T 1739/19 () of 8.3.2023

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2023:T173919.20230308
Date de la décision : 08 Mars 2023
Numéro de l'affaire : T 1739/19
Numéro de la demande : 13758913.1
Classe de la CIB : B29L 7/00
Langue de la procédure : FR
Distribution : D
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Titre de la demande : Procédé de cuisson d'un matelas continu de fibres minérales ou végétales
Nom du demandeur : SAINT-GOBAIN ISOVER
Nom de l'opposant : URSA Insulation S.A.
Chambre : 3.2.05
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention Art 84
Mot-clé : Compétence de la chambre pour examiner la clarté de la revendication 1 de la requête principale (oui)
Clarté de la revendication 1 (non ; toutes les requêtes)
Exergue :

-

Décisions citées :
G 0003/14
T 1459/05
T 1112/12
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
-

Exposé des faits et conclusions

I. La titulaire du brevet et l'opposante ont chacune formé un recours contre la décision de la division d'opposition relative au texte sur la base duquel le brevet européen n° 2 880 210 (ci-après « le brevet ») a été maintenu.

Annexe(s) : | |

II. La division d'opposition a décidé que l'objet de la revendication 1 de la requête principale n'impliquait pas d'activité inventive, qu'il en était de même pour l'objet de la revendication 1 de chacune des requêtes subsidiaires 1 et 2, et que les requêtes subsidiaires 3 et 4 n'étaient pas conformes aux exigences de l'article 123(2) CBE, mais que la requête subsidiaire 5 satisfaisait aux exigences de la CBE.

III. Parmi les documents cités par la division d'opposition, seuls les documents D18 (US 3,096,161), D22

(US 7,435,444 B2) et D23 (US 2008/0102216 A1) ont joué un rôle dans les débats devant la chambre.

IV. La chambre a exprimé sa position provisoire dans sa notification selon l'article 15(1) RPCR 2020 en date

du 23 décembre 2022.

V. À la demande unanime des parties, la procédure orale s'est tenue le 8 mars 2023 sous forme de visioconférence.

VI. La requérante I (titulaire du brevet) a requis l'annulation de la décision objet du recours et le maintien du brevet sous une forme modifiée, selon la requête principale ou l'une des requêtes subsidiaires 1 à 4, déposées avec le mémoire exposant les motifs du recours de la requérante I, ou selon l'une des requêtes subsidiaires 5 à 9, déposées avec la réponse de la requérante I au mémoire exposant les motifs du recours de la requérante II.

La requérante II (opposante) a requis l'annulation de la décision objet du recours et la révocation du brevet. Par ailleurs, elle a requis que les requêtes subsidiaires 6 à 9 ne soient pas admises dans la procédure.

VII. La revendication 1 de la requête principale est rédigée comme suit (les références pour les caractéristiques utilisées par la chambre sont indiquées entre crochets) :

« 1. [0] Procédé de cuisson d'un matelas continu (12) de fibres minérales[deleted: ou végétales], notamment de type verre ou roche comprenant successivement :

- [1] une application d'une solution aqueuse contenant un liant dilué dans la solution, sur des fibres minérales[deleted: ou végétales], [2] l'application de la solution aqueuse étant une application par pulvérisation ou nébulisation en fractions de solution de liant de plus ou moins grande taille telles que des gouttelettes,

- [3] une mise en forme des fibres en un matelas continu (12) sur un convoyeur (10) en mouvement,

- [4] un chauffage du matelas (12) en défilement dans une étuve (15) par flux d'air chaud [5] à une température supérieure à la température de durcissement du liant,

dans lequel [6] le procédé comprend en outre un séchage [deleted: au moins ]partiel du matelas (12) et préalable à l'entrée dans l'étuve (15), [7] ledit séchage [deleted: au moins ]partiel incluant une irradiation du matelas (12) en défilement au moyen d'ondes électromagnétiques radiofréquences dont la fréquence est située entre 3MHz et 300GHz. » (Les modifications par rapport à la revendication 1 telle que délivrée ont été mises en évidence par un texte soit barré (éléments supprimés) soit souligné (éléments ajoutés).

La revendication 1 de la requête subsidiaire 1 se distingue de la revendication 1 de la requête principale par la caractéristique supplémentaire « [8] et dans lequel le liant est au moins partiellement issu d'une base de matière première renouvelable du type à base de sucres hydrogénés ou non ».

La revendication 1 de la requête subsidiaire 2 se distingue de la revendication 1 de la requête subsidiaire 1 en ce que les mots « au moins partiellement issu d'une base de matière première renouvelable du type » ont été supprimés de la caractéristique 8 (caractéristique 8').

La revendication 1 de la requête subsidiaire 3 se distingue de la revendication 1 de la requête subsidiaire 1 par la suppression des mots « au moins partiellement » de la caractéristique 8 (caractéristique 8") et par la caractéristique supplémentaire « [9] et dans lequel ladite étuve comprend une pluralité de caissons permettant la montée en température progressive du matelas de fibres jusqu'à une température supérieure à la température de durcissement du liant présent sur les fibres du matelas ».

La revendication 1 de la requête subsidiaire 4 se distingue de la revendication 1 de la requête subsidiaire 2 par l'ajout de la caractéristique 9.

La revendication 1 de la requête subsidiaire 5 se distingue de la revendication 1 de la requête subsidiaire 1 par le remplacement de la caractéristique 8 par la caractéristique 8" et par la caractéristique supplémentaire « [10] l'étuve (15) étant une étuve de réticulation composée d'une enceinte constituant une chambre fermée dans laquelle sont disposés une série de caissons alimentés par des brûleurs en air chaud mis en circulation par des ventilateurs ».

La revendication 1 de la requête subsidiaire 6 se distingue de la revendication 1 de la requête subsidiaire 5 par la caractéristique supplémentaire « [11] la série de caissons permettant la montée en température progressive du matelas de fibres jusqu'à une température supérieure à la température de durcissement du liant présent sur les fibres du matelas ».

La revendication 1 de la requête subsidiaire 7 se distingue de la revendication 1 de la requête subsidiaire 5 par la caractéristique supplémentaire

« [12] l'enceinte étant traversée par deux convoyeurs de transport et de calibrage du matelas constitués par une succession de palettes constituées de grilles articulées entre elles et perforées pour être perméables au gaz ».

La revendication 1 de la requête subsidiaire 8 se distingue de la revendication 1 de la requête subsidiaire 6 par l'ajout de la caractéristique 12.

La revendication 1 de la requête subsidiaire 9 se distingue de la revendication 1 de la requête subsidiaire 8 par la suppression des mots « fractions de solution de liant de plus ou moins grande taille telles que des » de la caractéristique 2 (caractéristique 2').

Le tableau suivant permet la comparaison des caractéristiques de la revendication 1 de chacune des requêtes de la requérante I devant la chambre (« RP » signifie

« requête principale », « RSn » la requête subsidiaire de rang n ; « X » indique que la caractéristique est présente, « - » qu'elle est absente.

|RP|RS1|RS2|RS3|RS4|RS5|RS6|RS7|RS8|RS9|

0 |X |X |X |X |X |X |X |X |X |X |

1 |X |X |X |X |X |X |X |X |X |X |

2 |X |X |X |X |X |X |X |X |X |- |

2'|- |- |- |- |- |- |- |- |- |X |

3 |X |X |X |X |X |X |X |X |X |X |

4 |X |X |X |X |X |X |X |X |X |X |

5 |X |X |X |X |X |X |X |X |X |X |

6 |X |X |X |X |X |X |X |X |X |X |

7 |X |X |X |X |X |X |X |X |X |X |

8 |- |X |- |- |- |- |- |- |- |- |

8'|- |- |X |- |X |- |- |- |- |- |

8"|- |- |- |X |- |X |X |X |X |X |

9 |- |- |- |X |X |- |- |- |- |- |

10|- |- |- |- |- |X |X |X |X |X |

11|- |- |- |- |- |- |X |- |X |X |

12|- |- |- |- |- |- |- |X |X |X |

VIII. Résumé des arguments des parties concernant les aspects du cas décisifs pour l'issue du recours :

a) Compétence de la chambre pour examiner la clarté de la revendication 1 de la requête principale

i) Requérante I (titulaire du brevet)

La clarté de l'expression « séchage partiel » ne peut

être examinée par la chambre. La revendication 1 du brevet tel que délivré comportait l'expression

« séchage au moins partiel », équivalent à « séchage partiel ou séchage total ». Il y avait donc deux alternatives dans la revendication 1 du brevet tel que délivré. La suppression du séchage total revient à une limitation à la première alternative. La caractéristique figure donc déjà dans les revendications du brevet tel que délivré ; le défaut de clarté allégué n'a pas été créé par la modification. Par conséquent, selon la décision G 3/14, la clarté ne peut pas être examinée ou critiquée. Le cas de la suppression d'un mode de réalisation d'une revendication pour en réduire la portée a été traité au point 2.2 de la décision

T 1112/12. Selon cette décision, la suppression d'un mode de réalisation ou d'une alternative d'une revendication ne peut pas être examiné quant à la clarté. Par ailleurs, la compétence pour examiner la clarté ne dépend pas de la question de savoir si la caractéristique en question est déterminante ou pas pour se distinguer de l'art antérieur. Au point 73 de sa décision G 3/14, la Grande Chambre critique la décision T 1459/05, qui avait considéré que l'on pouvait examiner la clarté lorsque la caractéristique ajoutée était l'unique élément permettant de distinguer l'objet de la revendication modifiée de l'état de la technique.

ii) Requérante II (opposante)

Ce n'est pas correct que la titulaire a simplement supprimé l'une de deux alternatives. La revendication 1 délivrée ne comprenait pas deux alternatives. Tout au moins la signification précise des deux alternatives n'est pas claire. La limitation à l'une d'entre elles a généré un problème de clarté en créant une frontière floue qui n'était pas présente dans la revendication du départ. C'est donc un défaut de clarté provoqué par une modification qui peut être examiné par la chambre.

b) Clarté de la revendication 1 de la requête principale

i) Requérante I (titulaire du brevet)

La caractéristique « séchage partiel » est claire. Il faut toujours lire une revendication comme le ferait une personne du métier, avec la volonté de comprendre et en donnant aux termes un sens techniquement raisonnable. Ce n'est évidemment pas physiquement possible d'enlever toute l'eau du matelas. Un séchage total est atteint lorsqu'on a enlevé toute l'eau qui pouvait être enlevée. Cette interprétation est confirmée par le paragraphe [0060] du brevet, selon lequel un assèchement complet s'exprime par la stabilisation de la masse du matelas. La masse diminue lorsque l'eau s'évapore. Le séchage est total lorsqu'on atteint une valeur limite, un seuil, parce qu'on a enlevé toute l'eau qu'il était possible d'enlever. A contrario, un séchage partiel, c'est quand on s'arrête avant d'avoir atteint cette limite. Il ne s'agit pas de comparer des taux d'humidité de matelas, ce qui pourrait poser la question de la frontière entre les deux états. Ce que l'on compare, ce ne sont pas des produits mais des étapes de séchage d'un procédé. Rien n'empêche l'homme du métier de vérifier si une étape de séchage donnée a été poursuivie jusqu'à son terme, pour aboutir à la stabilisation de la masse, ou si elle a été arrêtée avant d'atteindre ce palier. Dans le contexte de la revendication 1, l'expression « séchage partiel » est donc parfaitement claire.

Le liant, et notamment son taux d'eau, peut influer sur le pourcentage d'humidité du matelas, mais non pas sur le degré final de séchage. Le taux d'humidité avant séchage n'est pas pertinent dans le présent contexte. Avec un courant d'air, on arrivera plus vite au même état de séchage total (c'est-à-dire à la stabilisation de la masse). En réponse à la question de savoir si le taux d'humidité s'approchait du séchage total d'une manière asymptotique, la requérante I a expliqué qu'il s'agissait d'atteindre un seuil. Il faut faire abstraction de la question d'incertitude des mesures, car en poussant plus loin le raisonnement, aucune revendication n'est claire en dernière analyse. Si le brevet avait donné des pourcentages, cela aurait soulevé d'autres questions (de méthode, d'incertitude des mesures, etc.). La caractéristique litigieuse peut être vérifiée en pratique par des essais.

L'article 84 CBE concerne en effet la question de savoir si un procédé est couvert par la revendication ou pas. Or dans le cas présent, cette vérification est aisée. Il faut distinguer cette question de la difficulté à apporter la preuve de la contrefaçon.

ii) Requérante II (opposante)

Comme cela a été expliqué au point 3.1 de la décision

T 278/98, l'article 84 CBE a pour but de garantir que le public ne soit pas laissé dans le doute quant à l'objet couvert par une revendication particulière. Le public doit savoir s'il court le risque d'enfreindre le brevet. Selon cette décision, cela vaut d'autant plus si la caractéristique peu claire est essentielle pour l'invention en ce sens qu'elle est destinée à délimiter l'objet revendiqué de l'état de la technique, ce qui donne lieu à une incertitude quant au caractère antériorisé ou non de l'objet revendiqué. Le défaut de clarté affecte sérieusement l'analyse de brevetabilité, en particulier vis-à-vis du document D18.

La revendication 1 concerne un procédé industriel,

ce qui veut dire que l'état de séchage absolu ne sera jamais atteint. La difficulté vient du fait que l'homme du métier qui met en oeuvreune méthode comme celle du document D18 ne sait pas quel degré de séchage il doit atteindre pour être hors de la portée de la revendication 1 de la requête principale. Dans un procès en contrefaçon, la réponse serait apportée par des juges ou des experts, mais le brevet reste silencieux à cet égard. Le renvoi de la requérante I au paragraphe [0060] du brevet n'est pas utile, car il n'est pas clair à quel point l'eau doit être évacuée afin de considérer que la masse du matelas est suffisamment stable. Le paragraphe [0015] du brevet n'est pas utile non plus, car il n'est pas expliqué quel taux d'humidité permet d'obtenir l'effet technique. Par ailleurs, le séchage suffisant semble dépendre d'aspects extérieurs, tel le type de four utilisé (cf. document D22, col. 4, lignes 4 à 12). Même la nature du liant peut avoir un impact (voir document D22, col. 6, lignes 31 à 33, et document D23, paragraphe [0047]). Ces documents, lorsqu'ils abordent le taux résiduel d'humidité, donnent des pourcentages. Or le brevet ne donne pas ne serait-ce qu'un seul exemple de ce qu'il entend par séchage partiel ou total. Il est impossible en lisant le brevet d'en avoir une idée tant soit peu précise.

Si le brevet est maintenu en l'état, des tiers vont être obligés de dépenser davantage d'argent en chauffant les échantillons que ce qui aurait été nécessaire si le brevet avait été clair à cet égard.

Il est correct que les revendications de brevet ne sont jamais claires à 100%. Il y a le problème des incertitudes de mesure, etc. Mais en indiquant des valeurs, on offre à l'homme du métier un point de départ. Or, en l'occurrence, il n'y en a point. La revendication ne définit pas de seuil, mais se contente d'une affirmation ambiguë. Elle manque intrinsèquement de clarté.

Motifs de la décision

1. Requête principale

1.1 Interprétation de l'expression « séchage partiel »

Au cours de la procédure d'opposition, l'expression

« séchage au moins partiel » a été remplacée par

« séchage partiel » dans les caractéristiques 6 et 7. Ainsi, le séchage complet a été exclu pour rétablir la nouveauté de l'objet de la revendication 1 par rapport au document D18 (voir la lettre de la titulaire en date du 8 février 2019). Il se pose la question de savoir si cette opération a pour seul effet d'exclure un seul état somme toute assez théorique (l'absence totale d'humidité dans le matelas) ou si la limitation est plus significative.

La requérante I a expliqué que la modification limitait la revendication à des états de séchage où il était encore possible d'enlever de l'eau. A contrario, l'état de séchage total (désormais exclu de la revendication) serait l'état où l'on a enlevé toute l'eau qu'il était possible d'enlever. Il se traduit par le fait que la masse du matelas s'est stabilisée, dans la mesure où toute l'eau susceptible de s'évaporer s'est effectivement évaporée (cf. le paragraphe [0060] du brevet).

La chambre estime que cette interprétation de l'expression « séchage partiel » est pertinente. La présente décision est fondée sur cette compréhension du

« séchage partiel ».

1.2 Clarté (article 84 CBE)

1.2.1 Compétence de la chambre pour examiner la clarté de l'expression « séchage partiel »

Comme cela a été mentionné au point 1.1 ci-dessus,

la revendication 1 telle que délivrée contenait l'expression « séchage au moins partiel ». Au cours de la procédure d'opposition, les mots « au moins » ont été supprimés.

La requérante I a contesté la compétence de la chambre pour examiner la clarté de l'expression résultante

« séchage partiel ».

Cette contestation se fonde sur la décision G 3/14 de la Grande Chambre de recours, dont le dispositif énonce que, lorsqu'il s'agit d'évaluer si, aux fins de l'article 101(3) CBE, un brevet tel que modifié satisfait aux exigences de la CBE, la conformité des revendications du brevet aux exigences de l'article 84 CBE ne peut être examinée que si - et uniquement dans la mesure où - la modification concernée aboutit à une violation de l'article 84 CBE.

La question est donc de savoir si le remplacement de l'expression « séchage au moins partiel » par « séchage partiel » aboutit à une violation de l'article 84 CBE.

La requérante I a fait valoir que cela ne saurait être le cas. Selon son analyse, l'expression « séchage au moins partiel » doit se comprendre comme « séchage partiel ou séchage total », c'est-à-dire comme une séquence de deux alternatives, dont une aurait été supprimée en cours de procédure d'opposition.

Dans ce contexte, la requérante I a cité la décision

T 1112/12, point 2.2 des motifs, qui a jugé que la ratio decidendi de la décision G 3/14 interdisait à la chambre de critiquer le remplacement de l'expression

« dans le réservoir de carburant ... ou dans l'évent de réservoir de carburant » par « dans le réservoir de carburant » au titre de la clarté. Dans cette affaire, la chambre a estimé qu'une modification d'une revendication résultant de la simple suppression ou exclusion, dans un objet revendiqué, de certains modes de réalisation ne pouvait donner lieu à une objection au titre de l'article 84 CBE.

La chambre ne fait pas sienne l'analyse de la requérante I. La raison en est que l'expression « séchage au moins partiel » n'est pas strictement équivalente à l'expression « séchage partiel ou séchage total », comme soumis par la requérante. L'expression « séchage au moins partiel » véhicule simplement l'idée d'un séchage quelconque. Le degré de séchage est indifférent, pourvu qu'il soit non nul. La question de savoir à partir de quand le séchage est total ne se pose pas et peut rester sans réponse, sans que cela crée des difficultés. Il en est autrement dans la séquence d'alternatives « séchage partiel ou séchage total ». Ici, la frontière entre un séchage seulement partiel et un séchage total s'introduit dans la revendication. Les alternatives sont nommées et leur différenciation s'impose. En choisissant cette formule, le breveté sort de l'ambiguïté à son détriment. Pour cette raison, étant donné que la modification de la revendication ne consiste pas en une simple suppression ou exclusion de certains modes de réalisation, le cas présent est différent du cas traité dans la décision

T 1112/12 et le raisonnement de cette décision ne saurait lui être appliqué.

En divisant l'état de « séchage au moins partiel » en deux sous-états (à savoir « séchage partiel » et

« séchage total ») et en excluant l'un de ces deux sous-états dans la revendication 1 modifiée, la titulaire du brevet soulève la question de savoir à quel point le séchage n'est plus partiel, mais total. Cette question ne se posait pas tant qu'il était question de « séchage au moins partiel », comme dans la revendication 1 telle que délivrée. Aux yeux de la chambre, la décision G 3/14 ne lui interdit donc pas d'examiner si cette modification aboutit à une violation de l'article 84 CBE.

La chambre conclut qu'elle est compétente pour examiner la clarté de la revendication 1 en ce qui concerne sa référence au « séchage partiel ».

1.2.2 Clarté de l'expression « séchage partiel »

La chambre est parvenue à la conclusion que le remplacement de l'expression « séchage au moins partiel » par « séchage partiel » a rendu l'objet de la revendication moins clair, car la revendication modifiée ne permet pas à l'homme du métier de savoir à partir de quel taux d'humidité le séchage cesse d'être partiel et doit être considéré comme étant total.

Il est incontesté que cet état est atteint avant la disparition de toute eau du matelas de fibres.

La requérante I a fait valoir que le séchage est total lorsqu'on a enlevé toute l'eau qui est susceptible d'être élevée. Cette définition est néanmoins insuffisante, car elle ne permet pas à l'homme du métier de savoir si ce point est effectivement atteint à un moment donné. Il est dans l'impossibilité de savoir si la poursuite du chauffage permettrait d'évacuer davantage d'eau ou non.

Etant donné que l'état final est atteint de manière asymptotique, il aurait probablement été possible de fournir à l'homme du métier une méthode lui permettant d'estimer l'avancement du séchage et des bornes qui lui permettent de tirer la conclusion que le séchage complet au sens du brevet est (ou n'est pas) atteint. Une telle méthode pourrait impliquer des essais permettant de déterminer une valeur limite du séchage réalisable pour une configuration donnée et un seuil correspondant. Or, le brevet ne fournit aucune aide de ce type. La distinction entre les états de séchage partiel et complet n'y est pas développée.

Le renvoi à la stabilisation de la masse du matelas au paragraphe [0060] du brevet n'est pas susceptible de surmonter la difficulté, car il ne fait que traduire la difficulté de se situer par rapport à un hypothétique séchage complet en une difficulté de se situer par rapport à un hypothétique poids final du matelas.

Là encore, le brevet ne fournit pas d'indication permettant de déterminer ce poids final ou l'écart par rapport à ce poids. La chambre ne peut donc faire sienne la conclusion de la requérante I selon laquelle le brevet permet à l'homme du métier de vérifier si l'étape de séchage donnée a été poursuivie jusqu'à son terme pour aboutir à la stabilisation de la masse ou si elle a été arrêtée avant d'atteindre ce palier.

À cela s'ajoute que l'état de séchage final (ou le poids de matelas final) dépend sans doute de l'installation et de la manière dont le procédé est mis en oeuvre. L'objection de la requérante I selon laquelle ces paramètres ne jouent que sur la vitesse à laquelle l'état final est atteint, et non pas sur l'état de séchage final lui-même n'est pas plausible.

Par conséquent, l'homme du métier voulant mettre en oeuvre l'enseignement du document D18 se serait trouvé dans l'impossibilité de savoir s'il se trouvait encore dans le domaine couvert par la revendication 1 (c'est-à-dire si le séchage était encore incomplet) ou s'il avait atteint le degré de séchage total qui n'est pas couvert par cette revendication. Cette impossibilité indique que la définition de l'invention n'est pas claire et contrevient de ce fait à l'article 84 CBE.

1.2.3 Conclusion concernant la clarté

La revendication 1 de la requête principale ne satisfait pas aux exigences de l'article 84 CBE.

Il n'est donc pas possible de maintenir le brevet sur la base de cette requête.

2. Requêtes subsidiaires

La revendication 1 de chacune des requêtes subsidiaires devant la chambre contient la caractéristique 6 comportant l'expression « séchage partiel ». Il s'ensuit que le constat du défaut de clarté s'applique également à toutes les requêtes subsidiaires.

Par conséquent, il n'est pas possible de maintenir le brevet sur la base de l'une de ces requêtes.

3. Conclusion concernant les recours

Aucune requête de la requérante I n'étant conforme aux exigences de la CBE, il convient de rejeter le recours de la requérante I et de faire droit au recours de la requérante II en révoquant le brevet européen.

Dispositif

Par ces motifs, il est statué comme suit

1. La décision objet du recours est annulée.

2. Le brevet est révoqué.

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