empêchant l'acte requis d'être accompli, par exemple l'entrée, par inadvertance, d'une date erronée dans un système de surveillance.

Le mémoire exposant les motifs du recours n'a pas été déposé avant la fin de la date limite du 3 décembre 2014. Selon le mandataire de la requérante, les raisons sont les suivantes (voir le point 5 du mémoire exposant les motifs de la restitutio du 26 décembre 2014):

Le 3 décembre 2014, vers midi, le mandataire a imprimé les documents à déposer, et a signé et déposé les documents sur le bureau de son assistante, avec un post-it marqué (voir annexe 12):

« GMD --> BTO [initiales du mandataire et de l'assistante, respectivement]

fax OEB

(3900 - 00401) ». [référence de l'affaire établie par l'association des mandataires]

Le mandataire n'a pas envoyé le mémoire lui-même puisqu'il a rencontré des difficultés avec sa carte à puce. Il est parti dans une réunion extérieure, tandis que son assistante était en pause déjeuner. La réunion s'est poursuivie pendant tout l'après-midi. L'assistante avait compris du post-it susmentionné que le mémoire exposant les motifs du recours avait déjà été envoyé à l'OEB, alors que l'intention du mandataire était que le mémoire soit envoyé par l'assistante à l'OEB par télécopie. L'assistante a donc classé le mémoire dans le dossier papier, en laissant le post-it.

Le mandataire a reçu vers 18h30 un appel téléphonique de son épouse, suite auquel il a dû quitter sa réunion pour libérer la garde d'enfants "sans pouvoir repasser par son bureau et vérifier si le mémoire [exposant les motifs] de recours avait effectivement été transmis par télécopie à l'Office, suivant les instructions qu'il avait laissées."

Ce n'est que le lendemain matin que le mandataire et son assistante ont constaté que le mémoire de recours n'avait pas été déposé.

Pour la chambre, il ressort de ces faits que le mandataire n'étant pas au courant de l'erreur commise pas son assistante, il a tenu pour certain qu'elle avait envoyé le mémoire en question à l'OEB par télécopie le 3 décembre 2014, c'est-à-dire le dernier jour du délai. C'est cette circonstance qui a empêché le mandataire de respecter le délai. Par conséquent, selon la jurisprudence citée, le mandataire se trouvait dans l'incapacité de respecter le délai de quatre mois pour déposer les motifs du recours.

1.1.3 Restitutio non exclue par la règle 136(3) CBE

Le libellé de la règle 136(3) CBE s'énonce comme suit:

Sont exclus de la restitutio in integrum les délais pour lesquels la poursuite de la procédure peut être requise en vertu de l'article 121, ainsi que le délai de présentation d'une requête en restitutio in integrum.

La restitutio in integrum n'est pas exclue par la règle 136(3) CBE parce que la poursuite de la procédure ne peut pas être requise en vertu de l'article 121 en ce qui concerne les délais mentionnés à l'article 108; voir l'article 121(4) CBE. Parmi ces délais figure le délai de quatre mois pour déposer le mémoire exposant les motifs du recours.

1.2 Recevabilité

Le libellé de la règle 136 CBE, dans la mesure où il est pertinent, s'énonce comme suit:

(1) La requête en restitutio in integrum prévue à l'article 122, paragraphe 1, doit être présentée par écrit dans un délai de deux mois à compter de la cessation de l'empêchement, mais au plus tard dans un délai d'un an à compter de l'expiration du délai non observé. ... La requête en restitutio in integrum n'est réputée présentée qu'après le paiement de la taxe prescrite.

(2) La requête doit être motivée et indiquer les faits invoqués à son appui. L'acte non accompli doit l'être dans le délai de présentation de la requête qui est applicable en vertu du paragraphe 1.

C'est au matin du 4 décembre 2014 que le mandataire et son assistante ont constaté que le mémoire de recours n'avait pas été déposé la veille, c'est-à-dire le dernier jour du délai. C'est donc le 4 décembre 2014 que l'empêchement de déposer les motifs de recours a cessé.

Par lettre du 26 décembre 2014, reçue par l'OEB le même jour, le mandataire de la requérante a produit, en tant qu'annexe 1, une lettre du 5 décembre 2014 requérant une restitutio in integrum à laquelle était joint le mémoire exposant les motifs du recours avec ses annexes. Dans sa lettre du 26 décembre 2014, le mandataire a exposé les motifs pour lesquels lui et son assistante n'avaient pas été en mesure d'observer le délai. À ces motifs étaient joints les annexes 1 à 13 à leur appui. Avec cette dernière lettre, le mandataire a aussi réitéré que la taxe correspondante devrait être prélevée sur son compte courant auprès de l'OEB.

La date du 26 décembre 2014 à laquelle le mémoire de la restitutio daté du 5 décembre 2014 (non accompagné par les motifs de la restitutio) et les motifs de la restitutio ont été reçus, est dans le délai de deux mois à partir du 4 décembre 2014, date à laquelle l'empêchement a cessé. La date du 26 décembre 2014 est aussi dans le délai d'un an à compter de l'expiration du délai non observé du 3 décembre 2014. Il s'ensuit que la question de savoir si le mémoire daté du 5 décembre 2014 est parvenu ce même jour, comme le mandataire l'a fait valoir, peut rester ouverte.

Au vu de ce qui précède, la chambre estime que, par sa lettre du 26 décembre 2014, la requérante a satisfait aux conditions susmentionnées des paragraphes 1 et 2 de la règle 136.

Par conséquent, la requête en restitutio est recevable.

1.3 Bien-fondé de la requête en restitutio

1.3.1 Principes de droit établis par la jurisprudence

Le bien-fondé de la requête en restauration dépendra de la question de savoir s'il a été fait preuve de la vigilance requise. En effet, selon l'article 122(1) CBE, le titulaire d'un brevet européen qui, bien qu'ayant fait preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances, n'a pas été en mesure d'observer le délai de dépôt du mémoire exposant les motifs du recours, est, sur requête, rétabli dans ses droits.

A cet égard, la chambre rappelle les principes pertinents établis par la jurisprudence des Chambres de recours de l'OEB :

- "Lorsqu'il y a eu représentation du demandeur par un mandataire agréé, il ne peut être fait droit à une demande de restitutio in integrum que si le mandataire lui-même a fait preuve de la vigilance exigée du demandeur ou du titulaire du brevet par l'article 122 (1) de la CBE" (J 5/80, sommaire, point I, OJ OEB 1981, 343).

- Dans les cas où le non-respect d'un délai résulte d'une erreur commise lorsque la partie met à exécution son intention de respecter ledit délai, la jurisprudence a développé le critère selon lequel l'obligation de faire preuve de toute la vigilance requise est considérée comme remplie lorsque l'inobservation du délai est due soit à des circonstances exceptionnelles, soit à une méprise isolée dans l'application d'un système de surveillance des délais qui, par ailleurs, fonctionne correctement ("La Jurisprudence des Chambres de recours de l'OEB", huitième édition, juillet 2016 (ci-après "Jurisprudence"), III.E. 5.2, avant-dernier paragraphe).

- Un mandataire peut charger des assistants de travaux de routine. En l'espèce, il convient qu'il choisisse pour ces travaux une personne qualifiée, qu'il la mette au courant de ses tâches et qu'il contrôle l'exécution du travail dans une mesure raisonnable. (Voir T 2336/10, paragraphe 15, citant J 5/80, paragraphe 7.)

- Une erreur isolée commise par un auxiliaire dans l'application d'un système donnant normalement satisfaction est excusable. La requérante ou son mandataire doit être en mesure de rendre vraisemblable le fait qu'un système normalement efficace de surveillance des délais fixés dans la Convention était en place dans l'entreprise à la date pertinente. ("Jurisprudence", III.E.5.4, premier paragraphe.)

- Dans un grand cabinet où de nombreuses dates doivent être surveillées à tout moment, on peut normalement s'attendre à ce que le système comporte au moins un mécanisme de vérification efficace. Le mécanisme de vérification doit être indépendant de la personne chargée du suivi des délais ("Jurisprudence", III.E.5.4.4, premier paragraphe.)

- Dans le cas où l'erreur se produit lors du traitement du courrier sortant, la vigilance nécessitée par les circonstances sera acceptée si le non-respect du délai est la conséquence d'une erreur isolée commise par une assistante dans l'application d'un système par ailleurs satisfaisant de traitement du courrier sortant. Il n'est pas exigé que ce système intègre au moins un mécanisme efficace de contre-vérification, et ce indépendamment de la taille de l'entreprise. La raison en est que, contrairement au suivi des délais, le risque d'erreur est réduit lors du traitement du courrier sortant, celui-ci supposant généralement d'exécuter des actions simples. (Voir T 836/09 datée du 17 février 2010, point 5.2.)

- Contrairement au cas d'une erreur isolée commise par une assistante, une erreur du mandataire agréé, même isolée, ne peut pas être excusée (R 18/13, paragraphes 19 et seq.).

1.3.2 Application des principes de la jurisprudence susmentionnés

a) Le mandataire

Il y a lieu de relever qu'il incombe à la chambre d'établir si le mandataire a exercé la vigilance nécessitée par les circonstances et, dans ce contexte, l'absence d'une erreur de sa part.

A titre liminaire, il y a lieu de constater que le mémoire exposant les motifs du recours était en effet prêt à être envoyé le 3 décembre 2014. Cela peut être déduit, en particulier, de l'échange de courriels entre le mandataire et la titulaire du brevet, soumis en tant qu'annexes 10 et 11 au mémoire exposant les motifs de la restitutio en date du 26 décembre 2014. Selon le libellé du courriel du 2 décembre 2014 (annexe 11), adressé à la titulaire, un projet de motifs du recours y était joint ("les pdf" et "les word"). Dans ce courriel on peut lire que "Sauf contrordre de votre part, nous les envoyons à l'OEB vers 12:00 demain". Autour du midi du 3 décembre 2014, le mandataire n'avait pas reçu d'instructions de la titulaire du brevet. Il a donc pris les démarches décrites plus haut (sous le point 1.1.2). Le mandataire a notamment imprimé les documents à déposer, et a signé et déposé les documents sur le bureau de son assistante, avec un post-it incluant le terme "fax OEB".

L'absence d'une erreur de la part du mandataire impliquerait qu'il pouvait, à juste titre, croire que son assistante comprendrait correctement ce terme.

Dans une déclaration de l'assistante (voir l'annexe 13 jointe à la lettre du 26 décembre 2014), l'assistante expliquait que, le 3 décembre 2014, de retour de la pause déjeuner, elle avait pensé que le mandataire avait envoyé le fax à l'OEB, "puisque la première page portait sa signature, et qu'il m'avait laissé la copie faxée pour la classer dans le dossier."

Dans la notification susmentionnée, la chambre a constaté que la copie de la première page de "l'acte [exposant les motifs] de recours imprimé le 3 décembre avec le post-it d'instructions", joint comme annexe 12 à la lettre du 26 décembre 2014, ne comportait pas de signature. Avec sa réponse à la notification, le mandataire a joint la première page signée du mémoire exposant les motifs de recours. Dans la procédure orale, il a expliqué qu'au sein de son cabinet les documents sont imprimés deux fois, une copie avec, une sans signature. La copie du mémoire exposant les motifs du recours en l'espèce ne portant pas de signature (annexe 12 à la lettre du 26 décembre 2014) avait été soumise par erreur. La chambre est prête à accepter cette explication.

Dans sa notification annexée à la convocation à la procédure orale, la chambre avait attiré l'attention du mandataire sur la phrase suivante contenue dans son mémoire exposant les motifs de la restitutio (page 5, 2ème paragraphe): "En fait le terme 'fax à l'OEB' peut désigner la demande d'envoi comme le document qui a effectivement été envoyé à l'OEB."

Dans sa réponse datée du 20 février 2018 (sous le point 2.1, second paragraphe), le mandataire a expliqué que "cette phrase ne doit pas être comprise comme une indication que les instructions du mandataire étaient ambiguës, mais plutôt comme une explication ex post des raisons pour lesquelles les instructions (claires) du mandataire n'ont pas été respectées en l'espèce."

Selon les explications du mandataire dans la procédure orale, l'envoi de documents dans son cabinet dépendait des circonstances, les mandataires et leurs assistants travaillant ensemble de façon assez proche. Il n'existait pas d'usage-type concernant l'envoi de documents quand sa carte à puce pour l'envoi par lui-même ne marchait pas.

La chambre est de l'avis que, dans les circonstances, l'assistante aurait dû comprendre que le mémoire exposant les motifs du recours devait être envoyé à l'OEB et non pas classé dans le dossier papier. Ceci est l'interprétation naturelle du terme "fax OEB" inclus dans le post-it qui a été mis sur le mémoire signé par le mandataire. Le terme aurait dû être compris comme "à faxer à l'OEB". Si la télécopie avait déjà été envoyée, comme le pensait l'assistante, la mention dans le post-it "fax OEB" aurait été superflue. Dans cette hypothèse, un terme comme par exemple "à classer" aurait été normal.

Il convient d'ajouter que le mandataire, à juste titre, pouvait charger son assistante de l'envoi du mémoire exposant les motifs du recours par télécopie, cette tâche étant très simple. La chambre estime qu'il n'incombait pas au mandataire de contacter par téléphone son cabinet tard l'après-midi du 3 décembre 2014 afin de vérifier l'envoi du mémoire à l'OEB par télécopie. La chambre partage le point de vue du mandataire selon lequel la vigilance nécessitée n'impose pas au mandataire qu'il vérifie la bonne et complète exécution d'une tâche administrative simple telle que l'envoi par télécopie d'un document. La chambre est d'accord avec la décision dans l'affaire T 836/09 où il a été statué dans ce sens. Le mandataire n'a donc pas commis d'erreur dans l'instruction donnée à son assistante.

b) L'assistante

Le mandataire a fait valoir que le défaut du respect du délai s'explique par une méprise isolée dans un système de surveillance des délais qui fonctionne correctement.

- Erreur

Comme constaté ci-dessus, l'assistante avait commis une erreur parce qu'elle aurait dû comprendre le terme "fax OEB" inclus dans le post-it qui a été mis sur le mémoire signé par le mandataire comme envisagé par le mandataire, c'est-à-dire comme demande d'envoi du mémoire à l'OEB par télécopie.

Une telle erreur peut être excusée à condition que l'assistante soit qualifiée, mise au courant de ses tâches et contrôlée dans l'exécution du travail (voir le troisième tiret du point 1.3.1 ci-dessus).

- Qualifications de l'assistante

La chambre est convaincue que le mandataire a établi que l'assistante remplissait ces conditions, à tout le moins en ce qui concerne le traitement du courrier sortant en cause en l'espèce.

En effet, conjointement avec sa réponse à la notification de la chambre du 20 février 2018, le mandataire a présenté des faits et preuves à cet égard (sous le point 2.2, pages 4 à 5), notamment sur sa formation en externe et interne du cabinet et son suivi des délais en collaboration avec les mandataires. De surcroît, avec son mémoire exposant les motifs de la requête en restitutio, le mandataire avait produit des documents établissant que le système de surveillance des délais, en l'espèce, a fonctionné, et ceci avec l'implication active de l'assistante (voir le point 3, pages 2 à 3 de la lettre du 26 décembre 2014, et les annexes 2 à 6 mentionnés sous ce point).

La chambre n'a pas besoin d'entrer plus dans les détails étant donné que la tâche en question n'était que le traitement du courrier sortant, c'est-à-dire une action simple.

- Traitement du courrier sortant

Sur ce point, la vigilance nécessitée par les circonstances est acceptée si le non-respect du délai est la conséquence d'une erreur isolée commise par une assistante dans l'application d'un système par ailleurs satisfaisant de traitement du courrier sortant. Il n'est pas exigé que ce système intègre au moins un mécanisme efficace de contre-vérification, et ce indépendamment de la taille de l'entreprise. (Voir T 836/09, citée dans l'avant-dernier tiret du point 1.3.1).

En l'espèce, pour ce qui est du "système par ailleurs satisfaisant de traitement du courrier sortant", le mandataire a expliqué durant la procédure orale, comme déjà exposé ci-dessus, que l'envoi de documents dans son cabinet dépendait des circonstances, les mandataires et leurs assistants travaillant ensemble de façon assez proche. La chambre est de l'avis qu'une coopération étroite et efficace entre mandataire et assistant est équivalent à un "système" satisfaisant de traitement de courrier sortant, étant donné que le mandataire est censé donner à son assistant des instructions ad hoc, dans la situation dans laquelle l'assistant est chargé de l'envoi et le mandataire ne s'occupe pas lui-même de l'envoi, par exemple par voie électronique. L'efficacité de la coopération entre le mandataire et son assistante en général a été établi sur le principe, en particulier au point 3 du mémoire exposant les motifs de la restitutio et dans les annexes jointes (voir le texte ci-dessus sous le tiret précédent).

1.3.3 Conclusion sur le bien-fondé de la requête en restitutio

La chambre est donc prête à accepter que la méprise isolée de l'assistante dans le traitement du courrier sortant peut être excusée. Par conséquent, vu l'absence de constatation d'une erreur de la part du mandataire ou de la titulaire, la requête en restitutio est bien fondée.

1.4 Conclusions finales

Les conditions de l'article 122(1) CBE et les exigences y afférentes prévues par le règlement d'exécution ayant été remplies, la chambre fait droit à la requête en restitutio (article 122(2) CBE). Cela veut dire que le mémoire exposant les motifs du recours est réputé formé dans le délai de l'article 108, troisième phrase, de la CBE.

Étant donné qu'il n'existe pas de doutes relatifs aux autres conditions de recevabilité du recours (règle 99 CBE), force est de constater que le recours est recevable.

2. Modifications - Recevabilité

Les revendications 1 à 10 de la présente requête ne diffèrent des revendications 1 à 10 de la requête auxiliaire 1 considérée par la division d'opposition dans sa décision qu'en ce que le terme "ou torique" dans l'expression "la deuxième surface étant une surface sphérique ou torique" de la revendication 1 a été supprimé. Cette modification a été effectuée afin de surmonter l'objection soulevée par la chambre dans la notification jointe à la convocation à la procédure orale et selon laquelle la demande telle que déposée ne semblait pas divulguer un jeu de lentilles tel que revendiqué et dans lequel toutes les lentilles présentaient une deuxième surface torique (article 123(2) CBE). Le jeu de revendications de la requête actuelle a été donc présenté en réponse aux observations émises par la chambre dans la notification jointe à la procédure orale, et dans ces circonstances la chambre a jugé approprié d'admettre ledit jeu de revendications dans la procédure (article 13 (1) RPCR).

3. Modifications - Article 123(2) CBE

Le jeu de revendications 1 à 10 de la requête actuelle diffère du jeu de revendications 1 à 18 du brevet tel que délivré en ce que les revendications 11 à 18 du brevet portant sur un procédé ont été supprimées, et en ce que la revendication 1 a été modifiée par l'incorporation dans son texte de la caractéristique "et la deuxième surface étant une surface sphérique" (voir revendication 1, quatrième paragraphe). Comme déjà signalé par la division d'opposition dans sa décision eu égard à la revendication 1 de la requête auxiliaire 1 alors en vigueur, cette caractéristique est basée sur la demande telle que déposée, voir en particulier les passages à la page 6, lignes 10 à 22, et à la page 8, lignes 30 à 35 de la demande telle que publiée (WO 98/12590).

Les modifications apportées aux pages 3, 3a et 4 de la description sont destinées à adapter le texte de la description au libellé des revendications actuelles (article 84 et règle 27 (1) c) CBE 1973).

Les modifications aux revendications satisfont donc aux conditions de l'article 123(2) CBE.

4. Nouveauté

4.1 Document E7

4.1.1 Le document E7 divulgue trois lentilles ophtalmiques, chacune présentant sur sa face avant une surface identique de type multifocal progressif avec une addition de puissance de 2,50 dioptries (Fig. 1, colonne 4, lignes 55 à 60, colonne 5, lignes 6 à 15, lignes 23 à 34, et lignes 45 à 59), à savoir

- une première lentille (Fig. 3a et 3b) avec une puissance optique sphérique de 5,00 dioptries et présentant sur sa face arrière une surface sphérique (colonne 3, lignes 50 à 55, et colonne 5, lignes 6 à 15), la déviation sphérique de la puissance optique (telle que définie à la colonne 4, lignes 43 à 46) étant représentée à la Fig. 3b,

- une deuxième lentille (Fig. 4a et 4b), présentée à titre de comparaison, avec une puissance optique sphérique de 2,00 dioptries obtenue à partir de la première lentille par l'introduction sur sa face arrière d'une surface torique (colonne 3, lignes 56 à 62, et colonne 5, lignes 23 à 34), la déviation sphérique de la puissance optique étant représentée à la Fig. 4b, et

- une troisième lentille (Fig. 5a, 5b et 5c) avec une puissance optique sphérique de 2.00 dioptries obtenue à partir de la première lentille par l'introduction sur sa face arrière d'une surface torique avec correction asphérique (colonne 3, ligne 63 à la colonne 4, ligne 2, et colonne 5, lignes 45 à 59), la déviation sphérique de la puissance optique étant représentée à la Fig. 5c.

Chacune de ces trois lentilles présente donc une zone de vision de loin, une zone de vision de près et une méridienne principale de progression traversant ces deux zones, les zones de vision de loin et de près et la méridienne définissant des ensembles de directions du regard dans les conditions du porté. En outre, les caractéristiques de ces lentilles sont susceptibles d'être déterminées au moyen d'ergoramas associant à chaque direction du regard une proximité objet et une puissance porteur, pour une amétropie et une addition données d'un porteur de lentille standard, de telle manière que

- pour une lentille dans les conditions du porté pour un porteur de lentille standard, une puissance porteur est définie en une direction du regard et pour un point objet comme la somme de la proximité objet et de la proximité image dudit point objet, et

- l'addition de puissance est égale à la variation de puissance porteur pour le point visé de l'ergorama entre une direction du regard de référence dans la zone de vision de loin et une direction du regard de référence dans la zone de vision de près.

4.1.2 Dans sa décision, la division d'examen a conclu que l'objet de la revendication 1 de la requête principale alors en vigueur et correspondant à la revendication 1 du brevet tel que délivré n'était pas nouveau au vu du jeu de lentilles constitué par la première et la troisième lentilles du document E7 mentionnées ci-dessus.

La revendication 1 actuelle diffère de la revendication 1 du brevet tel que délivré en ce que la revendication spécifie que la deuxième surface, c'est-à-dire la surface de la face arrière, de chacune des lentilles du jeu de lentilles est une surface sphérique.

4.1.3 La requérante a fait valoir que, contrairement à l'avis exprimé par la division d'opposition dans sa décision, la première et la troisième lentilles divulguées dans le document E7 ne constituaient pas "un jeu de lentilles" au sens de l'invention revendiquée. En particulier, la requérante a exposé que les fabricants de lentilles progressives proposent des jeux de lentilles couvrant l'ensemble des besoins des porteurs, et en particulier des jeux de lentilles dans lesquels, dans une même famille de lentilles, l'addition varie d'une lentille à l'autre de 0,25 dioptries en 0,25 dioptries, et dans lesquels les lentilles de même addition diffèrent les unes des autres par la valeur de la sphère moyenne (paragraphes [0007] à [0010] et [0104], et la Fig. 7 du fascicule du brevet), et que l'homme du métier n'interpréterait pas le terme "jeu de lentilles" comme couvrant simplement deux lentilles.

La chambre note que la revendication 1 porte sur "un jeu de lentilles", et non sur l'utilisation d'un jeu de lentilles dans un contexte spécifique prédéterminé, et que les arguments de la requérante sont basés, non sur les caractéristiques structurelles et fonctionnelles du jeu de lentilles défini à la revendication 1, mais sur une utilisation spécifique d'un groupe de lentilles qui n'est pas reflétée dans la revendication. En particulier, la description du brevet, et plus particulièrement les paragraphes [0007] à [0010] et [0104] cités par la requérante, se réfèrent à un ensemble de lentilles comprenant des caractéristiques structurelles et fonctionnelles spécifiques, et le "jeu de lentilles" revendiqué n'est pas limité à un tel ensemble de lentilles. La chambre considère donc que l'objet de la revendication 1 porte sur un jeu de lentilles tel que revendiqué et donc sur un groupe ou ensemble de lentilles, en particulier un groupe ou ensemble de deux lentilles, comprenant les caractéristiques revendiquées.

En outre, selon le document E7, la troisième lentille est obtenue à partir d'une lentille dite semi-finie correspondant à la première lentille (colonne 3, lignes 36 à 40, et colonne 5, lignes 23 à 65), et cette divulgation identifie la première et la troisième lentilles du document E7, c'est-à-dire les deux lentilles divulguées au document E7 en référence aux Fig. 3a et 3b et aux Fig. 5a à 5c, comme un ensemble de lentilles, et donc comme "un jeu de lentilles" au sens de la revendication 1.

4.1.4 La requérante a aussi fait valoir que, contrairement à l'avis exprimé par la division d'opposition dans sa décision, le document E7, et en particulier les Fig. 3b et 5c et le passage à la colonne 5, lignes 53 à 59, ne permettaient pas de conclure que les variations le long de la méridienne de la puissance porteur pour le point visé de l'ergorama étaient sensiblement identiques pour les deux lentilles mentionnées comme requis par le libellé de la revendication 1.

La chambre note que la première (Fig. 3a et 3b) et la troisième (Fig. 5a à 5c) lentilles du document E7 ont, sur la face avant, la même surface progressive représentée à la Fig. 1 (colonne 4, lignes 55 à 60) et, sur la face arrière, une surface telle que la déviation sphérique (voir définition à la colonne 4, lignes 43 à 46), et donc aussi la variation de la puissance porteur correspondante telle que définie dans la revendication 1, ont les valeurs représentées aux Fig. 3b et 5c, respectivement. En outre, la méridienne considérée dans la revendication 1 admet des définitions différentes (voir paragraphes [0100] et [0101] du brevet) et la formulation de la revendication 1 permet donc un certain choix de la méridienne à considérer. En outre, la revendication laisse ouvert le degré des variations dites "sensiblement identiques", et la chambre considère que dans le contexte de l'invention revendiquée, les variations sont "sensiblement identiques" dès lors que la différence entre les variations n'est pas supérieure à environ 0,25 dioptries essentiellement dans tous les points considérés, à l'exception éventuelle des régions de la lentille optiquement moins cruciales telles que la région périphérique de la lentille (comparer avec les variations montrées aux Fig. 8 et 10 du brevet). Ce critère est conforme à celui considéré par la division d'opposition dans sa décision, et aussi en accord avec la requérante, laquelle avait rappelé au cours de la procédure de recours que le seuil généralement considéré comme perceptible pour une variation de puissance est de 0,25 dioptries (lettre datée du 17 mai 2013, paragraphe reliant les pages 1 et 2, et la décision attaquée).

La chambre partage l'avis de la requérante selon lequel les Fig. 3b et 5c, prises seules, ne permettent pas en soi de déterminer si les variations de la déviation sphérique le long d'une méridienne située sur le plan sagittal ou au moins proche du plan sagittal sont sensiblement identiques pour les deux lentilles, étant donné que la région comprenant la méridienne et délimitée par les lignes des valeurs 0,25 et -0,25 dioptries représente des points avec une déviation qui varierait dans un domaine large de 0,50 dioptries (voir profils des Fig. 3b et 5c). Toutefois, le passage à la colonne 5, lignes 53 à 59 du document E7, divulgue que la déviation sphérique dans la Fig. 5c correspond en magnitude et en distribution à celle de la Fig. 3b et que la qualité de la lentille optimisée de la Fig. 3b est préservée dans la lentille de la Fig. 5c, et ce passage antériorise la dernière des conditions formulées dans la revendication 1. En tout état de cause, le passage du document E7 mentionné (voir aussi les passages à la colonne 2, lignes 45 à 48, et à la colonne 3, lignes 19 à 24) constitue un enseignement qui inciterait l'homme du métier à éliminer toute divergence appréciable entre les deux lentilles, en particulier toute divergence appréciable en déviation sphérique et donc en puissance porteur; en outre, le document E7 divulgue des moyens permettant d'arriver à ce but, à savoir l'utilisation d'algorithmes mathématiques d'optimisation de la deuxième surface asphérique (colonne 3, lignes 24 à 40, et colonne 5, lignes 60 à 65).

La chambre conclut que la caractéristique revendiquée selon laquelle les variations, déterminées le long d'une méridienne, de la puissance porteur pour le point visé de l'ergorama sont sensiblement identiques pour toutes les lentilles du jeu présentant la même addition, est donc antériorisée par la divulgation du document E7.

4.1.5 La revendication 1 actuelle requiert aussi que la deuxième surface de chacune des lentilles du jeu soit une surface sphérique.

La deuxième surface de la troisième lentille du document E7 est une surface torique avec correction asphérique (colonne 5, lignes 45 à 49). Le jeu de lentilles constitué par la première et la troisième lentilles du document E7 n'antériorise donc pas la caractéristique revendiquée en question.

4.1.6 Dans sa décision, la division d'opposition a aussi considéré le jeu de lentilles constitué par la première et la deuxième des lentilles divulguées dans le document E7. Or, la deuxième surface de la deuxième lentille n'est pas sphérique, mais torique (colonne 5, lignes 23 à 34). En outre, les profils de déviation sphérique représentés aux Fig. 3b et 4b du document E7 présentent le long d'une méridienne, et en particulier dans la zone de vision de loin, des différences appréciables (voir aussi colonne 5, lignes 35 à 44), et rien ne permettrait de conclure que les variations le long d'une méridienne située sur le plan sagittal ou au moins proche du plan sagittal seraient sensiblement identiques selon le critère mentionné ci-dessus. En outre, une modification de la lentille de la Fig. 4b afin de réduire ces différences requerrait selon le document E7 l'introduction d'asphéricité dans la surface de prescription de la lentille (colonne 5, lignes 45 à 59, et Fig. 5a à 5c). Le jeu de lentilles constitué par la première et la deuxième lentilles du document E7 n'antériorise donc pas le jeu de lentilles revendiqué.

4.1.7 Il s'ensuit que l'objet de la revendication 1 actuelle est nouveau au vu du document E7.

4.2 Utilisation antérieure du jeu des lentilles "Progressiv Life 1,6"

4.2.1 Dans sa décision, la division d'opposition a conclu que l'utilisation antérieure alléguée du jeu de six lentilles dénommé "Progressiv Life 1,6" résultant de la commercialisation et de la vente dudit jeu de lentilles par la société Optische Werke Rodenstock (Allemagne) à partir de 1994 était suffisamment prouvée par les documents soumis lors de la procédure d'opposition (voir en particulier les listes de prix GM1 et GM1', et la déclaration E13).

La requérante n'a pas contesté cette conclusion de la division d'opposition, et il n'est pas nécessaire dans le cas d'espèce que la chambre prenne position en détail sur cette conclusion de la division d'opposition puisque la chambre estime qu'en tout état de cause le jeu de lentilles objet de l'utilisation antérieure alléguée ne met pas en cause la brevetabilité de l'objet revendiqué (voir points 4.2.3 et 5.3 ci-dessous).

4.2.2 Comme l'a déjà signalé la division d'opposition dans sa décision, l'état de la technique au sens de l'article 54 (2) CBE 1973 découlant de l'utilisation antérieure en question est constitué par le jeu de lentilles vendu sous la dénomination "Progressiv Life 1,6" ainsi que par les informations pouvant être extraites de ce jeu de lentilles et montrées dans le document E12. Par contre, les modèles numériques des lentilles ayant servi à la fabrication desdites lentilles ainsi que les résultats des calculs et simulations effectués sur la base de ces modèles (voir en particulier les documents GM2, E3, E8, E10, E11, et E15 à E19) ne constituent pas, en l'absence de toute preuve de l'accessibilité au public des modèles numériques mentionnés et compte tenu des déviations éventuelles dans la manufacture des lentilles, un état de la technique au sens de l'article 54 (2) CBE 1973.

4.2.3 Le document E12 est un rapport technique d'expert montrant les caractéristiques techniques du jeu de lentilles vendu sous la dénomination "Progressiv Life 1,6" (voir aussi document E14). Selon ce rapport, le jeu de lentilles est constitué par six lentilles ophtalmiques progressives dénommées B1 à B6 dans le rapport. Les lentilles ont une première surface progressive et une deuxième surface sphérique (page 1, premier paragraphe, et "Tabelle 2" à la page 2), la puissance optique étant de -2,5 dioptries pour les lentilles B3 et B5, de 0,5 dioptries pour les lentilles B1 et B6, et de 3,00 dioptries pour les lentilles B2 et B4, et l'addition sur la surface progressive étant de 2 dioptries pour les lentilles B1, B3 et B4, et de 3 dioptries pour les lentilles B2, B5 et B6 (voir "Tabelle 1" à la page 1).

Le document E12 montre aussi une figure ("Abbildung 1" à la page 3) représentant graphiquement pour chacune des lentilles la puissance optique le long d'une méridienne principale, et donc la puissance porteur pour un point objet tel que le point visé de l'ergorama considéré dans la revendication 1 (document E12, page 2, deuxième paragraphe, à la page 3, deuxième paragraphe). Au vu de cette figure, la division d'opposition a conclu dans sa décision qu'il serait possible de trouver dans le groupe d'addition 2 dioptries (lentilles B1, B3 et B4) deux lentilles pour lesquelles les variations de la puissance porteur seraient sensiblement identiques, et en particulier inférieures au pas de prescription standard de 0.25 dioptries, et qu'en conséquence le jeu constitué par ces deux lentilles antérioriserait l'objet de la revendication 1 du brevet tel que délivré.

La chambre note que, tandis que

- les variations de la puissance optique des lentilles d'addition 3 dioptries (lentilles B2, B5 et B6) le long de la méridienne principale présentent des différences appréciables, allant en particulier au-delà de la valeur 0,25 dioptries (voir point 4.1.4 ci-dessus, deuxième paragraphe) dans des sections des zones de vision de loin et de près (voir document E12, "Abbildung 1"), et

- la variation de la puissance optique de la lentille B3 d'addition 2 dioptries le long de la méridienne principale présente aussi des différences appréciables par rapport aux variations de la puissance optique des lentilles B1 et B4 d'addition 2 dioptries, notamment dans la zone de vision de loin (voir document E12, "Abbildung 1"),

les variations de la puissance optique des lentilles B1 et B4 d'addition 2 dioptries sont sensiblement identiques tout au long de la méridienne principale, puisque les différences entre les variations respectives sont inférieures à la valeur 0,25 dioptries. Les lentilles B1 et B4 satisfont donc à la caractéristique définie au dernier paragraphe de la revendication 1.

Toutefois, le groupe de lentilles constitué par les lentilles B1 et B4 n'est pas identifié en tant que tel dans la commercialisation et la vente du jeu de lentilles "Progressiv Life 1,6", et il constituerait donc une sélection d'un sous-ensemble spécifique de lentilles parmi l'ensemble de six lentilles du jeu de lentilles "Progressiv Life 1,6". En outre, comme l'a fait valoir la requérante, la sélection spécifique de deux lentilles B1 et B4 en tant que sous-ensemble ne peut pas être déduite de l'utilisation antérieure du jeu de lentilles "Progressiv Life 1,6". Le sous-ensemble de lentilles B1 et B4 n'est donc pas opposable en tant que tel à titre d'antériorité pour l'invention revendiquée. En conséquence, la dernière des caractéristiques de la revendication 1 actuelle selon laquelle "les variations le long de la méridienne, de la puissance porteur pour le point visé de l'ergorama, sont sensiblement identiques pour toutes les lentilles du jeu présentant la même addition" (c'est la chambre qui souligne) est nouvelle par rapport au jeu de lentilles objet de l'utilisation antérieure mentionnée, puisque le jeu de lentilles comporte une lentille (lentille B3) présentant la même addition que les lentilles B1 et B4 mais différant appréciablement de celles-ci en variation de la puissance porteur.

4.2.4 Il s'ensuit que l'objet de la revendication 1 actuelle est nouveau aussi au vu de l'utilisation antérieure du jeu de lentilles "Progressiv Life 1,6".

4.3 Les autres documents de l'art antérieur cités lors de la procédure sont moins pertinents pour la nouveauté de l'objet de la revendication 1 actuelle. En particulier,

- le document E6 montre une étude comparative de deux lentilles ophtalmiques progressives ("Gradal HS" et "Gradal Top" aux Fig. 5 à 8) ayant une première surface progressive proche l'une de l'autre (Fig. 9), mais une deuxième surface du type atorique (page 59, avant-dernier paragraphe, à la page 60, premier paragraphe),

- les documents E1 (section "Einleitung" à la page 14), E2 (colonne 2, lignes 39 à 57), E2' (première page, section "Einleitung"), E2'' (Fig. 2 à 4), E4 ("Tabelle 37" à la page 309), E5 (Fig. 2), et E6' (Fig. 6) portent sur des lentilles multifocales, en particulier du type progressif, mais aucun de ces documents ne divulgue un jeu de lentilles présentant une puissance porteur le long d'une méridienne remplissant la condition définie au dernier paragraphe de la revendication 1, et

- le document E9 reflète seulement les connaissances générales de l'homme du métier.

4.4 La chambre conclut que l'objet de la revendication 1 et des revendications dépendantes 2 à 10 est nouveau par rapport à l'art antérieur considéré dans la procédure (article 54 (1) CBE 1973).

5. Activité inventive

5.1 L'art antérieur le plus proche est représenté par le jeu de lentilles constitué par la première et la troisième lentilles du document E7 considérées aux points 4.1.1 à 4.1.5 ci-dessus, ou alternativement par le jeu de lentilles "Progressiv Life 1,6" objet de l'utilisation antérieure mentionnée au point 4.2 ci-dessus.

5.2 Le jeu de lentilles revendiqué diffère du jeu constitué par la première et la troisième lentilles du document E7 en ce que la surface de toutes les lentilles est sphérique (voir points 4.1.4 et 4.1.5 ci-dessus).

La première lentille du document E7, dite semi-finie (colonne 2, lignes 12 à 15), est une lentille à caractéristiques optiques optimisées pour une situation standard (colonne 3, lignes 19 à 24, et colonne 5, lignes 17 à 22), et la troisième lentille du document E7 est obtenue à partir de la première lentille en dotant la deuxième surface de celle-ci d'une forme torique asphérique (colonne 2, lignes 36 à 41, colonne 5, lignes 45 à 49, et lignes 60 à 65) afin de l'adapter aux conditions spécifiques d'un porteur (colonne 2, lignes 16 à 19, colonne 3, lignes 19 à 24, et colonne 5, lignes 23 à 33, et lignes 49 à 52), tout en retenant les caractéristiques optiques optimisées de la première lentille (abrégé, colonne 2, lignes 45 à 48, et colonne 5, lignes 53 à 59). Dans ce contexte, le fait de doter la deuxième surface de la troisième lentille d'une forme sphérique serait contraire à l'enseignement essentiel du document E7 (abrégé, et colonne 2, lignes 36 à 61), et reviendrait en tout état de cause à ignorer les conditions spécifiques du porteur et donc à obtenir une lentille identique à la première lentille, c'est-à-dire à la lentille semi-finie de départ.

En outre, selon la description du brevet, le jeu de lentilles revendiqué constitue un jeu de lentilles, dites semi-finies, à caractéristiques optiques optimisées (paragraphe [0105] et seq.), et l'ensemble des caractéristiques revendiquées permet, pour un porteur concret, le choix d'une lentille et l'adaptation de la même au porteur par simple usinage d'un profil sphérique ou torique dans la deuxième surface de la lentille, tout en préservant les caractéristiques optiques optimisées de la lentille de départ (paragraphes [0011], [0012] et [0015]). Aucun des documents considérés dans la procédure ne suggère de modifier la troisième lentille du document E7 afin de constituer avec la première lentille un jeu de lentilles présentant ces avantages techniques, entre autres parce que la troisième lentille modifiée au moyen d'une deuxième surface sphérique serait identique à la première lentille.

Le jeu de lentilles de la revendication 1 implique donc une activité inventive en partant du document E7 comme représentant l'art antérieur le plus proche.

5.3 En outre, aucun des documents de l'art antérieur ne suggère de modifier les lentilles du jeu de lentilles "Progressiv Life 1,6", ou de sélectionner parmi ces lentilles un sous-ensemble précis de lentilles - notamment les lentilles B1 et B4 -, afin que les caractéristiques optiques optimisées des lentilles soient préservées après simple usinage d'un profil sphérique ou torique dans les conditions mentionnées au troisième paragraphe du point 5.2 ci-dessus.

Le jeu de lentilles de la revendication 1 implique donc aussi une activité inventive en partant du jeu de lentilles "Progressiv Life 1,6" qui représente l'état de la technique le plus proche.

5.4 La chambre conclut que l'objet de la revendication 1 et des revendications dépendantes 2 à 10 implique une activité inventive par rapport à l'état de la technique considéré dans la procédure (article 56 CBE 1973).

6. Il résulte de ces conclusions que le brevet tel que modifié selon la requête actuelle de la requérante et l'invention qui en fait l'objet satisfont aux exigences de la CBE au sens de l'article 101 (3) a) CBE.

Dispositif

Par ces motifs, il est statué comme suit

1. La requérante est rétablie dans ses droits.

2. La décision attaquée est annulée.

3. L'affaire est renvoyée à l'instance du premier degré afin de maintenir le brevet tel qu'il a été modifié dans la version suivante:

Revendications: No 1 à 10 selon la requête auxiliaire 1bis telle que déposée avec la lettre du 20 février 2018.

Description: Pages 3, 3a, 4 et 13 selon la requête auxiliaire 1bis telle que déposée avec la lettre du 20 février 2018, et pages 2 et 5 à 12 du fascicule de brevet, et.

Dessins: Feuilles 20 à 32 du fascicule de brevet.

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