T 1032/03 () of 14.6.2005

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2005:T103203.20050614
Date de la décision : 14 Juin 2005
Numéro de l'affaire : T 1032/03
Numéro de la demande : 96917619.7
Classe de la CIB : E04F 13/02
C04B 41/60
B32B 13/08
Langue de la procédure : FR
Distribution : C
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Versions : Unpublished
Titre de la demande : Procédé de construction de second oeuvre
Nom du demandeur : Lafarge Plâtres
Nom de l'opposant : Gebr. Knauf Westdeutsche Gispwerke KG
BPB Industries Plc
Chambre : 3.2.03
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 100(b)
Mot-clé : Exposé insuffisant de l'invention
Exergue :

-

Décisions citées :
T 0435/91
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
T 1197/05

Exposé des faits et conclusions

I. Les opposantes I et II ont respectivement formé sous paiement de la taxe correspondante, les 30 septembre 2003 et 10 octobre 2003, recours contre la décision en date du 1 août 2003 de la division d'opposition de maintenir le brevet n° 0 777 800 en une forme modifiée. Les motifs de recours ont été déposés le 27 novembre 2003 par l'opposante I (ci-après requérante I) et le 4 décembre 2003 par l'opposante II (ci-après requérante II).

La décision était fondée sur la revendication 1 modifiée et libellée comme suit :

"Procédé de construction de second oeuvre, selon lequel :

a) on dispose de plaques préfabriquées comportant chacune un corps de plâtre, au moins une feuille de papier de parement comprenant une couche externe présentant une face extérieure apparente, prête à être décorée ; d'un enduit de bouchage destiné à constituer l'essentiel des joints entre les différentes plaques ; et d'un enduit complémentaire de finition des joints ;

b) on assemble les plaques préfabriquées entre elles avec l'enduit de bouchage ;

c) on finit les joints avec l'enduit complémentaire, appliqué sur l'enduit de bouchage, de manière à obtenir une surface d'ensemble extérieure et apparente, relativement uniforme ou plane, y compris au niveau des joints ;

caractérisé en ce que,

d) d'une part la structure et/ou la composition du papier de parement, et d'autre part, la composition de l'enduit complémentaire sont ajustées l'une par rapport à l'autre, pour obtenir, à l'état sec de l'enduit complémentaire, une surface d'ensemble présentant

d1) une couleur ou teinte,

d2) ainsi qu'une absorption d'eau de surface, et

d3) éventuellement un aspect de surface dont une réflectance,

sensiblement homogènes dans pratiquement toute la surface d'ensemble, y compris au niveau de la face extérieure apparente des joints,

e) moyennant quoi ladite surface d'ensemble peut être décorée, sans préparation de celle-ci, telle que revêtement avec au moins une couche d'impression complémentaire,

f) l'absorption surfacique d'eau de la surface d'ensemble étant mesurée selon le test de la goutte d'eau, à 23°C."

(Note de la Chambre : la classification de la partie caractérisante en paragraphes d, e et f, et en sous- paragraphes d1 à d3, a été rajoutée dans le texte pour les fins de la clarté de la motivation.)

II. La division d'opposition a estimé que les objections soulevées au titre des articles :

· 100a) CBE (articles 54 et 56 CBE),

· 100b) CBE (insuffisance de description, article 83 CBE),

· 100c) CBE (le brevet tel que délivré comprend une extension au titre de l'article 123(2) CBE),

· 84 CBE (l'objet revendiqué n'est pas supporté par la description),

· 123(2) et 123(3) CBE (extension du champ de protection) pour les documents tels que modifiés et maintenus,

ne s'opposaient pas au maintien du brevet dans sa forme modifié et que le brevet et l'invention y décrite répondaient aux exigences de la CBE.

III. Une procédure orale a eu lieu le 14 juin 2005, au cours de laquelle le seul point débattu a été l'insuffisance de l'exposé de l'invention.

Les documents suivants ont, entre autres, été considérés lors de ces débats :

a) Etat de la technique selon l'article 54(2) CBE :

· D1 : EP- A - 0 521 804

· D15b : official standard T 432 om-94 : "Water absorbency of bibulous papers", 1994 TAPPI

· D37 : D. Eklund, "The influence of Binders and Pigments upon the K&N Ink Absorption of Coated Papers", No. 9, 1973 Papper och Trä, rapport expérimental

· D22 : Norme T402om-93, TAPPI 1993 : "Standard conditioning and testing atmospheres for paper, board, pulp handsheets, and related products"

b) Tests - rapports expérimentaux :

i) fournis par l'opposante II (requérante II) :

· D16 : « Experimental Report » déposé avec la lettre du 20 juillet 2002,

· D31 : « Experimental Report : June 2003 » complété par D36

· D36 : « Experimental Report : December 2003 »

· D40 : « Experimental Report : March 2005 »

· D42 : « Experimental Report : May 2005 »

ii) fourni par la titulaire (intimée) :

· D38 : rapport expérimental daté du 22 juin 2004.

Dans la décision de première instance, tous les documents relatifs à des rapports expérimentaux ont été écartés, car postérieurs au dépôt de la demande de brevet en cause. La Chambre estime, au contraire, que les rapports expérimentaux fournis sont à prendre dûment en compte car ils sont susceptibles de contribuer à éclairer la discussion sur l'exposé de l'invention au sens de l'article 83 CBE.

IV. Les requérantes I et II ont maintenu toutes leurs objections formulées en première instance à l'encontre du brevet tel que maintenu, c'est-à-dire tirées des articles 100a), 100b), 100c), 84 et 123 CBE.

En ce qui concerne les objections au titre de l'article 100b) ou 83 CBE, les principaux arguments des requérantes sont les suivants.

L'homme du métier ne serait pas à même de reproduire l'invention par manque de description ou d'exposé révélé par les constatations suivantes.

D'une part, le test de la goutte d'eau ne serait pas efficace ou adapté pour mesurer le degré d'absorption de l'ensemble plaques-enduit et encore moins son caractère homogène (la requérante I cite à ce propos D15b, paragraphe 1.1, qui stipule que le test de la goutte ne devrait pas s'appliquer à des temps d'absorption supérieurs à 2 minutes, et qu'il faudrait lui préférer dans ce cas le test COBB). A cet égard, la description ne supporterait pas le procédé revendiqué dans la mesure, où le seul exemple de résultats expérimentaux du tableau I de la page 5 du brevet définit des temps d'absorption pour la plaque et pour le joint supérieurs à 60 minutes, sans pour autant indiquer les valeurs réelles mesurées, qu'elles soient sensiblement égales ou non.

D'autre part, la description ne contiendrait pas d'exemple concret de réalisation de l'invention qui puisse illustrer pas à pas le procédé d'ajustement, c'est-à-dire la démarche à suivre pour ajuster les composants de manière à atteindre une homogénéité (entendue comme de résultats pratiquement identiques) de l'absorption entre les plaques et l'enduit.

En outre, de grandes difficultés dans la mise en oeuvre de l'invention, voire une quasi-impossibilité de reproduction des résultats attendus, seraient apparues lors des tests et résultats expérimentaux fournis par la requérante II (cf. documents D16, D31, D36, D40 et D42). Il ne serait, par exemple, pas possible d'ajuster la composition du joint par rapport à la plaque pour arriver à harmoniser de manière satisfaisante les temps d'absorption (en moyenne 1 heure pour le joint, selon le test de la goutte, contre 3 heures pour la plaque, voir par exemple tableau 6 de D31). Une autre difficulté viendrait du fait que l'influence de l'agent hydrophobe dans la composition de l'enduit complémentaire se serait avérée beaucoup moins essentielle que la description du brevet ne le laissait entendre; des essais de D40 et D42 auraient en effet montré une incohérence de résultats à ce niveau.

En conclusion, l'exposé de l'invention serait déficient par manque d'instructions détaillées ou généralisées, pourtant nécessaires à la mise en oeuvre du procédé revendiqué, et notamment de l'étape d'ajustement des matériaux en vue d'une homogénéité d'absorption. L'homme du métier serait donc obligé de procéder à de multiples tâtonnements expérimentaux, au cours desquels il devrait varier un large nombre de paramètres, pour espérer pouvoir reproduire l'invention. Or, une telle activité de recherche impliquerait des difficultés excessives et nécessiterait un apport d'activité inventive de sa part.

V. L'intimée a réfuté les arguments avancés par les requérantes à propos de l'ensemble des points de droits abordés, et a soutenu que la décision contestée devait être confirmée.

En ce qui concerne l'exposé de l'invention, l'intimée a invoqué pour l'essentiel les arguments suivants :

- Le test de la goutte d'eau serait une méthode de mesure de la capacité d'absorption d'eau de surface parfaitement adaptée au procédé revendiqué. Les mesures établies pour des valeurs d'absorption de plus de 60 minutes seraient tout-à-fait fiables et courantes dans le domaine des plaques et du papier (cf. par exemple norme D22, paragraphe 3).

- L'essence de l'invention porterait principalement sur un procédé de construction incluant la livraison ou l'utilisation d'un ensemble plaques-enduit préalablement assortis de manière à présenter une surface d'ensemble homogène en termes de couleur et d'absorption d'eau de surface, et non pas sur une activité ou procédure d'ajustement de la composition de l'enduit complémentaire aux propriétés données d'une plaque dans un but d'homogénéité. Cette approche se distinguerait de la pratique courante en vigueur avant le brevet, qui exigeait l'apport systématique d'une couche préliminaire d'apprêt avant toute décoration finale.

- Le brevet comprendrait bien un exemple concret de réalisation du procédé selon l'invention, et notamment l'étape d'ajustement à la plaque des propriétés d'absorption de l'enduit complémentaire. Le choix de l'agent hydrophobe et son dosage seraient à cet égard des facteurs importants comme l'indique la description.

- L'homme du métier saurait, au vu de ses connaissances générales dans le domaine, faire varier les paramètres de la structure de la plaque et/ou la composition chimique de celle-ci et de l'enduit pour obtenir une homogénéité d'absorption de l'ensemble.

- Les résultats des tests fournis par la requérante II seraient à bien des égards surprenants voire contradictoires, ce qui leur retirerait tout caractère probant, d'autant plus que certains d'entre eux divergeraient fortement des mesures faites pour le compte de l'intimée dans le document D38 (par exemple le temps d'absorption pour la même plaque Pregylys de l'intimée est de 120 minutes selon D38 et de plus de 165 minutes selon le tableau 2 de D40). Selon le test D38 (voir exemples A3 et A4 de la page 2) il apparaîtrait clairement que la capacité d'absorption de l'enduit diminue avec l'augmentation de la teneur en agent hydrophobe, ce qui correspondrait bien à l'enseignement du brevet.

VI. Requêtes

Les requérantes I et II ont demandé l'annulation de la décision attaquée et la révocation du brevet.

L'intimée a soumis les requêtes suivantes :

a) requête principale : rejet des recours et maintien du brevet dans sa forme modifiée devant la division d'opposition,

b) à titre subsidiaire : annulation de la décision et maintien du brevet selon les requêtes subsidiaires :

· première, seconde et troisième requêtes telles que déposées par lettre du 22 juin 2004,

· quatrième requête telle que déposée avec la lettre du 28 avril 2005 et correspondant au texte du brevet tel que délivré,

· cinquième, sixième, septième et huitième requêtes correspondant respectivement à la requête principale d'une part, et aux première, seconde et troisième requêtes subsidiaires d'autre part, avec cette circonstance que chacune d'entre elles est modifiée, selon la lettre du 3 juin 2005, dans la caractéristique e) de la revendication 1 ainsi qu'il suit :

i) "ladite surface d'ensemble peut être décorée/peinte" est remplacé par "ladite surface d'ensemble est décorée/peinte", et

ii) "sans préparation de celle-ci, telle que revêtement" est remplacé par "sans préparation de celle-ci par revêtement".

Motifs de la décision

1. Les recours sont recevables.

2. Suffisance d'exposé (articles 100b) et 83 CBE)

L'objet de l'invention revendiquée doit, pour satisfaire à la condition posée par l'article 100b) CBE, être exposé de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier la puisse exécuter et reproduire. Selon la jurisprudence constante des Chambres de Recours, il importe à cet égard de vérifier si le brevet contient suffisamment d'indications adéquates pouvant permettre à l'homme du métier de parvenir, sans difficulté excessive et sans apport inventif de sa part, à l'objet revendiqué et d'atteindre les effets techniques allégués.

2.1. L'invention selon le brevet

2.1.1 Etat de la technique

Le brevet concerne un procédé de construction utilisant des plaques préfabriquées assemblées entre elles avec un enduit de bouchage, un enduit complémentaire de finition étant appliqué sur celui-ci pour égaliser la zone de jointure des plaques de manière à obtenir une surface d'ensemble extérieure relativement uniforme. Dans le brevet (voir page 2, lignes 12 à 15) est cité l'état de la technique connu de D1 qui illustre un tel procédé de construction.

Cet état de la technique enseigne par ailleurs un ajustement des structures et/ou compositions des plaques et des enduits de manière à obtenir une homogénéité de couleur, ou du moins à s'en rapprocher (voir D1 : page 5, lignes 7 et 8, page 9, lignes 30 à 32). Un des avantages avancés dans D1, cf. page 5, lignes 38 à 40 et 50 à 57, page 6, lignes 48 à 55, a trait à la qualité des surfaces de plaques, qui permet le collage de papier peint ou une mise en peinture avec une qualité de finition satisfaisante sans pour autant nécessiter une couche d'apprêt intermédiaire, donc sans préparation ou traitement préalable des plaques. Un de ces avantages est dû à la régulation de la capacité d'absorption en surface des plaques, cf. page 5, ligne 57, et se rapporte au collage et décollage de papier peint directement sur les et des plaques exemptes de couche d'impression préliminaire. Cette régulation peut être contrôlée grâce à l'addition dosée d'agent hydrophobe, tel que du silicone, cf. page 9, lignes 35 à 51.

En résumé, D1 divulgue un procédé de construction dans lequel on utilise des plaques et un enduit complémentaire présentant ensemble une surface extérieure de couleur homogène, les plaques ayant, en outre, une structure et/ou une composition propres à les rendre aptes à être décorées directement (par pose de papier peint ou par mise en peinture) et sans avoir recours à une couche primaire d'impression ou d'apprêt, grâce à leur homogénéité de surface, notamment en matière de capacité d'absorption d'eau.

Un tel procédé est par ailleurs considéré dans la description du brevet comme base d'un mode d'exécution préférentiel du procédé de l'invention, cf. page 3, lignes 35 à 40.

2.1.2 Contribution technique

Il en résulte, conformément au brevet (cf. paragraphes [0006] et [0032]), que l'apport de l'invention par rapport à l'état de la technique selon D1 réside dans l'ajustement additionnel entre la structure/composition de la plaque et la composition de l'enduit complémentaire en termes de pouvoir d'absorption d'eau de surface. Cet ajustement complémentaire vise à obtenir, à l'état sec de l'enduit de finition, une surface extérieure d'ensemble présentant également une absorption d'eau sensiblement homogène, y compris dans les zones des joints comportant en surface l'enduit complémentaire de finition. Ces mesures devraient permettre la décoration (telle que peinture ou papier peint) immédiate de la surface d'ensemble plaques-joints sans nécessiter pour autant un traitement préalable tel que l'application classique d'une couche primaire d'impression.

Lors de la procédure orale, à tout le moins "in fine", l'intimée a tenté de définir l'essence de l'invention comme étant :

- un procédé de construction incluant la livraison ou l'utilisation d'un ensemble plaques-enduit préalablement assortis de manière à présenter une surface d'ensemble homogène en termes de couleur et d'absorption d'eau de surface,

- et non pas, ou non plus, comme un procédé incluant une étape d'ajustement (donc d'activité technique) des compositions pour obtenir une homogénéité.

Cette définition se distinguerait de la pratique courante en vigueur avant le brevet en cause, pratique qui consistait à laisser les constructeurs libres de se procurer et d'utiliser des plaques et un enduit complémentaire, les unes indépendamment de l'autre, ce qui exigeait systématiquement la pose ou l'apport d'une couche préliminaire d'apprêt.

La chambre ne partage pas cette lecture du brevet, dont la description ne permet, en aucune manière, de conclure que l'invention résidait dans une sélection de combinaisons d'ensemble plaques-joints. Une telle interprétation ne serait pas fidèle au contenu du brevet (et notamment pas à la présentation de l'état de la technique, de ses inconvénients et de l'objectif de l'invention, tels que rappelés notamment à la page 2 du brevet) et, de fait, consisterait dans le déplacement a posteriori du concept inventif pour tenter de pallier à l'insuffisance de description. Bien au contraire, le procédé a toujours été présenté et considéré lors de la procédure devant la première instance comme reposant sur un ajustement des compositions chimiques des plaques (ou de leur structure) et de l'enduit, ceci correspondant à une démarche active de recherche de produits en faisant varier des paramètres de composition, tel notamment l'agent hydrophobe.

2.1.3 Notion d'homogénéité

Dans le contexte du brevet, au vu des objections de clarté soulevées par les requérantes à l'encontre du qualificatif "sensiblement homogène", et eu égard au fait que ce qualificatif fut sujet à des interprétations divergentes ou du moins distinctes au cours de la procédure d'opposition, il est nécessaire d'analyser préliminairement la signification et la portée de la notion d'homogénéité en matière de pouvoir d'absorption d'eau, puisqu'au coeur des débats relatifs à la suffisance d'exposé de l'invention.

La description comporte plusieurs passages se référant au pouvoir d'absorption. Ainsi peut-on trouver deux types d'indication dans la description :

- une première notion d'homogénéité, sur laquelle s'est fondée l'intimée au cours de la procédure d'opposition, et consistant, selon un mode préféré de réalisation (voir page 3, lignes 1 à 9, page 5, Tableau I et lignes 19 à 22) dans la comparaison des valeurs de capacité d'absorption mesurées par rapport à une valeur seuil (soit temps d'absorption supérieur à 60 minutes selon le test de la goutte, soit absorption inférieure à 15g/m2 selon le test COBB), cf. point 4.3 de la décision mise en cause ;

- une seconde interprétation basée sur une notion de "nivellement" des pouvoirs d'absorption des plaques et de l'enduit complémentaire (voir page 3, lignes 54 à 57), donc basée sur l'idée de capacités d'absorption sensiblement égales entre les plaques et l'enduit complémentaire, cette notion ayant été retenue dans la décision de la première instance, cf. point 4.2 de celle-ci.

Il est clair que ces deux notions également applicables à la caractéristique fonctionnelle définissant l'homogénéité de la surface d'ensemble sont relativement divergentes et laissent planer un doute quant à l'interprétation que l'homme du métier devrait en faire selon l'article 69(1) CEB, deuxième phrase.

Selon la Chambre, l'homme du métier entend généralement par homogénéité de valeurs ou propriétés physiques des valeurs ou propriétés sensiblement égales. Cette définition de "sensiblement homogène" s'applique par ailleurs sans équivoque aux deux autres propriétés ou entités physiques que sont la couleur d'une part et la réflectance d'autre part, voir notamment le passage de la page 3, lignes 3 à 7, d'où il ressort que l'homogénéité de ces propriétés est à comprendre comme le résultat de valeurs sensiblement égales ayant un écart toléré limité (facteur de réflectance compris entre 70% et 80% et écart de couleur au plus égal à 3, tant pour les plaques que pour les joints).

La Chambre rejoint donc sur ce point l'interprétation donnée dans la décision de la première instance, à savoir que l'homogénéité implique des valeurs sensiblement égales, sans toutefois souscrire à sa définition explicite des valeurs (5% à 10%) d'écart maximum toléré, qui ne trouve aucune base dans la demande d'origine.

C'est sur cette base d'interprétation que le traitement de l'aspect de suffisance d'exposé est poursuivi ci-après.

2.2 Toutes les requêtes concernées

L'objection d'insuffisance d'exposé de l'invention et le débat y relatif s'appliquent de manière uniforme à toutes les requêtes de l'intimée. En effet, l'aspect principal de l'invention, consistant dans l'ajustement de la structure de la plaque ou de sa composition avec la composition de l'enduit complémentaire aux fins d'obtenir une certaine homogénéité de ces composants au titre de leur pouvoir d'absorption d'eau, est le commun dénominateur des revendications indépendantes selon chacune des requêtes déposées et constitue comme tel l'objet essentiel des débats sur la suffisance d'exposé l'invention.

2.3 Comme exposé dessus au point 2.1.2, celle des caractéristiques essentielle à l'invention, et a priori la seule distinctive, réside dans une étape d'ajustement de la propriété physique relative à l'absorption d'eau de surface entre les plaques et l'enduit complémentaire en vue d'obtenir une homogénéité de la surface d'ensemble. Cette étape d'"ajustement" est définie uniquement par sa fonction, "de sorte à atteindre une homogénéité". L'information véhiculée par cette caractéristique et transmise comme instruction à l'homme du métier, consiste par conséquent à "jouer" soit sur la structure des plaques, soit sur les composants chimiques (choix des matières, dosage et quantité relative,...) constituant les plaques et/ou l'enduit complémentaire jusqu'à finalement atteindre une surface d'ensemble présentant une homogénéité d'absorption d'eau.

Or, la particularité de la définition "fonctionnelle" d'une étape de procédé réside dans le fait que cette étape n'est pas caractérisée en termes d'une séquence d'activités précises mais uniquement par son effet (voir par exemple T 0435/91 du 9 mars 1994, JO 1995, 188). Ainsi, ce type de définition ne concerne pas, dans le cas présent, un procédé ou un groupe limité de procédés tangibles incluant des étapes d'ajustement portant sur des choix de matériaux et de leurs teneurs respectives dans la composition globale, mais plutôt une multitude indéfinie et abstraite de procédés pouvant reposer chacun tant sur une structure particulière des plaques que sur un choix de matériau ou groupe de matériaux sensiblement différent, dès lors qu'ils permettent d'obtenir le résultat escompté, d'une homogénéité d'absorption d'eau de surface.

Il faut ainsi, pour que la définition de l'invention remplisse les conditions posées à l'article 100b) ou 83 CBE, que l'homme du métier puisse disposer de toutes les étapes permettant d'atteindre l'homogénéité revendiquée. Le brevet doit donc contenir les informations nécessaires et suffisantes pour permettre à l'homme du métier de parvenir, sans difficulté excessive et sans avoir recours à une activité inventive de sa part, au résultat escompté, dans l'ensemble du domaine de la définition telle que revendiquée, faisant état ou non des connaissances générales pertinentes en relation avec la caractéristique fonctionnelle concernée. En d'autres termes, la description, qu'elle se réfère ou non aux connaissances générales communes pertinentes, doit toujours enseigner un concept technique se suffisant entièrement à lui-même sur la manière dont le résultat revendiqué peut être atteint.

Il convient, dans le cas d'espèce, de déterminer si la description divulgue un mode particulier de réalisation de l'invention et/ou un concept technique susceptible d'être généralisé et rendant accessibles à l'homme du métier la multitude de variantes couvertes par la définition "fonctionnelle" concernée du procédé revendiqué.

2.3.1 Absence d'exemple concret de mode de réalisation

La description du brevet ne contient aucun véritable mode de réalisation particulier du procédé revendiqué. Certes, comme indiqué dessus, il y est fait référence à un "exemple détaillé" (voir page 4, ligne 13) décrivant l'utilisation de plaques connues de D1, et plus particulièrement du type conforme à l'exemple 5 de D1 (voir page 4, lignes 14 à 19), et d'un enduit complémentaire ayant une formule de composition chimique générale telle qu'indiquée à la page 4, lignes 19 à 35, où les constituants sont présentés principalement sous un terme générique accompagné de leur fonction spécifique au sein de la composition (par exemple "liant, "agent hydrophobe", ...). La description de cet "exemple" reste cependant muette quant à la composition exacte de l'enduit complémentaire (nature des composants, leurs pourcentages de poids exacts, etc...) ou la façon dont elle pourrait être déterminée, c'est-à-dire dans le cas d'espèce, quels types de composants devraient être ajustés (choix des matériaux et concentration) et selon quelle méthode de variation, pour que la surface d'ensemble plaques-joints puisse effectivement présenter une capacité d'absorption homogène.

Quant aux tableaux comparatifs présentés à la page 5 du brevet, ils tentent de mettre en valeur les propriétés modifiées par rapport à un ensemble standard ; cet ensemble standard ne comprenant pas les plaques selon l'exemple 5 de D1 mais des plaques "standard", qui correspondraient plutôt à l'état de la technique servant de base ou de point de départ à l'invention divulguée dans D1.

Il est donc impossible à l'homme du métier d'extraire de la description des informations combinées ou combinables qui puissent définir un mode particulier de réalisation de l'invention.

2.3.2 Absence de concept technique généralisé

Aucun concept technique généralisé dans le sens défini dessus n'est présenté, voire dérivable, du contenu du brevet.

En effet, la seule indication relative à la variation du pouvoir d'absorption en eau, et que l'homme du métier puisse déduire directement du brevet, réside dans la propriété des agents hydrophobes. On peut ainsi lire à la page 3, lignes 49 à 57, que l'agent hydrophobe (tel que du silicone) permet de niveler les pouvoirs absorbants des surfaces de l'enduit et du papier de parement des plaques. Cette propriété de l'agent hydrophobe est d'ailleurs, à cet égard, en parfait accord avec l'exposé de D1 qui lui prête la même influence sur les propriétés physiques des plaques, cf. page 9, lignes 35 à 51 de D1. L'enseignement dérivable du brevet en matière d'homogénéisation des pouvoirs d'absorption est donc uniquement porté vers l'action de l'agent hydrophobe.

C'est au vu de cet enseignement que des tests expérimentaux ont été établis par la requérante II et par l'intimée. L'analyse de leurs résultats revêt une importance particulière quant à l'existence ou non d'un concept technique généralisé.

De tous les tests expérimentaux soumis à la Chambre, et notamment ceux des documents D31, D36, D38, D40 et D42, il ressort que les résultats en matière d'influence de la teneur en agent hydrophobe sur la capacité d'absorption de la composition globale de l'enduit, et donc sur la fonction d'homogénéité de la surface d'ensemble y relative, manquent d'uniformité et peuvent même, dans certains cas, s'avérer surprenants ou du moins imprévisibles, comme peuvent le montrer, à titre d'exemples, les constatations suivantes.

Dans le tableau 2 de D40 et D42, la capacité d'absorption diminue avec l'augmentation de la charge en agent hydrophobe pour les enduits dits Mix A et Mix C, alors qu'elle augmente du Mix G1 vers Mix G2, le Mix G2 ayant également plus d'agent hydrophobe que le Mix G1. Ce résultat peut paraître surprenant, voire paradoxal, et tendrait à indiquer que d'autres paramètres ont une influence non négligeable sur le comportement d'absorption tel que mesuré par le test de la goutte d'eau ; ainsi les Mix A et Mix C varient-ils dans leur composition non seulement par des teneurs différentes en agent hydrophobe (Rhodasil®) H68 pour les deux compositions) mais aussi par le produit sélectionné comme agent liant (Emulthex®) 596 pour Mix A et Mowilith®) DM1340 pour le Mix C). En outre, les valeurs obtenues pour la capacité d'absorption (durée d'après le test de la goutte d'eau) pour la plaque d'une part et pour l'enduit d'autre part sont si éloignées entre elles qu'on ne les peut considérer comme sensiblement égales.

Toujours est-il qu'aucune règle générale et aux résultats reproductibles ne peut être extraite de l'analyse des différentes valeurs expérimentales soumises, si ce n'est que le comportement de l'enduit sur le plan de l'absorption n'est pas uniquement, voire même principalement, lié à la teneur en agent hydrophobe.

L'intimée n'a pas commenté ces résultats divergents mais a fait valoir que rien ne prouvait l'exactitude des résultats et que ceux-ci dépendaient grandement des conditions de l'expérience. Elle a par ailleurs rappelé que les résultats obtenus selon son propre test (cf. D38) permettaient bien de vérifier la dépendance de la capacité d'absorption de l'enduit de sa teneur en agent hydrophobe.

La Chambre n'a cependant pas de raison pour écarter certains rapports expérimentaux ou n'en retenir qu'une sélection au titre d'une certaine pertinence, d'autant plus que le contenu des rapports expérimentaux tels que fournis par toutes les parties indiquerait plutôt que les tests ont, dans l'ensemble, été suivis avec sérieux dans le cadre des normes généralement applicables en la matière.

Il est ainsi impossible d'établir de manière sûre et incontestable un concept généralisé de la méthode d'ajustement des surfaces en matière de capacité d'absorption d'eau qui permette, en faisant uniquement ou principalement varier le pourcentage d'agent hydrophobe dans la composition de l'enduit complémentaire, de vérifier quelles combinaisons plaques-enduit sont à même d'atteindre le résultat d'homogénéité escompté.

Ces constatations intermédiaires rendent illusoire ou obsolète de tenter d'établir un concept généralisé permettant d'exécuter l'invention dans toute sa portée, c'est-à-dire dans le cadre d'un très grand nombre de variables [toutes les caractéristiques de structure et tous les ingrédients (nature et pourcentage) de la composition des plaques et de l'enduit complémentaire]. Le brevet reste en effet entièrement muet quant aux influences et aux réglages respectifs de ces variables par rapport au caractère d'homogénéité souhaité pour l'ensemble plaques-enduit. Ces difficultés ne pourraient que s'accentuer si l'homme du métier se confrontait en outre à l'une ou l'autre des questions suivantes. Les deux tests (COBB et goutte d'eau) présentés dans la description du brevet et devant permettre de mesurer la pouvoir d'absorption ont été discutés par les parties à propos de l'apparente divergence de leurs résultats en termes de valeurs ou de tendances pour les mêmes types de compositions. A ce propos les avis divergeaient entre les requérantes et l'intimée quant à l'utilisation du test de la goutte d'eau, qui ne serait, selon les unes, pas adapté à mesurer de manière probante une capacité d'absorption dans les conditions du brevet (grande surface des plaques relativement à celle des zones de joint) et, selon l'autre, parfaitement apte à être utilisée dans ce contexte. Une autre contestation s'élèverait quant à la signification technique de l'expression "sans préparation de la surface d'ensemble" placée dans son contexte, et en particulier de savoir si des opérations de ponçage sont ou non des préparations de surface, que l'invention se propose d'éviter, et si l'homogénéité mesurée devrait l'être avant ou après une telle opération de ponçage.

En conclusion, l'homme du métier serait dans l'incapacité de réaliser l'étape d'ajustage en matière d'absorption d'eau dans les limites aussi larges que celles que supporte l'exposé de l'invention, et ceci, même en ayant recours à ses connaissances générales pour procéder à des essais par tâtonnements successifs.

2.4 Difficultés excessives

Des résultats d'analyse intermédiaires exposés au point 2.3 ci-dessus, il apparaît à la Chambre que l'objet du brevet et de l'invention telle que revendiquée réside principalement dans une invitation à effectuer un programme de recherche, recherche incluant toutes sortes de paramètres, relatifs à la structure des plaques et/ou à la composition chimique de ces plaques et de l'enduit complémentaire, paramètres multiples, y inclus une possible influence de l'enduit de bouchage sur les propriétés de surface des joints, qui ne sont ni discutés ni même abordés dans la description du brevet.

En l'absence d'enseignement technique suffisamment clair permettant notamment de réaliser l'étape d'ajustement définie de manière fonctionnelle, la Chambre considère que l'homme du métier, tout en faisant un effort raisonnable de réflexion, par exemple en effectuant des essais de routine, n'est pas à même de mettre en oeuvre l'invention dans toute sa portée.

2.5 L'exposé de l'invention étant insuffisant, et ce grief affectant toutes les requêtes, le brevet ne satisfait pas aux exigences de l'article 100b) ou 83 CBE.

Ainsi les autres motifs d'opposition tirés des articles 100a), 100c) et 123 CBE n'exigent désormais aucune considération.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

1. La décision attaquée est annulée.

2. Le brevet Européen n° 0 777 800 est révoqué.

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