T 0124/97 (Crème de nougat/CHABERT ET GUILLOT) of 20.9.2000

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2000:T012497.20000920
Date de la décision : 20 Septembre 2000
Numéro de l'affaire : T 0124/97
Numéro de la demande : 91440039.5
Classe de la CIB : A23G 3/00
Langue de la procédure : FR
Distribution : C
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Titre de la demande : Procédé de fabrication d'une crème de nougat
Nom du demandeur : NOUGAT CHABERT ET GUILLOT
Nom de l'opposant : N.C. BARGUES S.A.
Chambre : 3.3.02
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 56
Mot-clé : Activité inventive : oui - analyse ex post facto non permise
Exergue :

-

Décisions citées :
-
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
-

Exposé des faits et conclusions

I. Le brevet européen n 0 513 462 a été délivré le 15. février 1995 sur la base de la demande européenne n 91 440 039.5 dont le libellé de la revendication 1 s'énonçait :

Procédé de fabrication d'une crème de nougat renfermant au moins 30% en poids d'amandes douces émondées et dont les matières sucrantes renferment au moins 25% en poids de miel, caractérisé en ce qu'il comporte les différentes étapes ci-après :

a) fabrication d'un nougat dur renfermant environ 30% en poids d'amandes blanchies torréfiées et environ 68% en poids de matières sucrantes dont 8 à 16% en poids de miel par rapport auxdites matières sucrantes, soit 1/3 à 2/3 de la quantité totale de miel mise en oeuvre ;

b) broyage dudit nougat dur ;

c) fabrication d'une pâte de nougat par incorporation, au nougat dur broyé, dans un broyeur-mélangeur, d'une quantité d'amandes blanchies torréfiées égale à 30 à 60% en poids de la quantité de nougat broyé mise en oeuvre, jusqu'à obtention d'une granulométrie inférieure à 100 µ ;

d) incorporation à ladite pâte de nougat du reste du miel, soit 2/3 à 1/3 de la quantité totale mise en oeuvre, sous forme de miel déshydraté.

Le brevet a été délivré avec six revendications dépendantes relatives à ce procédé.

II. Le requérant a fait opposition à la délivrance de ce brevet européen, demandant sa révocation en application de l'article 100a) de la CBE en invoquant l'absence d'activité inventive.

Entre autres, les documents suivants ont été cités au cours des procédures d'opposition et recours :

Annexe 2: Code d'usage

Annexe 3: Courrier de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du 22 décembre 1994

Annexe 5: Déclaration Prolainat

Annexe A: Courrier de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du 17 mai 1991

Annexe B: Fiche technique du produit Patanouga® en date de juillet 1993.

III. L'opposition a été rejetée par la division d'opposition au titre de l'article 102(2) de la CBE.

La division d'opposition était de l'avis qu'aucune combinaison des documents de l'état de la technique ne pouvait rendre évident le procédé du brevet attaqué car ces documents ne divulguaient ni la combinaison des étapes a) à d) du procédé contesté ni même les caractéristiques propres à l'une d'entre elles.

Elle en a donc conclu que l'objet de la revendication 1 ne contrevenait pas aux dispositions des Articles 52(1) et 56 CBE.

IV. Le requérant (opposant) a introduit un recours contre cette décision.

V. Une procédure orale devant la chambre de recours s'est tenue le 20 septembre 2000. Par un courrier daté du 15. septembre 2000 le requérant a informé la chambre de recours de son intention de ne pas assister à la procédure orale.

VI. Dans son acte de recours le requérant invoquait l'absence d'activité inventive de l'objet du brevet européen (Article 100a) CBE).

L'argumentation principale développée par le requérant était la suivante :

Selon lui, l'homme du métier cherchant à fabriquer une crème de nougat ayant une composition satisfaisant au code d'usage réglementaire pour bénéficier de la dénomination "crème de nougat de Montélimar", aurait de toute évidence eu l'idée de fabriquer au préalable une pâte de nougat appauvri en miel puis de rajouter à cette pâte de nougat la quantité nécessaire de miel pour satisfaire audit code.

En effet, il était de l'avis que, les problèmes d'hygroscopie liés à l'utilisation du miel étant bien connus de l'homme du métier, celui-ci aurait de toute évidence songé à incorporer le complément de miel nécessaire à la pâte à nougat obtenu selon les étapes a) à c) en fin de procédé, d'autant plus que ni les pâtes à nougat appauvries en miel ni leur préparation selon les étapes a) à c) n'étaient nouvelles.

L'objet de la revendication 1 du brevet contesté ne remplissait donc pas les exigences d'activité inventive de l'Article 56 CBE.

VII. L'intimé (titulaire) a répondu à ces arguments.

D'après l'intimé, il n'y avait, contrairement aux allégations du requérant, aucune indication dans l'état de la technique qui aurait conduit l'homme du métier à envisager un apport fractionné du miel, sous deux formes différentes et dans des proportions spécifiques afin de réaliser une crème de nougat susceptible de bénéficier de l'appellation de crème de nougat de Montélimar, et ceci d'autant plus qu'il n'allait pas forcément clairement de soi que les problèmes liés à l'obtention d'une telle crème étaient consécutifs à la présence d'une forte quantité de miel.

VIII. Le requérant a demandé l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet européen n 0 513 462.

L'intimé a demandé le rejet du recours.

Motifs de la décision

1. Le recours est recevable.

2. Activité inventive

Dans le cas présent, le seul point soumis à discussion concerne l'activité inventive.

2.1. Le brevet décrit un procédé de fabrication d'une crème de nougat renfermant au moins 30% en poids d'amandes douces émondées et dont les matières sucrantes renferment au moins 25% en poids de miel.

Selon la description du brevet attaqué ainsi que le code d'usage en vigueur (annexe 2), la dénomination prestigieuse et recherchée "Nougat de Montélimar" est réservée à un nougat répondant à des normes de définition rigoureuses correspondant précisément aux paramètres mentionnés ci-dessus (page 2, colonne 1, lignes 13 à 26).

Il ressort également de cette description que les tentatives d'obtention d'une crème de nougat bénéficiant de cette appellation à partir d'un "nougat de Montélimar" se sont soldées par des échecs de sorte qu'il était, à la date de dépôt du brevet, "radicalement impossible de fabriquer une "crème de nougat de Montélimar"" (page 2, colonne 1, lignes 46 à 55); impossibilité réaffirmée par l'intimé également au cours de la procédure orale. En l'absence du requérant cette affirmation n'a pas pu être mise en question par la chambre d'autant plus qu'elle n'avait pas été contestée dans la procédure écrite.

L'annexe B datée de juillet 1993 fait référence à des offres de vente de produits apparemment déjà sur le marché. Elle décrit, entre autres, le produit Patanouga®: une pâte de nougat pauvre en miel renfermant 55% d'amandes et 5% de miel. Bien que ce document ait été publié après la date de dépôt du brevet contesté, l'intimé a reconnu, au cours de la procédure orale, que le produit Patanouga® était bien sur le marché avant cette date.

La Chambre considère que cette pâte d'amande, qui ne répond pas aux exigences de composition du code d'usage pour bénéficier de l'appellation "de Montélimar", constitue l'état de la technique le plus proche du brevet attaqué.

Bien que l'annexe B ne mentionne pas le procédé de fabrication du produit Patanouga® il existait cependant, de toute évidence, des procédés pour élaborer des pâtes de nougat comme le confirme par ailleurs également la description du brevet en cause (page 2, colonne 1, lignes 36 à 39).

2.2. Le problème à résoudre consistait donc précisément à trouver un procédé de fabrication d'une crème de nougat susceptible de donner droit à la dénomination de crème de nougat "de Montélimar".

Il est manifeste, au vu du courrier de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du 17 mai 1991, qui atteste de l'autorisation faite au breveté d'utiliser ladite dénomination pour sa crème de nougat (annexe A), que le problème a bien été résolu par le procédé objet de la revendication 1 du brevet attaqué.

A ce sujet, la Chambre considère que le courrier de la même administration en date du 22 décembre 1997 fourni par l'opposant (annexe 3) n'est pas en mesure de mettre en cause la validité de cette autorisation.

Il ne ressort, en effet, nullement de cette lettre que ladite dénomination ait été refusée au brevet ou attribuée à tort pour la crème de nougat obtenue selon le procédé du brevet en cause. Il n'est, de surcroît, guère possible de déterminer sans ambiguïté que ce courrier concerne bien la crème obtenue par ce procédé. De fait, au premier paragraphe du point 3 de la page 2, il est fait état d'"un produit obtenu en broyant si finement un nougat de Montélimar dur qu'on obtient un produit de consistance crémeuse". Il s'agirait donc d'un produit obtenu par un procédé différent de celui de l'invention attaquée. En effet, si le broyage d'un nougat dur intervient bien dans la première étape du procédé revendiqué, il ne peut s'agir en tout cas d'un nougat de Montélimar.

La Chambre ne peut également pas suivre le requérant dans son affirmation selon laquelle l'utilisation de miel déshydraté dans le procédé de fabrication interdirait l'appellation. Au vu du courrier mentionné ci-dessus (points 1 et 2), il apparaît certes que le miel intervenant dans la composition du produit ne doit pas contenir autre chose que du miel, et notamment pas d'additif tel que le stéarate de calcium qui est présent dans certains miels déshydratés. Il n'en reste pas moins vrai que l'homme du métier, qui connaît bien la législation, choisira donc tout simplement parmi les miels déshydratés disponibles sur le marché un miel ne contenant pas d'additifs proscrits afin d'obtenir ladite appellation. A ce sujet, l'intimé a confirmé la disponibilité sur le marché de ce type de miel au cours de la procédure orale. En outre, l'obtention de l'appellation par l'intimé corrobore bien cette affirmation.

2.3. La question qui se pose à présent est donc de savoir si la solution revendiquée, à savoir la fabrication d'un nougat dur pauvre en miel suivi de son broyage et de la préparation d'une pâte à nougat par incorporation d'amande préalablement à l'incorporation d'un complément de miel sous forme déshydraté, le tout dans des proportions bien précises, découlait à l'évidence de l'état de la technique pour l'homme du métier.

Concernant le seul état de la technique disponible faisant état d'un nougat sous forme de pâte, à savoir le produit Patanouga®, la Chambre note que sa composition n'autorise pas la dénomination "nougat de Montélimar" et que celle-ci n'était, de surcroît, ni souhaitée, ni recherchée (annexe 5). Il s'agit, en outre, d'un produit fini manifestement destiné à servir d'ingrédient à la préparation d'autres produits, comme cela a été indiqué par l'intimé lors de la procédure orale, et non pas d'un produit intermédiaire destiné à subir des transformations ultérieures.

La Chambre de Recours ne voit pas comment l'homme du métier, au vu de cet état de la technique, aurait été incité à préparer d'abord un nougat dur pauvre en miel ne bénéficiant pas de la dénomination "de Montélimar" dans le but d'élaborer, au contraire, in fine une crème de nougat riche en miel bénéficiant de cette dénomination. Il n'avait également aucune incitation à rajouter à un produit fini de pâte de nougat pauvre en miel, du type Patanouga®, commercialisée et destinée à servir d'ingrédient, un surplus de miel sous forme déshydraté pour en augmenter sa teneur et le transformer ainsi en une crème bénéficiant de la dénomination "de Montélimar".

2.4. De l'avis du requérant, les étapes a) à c) du procédé revendiqué représentent des étapes connues correspondant au procédé usuel de fabrication de pâte de nougat appauvri en miel tel que le produit Patanouga® et l'étape d), consistant à incorporer en fin de procédé la quantité adéquate de miel pour répondre aux exigences de la dénomination "de Montélimar", constitue une évidence compte tenu du problème posé et du fait que l'homme du métier sait très bien que c'est la présence de miel en quantité importante qui empêche le broyage du nougat.

La Chambre ne conteste pas le caractère manifestement simple des mesures mises en oeuvre dans les diverses étapes du procédé. La question qui se pose n'est cependant pas de savoir si les étapes du procédé prises individuellement sont simples ou même connues en soi. La seule question pertinente est, en fait, de savoir si la combinaison de ces étapes était évidente au vu du problème posé.

A ce sujet, la Chambre ne peut que constater que l'homme du métier n'avait à sa disposition dans l'état de la technique, avant la lecture du brevet contesté, aucun élément qui l'aurait poussé à incorporer un supplément de miel selon l'étape d) à un produit fini de pâte de nougat appauvri en miel et uniquement destiné à servir d'ingrédient pour d'autres produits.

De surcroît, connaissant les problèmes liés à la nature hygroscopique du miel, reconnus par les deux parties, (brevet, page 2, colonne 1, lignes 46 à 53), l'utilisation de miel sous forme déshydraté, et donc sous une forme encore plus hygroscopique, comme préconisé à l'étape d) ne s'imposait pas nécessairement.

Il s'ensuit que cette argumentation procède manifestement d'une analyse ex post facto qui n'est pas permise dans le cadre de l'appréciation de l'activité inventive.

Par ailleurs, il n'a pas été démontré par le requérant que l'incorporation d'un complément de miel sous forme déshydraté à un produit de type Patanouga® selon l'étape c) conduirait bien à une crème de nougat "de Montélimar". Or selon l'intimé, la teneur en miel de 5% présente dans le produit Patanouga® est trop faible pour que cette pâte de nougat puisse être utilisée avec succès dans l'étape d) du procédé, la limite inférieure en miel requise par les termes de l'étape a) de la revendication 1 du brevet contesté étant bien supérieure, ie 8,33% soit 66% en plus.

Le requérant fait, en outre, valoir, à juste titre, que le procédé du brevet attaqué ne résout nullement le problème de la valorisation des chutes de fabrication. Ce fait n'est pas contesté par l'intimé. Comme montré dans la description du brevet (page 2, colonne 1, lignes 27 à 45) et souligné au cours de la procédure orale, s'il avait jamais été envisagé d'obtenir une crème de "nougat de Montélimar", ce qui était le seul mérite de l'intimé selon ses affirmations, c'était précisément dans le cadre de cette valorisation des chutes. Or les essais n'ont pas abouti et se sont révélés, de plus, désastreux pour le matériel de broyage. Il est, cependant, suffisant que ce procédé résolve de façon non évidente et plausible le problème tel que défini au point 2.2.

Il est également correct, comme cela a été confirmé par l'intimé au cours de la procédure orale, qu'il existe, depuis 1997, une proposition, encore en attente d'acceptation, visant à abaisser à 7% le taux de miel dans les matières sucrantes du nougat de Montélimar. Ces faits sont cependant sans influence sur l'appréciation du problème et de sa solution, laquelle doit être effectuée dans le contexte existant à la date du dépôt de la demande c'est à dire par rapport à une législation exigeant une teneur minimale de 25% de miel dans les matières sucrantes. L'intimé a cependant pris soin de ne pas faire référence dans ses revendications, aux normes ou codes d'usage, susceptibles d'être modifiés dans le temps, mais de définir son procédé revendiqué par les caractéristiques techniques leur correspondant à la date de dépôt de la demande de brevet.

Concernant le laps de temps de 6 mois nécessaire à la réalisation de l'invention mentionné par le requérant comme très court et preuve d'évidence de l'invention revendiquée, la Chambre relève que cette durée a été contestée par l'intimé qui a, en outre, au cours de la procédure orale, situé les prémices de l'invention en 1979. En tout état de cause, la Chambre ne saurait déduire la présence ou l'absence d'une activité inventive sur cette base qui dépend autant de la difficulté pratique à réaliser une invention et de l'importance des moyens mis en oeuvre à cette fin que de la nature strictement évidente ou non de celle-ci.

En conséquence de ce qui précède, la Chambre conclut que l'homme du métier qui se serait proposé de mettre au point un procédé de fabrication d'une crème de nougat ayant droit à la dénomination crème de nougat de Montélimar ne disposait d'aucun élément lui permettant d'aboutir de manière évidente au procédé du brevet attaqué préconisant un apport fractionné du miel, sous deux formes différentes et dans des proportions bien spécifiques.

L'objet de la revendication 1 et de ses revendications dépendantes 2 à 7, satisfait donc aux exigences de l'article 56 de la CBE.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

Le recours est rejeté.

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