European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2024:T154921.20241011 | ||||||||
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Date de la décision : | 11 Octobre 2024 | ||||||||
Numéro de l'affaire : | T 1549/21 | ||||||||
Numéro de la demande : | 15704349.8 | ||||||||
Classe de la CIB : | C07D 493/04 | ||||||||
Langue de la procédure : | FR | ||||||||
Distribution : | D | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
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Titre de la demande : | PROCEDE DE FABRICATION DE GLYCIDYL ETHERS D'ISOHEXIDES | ||||||||
Nom du demandeur : | Roquette Frères | ||||||||
Nom de l'opposant : | BASF SE | ||||||||
Chambre : | 3.3.02 | ||||||||
Sommaire : | - | ||||||||
Dispositions juridiques pertinentes : |
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Mot-clé : | Priorité Nouveauté Activité inventive |
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Exergue : |
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Décisions citées : |
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Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
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Exposé des faits et conclusions
I. Le recours formé par l'opposante (ci-après la requérante) concerne la décision de la division d'opposition de rejeter l'opposition formée à l'encontre du brevet EP 3 097 109.
II. Le brevet a trait à un procédé de fabrication de compositions d'éthers de bis-anhydrohexitols, tels le glycidyléther d'isosorbide ayant la structure suivante:
FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE
III. Il est fait référence, dans la présente décision, aux documents suivants:
D1 |JP 2014-189713 A et traduction anglaise |
D3 |US 2002/0004605 A1 |
D8 |Extrait du site internet www.abcclim.net (https://www.abcclim.net/notions-depression-relative-absolue.html), archive internet, 9 novembre 2013 |
D9 |Généralités techniques, extrait du site internet www.legris.com (http://www.legris.com/jahia/Jahia/filiale/france/lang/fr/home/xbp/pid/35),archive internet, 01 juillet 2012 |
D10|Feuille d'info Thermodynamique, suisse énergie, datée de juin 2006 |
D11|Généralités sur la pression et le débit, document accessible en ligne à l'adresse http://www.cosmac.fr/files/generalite-pression-debit.pdf ou à l'adresse http://www.solyro.com/pdf/donnees/fiche_12.pdf|
D12|Extrait du site internet www.testo.com (https://www.testo.com/fr-FR/services/base-connaissance-pression-bases-physiques) |
D13|Extrait du site internet www.schmalz.com (https://www.schmalz.com/fr/connaissance-du-vide/connaissances-et-notions-de-base) |
D14|Extrait internet Wikipedia sur la dépression (https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9pression_(physique)) |
D18|Extrait du catalogue technique du vide FIPA; chapitre «Vacuum: Fundamentals», pages 756-758 (2014) |
A31|Essais complémentaires soumis le 3 juin 2021, complétés|
IV. Dans sa décision, la division d'opposition est arrivée aux conclusions suivantes:
- La priorité de l'invention revendiquée par le brevet était valable et, de ce fait, le document D1 n'était pas un document opposable au titre des articles 54 et 56 CBE.
- L'objet des revendications du brevet impliquait une activité inventive.
V. Dans son mémoire de recours, la requérante a contesté la décision de la division d'opposition en ce qui concerne la validité de la priorité, la nouveauté de l'objet de la revendication 1 de la requête principale (brevet tel que délivré) vis-à-vis de D1 et l'activité inventive de l'objet de la revendication 1 de la requête principale en partant de D1, entre autres.
VI. Dans sa réponse aux motifs de recours, la titulaire du brevet (ci-après l'intimée) a contesté les soumissions de la requérante. Elle a déposé des jeux de revendications selon les requêtes subsidiaires 1 à 7 et le document A31 (dénommé D31 par la requérante).
VII. La chambre a émis une notification selon l'article 15(1) RPCR dans laquelle elle a donné son opinion préliminaire sur le bien-fondé de la requête principale.
VIII. Dans une lettre en date du 9 août 2024, la requérante a fourni des soumissions en réponse à l'opinion préliminaire de la chambre.
IX. Une procédure orale s'est tenue en visioconférence le 11 octobre 2024. L'intimée a retiré les requêtes subsidiaires 1 à 3 et 7 et déposé une nouvelle requête subsidiaire 4.
X. Les requêtes des parties, dans la mesure où elles sont pertinentes pour la présente décision, étaient les suivantes:
La requérante requiert l'annulation de la décision de la division d'opposition et la révocation du brevet européen dans son intégralité. Elle requiert que le document A31 ne soit pas admis dans la procédure.
L'intimée requiert:
- le rejet du recours,
- à titre subsidiaire, le maintien du brevet sous une forme modifiée sur la base du jeu de revendications de l'une des requêtes subsidiaires 1 à 4, les requêtes subsidiaires 1 à 3 correspondant aux requêtes subsidiaires 4 à 6 déposées avec la réponse aux motifs de recours et la requête subsidiaire 4 étant déposée au cours de la procédure orale devant la chambre.
XI. Les moyens invoqués par les parties, dans la mesure où ils sont pertinents pour la décision, sont résumés dans les motifs de la décision ci-dessous.
Motifs de la décision
Requête principale
1. Droit de priorité - Revendication 1 - Article 89 CBE
1.1 La requérante a soumis que le droit de priorité de la revendication 1 de la requête principale n'était pas valable, impliquant que le document D1 constituait un art antérieur opposable pour l'évaluation de la nouveauté et de l'activité inventive de l'objet de la revendication. Sur cette base, la requérante a présenté une objection de manque de nouveauté au vu de D1 et une objection de manque d'activité inventive partant de D1.
1.2 Le brevet revendique une date de priorité du 21 janvier 2014 et a une date de dépôt du 21 janvier 2015.
D1 est un document japonais publié le 6 octobre 2014, soit entre la date de priorité revendiquée par le brevet et la date de dépôt du brevet.
D1 représente un art antérieur opposable à l'évaluation de la nouveauté et l'activité inventive de l'objet de la revendication 1 de la requête principale, seulement si le droit de priorité de ladite revendication n'est pas valable.
1.3 La revendication 1 de la requête principale s'énonce comme suit:
«1. Procédé de fabrication de compositions d'éthers de bis-anhydrohexitols, comprenant les étapes suivantes:
a) mettre en contact un dianhydrohexitol et un halogénure organique,
b) placer le mélange ainsi obtenu de dianhydrohexitol et d'halogénure organique sous vide de manière à obtenir une dépression comprise entre 100 mbars et 1000 mbars,
c) chauffer le mélange sous vide à une température comprise entre 50°C et 120°C et réaliser ainsi une distillation azéotropique,
d) ajouter ensuite au dit [sic] mélange un réactif basique pendant une durée comprise entre 1 heure et 10 heures et poursuivre alors la distillation azéotropique,
e) récupérer la composition d'éthers de bis-anhydrohexitols après une étape de filtration, concentration du filtrat et éventuellement une étape de purification.»
Ainsi, le procédé selon la revendication 1 de la requête principale comprend une étape b) qui requiert de placer le mélange de dianhydrohexitol et d'halogénure organique obtenu dans l'étape a) sous vide de manière à obtenir une dépression comprise entre 100 mbars et 1000 mbars.
L'alinéa [0025] de la description du brevet divulgue qu'«on réalise ensuite un vide partiel dans le dispositif à l'aide d'une pompe à vide, la dépression correspondante étant comprise entre 100 mbars et 1000 mbars (étape b)[sic]. Ceci signifie que la pression dans le milieu réactionnel est égale à la différence entre la pression atmosphérique (1013 mbars) et la pression revendiquée (entre 100 mbars et 1000 mbars), soit une pression comprise entre 13 mbars et 913 mbars.»
Les parties s'accordent sur le fait que, considérant la définition donnée dans l'alinéa [0025] de la description du brevet, les valeurs de dépression définies dans la revendication 1 de la requête principale se réfèrent à des valeurs relatives, c'est à dire qu'elles sont référencées à zéro par rapport à la pression atmosphérique. La chambre partage cet avis.
1.4 La requérante a soumis que le document de priorité ne divulguait pas de manière directe et non ambigüe des valeurs relatives de dépression comprises entre 100 mbars et 1000 mbars.
1.5 Selon, la chambre, bien que la revendication 1 du document de priorité contienne essentiellement la même caracteristique que la revendication 1 telle que delivrée (dépression comprise entre 100 mbars et 1000 mbars), le passage expliquant la signification de cette caracteristique présente dans le brevet tel que delivré (alinéa [0025]) n'est pas présent dans le document de priorité.
En l'absence de la définition donnée à l'alinéa [0025] du brevet dans le document de priorité, et basé sur la formulation de la revendication, il ne peut pas être conclu que les valeurs de dépression comprises entre 100 mbars et 1000 mbars de la revendication 1 du document de priorité représentent directement et de manière non-ambigüe des valeurs relatives, telles que celles définies dans la revendication 1 de la requête principale.
De plus, la combinaison du tableau 2, du passage de la page 13, ligne 30 à la page 14, ligne 6 et des pressions décrites dans les exemples 2 et 3 du document de priorité présente une ambigüité. En effet, le tableau 2 contient une rangée se référant à des pressions exprimées en mbar (quatrième rangée du tableau 2) et décrites dans les exemples 2 et 3 (568 mbar et 275 mbar, respectivement). Selon la chambre et en accord avec les parties, ces deux valeurs de pression représentent des valeurs absolues. Le passage de la page 13, ligne 30 à la page 14 ligne 6 du document de priorité, récapitulant les conditions opératoires du tableau 2 se réfère au terme «dépression», exprimé avec l'unité mbar entre parenthèses. La personne du métier comprendrait au vu de cette divulgation de valeurs absolues dans le tableau 2 que la dépression décrite dans le passage de la page 13, ligne 30 à la page 14 ligne 6 du document de priorité est à considérer plutôt comme une valeur absolue que comme une valeur relative.
Comme les exemples 2 et 3 du document de priorité sont selon l'invention de ce document et comme la dépression référée dans le tableau 2 pour ces deux exemples représente plutôt une valeur absolue, les valeurs de dépression décrites dans la revendication 1 du même document représentent donc pour le lecteur averti plutôt des valeurs absolues que des valeurs relatives. Par conséquent, le document de priorité ne divulgue pas de maniére directe et non-ambigüe les valeurs de dépression relatives définies dans la revendication 1 de la requête principale.
1.6 L'intimée s'est référée aux passages de la page 5, lignes 27-29, et la page 7, lignes 1-3 du document de priorité et a soumis qu'il ressortait clairement de ces passages du document de priorité que les dépressions décrites dans ce document étaient des valeurs relatives.
La chambre ne partage pas cet avis.
Le document de priorité divulgue à la page 5, lignes 27-29 le texte suivant:
«placer le mélange ainsi obtenu de dianhydrohexitol et d'halogénure organique sous vide de manière à obtenir une dépression comprise entre 100 mbars et 1000 mbars».
De même, le passage à la page 7, lignes 1-3 du document de priorité décrit qu'«on réalise ensuite un vide partiel dans le dispositif à l'aide d'une pompe à vide, la dépression correspondante étant comprise entre 100 mbars et 1000 mbars».
Le premier passage (page 5, lignes 27-29 du document de priorité) représente une simple répétition de la formulation de l'étape b) de la revendication 1 du document de priorité. Le second passage (page 7, lignes 1-3 du document de priorité) est une reformulation de l'étape b) de la revendication 1 du document de priorité. En l'absence d'une définition claire telle que celle donnée dans l'alinéa [0025] du brevet, ces deux passages ne divulguent pas que la dépression décrite représente uniquement une valeur relative.
Même s'il était considéré que dans les passages à la page 5, lignes 27-29 et à la page 7, lignes 1-3 du document de priorité, la dépression était définie comme une valeur relative, ces deux passages ne permettraient pas de supprimer l'ambiguïté des autres passages dans le document de priorité identifiés ci-dessus, qui fait que les valeurs de dépression décrites dans la revendication 1 du document de priorité représentent plutôt des valeurs absolues que des valeurs relatives telles que revendiquées dans la revendication 1 de la requête principale.
1.7 L'intimée a également soumis que l'interprétation du terme «dépression» comme une entité relative était l'interprétation que la personne du métier retiendrait sur la base de ses connaissances générales décrites dans les documents D8 à D14 et D18.
La chambre ne partage pas cet avis.
Les documents D8 à D14 (cités par l'intimée devant la division d'opposition) fournissent la divulgation suivante.
D8 est un extrait d'internet fournissant une définition de la pression relative et de la pression absolue. Il mentionne que, «pour mesurer les pressions négatives (dépression), on utilise un vacuomètre (échelle de 0 à -1.033 bars)».
D9 est un document technique disponible en ligne décrivant, entre autre, que «[l]e niveau de vide peut s'exprimer en tant que: niveau de dépression = valeur en pression relative, par rapport à la pression atmosphérique».
D10 (page 2), D11, D12 (page 2) et D13 (page 1) divulguent un schéma expliquant entre autre le vide absolu, la pression absolue, la pression relative, la dépression, et la pression différentielle. La dépression y est schématiquement définie comme une baisse de pression par rapport à une pression de référence.
D14 définit le mot dépression comme une diminution de la pression par rapport à une pression de référence.
Ainsi, les document D8 à D14 indiquent que la dépression est une valeur relative.
Par contre, D18 donne deux définitions du mot «Unterdruck» (dépression), une première où il s'agit d'une pression relative (avant-dernière échelle du bas de la page 756) et une deuxième où il s'agit d'une pression absolue (dernière échelle du bas de la page 756). La première définition s'adresse à la personne du métier de la technique du vide («Vakuumtechnik»), alors que la deuxième s'adresse au domaine scientifique («Wissenschaft»). Cependant, le domaine technique du document de priorité ne correspond pas au domaine de la technique du vide, mais plutôt au domaine de la chimie organique, et donc au domaine scientifique. Le document D18, qui se réfère à des valeurs absolues (dans le contexte du domaine scientifique), ne donne donc pas la même définition que les documents D8 à D14, qui eux se réfèrent à des valeurs relatives.
Ainsi, il ne ressort pas clairement des documents D8 à D14 et D18 que le terme «dépression» corresponde à une pression relative de manière directe et non ambigüe.
Par souci d'exhaustivité, même si seuls les documents D8 à D14 étaient à considérer, le point principal n'est pas comment la personne du métier interprèterait le terme «dépression» en général, mais comment il interpréterait ce terme dans le contexte du document de priorité. Comme expliqué ci-dessus, il ne ressort pas clairement du document de priorité que le terme «dépression» dans ce document correspond obligatoirement à une pression relative.
1.8 Considérant tout ce qui précède, la chambre conclut que la priorité de la revendication 1 de la requête principale n'est pas valablement revendiquée. Par conséquent, le document D1 est compris dans l'état de la technique selon l'article 54(2) CBE pour l'objet de la revendication 1 de la requête principale.
2. Nouveauté - Revendication 1 - Articles 100(a) et 54(2) CBE
2.1 La requérante a objecté la nouveauté de l'objet revendiqué au vu de D1. Elle s'est référée entre autres à l'exemple décrit aux pages 21 à 23 de D1.
2.2 L'exemple décrit aux pages 21 à 23 de D1 divulgue la préparation d'un éther glycidyle de 1,4:3,6-dianhydrosorbitol. La préparation consiste à mettre en contact le 1,4:3,6-dianhydrosorbitol et l'épichlorhydrine (alinéa [0048] de D1). Puis, le mélange est placé sous vide, à une pression de 20 kPa (200 mbar). Une solution aqueuse d'hydroxyde de sodium est ensuite ajoutée au goutte à goutte au mélange réactionnel (alinéa [0049] de D1). Pendant la réaction, l'eau formée et l'épichlorhydrine sont distillées et récupérées dans un «séparateur». Seule l'épichlorhydrine est retournée au mélange réactionnel (alinéa [0050] de D1). Finalement, l'éther glycidyle de 1,4:3,6-dianhydrosorbitol est isolé (alinéa [0050] de D1).
L'éther glycidyle de 1,4:3,6-dianhydrosorbitol décrit dans D1 est un éther de bis-anhydrohexitol, tel que requis par la revendication 1 de la requête principale.
L'épichlorhydrine est un halogénure organique, comme requis dans la revendication 1 de la requête principale.
L'étape de mise en contact du 1,4:3,6-dianhydrosorbitol avec l'épichlorhydrine décrite à l'alinéa [0048] de D1 correspond à l'étape a) de la revendication 1 de la requête principale.
L'étape consistant à placer le mélange sous vide à une pression de 20 kPa (200 mbar) correspond à l'étape b) de la revendication 1 de la requête principale.
La distillation de l'eau et l'épichlorhydrine correspond à l'étape c) de la revendication 1 de la requête principale.
L'addition de la solution aqueuse d'hydroxyde de sodium au goutte à goutte au mélange réactionnel décrit à l'alinéa [0049] de D1 correspond à l'étape d) de la revendication 1 de la requête principale, excepté que la durée comprise entre 1 heure et 10 heures requise par cette étape d) n'est pas décrite aux pages 21 à 23 de D1.
L'addition de la solution aqueuse d'hydroxyde de sodium au goutte à goutte implique que la distillation de l'eau et l'épichlorhydrine continue pendant l'addition. Ainsi, la poursuite de la distillation de l'eau et l'épichlorhydrine, c'est à dire de la distillation azéotropique, correspond à l'étape d) de la revendication 1 de la requête principale.
Finalement, l'isolation de l'éther glycidyle de 1,4:3,6-dianhydrosorbitol décrit à l'alinéa [0050] de D1 correspond à l'étape e) de la revendication 1 de la requête principale.
Ceci n'a pas été contesté par l'intimée.
2.3 Par contre, comme soumis par l'intimée, le document D1 ne décrit pas la durée de l'ajout de la solution aqueuse d'hydroxyde de sodium au mélange réactionnel obtenu après le chauffage sous vide.
2.4 Ainsi, la chambre conclut que l'objet de la revendication 1 de la requête principale est nouveau au vu de la divulgation de D1.
3. Activité inventive - Revendication 1 - Articles 100(a) et 56 CBE
3.1 La requérante a objecté l'activité inventive de l'objet de la revendication 1 de la requête principale en partant de D1.
3.2 D1 comme point de départ
Les parties s'accordent sur le fait que D1 constitue un point de départ approprié pour analyser l'activité inventive de l'objet de la revendication 1 de la requête principale. La chambre ne voit pas de raisons de s'opposer à ce point de vue.
3.3 Caractéristique distinctive
Comme expliqué ci-dessus, l'objet de la revendication 1 diffère du procédé de D1 uniquement par l'ajout au mélange d'un réactif basique pendant une durée comprise entre 1 heure et 10 heures. Ceci n'a pas été contesté par l'intimée.
3.4 Effet technique et problème technique objectif
L'intimée a soumis que l'ajout au mélange d'un réactif basique pendant une durée comprise entre 1 heure et 10 heures représentait une caractéristique essentielle du procédé de la revendication 1 de la requête principale pour obtenir des compositions dans lesquelles la proportion de diglycidyléther d'isosorbide par rapport au mélange de monoglycidyl- et de diglycidylether d'isosorbide était considérablement plus importante, comme montré dans les exemples du brevet.
La chambre ne partage pas cet avis.
Les données expérimentales des exemples 1 à 3 du brevet sont compilées dans les tableaux 1 et 2 du brevet. Les essais 1 à 6 sont des essais selon l'art antérieur (intitulé de l'exemple 1 et alinéa [0046]). Les essais 7 à 16 des tableaux 1 et 2 représentent des essais selon la revendication 1 de la requête principale (intitulé des exemples 2 et 3 et alinéas [0055] et [0061] du brevet). Les tableaux 1 et 2 montrent entre autres la proportion de diglycidyléther d'isosorbide par rapport au mélange mono- et diglycidylether d'isosorbide («% diglycidylether isosorbide/ (mono+diglycidylether isosorbide)»). La proportion de diglycidyléther d'isosorbide par rapport au mélange mono- et diglycidylether d'isosorbide varie entre 47.8 et 78.5 % pour les essais 1 à 6 (selon l'art antérieur) et entre 81.9 et 94.0 % pour les essais 7 à 16 (selon la revendication 1 de la requête principale).
Cependant, comme soumis par la requérante, les exemples du brevet ne comparent pas un procédé avec un ajout au mélange d'un réactif basique pendant une durée comprise entre 1 heure et 10 heures (selon la revendication 1 de la requête principale) et un procédé où la durée de l'ajout du réactif basique est inférieure à 1 heure ou supérieure à 10 heures (comparatifs, représentant l'enseignement général de D1). Dès lors, les exemples du brevet ne montrent pas que l'ajout au mélange d'un réactif basique pendant une durée comprise entre 1 heure et 10 heures conduit à un effet particulier et encore moins à une proportion plus importante de diglycidyléther d'isosorbide par rapport au monoglycidylether d'isosorbide. Ainsi, l'intimée n'a pas fourni de données techniques pour corroborer l'effet technique allégué par rapport à D1.
L'intimée a soumis que la charge de la preuve incombait au requérant de montrer que l'effet technique allégué n'était pas obtenu. La chambre désapprouve cette position, car il est de jurisprudence reconnue que chaque partie supporte la charge de la preuve des faits qu'elle allègue. Dans le cas présent, il incombait donc à l'intimée, affirmant la présence d'un effet par rapport à D1, de prouver la présence d'un tel effet obtenu par la caractéristique distinctive.
Ainsi, en l'absence d'effet technique obtenu par la caractéristique distinctive, le problème technique objectif est de fournir une alternative, comme formulé par la requérante.
3.5 Évidence de la solution
L'intimée n'a pas fourni de soumissions en ce qui concerne l'évidence de la solution en partant du problème technique objectif formulé ci-dessus.
Comme soumis par la requérante, fixer la durée de l'ajout au mélange d'un réactif basique entre 1 heure et 10 heures représente un choix arbitraire de la durée qui rentre dans la pratique routinière de la personne du métier et ne peut pas impliquer une activité inventive.
3.6 Il en résulte que l'objet de la revendication 1 de la requête principale n'implique pas d'activité inventive en partant de D1.
4. La requête principale n'est donc pas fondée.
Requêtes subsidiaires 1 à 3
5. La revendication 1 de la requête subsidiaire 1 diffère de la revendication 1 de la requête principale en ce qu'un catalyseur de transfert de phase est ajouté lors de l'étape a), ledit catalyseur de transfert de phase étant choisi parmi les halogénures, sulfates ou hydrogénosulfates de tétra-alkylammonium.
La revendication 1 de la requête subsidiaire 2 diffère de la revendication 1 de la requête subsidiaire 1 en ce que le catalyseur de transfert de phase est choisi parmi le bromure de tétrabutylammonium et l'iodure de tétrabutylammonium.
La revendication 1 de la requête subsidiaire 3 diffère de la revendication 1 de la requête subsidiaire 2 en ce que le catalyseur de transfert de phase est le bromure de tétrabutylammonium.
6. Activité inventive - Revendication 1 de la requête subsidiaire 3 - Article 56 CBE
6.1 Les parties considèrent que D1 constitue toujours un point de départ approprié pour l'évaluation de l'activité inventive de l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 3. La chambre partage cet avis.
6.2 Caractéristiques distinctives
Le document D1 divulgue l'utilisation de chlorure de benzyltriethylammonium dans l'exemple de la page 21 à 23 de D1 (première phrase de l'alinéa [0048] à la page 21).
Le chlorure de benzyltriethylammonium est un catalyseur de transfert de phase, comme soumis par les parties. Il ne correspond pas au catalyseur de transfert de phase requis par la revendication 1 de la requête subsidiaire 3 (bromure de tétrabutylammonium).
Les caractéristiques distinctives de la revendication 1 de la requête subsidiaire 3 au vu de D1 sont donc :
a) l'ajout au mélange du réactif basique pendant une durée comprise entre 1 heure et 10 heures (non divulguée dans D1), et
b) le bromure de tétrabutylammonium en tant que catalyseur de transfert de phase (chlorure de benzyltriéthylammonium dans D1).
6.3 Effet technique et problème technique objectif
L'intimée a soumis tout d'abord que, en se basant sur les données techniques du document A31 et les données soumises devant la division d'opposition avec la lettre du 3 juin 2021, l'utilisation du bromure de tétrabutylammonium en tant que catalyseur de transfert de phase permettait d'améliorer l'équivalent epoxy. Si une amélioration ne pouvait pas être reconnue, l'utilisation du bromure de tétrabutylammonium en tant que catalyseur de transfert de phase permettait au moins d'obtenir de «bonnes valeurs» de l'équivalent epoxy.
La chambre n'est pas convaincue. A31 est un document soumis par l'intimée comprenant les données soumises par celle-ci devant la division d'opposition avec la lettre du 3 juin 2021 et complétées en indiquant la teneur en triglycidylether di-isosorbide. A31 décrit différents essais pour la préparation d'éther glycidyle de diisosorbide. Le tableau à la page 1 d'A31 comprend deux essais 21 et 22, pour lesquels aucun catalyseur de transfert de phase n'est employé (voir la rangée «Catalyseur»). Le tableau à la page 2 d'A31 décrit deux essais 23 et 24, pour lesquels le bromure de tétrabutylammonium («TBAB», essai 23) et l'iodure de tétrabutylammonium («TBAI», essai 24) en tant que catalyseurs de transfert de phase sont employés. L'essai 23 représente une préparation selon la revendication 1 de la requête subsidiaire 3. Les essais 21, 22 et 24 sont comparatifs. Pour chaque essais, l'équivalent epoxy est donnée. L'essai 23 (selon la revendication 1 de la requête subsidiaire 3) a un équivalent époxy de 165. Les essais 21, 22 et 24 (comparatifs) ont un équivalent epoxy de 223, 235 et 181, respectivement. Selon l'alinéa [0069] du brevet, une diminution de l'équivalent epoxy correspond à une chute de la teneur en oligomères d'éther glycidyle de diisosorbide, qui sont indésirables.
Cependant, comme soumis par la requérante, aucun des essais 21, 22 et 24 ne représente l'enseignement de D1, utilisant le chlorure de benzyltriéthylammonium en tant que catalyseur de transfert de phase. Ceci n'a pas été contesté par l'intimée. Ainsi, il est impossible de conclure que l'utilisation de bromure de tétrabutylammonium (selon la revendication 1 de la requête subsidiaire 3) permet l'amélioration de l'équivalence epoxy ou l'obtention de «bonnes valeurs» de l'équivalent epoxy par rapport à l'utilisation du chlorure de benzyltriéthylammonium selon D1.
Dès lors, aucun effet technique n'est lié à l'utilisation de bromure de tétrabutylammonium, qui représente une des caractéristiques de la revendication 1 de la requête subsidiaire 3 au vu de D1.
Comme expliqué dans le cadre de l'évaluation de l'activité inventive de l'objet de la revendication 1 de la requête principale, aucun effet technique n'est lié à l'ajout au mélange du réactif basique pendant une durée comprise entre 1 heure et 10 heures, qui représente la seconde caractéristique distinctive de la revendication 1 de la requête subsidiaire 3 au vu de D1.
Par conséquent, en l'absence d'effet technique achevé par les caractéristiques distinctives, le problème technique objectif est de fournir une alternative, comme formulé par la requérante.
6.4 Évidence de la solution
Comme soumis par la requérante, D3 décrit un exemple utilisant le bromure de tétrabutylammonium en tant que catalyseur de transfert de phase pour la préparation d'éthers de glycidyle d'alcools (alinéa [0040] dans D3). Ainsi, le choix du bromure de tétrabutylammonium en tant que catalyseur de transfert représente un choix arbitraire en l'absence d'effet technique. Un tel choix représente une routine pour la personne du métier et ne peut justifier une activité inventive de l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 3.
L'intimée a soumis que l'alternative du bromure de tétrabutylammonium n'était pas évidente. Le bromure de tétrabutylammonium ne représentait pas un choix préféré parmi la longue liste de catalyseurs de transfert de phase divulgués dans l'alinéa [0036] de D3. Il n'y avait pas d'incitation dans D3 à choisir le bromure de tétrabutylammonium. De plus, la personne du métier aurait plutôt choisi de cette liste le chlorure de lauryldimethylbenzylammonium, qui était un chlorure de trialkylaryl ammonium comme le chlorure de benzyltriethylammonium utilisé dans le procédé de D1 et présentait des analogies structurelles. L'objection de la requérante découlait d'une analyse a posteriori.
La chambre ne partage pas l'avis de l'intimée. Lorsque le problème technique objectif réside dans la provision d'une alternative, aucune indication ou incitation n'est requise. Il suffit que la personne du métier ait considéré la solution revendiquée comme une alternative raisonnable à l'objet de l'art antérieur le plus proche (T 364/20, point 11.6.2 des motifs). Comme établi ci-dessus, le document D3 divulgue l'utilisation de bromure de tétrabutylammonium, un halogénure d'ammonium quaternaire, en tant que catalyseur de transfert de phase pour la préparation d'éthers et représente pour cette raison une alternative raisonnable (parmi d'autres) à l'utilisation de l'halogénure d'ammonium quaternaire comme catalyseur de transfert de phase dans le procédé de D1. La ressemblance structurelle la plus proche possible au catalyseur de transfert de phase divulgué dans D1 ne joue pas de rôle puisque la personne du métier choisirait toute solution représentant une alternative raisonnable à l'objet de l'art antérieur le plus proche. Ce choix d'alternative raisonnable ne découle donc pas d'une analyse a posteriori.
De plus, par souci d'exhaustivité, l'argument de l'intimée qu'il n'y avait pas d'incitation dans D3 à choisir le bromure de tétrabutylammonium n'est pas correct. En effet, comme établi ci-dessus, l'alinéa [0040] divulgue un exemple selon l'invention de D3 et représente donc une incitation à choisir le bromure de tétrabutylammonium, utilisé dans cet exemple, comme catalyseur de transfert de phase.
6.5 Par conséquent, l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 3 n'implique pas d'activité inventive au vu de la combinaison de D1 avec D3.
6.6 En arrivant à cette conclusion, la chambre a pris en compte et admis dans la procédure les données expérimentales du document A31 (comprenant les données soumises devant la division d'opposition avec la lettre du 3 juin 2021), l'admission duquel a été objectée par la requérante. Dans la mesure où la décision est en faveur de la requérante, il n'est pas nécessaire d'indiquer les raisons de l'admission d'A31 dans la procédure.
6.7 Comme la revendication 1 des requêtes subsidiaires 1 et 2 comprend l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 3, l'objet de la revendication 1 de ces requêtes n'implique pas d'activité inventive pour les mêmes raisons que celles données pour la revendication 1 de la requête subsidiaire 3.
7. Ainsi, la chambre conclut que les requêtes subsidiaires 1 à 3 ne sont pas fondées.
Requête subsidiaire 4
8. La revendication 1 de la requête subsidiaire 4 diffère de la revendication 1 de la requête subsidiaire 3 en ce que le réactif basique est choisi parmi les hydroxydes de lithium, potassium, calcium et sodium et est sous forme d'une solution aqueuse.
9. Activité inventive - Revendication 1 - Article 56 CBE
9.1 Comme pour l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 3, les parties considèrent que D1 constitue un point de départ approprié pour l'évaluation de l'activité inventive de l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 4. La chambre ne voit pas de raison de s'opposer à ce choix de D1 comme un point de départ approprié.
Le document D1 (deuxième phrase de l'alinéa [0049]) décrit une solution aqueuse d'hydroxyde de sodium. Par conséquent, la différence entre la revendication 1 de la requête subsidiaire 4 et la revendication 1 de la requête subsidiaire 3 ne représente pas une caractéristique différentielle supplémentaire au vu de la divulgation de D1. La même approche problème-solution que celle faite dans le cadre de l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 3 s'applique mutatis mutandis à l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 4.
L'intimée a argumenté qu'il existait dans D3 un avantage lié à la présence commune de la forme solide du réactif basique et du catalyseur de phase de transfert. D3, impliquant l'utilisation de catalyseurs de transfert de phase avec une forme solide du réactif basique pour l'éthérification d'alcools simples, représentait un enseignement à éviter, vu que D1 imposait une forme liquide pour le réactif basique utilisé pour l'éthérification de dianhydrosorbitol à partir d'épichlorhydrine. La personne du métier n'aurait donc pas choisi les catalyseurs de transfert de phase utilisés dans D3 comme alternatives au catalyseur de transfert de phase utilisé dans le procédé de D1.
La chambre désapprouve la soumission de l'intimée. Comme soumis par la requérante, D3 divulgue séparément les avantages d'utiliser un réactif basique sous forme solide (alinéa [0004]), et la possibilité d'utiliser un catalyseur de transfert de phase (alinéa [0030]). L'utilisation de réactif basique sous forme solide représente l'avantage fourni par D3 par rapport aux procédés de l'art antérieur utilisant le réactif basique sous forme liquide (alinéa [0029] de D3). Ainsi, le réactif basique sous forme solide et le catalyseur de transfert de phase sont présentés dans D3 comme des caractéristiques techniques séparées. Cette soumission n'a pas été contestée par l'intimée.
De plus, même si la personne du métier déduisait de D3 un avantage lié à la présence commune de la forme solide du réactif basique et du catalyseur de phase de transfert divulgué dans ce document, cela n'empêcherait pas cette personne du métier de considérer chacun des catalyseurs de transfert de phase divulgués dans D3, dont le bromure de tétrabutylammonium utilisé dans l'exemple de D3, comme une alternative raisonnable au catalyseur de phase utilisé dans D1, puisque D1 et D3 appartiennent tous deux au même domaine technique de la préparation d'éthers. De ce fait, D3 ne représente pas un enseignement à éviter, contrairement à la soumission de l'intimée.
9.2 Pour ces raisons, l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 4 n'implique pas d'activité inventive par rapport à la combinaison de D1 avec D3 et cette requête subsidiaire n'est pas fondée.
10. Aucune des requêtes de l'intimée n'est fondée.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision contestée est annulée.
2. Le brevet est révoqué.