T 0599/24 (Violation du droit d'être entendu (article 113(1) CBE)) of 28.4.2025

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2025:T059924.20250428
Date de la décision : 28 Avril 2025
Numéro de l'affaire : T 0599/24
Numéro de la demande : 18730837.4
Classe de la CIB : D04B 21/18
Langue de la procédure : FR
Distribution : D
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Titre de la demande : BANDE DE CONTENTION OPTIMISÉE
Nom du demandeur : Urgo Recherche Innovation et Développement
Nom de l'opposant : Lohmann & Rauscher GmbH & Co. KG
Chambre : 3.2.06
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention Art 108
European Patent Convention R 99(2)
Rules of procedure of the Boards of Appeal Art 12(3)
European Patent Convention Art 113(1)
European Patent Convention Art 116(1)
European Patent Convention Art 111(1)
Rules of procedure of the Boards of Appeal 2020 Art 011
European Patent Convention R 103(1)(a)
Mot-clé : Recevabilité du recours - recours suffisamment motivé (oui)
Droit d'être entendu - vice substantiel de procédure (oui)
Renvoi - vice majeur dans la procédure de première instance (oui)
Remboursement de la taxe de recours - (oui)
Remboursement de la taxe de recours - équitable en raison d'un vice substantiel de procédure(oui)
Exergue :

-

Décisions citées :
R 0003/10
T 0395/13
T 0763/15
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
-

Exposé des faits et conclusions

I. Le recours a été formé par la titulaire du brevet (requérante) contre la décision par laquelle la division d'opposition a révoqué le brevet n° 3 625 385 en litige (ci-après le "brevet").

II. La division d'opposition a estimé que le brevet tel que délivré n'exposait pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter et donc que le motif d'opposition visé à l'article 100b) CBE s'opposait au maintien du brevet (voir décision, point 15). Il a également été constaté que les requêtes subsidiaires ne satisfaisaient pas non plus aux exigences de l'article 83 CBE et n'étaient donc pas recevables (voir décision, point 16).

III. La requérante a demandé l'annulation de la décision de la division d'opposition pour vice substantiel de procédure (violation du droit d'être entendu) et le renvoi de l'affaire à la première instance. En outre, elle a demandé le remboursement de la taxe de recours.

IV. L'intimée a demandé que le recours soit rejeté pour cause d'irrecevabilité, ou, à titre subsidiaire, pour absence de fondement.

V. Les deux parties ont, par mesure de précaution, demandé la tenue d'une procédure orale dans le cas où ces requêtes seraient rejetées.

VI. La Chambre a convoqué une procédure orale conformément aux demandes des parties.

VII. Par une notification au titre de la règle 100(2) CBE en date du 11 décembre 2024, la Chambre a rendu un avis préliminaire selon lequel le recours était recevable et fondé, le droit de la requérante d'être entendue (article 113(1) CBE) ayant été violé. La Chambre a en outre informé les parties qu'elle inclinait dans le sens d'un renvoi de l'affaire à la division d'opposition pour suite à donner. La Chambre a également estimé que le remboursement de la taxe de recours était équitable.

VIII. Par lettre du 14 janvier 2025, l'intimée a retiré sa demande de procédure orale. La Chambre a ensuite annulé la procédure orale.

IX. Par lettre du 11 février 2025, la requérante a sollicité que le renvoi en première instance soit devant une division d'opposition de composition différente (trois nouveaux membres). Par une notification du 19 février 2025, la Chambre a informé les parties qu'elle n'avait pas l'intention de faire droit à cette sollicitation.

X. Les parties motivent leurs requêtes comme suit:

La requérante allègue une violation de son droit d'être entendu (article 113(1) CBE) étant donné que, lors de la procédure orale devant la division d'opposition, le brevet a été rejeté dans son ensemble sans laisser à la requérante la possibilité de présenter ses requêtes subsidiaires ni même de défendre les requêtes subsidiaires soumises précédemment au cours de la procédure écrite.

L'intimée estime que le mémoire exposant les motifs du recours n'est pas suffisamment motivé et que le recours est donc irrecevable, car il ne traite pas les motifs de la décision attaquée et ne présente aucune raison pour laquelle le brevet devrait être maintenu tel qu'il a été délivré ou dans une autre version. Par ailleurs, selon l'intimée, il n'y a pas de violation du droit d'être entendu ou d'autre violation de procédure substantielle, de sorte que le recours doit être rejeté à tout le moins pour absence de fondement.

Motifs de la décision

1. La présente décision est rendue dans le cadre d'une procédure écrite conformément aux articles 12(8) RPCR, 113 CBE et 116 CBE. L'intimée a retiré sa demande de procédure orale par lettre du 14 janvier 2025. La requérante n'a demandé une procédure orale que dans le cas où ses requêtes seraient rejetées. La Chambre estime qu'il n'y a pas lieu de tenir une procédure orale, car elle est en mesure de statuer en l'espèce sur la base des observations écrites des parties et des autres éléments du dossier.

Recevabilité du recours (article 108 CBE, règle 99(2) CBE, article 12(3) RPCR)

2. Le recours a été formé de manière recevable. En particulier, il est suffisamment motivé (article 108 CBE, règle 99(2) CBE, article 12(3) RPCR).

3. Dans le mémoire exposant les motifs du recours (article 108, troisième phrase CBE), la requérante doit, conformément à la règle 99(2) CBE, présenter les raisons pour lesquelles il y a lieu d'annuler la décision attaquée ou la mesure dans laquelle elle doit être modifiée, ainsi que les faits et les preuves sur lesquels le recours est fondé. Selon l'article 12(3) RPCR, le mémoire exposant les motifs du recours doit contenir l'ensemble des moyens invoqués par une partie dans le cadre du recours et présenter de façon claire et concise les motifs pour lesquels il est demandé d'annuler, de modifier ou de confirmer la décision attaquée; ils doivent exposer expressément et de façon précise l'ensemble des requêtes, faits, objections, arguments et preuves qui sont invoqués.

4. Dans le cas d'espèce, bien que le mémoire exposant les motifs du recours ne contienne aucun argument de fond concernant le raisonnement de la décision contestée, il satisfait aux exigences de la règle 99(2) CBE et de l'article 12(3) RPCR. La seule objection soulevée par la requérante dans les motifs de son recours tient au fait que la décision est fondée sur une violation de son droit d'être entendue. Ni la règle 99(2) CBE ni l'article 12(3) RPCR n'exige spécifiquement que le mémoire exposant les motifs du recours traite les arguments développés dans la décision attaquée (voir "La Jurisprudence des Chambres de recours", 10**(e) édition, 2022, V.A.2.6.3.f), troisième paragraphe; T 395/13, motifs 1.). Il est plutôt nécessaire, mais aussi suffisant, de présenter les motifs pour lesquels il y a lieu d'annuler la décision attaquée, de sorte que cette information permette à l'intimée de se défendre contre les arguments présentés dans le cadre du recours et à la Chambre de prendre une décision sur le fond. Dans le cas d'espèce, les motifs du recours contiennent des explications suffisantes concernant les raisons pour lesquelles la requérante estime que son droit d'être entendue n'a pas été respecté et, partant, que la décision attaquée devrait être annulée. En outre, les motifs exposent les faits en détail en se référant au procès-verbal de la procédure orale devant la division d'opposition.

5. Les exigences de l'article 108, troisième phrase CBE, ensemble la règle 99(2) CBE et l'article 12(3) RPCR, sont donc satisfaites.

Violation du droit d'être entendu (article 113(1) CBE)

6. La requérante invoque une violation de l'article 113(1) CBE, car elle n'a pas été entendue sur ses requêtes subsidiaires lors de la procédure orale devant la division d'opposition.

7. Le droit d'être entendu que confère l'article 113(1) CBE doit être garanti tout au long de la procédure d'opposition, y compris lors de la procédure orale. Les parties doivent pouvoir prendre position sur les questions essentielles. Le droit de toute partie à une procédure orale et, en particulier, à une présentation orale de sa cause que confèrent les articles 113(1) et 116(1) CBE est absolu et, en ce qui concerne le droit de la partie d'être entendue sur sa cause, il s'agit d'une concrétisation plus spécifique du principe général énoncé à l'article 113(1) CBE (voir T 0763/15, motifs 3.2; R 3/10, motifs 2.11).

8. Dans le cas d'espèce, selon le procès-verbal de la procédure orale devant la division d'opposition, la requérante n'a pas été autorisée à présenter des arguments concernant les requêtes subsidiaires. À la suite du prononcé de l'opinion de la division d'opposition selon laquelle "le préjudice selon l'article 100b) [était] irréparable" (point 8 du procès-verbal), la requérante a indiqué souhaiter réorganiser l'ordre des requêtes subsidiaires (point 8.2 du procès-verbal), ce que le président n'a pas autorisé (point 8.3 du procès-verbal). La requérante ayant ensuite déclaré qu'elle n'avait plus de commentaires concernant la requête principale (point 8.4 du procès-verbal), le président a débuté le prononcé de la révocation du brevet (point 8.5 du procès-verbal). La requérante a attiré l'attention sur le non-respect de sa demande concernant les requêtes subsidiaires (points 8.5 et 8.7 du procès-verbal). Après délibération avec la division, le président a indiqué que la décision finale avait été prononcée et que, par conséquent, la requête de la requérante ne pouvait plus être prise en considération ; la procédure orale a ensuite été close (point 8.10 du procès-verbal) sans que la possibilité soit donnée à la requérante d'être entendue sur les requêtes subsidiaires figurant déjà au dossier ou de présenter d'éventuelles requêtes modifiées.

9. Contrairement à ce que soutient l'intimée, le fait que la requérante avait déjà pris position par écrit sur les requêtes subsidiaires figurant déjà au dossier n'est pas pertinent. L'objectif d'une procédure orale est de permettre à chaque partie de présenter oralement ses arguments, à la division d'opposition de poser des questions, aux parties de répondre à ces questions et à la division d'opposition ainsi qu'aux parties de débattre, notamment de questions controversées et éventuellement décisives. Le droit absolu d'être entendu lors de la procédure orale n'est donc pas limité aux arguments nouveaux et substantiels qui n'ont pas encore été présentés par écrit (voir par exemple R 3/10, motifs 2.11).

10. Puisque le droit d'être entendu doit être garanti tout au long de la procédure d'opposition, y compris lors de la procédure orale, la requérante aurait également dû être entendue sur l'admission de requêtes subsidiaires nouvelles ou réorganisées, indépendamment du fait qu'il y ait eu une possibilité de les présenter auparavant dans le cadre de la procédure écrite, comme le prétend l'intimée.

11. De même, dans le cadre du droit d'être entendu, il n'est pas pertinent de savoir si les requêtes subsidiaires finalement présentées par la requérante auraient été admises et auraient pu résoudre l'objection en vertu de l'article 100b) CBE. Le droit d'être entendu est un droit fondamental qui doit être sauvegardé indépendamment du bien-fondé des arguments de la partie. La nécessité de le respecter est absolue et ne peut donc pas dépendre d'une évaluation préalable du bien-fondé des arguments de la partie. C'est l'essence même du droit d'être entendu que de donner à la partie la possibilité pleine et entière de défendre sa cause et de persuader l'organe de décision que sa position est la bonne. Ce droit serait compromis s'il dépendait d'une évaluation visant à déterminer si le point de vue de la partie est susceptible d'être justifié (voir par exemple R 3/10, motifs 2.10).

12. Pour ces raisons, la Chambre conclut que le droit de la requérante d'être entendue (article 113(1) CBE) a été violé.

Renvoi de l'affaire (article 111(1) CBE et article 11 RPCR)

13. L'article 111(1), deuxième phrase CBE prévoit que la Chambre peut renvoyer l'affaire à l'instance qui a rendu la décision attaquée. Conformément à l'article 11 RPCR, le renvoi de l'affaire requiert des raisons particulières. En règle générale, la présence de vices majeurs entachant la procédure de cette instance constitue une raison particulière (article 11, deuxième phrase RPCR). La violation du droit d'être entendu prévu à l'article 113(1) CBE constitue dans le cas présent un vice majeur qui était susceptible d'avoir une incidence sur l'ensemble de la procédure, y compris son issue. La décision contestée est fondée sur le rejet des requêtes subsidiaires sur lesquelles la requérante n'a pas été entendue.

Par conséquent, l'affaire est renvoyée à la division d'opposition pour suite à donner.

14. La Chambre ne considère pas qu'il y a lieu de faire droit à la sollicitation de la requérante tendant à renvoyer l'affaire devant une division d'opposition de composition différente (voir à ce sujet les références dans "La Jurisprudence des Chambres de recours", 10**(e) édition, juillet 2022, III.J.4.2.). En l'espèce, il n'apparaît pas que le vice substantiel de procédure dont la décision est entachée ait pour conséquence que la requérante puisse se voir exposée à un traitement inéquitable ou même partial devant une division d'opposition siégeant dans la même composition. Selon le procès-verbal, le président a annoncé l'opinion de la division d'opposition selon laquelle le préjudice selon l'article 100b) CBE était "irréparable" (voir points 8. et 8.6 du procès-verbal). Il ne peut toutefois pas être déduit de cette opinion, telle qu'exprimée par la division d'opposition à ce stade de la procédure, que les membres de la division ne seraient pas ouverts à une autre appréciation après rectification du vice procédural par l'octroi du droit d'être entendu à la requérante sur ses requêtes subsidiaires. La requérante allègue que le président avait "clairement exprimé son mécontentement et son avis sur le fait que rien ne pouvait sauver le brevet" (voir lettre du 11 février 2025, page 1, dernier paragraphe). Même en supposant que cette allégation non étayée soit correcte, il n'y a aucune raison de présumer que la division d'opposition maintiendra sa position si la requérante présente dans la suite de la procédure une requête subsidiaire susceptible de surmonter l'objection en vertu de l'article 83 CBE. Dans la mesure où la requérante se réfère aussi à un prétendu comportement du même président de la division d'opposition dans une autre procédure (voir lettre du 11 février 2025, page 2), outre le fait que cette allégation n'est pas prouvée, il ne peut en être déduit une quelconque partialité ou un quelconque biais de la division d'opposition dans la présente procédure.

En conséquence, la Chambre ne voit aucune raison d'ordonner le renvoi de l'affaire devant une division d'opposition de composition différente.

Remboursement de la taxe de recours, règle 103(1)a) CBE

15. Conformément à la règle 103(1)a) CBE, la taxe de recours est intégralement remboursée lorsque la chambre de recours fait droit au recours, si le remboursement est équitable en raison d'un vice substantiel de procédure. Comme indiqué ci-dessus, la procédure devant la division d'opposition était entachée d'un vice substantiel, à savoir la violation du droit d'être entendue de la requérante. Par conséquent, la décision faisant l'objet du recours doit être annulée. Dans ces circonstances, la Chambre conclut que le remboursement de la taxe de recours est équitable (règle 103(1)a) CBE).

Dispositif

Par ces motifs, il est statué comme suit

1. La décision contestée est annulée. L'affaire est renvoyée à la division d'opposition pour suite à donner.

2. La taxe de recours est remboursée.

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