T 0989/22 (Alliage Al-Cu-Li/Constellium) of 25.4.2024

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2024:T098922.20240425
Date de la décision : 25 Avril 2024
Numéro de l'affaire : T 0989/22
Numéro de la demande : 16819147.6
Classe de la CIB : C22C 21/16
C22C 21/18
C22F 1/057
Langue de la procédure : FR
Distribution : C
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Titre de la demande : ALLIAGE ALUMINIUM CUIVRE LITHIUM À RESISTANCE MÉCANIQUE ET TENACITÉ AMELIORÉES
Nom du demandeur : Constellium Issoire
Nom de l'opposant : Arconic Corporation
Chambre : 3.3.05
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention Art 54
European Patent Convention Art 56
Mot-clé : Nouveauté - (oui)
Activité inventive - (oui)
Exergue :

Le concept "d'envisager sérieusement" est difficilement conciliable avec le critère primordial d'une divulgation directe et sans équivoque dans le cas de multiples plages de valeurs.

Décisions citées :
G 0001/03
G 0002/10
T 0026/85
T 0666/89
T 1634/13
T 0261/15
T 0900/18
T 2623/19
T 1688/20
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
T 1132/22

Exposé des faits et conclusions

I. Le recours de l'opposante (requérante) vise à attaquer la décision de la division d'opposition rejetant l'opposition contre le brevet européen n° 3 384 061 B1.

II. Le libellé de la revendication 1 tel que délivré est le suivant :

"1. Produit laminé et/ou forgé en alliage à base d'aluminium comprenant, en % en poids,

Cu: 3,2 - 4,0;

Li: 0,80 - 0,95;

Zn: 0,45-0,70;

Mg: 0,15-0,7;

Zr: 0,07 - 0,15;

Mn: 0,1 - 0,6 ;

Ag: < 0,15;

Fe + Si <= 0,20;

au moins un élément parmi

Ti: 0,01 - 0,15;

Sc: 0,02 - 0,15, préférentiellement 0,02-0,1;

Cr: 0,02 - 0,3, préférentiellement 0,02-0,1;

Hf: 0,02 - 0,5;

V : 0,02 - 0,3, préférentiellement 0,02-0,1;

autres éléments <= 0,05 chacun et <= 0,15 au total, reste aluminium."

III. Les revendications 2 à 15 se rapportent directement ou indirectement à la revendication 1.

IV. Les documents suivants, cités dans la décision attaquée, sont pertinents pour la présente décision.

D1: CN 102021457 B

D1a: traduction anglaise de D1

D10: EP 3 012 338 A1

D11: US 2011/0030856 A1

V. Avec le mémoire de recours, la requérante a soumis les documents suivants :

D12: ASM Speciality Handbook**(®); Aluminum and Aluminum

Alloys; 1993, page 122

D13: N.E. Prasad et al.; Aluminum-Lithium Alloys; 2014,

page 90

D14: ASTM E399-20a

D15: Extract from MMPDS-16, July 2021, pages 3-1 à 3-8.

VI. Les arguments de la requérante, pertinents pour la présente décision, sont résumés comme suit.

L'objet de la revendication 1 manque de nouveauté vis-à-vis de D10. Une partie des alliages revendiqués est déjà divulguée dans D10. La personne du métier envisage sérieusement de travailler dans la zone de chevauchement de D10 avec la revendication 1 (voir la décision T 26/85, sommaire), car il n'y a pas de raisons la dissuadant de le faire.

D11 n'est pas l'état de la technique le plus proche. Même si la personne du métier partait de D11, l'objet de la revendication 1 n'impliquerait pas d'activité inventive. La différence entre l'alliage revendiqué et l'exemple 4 de D11 est le Zn. Un effet lié au Zn n'est pas crédible sur toute l'étendue de la revendication 1. L'alinéa [0031] du brevet indique que la teneur en Zn comprise entre 0,50 et 0,60 % en poids peut contribuer à un avantage. Or la plage de valeur revendiquée est beaucoup plus large. L' alliage 62 n'est pas représentatif de la revendication 1, car il contient de l'Ag qui est optionnel dans la revendication 1. En outre il ressort du tableau 7 du brevet que les propriétés dépendent du traitement thermique et mécanique. La figure soumise par l'intimée (page 9 de la réponse) ne permet pas de conclure qu'un avantage est présent sur toute l'étendue de la revendication 1. La revendication 1 est donc une alternative évidente.

D1 qui est l'état de la technique le plus proche divulgue un alliage 130 qui se distingue de l'alliage de la revendication 1 uniquement par son contenu en Li. Pour résoudre ce problème, il est proposé d'employer un alliage plus dense. La solution est évidente au vu de D12. Si l'on considère les alliages 138 et 139 de D1, il y a également un manque d'activité inventive au vu de l'enseignement de D1.

VII. Les arguments de la titulaire (intimée) se reflètent dans les motifs de la décision exposés ci-dessous.

VIII. À la fin de la procédure orale du 25 avril 2024, les requêtes des parties étaient les suivantes.

La requérante a demandé que la décision attaquée soit annulée et que le brevet soit révoqué.

L'intimée a demandé que le recours soit rejeté ou bien que le brevet soit maintenu sous forme modifiée sur la base de l'une des requêtes subsidiaires 1 à 7 soumises avec la réponse au recours.

Motifs de la décision

1. Article 100(a) CBE, ensemble de l'article 54 CBE

La requérante conteste la nouveauté vis-à-vis de D10. Cependant la chambre ne voit pas de raison de diverger de la décision attaquée.

FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE

Au point 11 des motifs de recours, la requérante a soumis un tableau comparant la revendication 1 du brevet attaqué à la divulgation de D10. Il ressort de ce tableau et du tableau de la décision attaquée repris ci-dessus qu'il n'y a pas de divulgation directe et sans équivoque dans D10 d'un alliage ayant une composition telle que définie dans la revendication 1 du brevet attaqué. Pour arriver à un tel alliage la personne du métier doit faire plusieurs choix parmi les plages et valeurs spécifiques divulguées dans D10, ce qui n'est pas considéré comme une divulgation directe et sans équivoque. La combinaison de différentes valeurs limites de différentes plages de valeurs n'est pas considérée comme divulguée (voir T 900/18, Motifs 4.1 citant T 1634/13, Motifs 3.2). En outre les plages de valeurs ne doivent pas être comparées séparément mais ensemble (voir T 2623/19, Motifs 3.2 citant T 261/15, Motifs 2.3.1).

Le critère à appliquer pour évaluer la nouveauté de plages de valeurs est la divulgation directe et sans équivoque (voir T 1688/20, Motifs 3.4 et Motifs 3.3.1 citant G 1/03 et G 2/10). Le concept "d'envisager sérieusement" cité par la requérante a été initialement décrit dans la décision T 26/85 (Motifs 9) et repris dans la décision T 666/89 (Motifs 7 et 8) et utilisé dans beaucoup d'autres décisions concernant le recoupement de domaines (Jurisprudence des chambres de recours, 10**(e) édition, 2022, I.C.6.3.2). Dans la décision T 666/89, la chambre a estimé que le concept "d'envisager sérieusement" était un concept de la nouveauté (Motifs 8). Cependant, comme indiqué ci-dessous, entre-temps il est bien établi que la divulgation directe et sans équivoque est le critère incontestable pour l'évaluation de la nouveauté. La chambre est d'avis que le concept "d'envisager sérieusement" implique que la personne du métier doit évaluer si l'enseignement technique du document antérieur est à appliquer dans la plage de valeurs commune (voir T 26/85, Motifs 9 et T 666/89, Motifs 7) ce qui est, de l'avis de la présente chambre, directement lié à l'effet recherché. C'est pourquoi le concept "d'envisager sérieusement" est difficilement conciliable avec le critère primordial d'une divulgation directe et sans équivoque dans le cas de multiples plages de valeurs.

Il est aussi à noter que dans l'affaire T 26/85, la chambre a conclu que la nouveauté était donnée car l'état de la technique dissuadait clairement l'homme du métier de travailler dans la plage de valeurs revendiquée. Dans le cas d'espèce, même si le critère "d'envisager sérieusement" était accepté contrairement à ce qui a été écrit ci-dessus, il serait à noter que tous les alliages selon l'invention de D10 donnés à titre d'exemples ont des concentrations de Mg > 0,7 et Li > 1 en % en poids. Il semble peu probable qu'une personne du métier envisage alors sérieusement de travailler à des concentrations plus basses.

L'objet de la revendication 1 et des revendications 2 à 15, incorporant directement ou indirectement l'objet de la revendication 1, sont donc nouveaux.

2. Article 100(a) CBE, ensemble de l'article 56 CBE

2.1 L'invention concerne les produits laminés et/ou forgés en alliages aluminium-cuivre-lithium.

2.2 Le document D11 était considéré par la division d'opposition comme l'état de la technique le plus proche. L'exemple 4 du tableau 1 de D11 est le point de départ le plus prometteur.

2.2.1 Le brevet propose de résoudre ce problème en employant des produits présentant un meilleur compromis entre les propriétés de résistance mécanique statique et les propriétés de tolérance aux dommages, de stabilité thermique, de résistance à la corrosion et d'aptitude à l'usinage (alinéa [0023]).

2.2.2 Il est proposé de résoudre le problème par un produit laminé et/ou forgé en alliage à base d'aluminium selon la revendication 1 caractérisé en ce qu'il comprend, en % en poids, 0,45 à 0,70 de Zn.

2.2.3 La requérante conteste le fait que le problème soit effectivement résolu.

L'alliage 59 du tableau 5 n'est pas un alliage selon l'invention car il ne contient pas de Zn. L'alliage 62 est selon l'invention et se distingue de l'alliage 59 uniquement par sa teneur en Zn. L'argument selon lequel leur comparaison n'est pas pertinente, au vu de leur teneur en Ag qui est seulement optionnelle selon la revendication 1 du brevet, n'est pas convaincant.

Les essais comparatifs doivent être de nature à montrer de manière convaincante que les effets bénéfiques ou propriétés avantageuses présumés sont dûs à la caractéristique distinctive de l'invention (Jurisprudence des chambres de recours, 10**(e) édition, 2022, I.D.4.3.2). Dans le cas d'espèce, l'alliage 59 est considéré comme représentatif de l'exemple 4 de D11 au vu de sa composition très similaire. Même si les deux alliages 59 et 62 contiennent de l'argent, la différence entre les deux est seulement la caractéristique distinctive. De plus il n'existe pas d'évidence permettant de conclure que la comparaison est influencée considérablement par la présence d'argent dans les deux alliages.

La figure 6 du brevet montre que l'alliage 62 selon l'invention est moins sensible à la trempe que l'alliage 59. La comparaison de la limite d'élasticité et de la ténacité des exemples 59 et 62 du tableau 7, est reprise dans le graphique présenté à l'alinéa 34 (page 9) de la réponse au mémoire de recours et reproduite ci-dessous. Elle montre que l'ajout de Zn permet d'obtenir un meilleur compromis entre l'élasticité et la ténacité.

FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE

L'argument de la requérante selon lequel les deux courbes se couperaient à un certain moment et que par conséquent le problème n'était pas résolu sur toute l'étendue de la revendication 1 n'est pas étayé par des exemples. En outre, il n'est pas crédible que les courbes restent linéaires car la limite d'élasticité ne peut plus augmenter après une certaine durée de revenu.

Il est vrai que les exemples selon l'invention ont été obtenus avec un alliage contenant 0,7% de Zn, ce qui est la limite supérieure de la plage de valeur revendiquée. Cependant il n'y a pas d'évidence appuyant l'argument de la requérante selon lequel cet effet n'est pas obtenu sur toute l'étendue de la revendication. Bien que le brevet mentionne qu'une teneur en zinc comprise entre 0,50 % et 0,60% en poids est avantageuse (page 5, lignes 45 et 46), il ne ressort pas du brevet qu'une teneur en zinc de 0,45% en poids (limite inférieure de la plage de valeur revendiquée) n'apporte pas d'effet.

La requérante argumente aussi que la différence de 3,2 MPaSQRTm pour la ténacité (voir point 5.12 de la décision attaquée) n'est pas significative si l'on s'appuie sur sur D14 et D15. La chambre ne peut pas déterminer au vu de ces documents pourquoi les valeurs de 41,3 et de 38,1 ne seraient pas statistiquement différentes. En outre, aucun résultat ne montre qu'une telle différence est normalement considérée comme non significative.

La chambre n'a donc pas de raison de diverger de l'opinion de la division d'opposition et accepte que le problème posé est effectivement résolu.

2.2.4 La solution proposée ne découle pas de façon évidente de l'état de la technique.

D11 n'apporte pas d'enseignement sur l'addition de Zn, car le produit selon la revendication 1 contient 0,15 ou moins de Zn. En outre, la composition 6 contenant du Zn a une ténacité nettement plus faible que la composition 1 similaire ne contenant pas de Zn (voir tableaux 1 et 2 de D11). D11 indique aussi que le zinc est une impureté non souhaitée (alinéa [0061]). Il n'y a donc pas de raison que la personne du métier se tourne vers les alliages de D1 contenant du zinc et ajoute du zinc dans les alliages de D1, contrairement à l'enseignement tiré de ce document.

D13 fournit comme enseignement que le Zn a un effet sur la corrosion mais pas sur son utilisation pour résoudre le problème posé ci-dessus.

2.2.5 L'objet de la revendication 1 et des revendications 2 à 15, incorporant directement ou indirectement l'objet de la revendication 1, impliquent donc une activité inventive à partir de D11.

2.3 La requérante a choisi D1 comme autre point de départ pour l'évaluation de l'activité inventive.

2.3.1 D1 divulgue un alliage 130 comprenant 3,7% de Cu, 1,5% de Li, 0,4% de Mn, 0,5% de Zn, 0,12% de Zr, 0,3% de Mg, <0,12% de Ti, <0,10% de Fe et < 0,10% de Si (tableau à l'alinéa [0034]). La différence par rapport à la revendication 1 est donc la concentration de Li.

2.3.2 Il est accepté en faveur de la requérante que la solution au problème consiste à fournir un alliage plus dense.

2.3.3 Ce problème est effectivement résolu par l'alliage selon la revendication 1 caractérisé en ce qu'il comprend, en % en poids, 0,80 à 0,95 de Li.

2.3.4 La solution n'est pas évidente pour les raisons suivantes.

La personne du métier essayant de résoudre le problème posé ne s'intéresse pas seulement à la teneur en Li, mais aussi aux autres éléments présents dans l'alliage 130. Il est évident que l'augmentation de la densité ne doit pas être obtenue aux dépens des autres caractéristiques. La personne du métier se tournerait donc principalement vers les alliages de D1 ayant une densité plus élevée. Or aucun des alliages divulgués dans D1 n'est un alliage selon la revendication 1. Il n'y a pas d'incitation dans D1 à baisser arbitrairement la teneur en Li d'un exemple spécifique sans tenir compte des autres propriétés spécifiées au tableau de l'alinéa [0050]. Même si la teneur en Li était réduite, la teneur des autres éléments devrait être adaptée. Le changement de la teneur en Li ne mène donc pas nécessairement à un alliage tel que revendiqué. L'argument selon lequel la teneur en Li comprise entre 0,80 à 0,95 en % est évidente repose sur une analyse a posteriori.

2.3.5 La requérante part aussi des alliages 138 et 139 de D1 et argumente qu'il serait évident de remplacer l'Ag par le Zn pour obtenir un alliage moins cher. Cependant D1 ne porte pas sur les coûts des alliages mais sur une forte résistance et ténacité. Si la personne du métier remplaçait l'Ag dans les alliages 138 et 139, elle se tournerait plutôt vers les alliages listés au tableau de l'alinéa [0034] ne comprenant pas d'argent et ayant les propriétés recherchées. Même si l'alinéa [0012] de D1 indique l'Ag et le Zn comme alternatives, il n'y a pas de raison de remplacer l'un par l'autre sans adapter le reste de l'alliage. Cette conclusion est en accord avec le tableau de l'alinéa [0034] divulguant les alliages 122 à 130 sans Ag qui contiennent non seulement du Zn mais aussi des concentrations adaptées d'autres éléments (Li par exemple).

2.3.6 L'objet de la revendication 1 et des revendications 2 à 15, incorporant directement ou indirectement l'objet de la revendication 1, impliquent donc aussi une activité inventive à partir de D1.

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Dispositif

Par ces motifs, il est statué comme suit

Le recours est rejeté

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