T 0928/23 (UTILISATION D'UN INHIBITEUR DE TRANSCRIPTASE INVERSE DANS LA … of 13.6.2025

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2025:T092823.20250613
Date de la décision : 13 Juin 2025
Numéro de l'affaire : T 0928/23
Numéro de la demande : 15798211.7
Classe de la CIB : A61K 31/7072
A61P 25/28
A61P 25/00
A61P 27/00
Langue de la procédure : FR
Distribution : D
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Titre de la demande : UTILISATION D'UN INHIBITEUR DE TRANSCRIPTASE INVERSE DANS LA PREVENTION ET LE TRAITEMENT DES MALADIES DEGENERATIVES
Nom du demandeur : Centre National de la Recherche Scientifique
College de France
INSERM - Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale
Sorbonne Université
Nom de l'opposant : Schlich, George William
Chambre : 3.3.07
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
Rules of procedure of the Boards of Appeal 2020 Art 012(6)
European Patent Convention Art 87(1)
European Patent Convention Art 54
European Patent Convention Art 56
Mot-clé : Documents non-admis en opposition - Décision confirmée
Validité de la priorité- (oui)
Requête principale - Nouveauté (oui)
Requête principale - Activité inventive (oui)
Exergue :

-

Décisions citées :
T 1941/21
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
-

Exposé des faits et conclusions

I. Le brevet européen EP 3 212 200 B1 a été opposé aux motifs de l'article 100a) CBE pour manque de nouveauté et d'activité inventive, de l'article 100b) CBE pour divulgation insuffisamment claire et complète de l'invention pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter et de l'article 100c) CBE pour extension de l'objet du brevet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée.

II. Le recours est formé contre la décision de la division d'opposition de maintenir le brevet sous forme modifiée (article 101(3)a) CBE). La décision est basée sur les revendications telles que délivrées comme requête principale et sur la requête auxiliaire 1 déposée le 3 mars 2022.

La revendication 1 de la requête auxiliaire 1, jugée conforme à la CBE par la division d'opposition, s'énonce comme suit:

"1. Inhibiteur de transcriptase inverse destiné à être utilisé dans la prévention ou le traitement d'une maladie dégénérative choisie parmi la maladie de Parkinson et la maladie d'Alzheimer, ledit inhibiteur de transcriptase inverse étant choisi parmi :

- les inhibiteurs nucléosidiques,

- l'Efavirenz (EFV),

- la Névirapine (NVP),

- la Delavirdine (DLV),

- l'Etravirine, et

- la Rilvipirine."

III. Les documents suivants, cités au cours de la procédure d'opposition, restent pertinents:

A1: WO 2016/067265

A1: WO 2016/067265 (traduction en anglais)

P1: FR 20140060535

P1: FR 20140060535 (traduction en anglais)

D1: US 2015/0018297

D2: US 2014/0113952

D3: EP14306121.6 (EP 2 965 760 A1)

D5: WO 2009/153009

D6: Chu, S.C. et al. Inhibitory effects of flavonoids on Moloney murine leukemia virus reverse transcriptase activity. J. Nat. Prod. (1992); Feb; 55(2):179-83 (abstract only)

D7: Skowron, G. and Ogden, R. Reverse transcriptase | Inhibitors in HIV/AIDS Therapy. Humana press Inc. 2006 (pages 2-5)

D12: Jeong, J-W. et al., Anti-inflammatory effects of cordycepin via suppression of inflammatory mediators in BV2 microglial cells. International Immunopharmacology 10, 1580-1586 (2010)

D13: Jin, M.L. et al. The neuroprotective effects of cordycepin inhibit glutamate-induced oxidative and ER stress-associated apoptosis in hippocampal HT22 cells; NeuroToxicology 41, 102-111 (2014)

D14: Kennedy, E.M. et al., Ribonucleoside Triphosphates as Substrate of Human Immunodeficiency Virua Type 1 Reverse Transcriptase in Human Macrophages. The Journal of Biological Chemistry 285, No. 50, 39380-39391 (2010)

IV. Dans sa décision, la division d'opposition avait conclu que l'objet de la revendication 4 telle que délivrée ne remplissait pas les exigences de l'article 123(2) CBE.

La date pertinente pour l'ensemble des revendications 1-3 de la requête auxiliaire 1 était celle de la demande de priorité P1.

L'invention revendiquée était décrite de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter.

Les documents D12, D13 et D14 n'étaient pas admis dans la procédure.

D1 ne faisait pas partie de l'état de la technique au sens de l'article 54 CBE et n'était donc pas pertinent pour la nouveauté. Par ailleurs, l'objet des revendications 1-3 de la requête auxiliaire 1 était nouveau au vu de D2 et D3.

En ce qui concerne l'activité inventive, D5 représentait l'art antérieur le plus proche. La différence entre l'objet revendiqué et D5 tenait à la nature des composés utilisés, la taxifoline dans D5 et les inhibiteurs de la transcriptase inverse dans la revendication 1. Le problème était défini comme la mise à disposition d'inhibiteurs de transcriptase inverse alternatifs à la taxifoline capables de traiter les maladies d'Alzheimer et de Parkinson. La division d'opposition avait considéré que la personne du métier ne se serait pas tournée vers l'enseignement du document D6 pour résoudre le problème. L'objet revendiqué à la requête auxiliaire 1 était inventif.

V. L'opposant (ci-après le requérant) a formé un recours contre cette décision.

VI. Par sa lettre datée du 30 novembre 2023, les titulaires (ci-après les intimées) ont déposé les requêtes auxiliaires 1 à 15.

VII. Aux fins de préparation de la procédure orale, la Chambre a envoyé une notification incluant son opinion préliminaire le 13 février 2025.

VIII. La procédure orale s'est tenue le 13 juin 2025 par vidéoconférence.

IX. Les arguments suivants ont été avancés par le requérant:

Admission des documents D12-D14 dans la procédure de recours

Ces documents avaient été déposés à temps, avant la date limite fixée selon la règle 116 CBE par la division d'opposition en réponse à l'opinion préliminaire de la division d'opposition. Le raisonnement de la division d'opposition, basé sur le fait que D12-D14 ne mentionnaient pas que la cordycépine était un inhibiteur de trancriptase inverse et que ces documents n'étaient prima facie pas pertinents, était erroné.

De par sa structure chimique, il était évident que la cordycépine ou 3'-désoxyadénosine divulguée dans D12 ou D13 était forcément un inhibiteur de transcriptase inverse; D14 n'avait été déposé que pour confirmer cette activité. Ces documents étaient par ailleurs plus pertinents que les documents déjà déposés, en particulier D6.

Validité de la priorité

La validité de la priorité du brevet était contestée, car P1 ne représentait pas une divulgation permettant la réalisation de l'invention revendiquée. Cette objection comportait deux volets :

(1) l'efficacité thérapeutique des inhibiteurs de la transcriptase inverse des revendications 1 à 3 de la requête principale pour la prévention ou le traitement de la maladie de Parkinson ou de la maladie d'Alzheimer n'était pas plausible sur la base de P1;

(2) l'efficacité thérapeutique des inhibiteurs de la transcriptase inverse autres que la stavudine, et surtout ceux d'une classe différente de la stavudine, pour la prévention ou le traitement de la maladie de Parkinson ou de la maladie d'Alzheimer n'était pas plausible sur la base de P1.

Requête principale - Nouveauté

D3 portait sur une combinaison comprenant soit un inhibiteur nucléosidique, soit (i) de l'éfavirenz, (ii) de la névirapine, (iii) de la délavirdine, (iv) de l'étravirine ou (v) de la rilviprine pour la prévention ou le traitement de la maladie de Parkinson ou de la maladie d'Alzheimer, et détruisait la nouveauté de la revendication 1 de la requête principale. Le requérant se référait en particulier à l'exemple 4 de D3 et au fait que D3 divulguait l'administration séquentielle d'un agent rétroviral. Le requérant citait notamment la décision T 1941/21.

Requête principale - Activité inventive

D5 concernait le même objet que le brevet, à savoir le traitement des maladies d'Alzheimer et de Parkinson. La différence entre D5 et la revendication 1 était la nature du composé utilisé pour traiter les maladies susmentionnées, à savoir la taxifoline dans D5 et un inhibiteur de la transcriptase inverse dans la revendication 1. Le brevet ne démontrait aucun effet technique, le problème technique était la fourniture de composés alternatifs à la taxifoline, capables de traiter les maladies d'Alzheimer et de Parkinson.

D5 enseignait que la taxifoline était un flavonoïde naturel. Par conséquent, la personne du métier aurait été incitée à examiner l'état de la technique relatif aux flavonoïdes comme D6. En apprenant de D6 que la taxifoline possédait une activité transcriptase inverse, la personne du métier aurait été motivée à essayer d'autres inhibiteurs de la transcriptase inverse pour résoudre le problème susmentionné, comme ceux indiqués par exemple dans D7.

X. Les arguments suivants ont été avancés par les intimées:

Admission des documents D12-D14 dans la procédure de recours

La division d'opposition a exercé sa discrétion de manière correcte. La cordycépine n'était pas revendiquée et/ou décrite dans le brevet contesté. Il ne ressortait pas des documents que la cordycépine pouvait être un inhibiteur de transcriptase inverse, ou qu'elle pouvait être utilisée pour le traitement des maladies de Parkinson ou d'Alzheimer, D12 et D13 mentionnant seulement une utilisation potentielle. Ces documents venaient au soutien d'un raisonnement a posteriori du requérant.

Validité de la priorité

L'exemple 1 de P1 permettait d'établir un lien entre les cassures double brin (DSB) et les maladies de Parkinson et d'Alzheimer.

L'exemple 2 de P1 montrait qu'il était plausible pour la personne du métier que la stavudine permettait la réduction des cassures double brin grâce à son effet inhibiteur de transcriptase inverse.

Ces résultats pouvaient être généralisés à l'ensemble des inhibiteurs de transcriptase inverse. L'action bénéfique de la stavudine sur les cassures double brin apparaissant liée à son effet inhibiteur de transcriptase inverse, la personne du métier pouvait raisonnablement en déduire que cette action bénéfique peut être obtenue en inhibant la transcriptase inverse, quel que soit le mécanisme d'inhibition et quelle que soit la structure de l'inhibiteur.

Requête principale - Nouveauté

D3 ne divulguait pas l'utilisation d'un inhibiteur de transcriptase inverse pour le traitement de la maladie de Parkinson ou d'Alzheimer. Comme souligné par la division d'opposition, les revendications mentionnaient un inhibiteur au singulier, il n'y avait aucune divulgation spécifique dans D3 entrant dans la portée des revendications du brevet opposé. En outre, le niveau de divulgation de D3 était insuffisant.

Requête principale - Activité inventive

D5 pouvait être considéré comme l'art antérieur le plus proche. La revendication 1 du brevet opposé différait de D5 en ce qu'elle utilisait une liste d'inhibiteurs de transcriptase inverse. Comme démontré dans le brevet opposé, cette caractéristique avait un effet thérapeutique en réduisant la formation des cassures double brin de l'ADN dans les maladies dégénératives. Le problème technique objectif pouvait donc être formulé comme la fourniture d'une méthode de traitement alternative des maladies d'Alzheimer et de Parkinson.

L'effet bénéfique observé dans D5 était vraisemblablement lié à l'effet neuroprotecteur antioxydant de la taxifoline. La personne du métier n'aurait donc pas eu de réelle raison d'entreprendre une étude approfondie de la littérature concernant la classe de molécules à laquelle appartient la taxifoline. Par conséquent, la personne du métier n'aurait pas été orientée vers une action ciblant la transcriptase inverse. Elle n'aurait eu aucune raison de consulter D6 ni D7, dont l'objet ne concernait ni la maladie de Parkinson, ni la maladie d'Alzheimer.

XI. Requêtes

Le requérant a demandé l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet. Par ailleurs, le requérant a demandé que la requête auxiliaire 3 soumise en procédure d'opposition par la lettre du 6 février 2023, correspondant à la requête auxiliaire 10 déposée avec la réponse au mémoire de recours, ainsi que les requêtes auxiliaires 4-15 dans leur ensemble ne soient pas admises dans la procédure de recours. Le requérant a enfin demandé que les documents D12-D14, ou à tout le moins les documents D12 et D13, et au minimum le document D12, soient admis dans la procédure.

Les intimées ont demandé le rejet du recours et, à défaut le maintien du brevet sur la base de l'une des requêtes auxiliaires 1 à 15 telles que soumises avec la réponse au mémoire de recours. Par ailleurs les intimées ont demandé que les documents D12-D14 ne soient pas admis dans la procédure.

Motifs de la décision

1. Admission des documents D12-D14 dans la procédure de recours

1.1 Les documents D12-D14 ont été déposés par le requérant en phase d'opposition par lettre du 18 novembre 2022, en réponse à la citation à la procédure orale émise par la division d'opposition et datée du 14 juin 2022 qui donnait pour date limite selon la Règle 116 CBE le 7 décembre 2022.

Ils ont en particulier été déposés en réponse aux arguments de la division d'opposition et pour démontrer que le choix d'inhibiteurs de transcriptase inverse à la place de la taxifoline, divulguée dans l'état de la technique le plus proche D5, était une alternative évidente.

Selon le requérant dans sa lettre du 18 novembre 2022, D12 et D13 sont deux documents qui divulguent la cordycépine, un inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse, comme un composé potentiel pour le traitement des maladies neurodégénératives, notamment la maladie d'Alzheimer et la maladie de Parkinson. D12 et D13 prouveraient tous deux que la personne du métier aurait été motivée à utiliser des inhibiteurs de la transcriptase inverse, en particulier des inhibiteurs nucléosidiques tels que définis dans les revendications 1, 2 et 3 telles que délivrées, pour le traitement de la maladie d'Alzheimer et de la maladie de Parkinson.

D14 est déposé afin de prouver que la cordycépine agit comme un inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse.

Dans la même lettre, le requérant a ainsi cité les documents D12 et D13 en complément de l'état de la technique le plus proche D5, pour prouver l'évidence de la solution. Elle a cependant également indiqué de manière très générale que les documents D12 et D13 pouvaient aussi être considérés comme état de la technique le plus proche, sans toutefois développer cet argumentaire dans sa lettre.

1.2 La division d'opposition, après avoir entendu les parties sur le contenu et la recevabilité des documents D12-D14, comme indiqué au point 6.1 du procès-verbal de la procédure, a conclu que D12-D14 n'étaient pas admis car ils n'étaient pas prima facie plus pertinents que les documents déjà présents dans la procédure:

"Parmi les documents soumis par O avec le mémoire d'opposition, certains décrivent des composés cités dans la revendication 1 pour traiter des maladies incluant entre autre les maladies d'Alzheimer et de Parkinson. Il apparait ainsi clairement qu'aucun des documents D12 à D14 n'est prima facie plus pertinent que certains des documents déjà présents dans la procédure.".

Par ailleurs, selon la division d'opposition, ni D12 ni D13 ne font mention du fait que la cordycépine est un inhibiteur de la transcriptase inverse. Pour preuve, D14 a été soumis dans ce but.

1.3 Dans son mémoire de recours, le requérant soutient que la division d'opposition a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière erronée. Il mentionne que, contrairement à l'avis de la division d'opposition, D12 divulgue clairement que la cordycépine est un inhibiteur de la transcriptase inverse (voir point 4.8 du mémoire de recours), que cet enseignement est inhérent à D12 seul, D14 n'étant pas nécessaire pour confirmer cela.

Le requérant affirme également que, contrairement à ce qu'a indiqué la division d'opposition, les documents D12-D14 sont prima facie plus pertinents que les autres documents déposés avec le mémoire d'opposition, en particulier D6. En outre,une objection de nouveauté peut être soulevée au vu de D12 seul (voir points 4.38, 4.48 et 6.56 du mémoire de recours) et l'activité inventive peut être évaluée de façon concrète en partant de D12 comme état de la technique le plus proche (voir point 7.6 du mémoire de recours).

1.4 Conformément à l'article 12(6) RPCR, la Chambre n'admet pas les preuves qui n'ont pas été admises dans la procédure ayant conduit à la décision attaquée, à moins que la décision de ne pas les admettre était entachée d'erreur dans l'exercice du pouvoir d'appréciation ou que les circonstances du recours justifient leur admission. En particulier, une Chambre ne peut annuler la manière dont une division d'opposition a exercé son pouvoir discrétionnaire que si elle arrive à la conclusion que la division d'opposition n'a pas pris en compte les bons principes ou a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable ou arbitraire.

La Chambre note tout d'abord que, selon la jurisprudence constante, des preuves présentées après le délai de neuf mois sont généralement considérées comme tardives, sauf circonstances particulières. La décision de leur admission était donc bien à la discrétion de la division d'opposition dans le cas présent.

1.4.1 En l'espèce, la Chambre constate que les deux parties ont eu l'opportunité de présenter leurs arguments sur le contenu et la recevabilité des documents D12-D14 lors de la procédure orale devant la division d'opposition. Le procès-verbal de la procédure reprend explicitement ces discussions.

1.4.2 La Chambre note en outre que ni D12 ni D13 ne mettent en avant l'inhibition de la transcriptase inverse comme mécanisme d'action responsable d'une possible activité sur les maladies neurodégénératives, mais plutôt leur action anti-inflammatoire et/ou neuroprotective. Par ailleurs, l'enseignement de D12 ou D13 ne permet pas une conclusion quant à l'efficacité de la cordycépine pour le traitement de la maladie de Parkinson ou d'Alzheimer, mais suggère seulement son utilité potentielle dans le traitement de ces maladies parmi d'autres maladies (voir D12 page 1580, "Abstract", page 1581, col. gauche, 3éme par. et page 1585; voir D13, "Abstract" , page 102, dernier paragraphe). Il n'y a donc aucun lien direct entre la divulgation de D12 ou D13 et l'objet des revendications.

Le document D14 enseigne que la cordycépine aurait un effet inhibiteur de la transcriptase inverse du HIV chez les macrophages plus efficace que sur les cellules CD4+. D14 ne mentionne ni ne suggère une possible utilisation de la cordycépine pour le traitement de maladies dégénératives par cette voie pharmacologique.

Il n'est pas non plus possible de conclure, au vu de la définition structurelle générique des transcriptases inverses proposée par le requérant, que la structure de la cordycépine en soi implique qu'elle soit forcément un inhibiteur de la transcriptase inverse; ceci n'est soutenu par aucun document de connaissance générale ni crédible techniquement. D7, qui a été cité à cet égard par le requérant et qui traite de la structure des inhibiteurs de transcriptase inverse, n'apporte en particulier aucune preuve sur ce point et ne mentionne pas la cordycépine.

Étant donné qu'aucun de ces documents ne suggère l'utilisation d'inhibiteurs de transcriptase inverse pour le traitement de maladies dégénératives et qu'il n'existe pas d'enseignement général technique permettant d'arriver à cette conclusion, aucun de ces documents n'apparaît pertinent prima facie

En outre, comme discuté durant la procédure orale, leur enseignement n'est pas plus pertinent que l'enseignement du document D6, qui lui concerne explicitement des inhibiteurs de transcriptase inverse et est donc plus proche techniquement.

1.5 En conclusion, la division d'opposition a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable et selon les critères appropriés, et a fondé sa décision sur le principe de la pertinence prima facie, principe déterminant pour ce type de décisions. Le requérant n'a pas non plus fait état de circonstances particulières qui justifieraient l'admission de ces documents au stade du recours. Par conséquent, rien ne justifie l'annulation de la décision discrétionnaire de la division d'opposition et l'admission des documents D12-D14 dans la procédure.

2. Validité de la priorité

2.1 La Chambre note que la description de P1 est quasi identique à celle de la demande telle que déposée, sauf en ce qui concerne l'exemple 2, qui est plus détaillé dans la demande telle que déposée, et par la présence supplémentaire des Figures 3 et d'une bibliographie plus abondante dans la demande telle que déposée (voir A1). Les revendications sont par ailleurs identiques.

2.2 Dans l'exemple 1 de P1, une drogue oxydante, la 6-OHDA, est injectée dans les neurones mésencéphaliques dopaminergiques (mDA) de souris pour mimer un vieillissement accéléré, ceci étant un modèle reconnu et considéré comme fiable pour l'étude de la maladie de Parkinson car il permet d'en reproduire les symptômes L'exemple 1 montre que le stress oxydatif induit des cassures de l'ADN, et provoque un relâchement de l'hétérochromatine (cf. page 7, par. 2, Figures 1A et 1B). L'enseignement de l'exemple 1 de P1 permet d'établir un lien entre les cassures double brin (DSB) et les maladies de Parkinson et d'Alzheimer. Cet exemple est identique à l'exemple 1 du brevet contesté.

L'exemple 2 de P1 montre in vitro qu'un inhibiteur de transcriptase inverse, en l'occurrence la stavudine, réduit le nombre de cassures double brin induites par un stress oxydatif (DSB); la Figure 2 de P1 montre explicitement qu'un inhibiteur de transcriptase inverse diminue la formation de DSB induits par un stress oxydatif et constitue un début de preuve d'activité valable. L'enseignement de cet exemple est similaire à l'enseignement de l'exemple 2 de la demande telle que déposée, même si les informations techniques relatives aux résultats de l'expérimentation présentées sont plus succinctes et diffèrent légèrement. Les informations présentées sont cependant suffisantes pour prouver de façon plausible que la stavudine a une action effective sur la formation de DSB, ainsi que le traitement conséquent des maladies de Parkinson et d'Alzheimer, et pour former une base valide pour le droit de priorité par rapport à la demande correspondant au brevet contesté.

L'action bénéfique de la stavudine sur les cassures double brin apparaissant liée à son effet inhibiteur de transcriptase inverse, la Chambre ne voit aucune raison de douter que la personne du métier peut raisonnablement en déduire que cette action bénéfique peut être obtenue en inhibant la transcriptase inverse, quel que soit le mécanisme d'inhibition et quelle que soit la structure de l'inhibiteur. L'effet démontré pour la stavudine peut être généralisé de façon crédible aux agents actifs revendiqués.

2.3 En conséquence, la divulgation dans le document de priorité P1 est suffisante en soi, et forme une base valide pour l'objet du brevet contesté. La Chambre ne voit donc aucune raison d'infirmer la décision de la division d'opposition sur ce point, et considère que la priorité est valide (article 87(1) CBE).

Il en résulte que le document D1, une demande de brevet US qui a la date de publication du 15 janvier 2015, postérieure à la date de priorité du brevet contesté, ne peut être cité contre la nouveauté de la revendication 1, car il ne fait pas partie de l'état de la technique.

3. Requête principale - Nouveauté

3.1 Le requérant considère que l'objet revendiqué n'est pas nouveau au vu de D3.

3.2 D3 est un brevet européen publié le 13 janvier 2016 et déposé le 9 juillet 2014, avant la date de priorité du brevet contesté, le 31 octobre 2014. D3 est donc potentiellement pertinent pour la nouveauté en application de l'article 54(3) CBE.

Les revendications 1 et 2 de D3 portent sur l'utilisation d'une combinaison d'un premier agent rétroviral avec un second agent rétroviral, qui peut être entre autres la lamivudine, l'efavirenz le tenofovir ou la rilvipirine, dans le traitement de maladies inflammatoires chroniques. Ces maladies inflammatoires peuvent être entre autres les maladies d'Alzheimer ou de Parkinson revendiquées (voir la revendication 2).

La description de D3 donne le même enseignement et divulgue en outre des combinaisons explicites de deux, trois ou quatre agents rétroviraux, dont entre autres la lamivudine, l'efavirenz, le tenofovir ou la rilvipirine, dans les paragraphes [0015], [0016] ou [0031]. La liste de maladies traitables par les différentes combinaisons est donnée dans le paragraphe [0026] et est la même que dans les revendications.

3.3 La division d'opposition a considéré dans sa décision que le libellé de la revendication 1 du brevet contesté se lit "inhibiteur de la transcriptase inverse..., ledit inhibiteur...", et est donc au singulier, ceci excluant toute combinaison pour l'utilisation revendiquée.

La Chambre est en désaccord sur ce point et considère que cet argument ne peut constituer la base de la nouveauté par rapport à D3. Il n'est pas possible de conclure que la forme singulière utilisée dans la revendication 1 exclut une composition comprenant les agents revendiqués dans le traitement de la maladie de Parkinson ou de la maladie d'Alzheimer en combinaison avec un agent supplémentaire. Le libellé de la revendication 1 de la requête principale est en effet ouvert et n'exclut pas de son champ d'application les associations médicamenteuses comprenant au moins un des inhibiteurs de transcriptase inverse revendiqués, destinés à être utilisés dans la prévention ou le traitement de la maladie de Parkinson ou de la maladie d'Alzheimer.

3.4 La Chambre considère cependant que l'objet de la revendication 1 est nouveau vis-à-vis de D3, car le traitement de la maladie de Parkinson ou de la maladie d'Alzheimer par les combinaisons d'agents actifs données dans D3 n'est pas divulgué directement et sans équivoque dans ce document et que ce document révèle que seuls certains agents rétroviraux ou leurs combinaisons sont réellement actifs.

3.4.1 L'enseignement de D3 s'attache en effet au traitement de maladies inflammatoires, mais ne démontre en pratique que l'efficacité du traitement sur des maladies spécifiques, en particulier le traitement du psoriasis qui apparaît comme l'indication préférentielle de D3 (voir par. [0006], [0011], [0027], [0036], [0037]). L'objet des exemples 1 à 3 se rapporte ainsi à l'étude des agents rétroviraux sur un modèle du psoriasis ou sur des lésions psoriatiques (voir par exemple les par. [[0065], [0066] ou [0070]).

L'exemple 4 concerne l'activité des mêmes agents sur d'autres maladies, en l'occurrence la polyarthrite rhumatoïde ou la sclérodermie (voir par. [0079]). Une potentielle activité sur les maladies de Parkinson ou d'Alzheimer n'est donc pas divulguée ou démontrée par D3. Ce point à lui seul est suffisant pour invalider l'objection de nouveauté vis-à-vis de D3.

3.4.2 D'autre part, D3 divulgue que seuls certains agents spécifiques, isolés ou en combinaison ont une action effective sur le modèle du psoriasis. D3 exclut en particulier certains inhibiteurs nucléosidiques, tels que l'AZT ou la lamivudine, tous deux objets de la revendication 2 de la requête principale, d'une action sur le psoriasis (voir D3, par. [0062]-[0065], [0068] ou [0077]). Ce document n'apporte ainsi aucune preuve de la potentielle activité d'un composé isolé tel que revendiqué, dans le traitement de maladies inflammatoires, encore moins pour le traitement des maladies de Parkinson ou d'Alzheimer.

3.4.3 Au vu de ces résultats, il ne peut être conclu que l'enseignement de D3 démontre que l'un des inhibiteurs de transcriptase inverse revendiqué permettrait de traiter les maladies de Parkinson ou d'Alzheimer.

A ce titre, l'objection soulevée par le requérant contre la recevabilité au titre de l'Article 13(2) RPCR de l'argument des intimées concernant l'insuffisance de description de la divulgation de D3 n'est pas convaincante. Cet argument ne représente en effet pas un changement des moyens des intimées mais constitue un simple développement de leurs arguments, qui sont déjà majoritairement présents dans leurs réponses au mémoire de recours (voir lettre du 30 novembre 2023, point V.2.c., "Divulgation insuffisante").

3.5 En outre, la Chambre ne peut pas suivre l'argumentaire du requérant que la divulgation dans D3 de l'administration séquentielle entre autres de l'efavirenz, le ténofovir la lamivudine, ou de rilpivirine, avant ou après un deuxième agent rétroviral, est de nature à détruire la nouveauté de la revendication 1 de la requête principale (voir D3, par. [0029]).

Il n'est en effet pas possible de détacher une divulgation fragmentaire de D3 du contexte général donné par ce document, qui se rapporte à l'administration de combinaisons d'agents rétroviraux. Une administration séquentielle de deux agents reste une administration d'une combinaison d'agents, et c'est cette combinaison qui définit l'activité thérapeutique, selon l'enseignement de D3.

Par ailleurs les arguments du point 3.4.1. ci-dessus restent valables dans le cadre d'une administration séquentielle, qui ne peut donc détruire la nouveauté de la revendication 1 de la requête principale.

3.5.1 La décision T 1941/21 citée par le requérant ne s'applique pas non plus au cas présent.

Dans cette décision, un document divulguant une combinaison de deux actifs pour le traitement d'une maladie spécifique avait détruit la nouveauté d'une revendication portant sur l'utilisation d'un seul de ces actifs pour le traitement de la même maladie.

Le cas diffère de la présente situation en ce que les exemples du document destructeur de nouveauté dans le cas T 1941/21 montraient explicitement l'activité thérapeutique du deuxième agent actif seul sur la maladie concernée, ce qui n'est pas le cas du document D3 qui ne démontre pas un effet pour les maladies de Parkinson ou d'Alzheimer (voir point 3.4.1 ci-dessus).

3.6 En conséquence, l'objet de la revendication 1 est nouveau vis-à-vis de D3 et la requête principale remplit les conditions de l'Article 54 CBE.

4. Requête principale - Activité inventive

4.1 La présente invention concerne l'utilisation d'un inhibiteur de transcriptase inverse dans la prévention ou le traitement d'une maladie dégénérative, en l'occurrence la maladie de Parkinson et la maladie d'Alzheimer.

4.2 Le requérant considère D5 comme état de la technique le plus proche. D5 est le document également utilisé par la division d'opposition dans sa décision.

D5 divulgue l'utilisation de taxifoline ou de ses dérivés pour traiter des dysfonctionnements neurologiques et/ou psychiatriques du système nerveux central, dont la maladie de Parkinson ou la maladie d'Alzheimer (voir par exemples les revendications de D5). Ce document ne divulgue pas l'utilisation d'inhibiteurs de la transcriptase inverse dans ce contexte.

4.3 La division d'opposition a défini le problème vis-à-vis de D5 comme la mise à disposition de composés alternatifs à la taxifoline capables de traiter les maladies d'Alzheimer et de Parkinson.

Le requérant est d'accord avec cette définition du problème (cf. le mémoire de recours point 7.30).

Les intimées définissent également le problème comme la fourniture d'une méthode de traitement alternative des maladies d'Alzheimer et de Parkinson.

4.4 Le requérant considère que l'invention revendiquée est évidente au vu de D5 en combinaison avec les connaissances générales de la personne du métier, ou de D6 associé à ces connaissances générales, données par exemple par le document D7.

D6 se rapporte à l'activité transcriptase inverse des flavonoïdes. Dans ce document, il a été constaté que les flavonols et les flavanonols étaient très actifs à cet égard, tandis que les flavones et les flavanones présentaient une activité très faible. D6 ne mentionne pas le traitement des maladies de Parkinson ou d'Alzheimer.

D7 est un document général sur les inhibiteurs de transcriptase inverse de HIV. Ce document donne des exemples de composés ayant cette activité comme entre autres l'efavirenz. D7 ne mentionne pas non plus le traitement des maladies de Parkinson ou d'Alzheimer.

4.4.1 Selon le requérant, D5 enseigne à la page 1, dernier paragraphe, que la taxifoline est un flavonoïde d'origine naturelle. Ainsi la personne du métier serait motivée à examiner l'état de la technique relatif aux flavonoïdes, comme D6, intitulé « Effets inhibiteurs des flavonoïdes sur [...] l'activité de la transcriptase inverse ». Dans le résumé de D6, les auteurs expliquent comment plusieurs flavonoïdes ont été testés pour leurs effets sur l'activité de la transcriptase inverse. La taxifoline est spécifiquement mentionnée à la ligne 5 et identifiée comme étant très efficace pour inhiber l'activité de la transcriptase inverse.

En apprenant que la taxifoline a une activité de transcriptase inverse, la personne du métier serait motivée à essayer d'autres inhibiteurs de la transcriptase inverse pour résoudre le problème susmentionné. Les inhibiteurs de la transcriptase inverse entrant dans le champ d'application de la revendication 1 faisaient partie des connaissances générales courantes de la personne du métier (voir par exemple D7, page 3, ligne 18). En conséquence, il aurait été évident d'essayer les inhibiteurs de la transcriptase inverse de D7, avec une espérance raisonnable de succès.

4.4.2 La Chambre ne peut suivre ce raisonnement.

Il faut noter d'une part que D5 n'associe pas une possible activité de la taxifoline à une activité liée à la transcriptase inverse, ne généralise pas cet effet à toutes les flavonoïdes et que D6 mentionne explicitement que toutes les flavonoïdes ne sont pas des inhibiteurs de la transcriptase inverse. D'autre part, il est connu que les flavonoïdes ont de multiples activités non limitées à l'effet sur la transcriptase inverse.

Le lien entre D5, D6 et D7 est ainsi totalement artificiel; la personne du métier aurait été incapable de déterminer que l'activité transcriptase inverse était responsable de l'activité décrite dans D5, et de transposer cette activité aux composés revendiqués. Elle n'aurait également aucune raison de vérifier en particulier tous les inhibiteurs de la transcriptase plutôt qu'une autre activité pharmacologique connue des flavonoïdes et donc de consulter en particulier D6 et D7. La division d'opposition était arrivée à la même conclusion dans sa décision (voir point B7 et page 15 de la décision).

4.5 L'invention revendiquée est donc inventive et la requête principale remplit les conditions de l'Article 56 CBE.

Dispositif

Par ces motifs, il est statué comme suit

Le recours est rejeté.

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