T 1069/98 () of 14.6.2000

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2000:T106998.20000614
Date de la décision : 14 Juin 2000
Numéro de l'affaire : T 1069/98
Numéro de la demande : 92401510.0
Classe de la CIB : E01C 7/26
E01C 19/10
E01C 23/06
C04B 28/02
C08L 95/00
Langue de la procédure : FR
Distribution : C
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Titre de la demande : Procédé de double traitement à froid d'un matériau granulaire destiné à la technique routière
Nom du demandeur : BEUGNET, Société dite
Nom de l'opposant : COLAS
Chambre : 3.2.03
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 56
European Patent Convention 1973 Art 69
European Patent Convention 1973 Art 84
Mot-clé : Qualité pour agir de la société titulaire
Activité inventive (reconnue)
Contenu réel d'une antériorité confirmé par un autre document
Exergue :

-

Décisions citées :
T 0412/91
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
-

Exposé des faits et conclusions

I. Le recours vise à infirmer la décision datée du 14. septembre 1998 d'une division d'opposition de l'OEB qui a rejeté l'opposition qui avait été formée contre le brevet européen EP-B1-0 545 740, notamment pour défaut d'activité inventive, et qui était fondée sur les documents suivants de l'art antérieur :

D1 : "Etude des traitements mixtes par l'essai de retrait thermique empêché", Bulletin de liaison du Laboratoire des Ponts et Chaussées, juillet/août 1975, pages 103-116.

D2 : "Etude des mortiers des graves traités aux liants hydrauliques et aux liants mixtes en vue de la réduction de leur fissuration de retrait", Rapport de recherche n 60 du Laboratoire des Ponts et Chaussées, octobre 1976, pages 1 à 17, 33. à 37 et 89 à 93.

D3 : FR-A-2 189 579

D4 : US-A-4 373 961

D5 : EP-A-0 356 066.

II. La revendication 1 de ce brevet, tel que délivré, a le libellé suivant :

"Procédé de double traitement à froid d'un matériau granulaire destiné à la technique routière caractérisé en ce que, dans une première étape, on prépare un prémélange du matériau granulaire et d'un premier liant hydraulique ou hydrocarboné et, dans une seconde étape, on transfère ce prémélange dans des organes de malaxage au niveau desquels on lui ajoute un second liant hydrocarboné ou hydraulique de façon à obtenir un mélange définitif que l'on répand sur une chaussée en chantier, le second liant étant un liant hydraulique si le premier liant est un liant hydrocarboné et inversement un liant hydrocarboné si le premier liant est un liant hydraulique."

III. L'opposante - ci-après la requérante - a formé recours et payé la taxe afférente le 16 novembre 1998. Dans son mémoire reçu le 22 janvier 1999, elle a fait valoir que le procédé selon la revendication 1 n'implique pas l'activité inventive requise par les articles 52 et 56 CBE au regard de l'enseignement des documents D1, D2 ci-dessus et des deux nouveaux documents suivants, qui sont joints à son mémoire :

D6 : "Le traitement mixte grave-laitier émulsion de bitume", Bulletin de liaison du Laboratoire central des Ponts et Chaussées, décembre 1970, pages 170 à 176.

D7 : "Retraitement au ciment de la RN 124 dans le Gers", Revue générale des routes et aérodromes, n 663, mai 1989, pages 33 à 42.

Par courrier reçu le 17 septembre 1999, la société titulaire du brevet attaqué - ci-après l'intimée - a réfuté les arguments de la requérante et soumis un jeu de revendications à titre de requête subsidiaire. Elle a aussi cité le document antérieur suivant :

D8 : FR-A-2 595 383.

IV. Une procédure orale s'est tenue le 14 juin 2000.

V. La requérante a contesté la validité de la revendication 1 en présentant les arguments suivants :

Le double traitement à froid d'un matériau granulaire pour les chaussées selon la revendication 1, telle que délivrée, était en fait déjà connu de l'art antérieur, comme l'indiquent les trois documents D1, D2 et D6, qui ont sensiblement le même contenu. D6, par exemple, à la page 175, colonne de droite, enseigne d'effectuer un préenrobage du matériau granulaire en le mélangeant avec une émulsion bitumeuse, donc avec un liant hydrocarboné, puis, après 24 à 48 heures de stockage, de fabriquer à partir de ce matériau préenrobé une grave-laitier, autrement dit de le mélanger avec un liant hydraulique. L'intimée, titulaire du brevet, prétend que son procédé se distingue de ce double traitement connu de l'art antérieur parce qu'il s'y ajoute un transfert entre les deux étapes. Or, dans D6, un tel transfert n'est, certes, pas explicitement mentionné, mais dès lors que le procédé qui y est décrit requiert un stockage après le premier mélange, un transfert s'impose et est donc implicite, car on ne stocke pas dans un malaxeur. Par ailleurs, la revendication 1 dans sa version délivrée n'exige pas que le matériau granulaire comprenne du sable, ni que le procédé soit appliqué au retraitement de vieilles chaussées. Le procédé revendiqué est donc anticipé par celui connu de D6.

En outre, le procédé revendiqué, même si sa nouveauté est admise, n'implique pas d'activité inventive, car un transfert d'un matériau préenrobé techniquement n'apporte rien. La description du brevet, d'ailleurs, n'en tire aucun effet particulier. Le problème que le brevet attaqué cherchait en fait à résoudre, était d'obtenir un produit avec des qualités mécaniques comprises entre celles d'un matériau granulaire uniquement traité par un liant hydrocarboné et celles d'un même matériau uniquement traité par un liant hydraulique. Or, ce problème était obsolète, puisque déjà résolu par D1, D2 et D6.

Le brevet attaqué prévoit aussi de retraiter de vieilles routes au moyen du procédé, objet de sa revendication 1 ; ceci non plus n'est pas nouveau : le document D7 montre qu'il était connu de retraiter une route nationale français au moyen de ciment, donc au moyen d'un liant hydraulique. Selon cet art antérieur, un premier appareil dosait et répandait le ciment en poudre sur la vieille chaussée. Un second engin suivait et, dans une première étape, fraisait cette chaussée, la décohésionnait, ce qui revenait à former un prémélange granulés/ciment, puis, dans une deuxième étape, il transférait ce prémélange à un malaxeur, au niveau duquel, selon le texte de la page 35, colonne de droite, et le schéma de la page 36 de ce document, soit de l'eau soit une émulsion de bitume était ajouté. Le procédé de la revendication 1 appliqué au retraitement de vieilles routes est donc entièrement anticipé. Prétendre que le passage ci-dessus de la page 35 enseigne d'appliquer soit un liant hydraulique soit un liant hydrocarboné est en contradiction avec le titre même de ce document, qui précise que l'étude faite portait sur un retraitement au ciment.

VI. L'intimée a défendu son brevet comme suit :

Selon la revendication 1 du brevet contesté, c'est la totalité du matériau granulaire prévu pour la chaussée qui est traitée dans la première étape, alors que les documents D1, D2 et D6 n'enseignent que de traiter les gros granulés lors de cette première étape. Cette différence ne peut être ignorée. En outre, les documents ci-dessus de l'art antérieur révèlent que les résultats de laboratoire obtenus à partir des procédés qu'ils décrivent ne sont pas satisfaisants. L'homme du métier n'était donc pas encouragé à poursuivre les recherches dans cette direction. Avec la présente invention, au contraire, les inventeurs, plus de quinze ans après la divulgation de ces documents, ont découvert un procédé, qui s'est révélé satisfaisant sur le plan pratique, c'est-à-dire pour des chantiers réels de réfection de chaussées. Il est exact qu'un transfert, tel que mentionné dans la revendication 1, n'a pas d'action en soi, mais il implique deux choses, à savoir, d'une part, que ce soit tout le matériau prévu pour la chaussée qui soit prémélangé avec un liant, et d'autre part que les organes de traitement soient distincts entre les deux étapes. Cet ensemble de conditions ne peut être déduit de l'enseignement de D1, D2 et D6. Quant au contenu du document D7, il doit être interprété par un homme du métier. Pour celui-ci, il est clair que le passage de la page 35 doit uniquement se comprendre comme envisageant une alternative, c'est-à-dire soit un liant hydraulique soit un liant hydrocarboné. En effet, lors d'un traitement avec une machine ARC 700, un seul type de liant était utilisé, comme le confirme D8. De plus, il était connu que, dans la machine ARC 700, l'apport d'eau se faisait devant la fraise, et non au niveau du malaxeur. D7 doit donc être interprété comme enseignant soit un liant hydraulique soit un liant hydrocarboné, mais pas l'usage de deux dans un même procédé.

VII. La requérante demande l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet européen.

L'intimée demande le rejet du recours ou subsidiairement le maintien du brevet sur la base du jeu de revendications déposé le 17 juillet 1999.

Motifs de la décision

1. Le recours est admissible.

2. Qualité pour agir de la société, titulaire du brevet à l'origine

a) Un courrier du représentant de la titulaire du brevet en date du 7 juin 2000 ayant mentionné l'existence de la société Appia "issue de la fusion entre les sociétés SCR Beugnet (i.e. la titulaire) et Gerland Routes", l'opposante à l'audience du 14 juin 2000, avant de faire valoir ses moyens au fond, a contesté que la société SCR Beugnet ait encore qualité pour agir.

b) L'intimée fit alors valoir qu'elle avait encore une existence légale et demeurait, en tant que titulaire du brevet, avoir qualité pour agir.

c) Par lettre du 16 juin 2000, l'opposante reste lui contester cette qualité, motifs pris de ce que ses recherches ne feraient pas apparaître l'existence actuelle d'une quelconque SCR Beugnet ayant pour objet social la construction de routes.

d) Attendu toutefois qu'aucune requête en transfert au registre européen des brevets n'ayant été à ce jour déposée, la société SCR Beugnet demeure aux termes de la Convention sur le brevet européen, irréfragablement présumée titulaire du brevet ; que d'autre part l'opposante a mené ses recherches infructueuses auprès du registre du commerce de Paris, alors que la titulaire, ayant agence à Paris, demeure inscrite à celui d'Arras ; qu'enfin en droit français une société conserve une existence légale jusqu'à sa radiation ou jusqu'à la fin de sa liquidation, et qu'en l'espèce la preuve de l'une ou l'autre n'est pas rapportée par l'opposante.

Il s'ensuit que la SCR Beugnet a parfaitement qualité pour agir dans la présente instance.

3. Interprétation de la revendication 1 du brevet, tel que délivré (articles 69 et 84 CBE)

L'intimée a fait valoir que le traitement en totalité du matériau granulaire dans les deux étapes du procédé constitue une caractéristique importante de son invention. Or, il semble douteux que le lecteur, qui lit les expressions "procédé de traitement ... d'un matériau granulaire", "on prépare un prémélange du matériau granulaire" et " on transfère ce prémélange dans des organes de malaxage" de la revendication 1, puisse en déduire clairement cette caractéristique. Par exemple, une revendication dépendante, qui spécifierait au niveau de la deuxième étape un apport de matériau granulaire, ne serait pas en contradiction avec le libellé de la revendication 1. La Chambre, par conséquent, ne peut suivre l'argument de l'intimée, qui s'appuie sur les termes mêmes de la revendication. Cependant, en vertu de l'article 69(1), deuxième phrase, il convient d'interpréter les revendications à l'aide de la description et des dessins du brevet attaqué, et le protocole interprétatif de cet article enseigne qu'il convient, en cas d'ambiguïtés, de déterminer de façon équitable l'étendue de la protection conférée par le brevet. Or, dans la description, tous les exemples d'application de l'invention montrent que c'est l'ensemble du matériau granulaire qui est traité dans chacune des deux étapes du procédé. Il est, de plus, indiqué en page 3, lignes 18 à 21, de cette description que l'expression "double traitement du matériau granulaire" exclut un traitement séparé de fractions du matériau granulaire. La description du brevet attaqué exclut donc l'interprétation de la revendication 1 faite par la requérante selon laquelle une fraction seule du matériau pourrait être prémélangée.

La requérante a aussi objecté que la présence de sable dans le matériau granulaire ne ressortait pas des termes de la revendication. On peut s'interroger si une telle limitation serait nécessaire, mais de toute façon la revendication 1, en citant un procédé impliquant à la fois un matériau granulaire destiné à la technique routière et un mélange à répandre sur une chaussée, semble implicitement contenir cette information. Les exemples dans la description du brevet citent tous un matériau granulaire de granulométrie 0/D, donc contenant du sable, et la requérante n'a pas contesté l'affirmation de l'intimée, selon laquelle la granulométrie des matériaux granulaires destinés à la technique routière est de 0/D ce qui implique la présence de sable. Dans le cas de retraitement de vieilles chaussées, la vieille chaussée elle-même contient en général du sable produit par la dégradation même de la chaussée, et le fraisage de la première étape en produit aussi de façon naturelle.

Enfin, le terme "prémélange" employé pour la première étape implique des moyens de mélange, comme cela est confirmé par la description du brevet, qui, notamment, mentionne une mise en oeuvre du procédé dans une centrale de fabrication.

La Chambre conclut de ce qui précède que la revendication 1, dans sa version délivrée et interprétée au moyen de la description du brevet, doit être comprise en ce qu'elle concerne un procédé de traitement à froid d'un matériau granulaire destiné à la technique routière, dans lequel, dans une première étape, on prépare, dans des organes de prémélange, un prémélange de la totalité du matériau granulaire.

La revendication 1 selon la requête subsidiaire de l'intimée ne fait qu'exprimer de façon explicite cette interprétation. Il ressort de ce qui précède que sa prise en compte ne s'impose pas. Par conséquent, la suite de la présente décision porte uniquement sur la requête principale de l'intimée, c'est-à-dire sur le brevet, version délivré.

4. En raison du litige qui porte sur l'interprétation du document D7, il semble approprié de distinguer ce document des autres documents cités. La brevetabilité de la revendication 1 est tout d'abord considérée vis-à-vis des documents D1, D2 et D6, puis le cas du document D7 sera ensuite examiné.

5. Les documents D1, D2 et D6, publiés respectivement en 1975, 1976 et 1970, sont des rapports de recherches d'ingénieurs des Ponts et Chaussées visant à étudier le comportement de matériaux traités à la fois aux liant hydrauliques et aux liants hydrocarbonés vis-à-vis du problème des fissurations provoquées par le retrait de prise ou le retrait thermique de matériaux de l'art antérieur, qui étaient uniquement traités aux liants hydrauliques ou similaires (ciments, laitiers, cendres volantes, pouzzolanes), Le but était de voir si l'ajout de liants hydrocarbonés (bitume, ou émulsion de bitume) en améliorant les propriétés viscoélastiques du matériau obtenu pouvait contribuer à réduire les fissures. Le procédé consistant à utiliser les deux types de liants était appelé traitement mixte.

D6, qui est le document le plus ancien, indique que le premier procédé connu, qui consistait à introduire en une seule étape du liant hydrocarboné et du liant hydraulique durant le malaxage d'un matériau destiné à la technique routière, posait un problème de répartition du bitume dans le mélange, car l'émulsion de bitume tend à se fixer de préférence sur les éléments très fins du matériau et les recouvre entièrement de bitume, si bien que l'action de l'autre liant, le liant hydraulique, est partiellement inhibé, avec pour résultat une diminution des propriétés mécaniques obtenues du mélange. Pour corriger cet inconvénient, D6 propose de procéder en deux étapes, avec une première étape qui consiste à ne traiter que la fraction 5/D des matériaux, autrement dit les gravillons sans le sable, au moyen d'une émulsion de bitume de manière à enrober ces gros éléments de bitume. Ensuite, dans une phase intermédiaire, ces éléments ainsi traités sont stockés sur un tamis durant 24 heures pour s'égoutter, et finalement dans une deuxième étape on fabrique la grave-laitier par malaxage, c'est-à-dire qu'à la fraction 6/D de matériau préenrobé et égoutté, il est ajouté la fraction sable et le liant hydraulique. A son époque, c'est-à-dire en 1970, D6 concluait qu'une amélioration de la résistance à la fissuration était constatée et que les résistances à la traction et le module d'élasticité du produit obtenu étaient modifiés par rapport à un matériau uniquement traité au liant hydraulique. Ces résultats cependant provenaient uniquement d'essais en laboratoire.

Les études plus tardives des documents D1 et D2, aussi effectuées en laboratoire, étaient plus exhaustives. Tout comme D6, ces deux documents confirment qu'à leur époque seuls deux procédés de traitements mixtes étaient envisagés, à savoir :

- le procédé A en deux étapes (de malaxage): Préenrobage des gros éléments (5/20) du matériau granulaire par l'émulsion de bitume, et après un délai, malaxage de la grave complète, c'est-à-dire sable plus la fraction préenrobée, avec le liant hydraulique (traitement dit "préenrobage des gros éléments"), et

- le procédé B, plus ancien, avec une seule étape : le liant hydrocarboné est introduit au moment du malaxage du matériau granulaire avec le liant hydraulique (appelé "traitement dans la masse").

Les conclusions du document D2 n'ont pas été fournies, mais l'auteur du document D1, tout en signalant le bon comportement viscoélastique du produit obtenu, déduit des résultats obtenus que "le traitement mixte n'apporte, ni du point de vue contraintes en rupture..., ni du point de vue de l'abaissement de température entraînant la fissuration, aucune amélioration" et, finalement, il conclut qu'il conviendrait de poursuivre les recherches dans une autre direction.

6. Par rapport à cette divulgation, le procédé selon la revendication 1 du brevet en cause est bien nouveau. Dans le passage de la page 175 du document D6, auquel s'est référée la requérante pour mettre en doute la nouveauté de ce procédé, l'expression "la grave-laitier" (ligne 5 du troisième paragraphe de la colonne de droite) doit évidemment être comprise comme incluant le sable et la fraction 5/20 du matériau citée auparavant, sinon le terme "fraction" serait inutile. Le procédé selon l'invention en cause diffère donc du procédé par préenrobage (procédé A), non pas par un transfert du matériau comme indiqué par la requérante, mais par le fait que c'est la totalité du matériau granulaire qui est traitée dans la première étape. Par rapport à l'autre procédé connu, le procédé B, il diffère par l'introduction en deux étapes distincts et dans des malaxeurs différents de l'un et l'autre des deux liants.

7. Les résultats des essais en laboratoire, qui sont exposés dans la description du brevet attaqué, indiquent les résistances à la compression et les modules d'élasticité obtenus sur 7, 28 et 90 jours, et montrent que le matériau obtenu est moins rigide et plus déformable par rapport à un béton sec compacté ou à une grave-ciment classique, tout en étant plus rigide qu'une grave émulsion classique. L'intimée a par ailleurs indiqué que sur le plan pratique, c'est-à-dire sur des chantiers effectifs, l'invention revendiquée s'était techniquement révélée intéressante. La requérante n'a pas contesté tous ces résultats.

8. Parmi les trois antériorités ci-dessus citées, aucune ne suggère l'ensemble des étapes du procédé revendiqué, si bien que, vis-à-vis de l'enseignement de ces documents, une activité inventive impliquée par l'objet de la revendication 1 doit être reconnue. La Chambre ne peut que confirmer l'analyse faite en page 6 de la décision contestée. A la lecture de la dernière antériorité en date, l'homme du métier n'est guère incité à modifier l'un ou l'autre des procédés connus A et B. Il est plutôt poussé à abandonner la voie du traitement mixte.

9. Document D7

9.1. Ce document est un rapport technique rédigé en commun par des ingénieurs de services techniques de l'équipement en France et par un ingénieur de l'intimée et portant sur un chantier de renforcement d'un tronçon de route, qui a eu lieu en 1987. Selon le titre de ce rapport, la route est dite "retraitée au ciment". Deux machines de l'intimée, respectivement dénommées "ARC dosage" et "ARC 700", étaient mises en oeuvre pour ce retraitement. La deuxième, l'ARC 700, constituait la machine de traitement proprement dite, car elle fraisait et fragmentait la vieille chaussée au moyen d'un rotor de fraisage approprié (chaussée éventuellement recouverte d'un matériau correcteur 0/20 si on désirait augmenter son épaisseur existante), puis, à l'aide d'un deuxième rotor, elle effectuait un malaxage de ce matériau pour l'homogénéiser, avant de répandre le matériau retraité sur la route. L'autre machine, l' "Arc dosage", située juste devant, assurait uniquement le stockage et le dosage des adjuvants, essentiellement du ciment et de l'eau dans le cas du chantier qui est décrit dans ce document. Un schéma de cette machine doseuse est illustré en page 4 de ce document. Sur cette même page, un schéma de la machine "ARC 700" montre un rotor de fraisage placé transversalement à la direction d'avancement de la machine et suivi du rotor malaxeur au-dessus duquel des rampes d'arrosage sont disposées.

Selon ce document, le procédé consistait à répandre en premier lieu du ciment sur la vieille chaussée au moyen de l'Arc dosage. Si cela était nécessaire, le matériau correcteur 0/20 mentionné ci-dessus avait été au préalable réparti sur l'ancienne chaussée, si bien que dans ce cas particulier le ciment était placé au-dessus de ce matériau d'appoint. Puis, la phase de retraitement proprement dite était effectuée par l'Arc 700, qui dans une première étape fraisait la vieille chaussée, la décohésionnait, effectuant par conséquent, selon les termes de la revendication 1 du brevet attaqué, un prémélange du matériau avec le liant hydraulique (ciment), tandis que, dans la deuxième étape qui était réalisée par le rotor suivant, un malaxage assurait l'homogénéité du mélange, avec apparemment au vu du schéma donné de la machine un arrosage d'eau à ce niveau.

9.2. La requérante s'est appuyée sur le début de l'avant-dernier paragraphe de la colonne de droite en page 35 de cette antériorité pour contester la nouveauté du procédé revendiqué. Ce passage s'énonce ainsi : "Le dosage de l'eau (ou de l'émulsion de bitume) est assuré par une pompe volumétrique."

Tenant compte de ce que, dans le schéma de l'Arc 700, les rampes d'arrosage sont situées au-dessus du rotor malaxeur, la requérante a fait valoir que, d'après le passage ci-dessus, soit de l'eau soit une émulsion de bitume était fourni au cours de la deuxième étape et que, dans le cas de la deuxième alternative, il y avait donc un prémélange avec un liant hydraulique (ciment) au cours de la première étape, puis au cours de la seconde un mélange avec le liant hydrocarboné (bitume).

9.3. Il est de fait qu'une telle lecture littérale de D7 semble amener à croire a posteriori que le procédé revendiqué est anticipé par le contenu de ce document. Cependant, une lecture précise de ce document révèle que l'interprétation du passage ci-dessus de la page 35 par la requérante, qui conclut à l'emploi de deux liants différents sur le mélange granulaire, n'est pas conforme à d'autres passages de ce document qui ne se réfèrent qu'à un liant ou type de liant (cf. page 34, col. droite, § 4.4. : "en liant retenu" et "en liant" ; page 35, col. gauche : "dans le cas de liants hydrauliques", col. médiane : "pour la campagne d'essais 85, "le liant retenu est le ciment"). Mis à part le passage cité par la requérante, tous les autres passages de D7 mentionnent le ciment comme liant retenu et lui associent seulement son eau d'apport. De plus, le passage sélectionné par la requérante a pour but essentiel de spécifier les moyens de dosage utilisés, et non les liants, et si l'émulsion de bitume est associée dans ce passage à l'eau d'apport du ciment, c'est uniquement parce que c'est la même pompe volumétrique de l'ARC dosage, qui est apte à doser ces deux liquides, alors que le ciment, poudreux, nécessite un autre moyen de dosage. L'expression "ou l'émulsion de bitume" peut alors signifier que la pompe volumétrique délivre l'eau en cas de choix d'un liant hydraulique, tandis qu'elle distribue de l'émulsion de bitume si le liant retenu est hydrocarboné. Le terme "ou" s'applique alors au liant dans son ensemble: soit le ciment en poudre avec son eau d'apport, soit l'émulsion de bitume seule. Cette interprétation semble être l'interprétation la plus logique qu'on était en droit d'attendre de l'homme du métier, pour qui avant la date de priorité du brevet en cause, comme vu ci-dessus au point 4, seuls les deux procédés mixtes A et B étaient connus. Le titre en lui-même du document D7 doit être compris comme se référant au chantier effectivement réalisé, qui a servi de base d'étude et qui n'utilisait qu'un liant hydraulique.

Le document D8, qui est le fascicule de demande de brevet concernant la machine de traitement de l'intimée, à savoir l'ARC 700 ou le prototype prédécesseur ARC 600, confirme cette interprétation, car ce fascicule, d'une part, indique que cette machine était conçue pour distribuer soit un liant hydraulique soit un liant hydrocarboné, et d'autre part il comporte en page 7 un passage avec un libellé très semblable à celui de la page 35 de D7, ce qui explique que les auteurs de D7 l'ait repris sans se rendre compte de l'ambiguïté que cela introduisait.

Si une déclaration dans une antériorité est manifestement erronée, que ce soit parce qu'elle est en elle-même improbable, ou parce que d'autre matériel révèle qu'elle est erronée, elle n'est pas comprise dans l'état de la technique, même si elle est publiée. C'est là une démarche qiu s'inscrit dans le droit fil de la jurisprudence constante des chambres de recours, cf. notamment la décision T 412/91 du 27.02.96 non publiée.

9.4. En conclusion, l'homme du métier qui lisait à la date de priorité du brevet attaqué le document D7 devait comprendre que le passage de la page 35 de ce document à la lumière du reste du contenu de celui-ci suggérait une alternative dans le choix du liant retenu, et non le mélange de deux liants de type différent. L'interprétation de la requérante est contredite par une preuve objective, à savoir le document D8. La réalité technique que le document D7 entendait exposer concernait essentiellement deux étapes de malaxage d'un matériau granulaire destiné à la technique routière, mais dans lesquelles un seul type de liant est utilisé, soit hydraulique, soit hydrocarboné. Le contenu de cette antériorité ne peut donc anticiper le procédé revendiqué, ni même le suggérer.

10. Aucune des antériorités citées par la requérante ne met en cause la brevetabilité du procédé selon la revendication 1, telle que délivrée. Cette revendication peut donc être maintenue, de même que les autres revendications, à savoir les revendications dépendantes 2. à 13 qui concernent des modes particuliers de réalisation du procédé selon la revendication 1.

DISPOSITIF

Pour ces motifs, il est statué comme suit :

Le recours est rejeté.

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