T 0814/07 () of 16.10.2008

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2008:T081407.20081016
Date de la décision : 16 Octobre 2008
Numéro de l'affaire : T 0814/07
Numéro de la demande : 00420101.8
Classe de la CIB : D04H 1/74
Langue de la procédure : FR
Distribution : D
Téléchargement et informations
complémentaires :
Texte de la décision en FR (PDF, 43 KB)
Les documents concernant la procédure de recours sont disponibles dans le Registre
Informations bibliographiques disponibles en : FR
Versions : Unpublished
Titre de la demande : Nappe unidirectionnelle de fibres de carbone
Nom du demandeur : SA Schappe
Nom de l'opposant : SNECMA PROPULSION SOLIDE/HEXCEL REINFORCEMENTS
Chambre : 3.2.06
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 100(b)
Mot-clé : Suffisance de l'exposé (non)
Exergue :

-

Décisions citées :
T 0226/85
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
-

Exposé des faits et conclusions

I. Par décision remise à la poste le 23 mars 2007, la division d'opposition a révoqué le brevet européen nº 1 054 091, délivré sur la base de la demande de brevet européen nº 00 420 101.8.

II. Le libellé de la revendication 1 du brevet tel que délivré est le suivant:

"1. Procédé de réalisation d'une nappe unidirectionnelle de fibres de carbone caractérisé en ce qu'il consiste, partant d'une série de filaments continus et parallèles de carbone, à réaliser un craquage des filaments par un étirage lent et contrôlé, à l'intérieur d'une craqueuse (4-7), puis à réaliser en ligne sans déformation de la nappe et sans exercer une tension sur celle-ci, l'assemblage des fibres discontinues à l'aide d'une résine (10) ou d'un adhésif à caractère fugace, ces fibres discontinues possédant une distribution de longueur telle que la longueur moyenne des fibres, c'est-à-dire la longueur moyenne de 50 % des fibres d'un échantillon, soit comprise entre 40 et 70 % environ de la longueur de la fibre la plus longue de l'échantillon, la nappe possédant ainsi une capacité d'allongement correspondant à un déplacement relatif des fibres de carbone dans une plage comprise entre 0 et 45 % de la fibre la plus longue."

III. La division d'opposition a considéré que le brevet exposait l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter, dans la mesure où la titulaire et l'opposante étaient d'accord sur le fait que la distribution de longueur et la capacité d'allongement telles que définies dans la revendication indépendante 1 résultaient directement et naturellement de n'importe quelle opération d'étirage-craquage, pourvu qu'on ne procède à aucun étirage subséquent à l'opération d'étirage-craquage (points 2.1.3 et 2.1.4 de la décision faisant l'objet du recours). La division d'opposition a ensuite considéré que l'objet de la revendication 1 n'était pas nouveau par rapport à l'état de la technique connu du document

D1 : WO-A-98/44183.

La division d'opposition a énoncé que, dans la mesure où les étapes du procédé selon la revendication 1 du brevet contesté étaient connues de D1, la distribution de longueur et la capacité d'allongement telles que revendiquées étaient implicitement divulguées dans D1. Selon l'opinion de la division d'opposition, on ne pouvait invoquer comme différence le fait que le taux d'étirage était de 1,2 dans D1 alors qu'il était de 1,02 dans le brevet litigieux, car nulle part dans ce dernier ne figurait la moindre mention, explicite ou implicite, d'un taux d'étirage de 1,02 pour l'étape d'étirage-craquage. Par ailleurs, comme l'avait admis sans équivoque la titulaire, la capacité d'allongement telle que revendiquée dans la revendication 1 résultait directement de n'importe quelle opération d'étirage-craquage (point 2.2.3(3) de la décision).

IV. La requérante (titulaire) a formé le 18 mai 2007 un recours contre cette décision. Le paiement de la taxe de recours a été enregistré le même jour. Avec le mémoire exposant les motifs du recours, qui a été déposé le 19 juillet 2007, la requérante a déposé le document: S3 : "La théorie du craquage et ses implications pratiques", par J. Lenoir.

V. Dans l´annexe à la convocation à la procédure orale prévue pour le 16 octobre 2008, la Chambre a exprimé un avis provisoire selon lequel, contrairement à l'opinion exprimée par l'intimée (opposante), le recours était recevable. En ce qui concernait le document S3, étant donné qu'il avait déjà été pris en considération par l'intimée et qu'il semblait être utile pour la compréhension technique du cas, il semblait que rien ne s'opposait à son introduction dans la procédure. La Chambre avait aussi exprimé des doutes quant à la suffisance de l'exposé, au vu du fait que le brevet ne donnait aucune indication sur la manière de mesurer la capacité d'allongement de la nappe.

VI. Par lettre datée du 15 septembre 2008 la requérante a déposé des observations en réponse à la notification de la Chambre ainsi que les documents suivants:

Annexe 1 : fiches techniques des fibres de carbone Tenax®;

Annexes 2 et 3 : diagrammes représentant la distribution de longueur des fibres après craquage relatifs à deux exemples de procédé selon l'invention.

VII. Une procédure orale, à l´issue de laquelle la Chambre a rendu sa décision, a eu lieu le 16 octobre 2008.

La requérante a demandé l´annulation de la décision contestée et le maintien du brevet sur la base des revendications du brevet délivré.

L´intimée a demandé le rejet du recours. Pendant la procédure orale l'intimée a retiré son objection d'irrecevabilité du recours.

VIII. La requérante a argumenté en substance comme suit :

Pour les fibres de carbone, l'allongement maximal des fibres avant rupture était de 1,55% (voir Annexe 1 pour des fibres de carbone commercialisées sous la marque Tenax®), ce qui correspondait à un taux d'allongement avant rupture de 1,015. Pour casser toutes les fibres il fallait adopter un taux d'étirage au moins égal à 1,015, comme expliqué dans le document S3. Dans la pratique, d'une manière bien connue de l'homme du métier, le taux de 1,015 était majoré de trois écarts types de la distribution de l'allongement, ce qui se traduisait par un taux d'étirage de 1,02. Afin d'obtenir une distribution de longueur des fibres selon la revendication 1, il était nécessaire d'adopter un taux d'étirage de 1,02, qui devait être reparti dans les zones que comportait la machine de craquage. En effet, si on travaillait avec un tel taux d'étirage juste suffisant pour réaliser le craquage, comme dans les exemples des annexes 2 et 3, tout en effectuant un étirage lent et contrôlé, la distribution de longueur était reproductible et dépendait de la longueur des zones de craquage. Par contre, si on travaillait avec un taux d'étirage plus élevé, et si on effectuait plusieurs craquages successifs sur les fibres, on n'obtenait pas la distribution de longueur selon la revendication 1. Bien que le brevet contesté ne mentionnait pas la valeur de 1,02, l'homme du métier aurait immédiatement compris à la lecture du brevet en cause que c'était bien ce taux d'étirage qu'il devait appliquer. Il s'agissait là non seulement du taux permettant de craquer toutes les fibres, mais aussi du taux qui garantissait un allongement minimal de la nappe, ce qui était important afin d'arriver à une nappe ayant une capacité d'allongement élevée comme requis par la revendication 1.

IX. En réponse, l'intimée a argumenté en substance comme suit :

La distribution de longueur des fibres selon la revendication 1 du brevet contesté était une conséquence naturelle de l'étirage-craquage, comme déjà démontré par l'intimée lors de la procédure devant la Division d'opposition. Si, comme le soutenait la requérante, l'application d'un taux d'étirage de 1,02 était une caractéristique essentielle pour obtenir la distribution définie dans la revendication 1, force était de constater qu'elle était absente de l'exposé de l'invention. On ne trouvait dans le brevet aucune indication même approximative sur une valeur de taux d'étirage qu'il serait souhaitable d'appliquer pour obtenir des caractéristiques souhaitées. Parvenir à cette valeur particulière du taux d'étirage demandait bien plus que les quelques tâtonnements admissibles d'autant que l'homme du métier devait d'abord explorer tous les paramètres influençant le résultat de l'étirage-craquage pour découvrir que le taux d'étirage est le paramètre déterminant. En outre, un enseignement du brevet contesté consistait à varier le taux d'étirage, ainsi que l'écartement entre les cylindres de traction, afin de régler la longueur moyenne souhaitée pour les fibres. L'affirmation de la requérante selon laquelle le taux d'étirage devait avoir une seule valeur bien définie était donc contraire à l'enseignement explicite du brevet.

Motifs de la décision

1. Le recours est recevable.

2. Pendant la procédure de recours, la requérante a expliqué que l'obtention d'une distribution de longueur des fibres selon la revendication 1 nécessitait un étirage lent et contrôlé des fibres avec un taux d'étirage de 1,02 réparti dans les zones de la machine de craquage. Il s'agit du taux d'étirage juste suffisant pour réaliser le craquage, parce qu'il correspond au taux d'étirage à rupture des fibres de carbone (qui est de 1,015, l'allongement à la rupture étant de 1,55 % comme montré par l'Annexe 1 pour le matériau Ténax®) majoré de 3 écarts types de la distribution de l'allongement.

3. La Chambre ne voit pas de raisons de ne pas suivre la requérante sur cette hypothèse qui est à la base des arguments qu'elle a développé dans son mémoire de recours soit en ce qui concerne la suffisance de l'exposé, soit en ce qui concerne la nouveauté (la caractéristique du taux d'étirage de 1,02 conférant la nouveauté à l'objet revendiqué étant donné que le taux d'étirage selon D1 est de 1,2; voir point III ci-dessus). De l'avis de la Chambre, il est en effet plausible que la distribution de longueur des fibres dépende du taux d'étirage, ce qui d'ailleurs serait confirmé par des observations expérimentales effectuées par la requérante. En particulier, dans une opération de craquage effectuée sur plusieurs zones avec un taux d'étirage total plus élevé que le taux de 1,02 et dans laquelle les fibres de la nappe sont craquées plusieurs fois, il est plausible que la distribution de longueur soit différente de celle des fibres d'une nappe qui sont craquées une seule fois, étant donné que le comportement à rupture des fibres change après le premier craquage (voir p.ex. le document S3, page A10, dernier paragraphe).

4. Le fait d'accepter le point de vue de la requérante, à savoir que le taux d'étirage selon le brevet litigieux est de 1,02, implique d'infirmer la conclusion de la division d'opposition sur la suffisance de l'exposé. Cette conclusion était basée sur le fait (voir point III ci-dessus) que la distribution de longueur telle que définie dans la revendication 1 résulte directement et naturellement de n'importe quelle opération d'étirage-craquage pourvu qu'on ne procède à aucun étirage subséquent à l'opération d'étirage-craquage. A cause de l'interprétation qui selon la requérante elle-même doit être donnée à son propre brevet, la suffisance de l'exposé doit donc appréciée sous un autre angle que celui qui a permis à la Division d'opposition d'arriver à une conclusion lui étant favorable à cet égard.

5. La question qui se pose alors est de savoir si l'homme du métier à la lecture du brevet litigieux, compte tenu de ses connaissances générales en matière de fabrication de nappes de fibres de carbone, et en particulier en ce qui concerne le procédé d'étirage-craquage, serait capable de réaliser sans effort excessif une nappe ayant une distribution de longueur telle que définie à la revendication 1, telle que la longueur moyenne des fibres, c'est-à-dire la longueur moyenne de 50 % des fibres d'un échantillon, soit comprise entre 40 et 70 % environ de la longueur de la fibre la plus longue de l'échantillon.

6. Le brevet en cause ne contient aucune indication explicite relative à une valeur précise du taux d'étirage à appliquer. Au par. [0015] du brevet il est dit que "pour obtenir des fibres longues, il convient d'écarter les séries de rouleaux de traction et de disposer d'une différence de vitesse relativement faible d'une série de cylindres à la suivante, tandis que pour obtenir des fibres plus courtes, il faut réduire l'écart entre les différentes séries de cylindres de traction, et augmenter la différence de vitesse d'un cylindre à un autre". Le taux d'étirage d'une zone d'étirage étant le rapport entre la vitesse de la série de cylindres de sortie de ladite zone et la vitesse de la série de cylindres d'entrée de la même zone, ce passage n'implique pas nécessairement, comme l'a soutenu l'intimée, que le brevet enseigne que le taux d'étirage total (produit des taux d'étirages des différentes zones) peut varier. Il n'implique toutefois pas non plus que le taux d'étirage total doit avoir une valeur précise.

7. La requérante a soutenu que l'homme du métier aurait compris à la lecture du brevet qu'il devait appliquer le taux d'étirage minimum permettant de craquer toutes les fibres, parce que ce taux garantissait non seulement le craquage de toutes les fibres mais aussi un allongement minimal de la nappe lors de l'étirage-craquage, ce qui était important afin d'arriver à une nappe ayant une capacité d'allongement élevée comme requis par la revendication 1. Il n'y a toutefois aucune indication dans le brevet suggérant à l'homme du métier que la capacité d'allongement mentionnée à la revendication 1, c'est-à-dire une capacité d'allongement correspondant à un déplacement relatif des fibres de carbone dans une plage comprise entre 0 et 45 % de la fibre la plus longue, s'obtient sans aucun allongement de la nappe pendant le craquage. Le brevet donne l'impression que la capacité d'allongement requise est une conséquence directe de la distribution de fibres selon la revendication 1 (voir paragraphes [0036] à [0038] du brevet et le texte de la revendication 1: "la nappe possédant ainsi une capacité d'allongement..."). L'homme du métier se concentrerait donc essentiellement sur la façon d'obtenir une telle distribution indépendamment de considérations concernant la capacité d'allongement.

8. La requérante a aussi fait valoir que le niveau de connaissance de l'homme du métier spécialiste de l'étirage-craquage des fibres de carbone est élevé. En suivant la requérante, on peut admettre que le document S3, qui a trait entre autres à une modélisation mathématique du craquage et s'adresse par conséquent clairement à un public de haut niveau, formé par exemple d'ingénieurs mécaniciens, soit représentatif des connaissances générales de l'homme du métier. Toutefois, même à la lumière de ses connaissances générales telles que divulguées par S3, l'homme du métier n'aurait pas trouvé d'indications lui permettant de conclure que le taux d'étirage devait avoir la valeur de 1,02. S3 traite le craquage en général et divulgue que, en principe, pour avoir craquage, le taux d'étirage T1 (qui tient compte de la tension xa acquise par les fibres, voir page A5, par. "Formulation générale") doit être supérieur à 1+xr, où xr est l'allongement à rupture des fibres (l'allongement à rupture des fibres de carbone étant environ 1,5 %, xr est environ 1,015 pour ces fibres). Suivant la courbe de répartition de l'allongement de rupture des fibres, le taux d'étirage peut être choisi pour craquer une partie des fibres seulement ou bien toutes les fibres dans une zone de craquage (voir page A9, "1ère zone de craquage"). Dans ce dernier cas, le taux d'étirage doit être supérieur à 1+xr3, où xr3 est essentiellement l'allongement à rupture maximal des fibres (voir page A9, par. "Diagramme théorique de longueur des fibres"). Le choix du taux d'étirage dans les zone de craquage successives se fait de manière analogue, mais en tenant compte du fait que les allongements de rupture sont diminués du fait de la mise sous tension des fibres lors de la première opération de craquage (page A10, par. "2ème zone de craquage"). S3 indique donc comment choisir en général le taux d'étirage: si on veut craquer toutes les fibres il faut qu'il soit supérieur à une valeur limite, et si on veut craquer une partie seulement des fibres dans une zone de craquage, il faut qu'il soit compris dans une plage de valeurs dont l'extrémité supérieure est ladite valeur limite. S3 ne contient cependant aucune indication suggérant à l'homme du métier d'adopter précisément cette valeur limite du taux d'étirage, c'est-à-dire un taux d'étirage juste suffisant pour réaliser le craquage de la matière spécifique à craquer.

9. Selon la jurisprudence des Chambres de recours, il convient d'admettre les tâtonnements dans une mesure raisonnable lors de l'appréciation de la suffisance de l'exposé. Toutefois, dans le cas présent, dans lequel aucune instruction claire et complète n'est donnée dans le brevet concernant le choix de la valeur précise susmentionnée du taux d'étirage, il n'est pas évident de savoir comment l'homme du métier pourrait arriver nécessairement et directement à ladite valeur précise du taux d'étirage par le biais de l'évaluation des échecs initialement rencontrés dans le cas d'expériences réalisés avec des taux d'étirage choisis arbitrairement (voir p.ex. T 226/85).

10. En conséquence, bien qu'elle ait admis l'hypothèse initiale de la requérante selon laquelle pour obtenir une distribution de longueur suivant la revendication 1 du brevet litigieux il est nécessaire d'effectuer un étirage lent et contrôlé des fibres avec un taux d'étirage de 1,02 réparti dans les zones de la machine de craquage, la Chambre arrive à la conclusion que le brevet ne contient pas d'instructions claires et complètes permettant à l'homme du métier d'arriver directement et sans effort excessif audit taux d'étirage. Il s'en suit que le brevet européen n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter (article 100(b) CBE).

11. Le brevet doit donc être révoqué pour cette raison.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

1. Le recours est rejeté.

Quick Navigation