European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2020:T290818.20200915 | ||||||||
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Date de la décision : | 15 Septembre 2020 | ||||||||
Numéro de l'affaire : | T 2908/18 | ||||||||
Numéro de la demande : | 06794237.5 | ||||||||
Classe de la CIB : | A23L5/00 A23L9/10 A23L19/00 A23P20/00 A23C9/13 A23G3/34 A23G3/28 A23C9/133 A23C9/154 A23G3/20 B65B1/04 |
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Langue de la procédure : | FR | ||||||||
Distribution : | D | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
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Titre de la demande : | PRODUIT ALIMENTAIRE MULTICOUCHE ET PROCÉDÉ POUR SA PRÉPARATION | ||||||||
Nom du demandeur : | Société des Produits Nestlé S.A. | ||||||||
Nom de l'opposant : | COMPAGNIE GERVAIS DANONE | ||||||||
Chambre : | 3.3.09 | ||||||||
Sommaire : | - | ||||||||
Dispositions juridiques pertinentes : |
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Mot-clé : | Requête principale - Suffisance de l'exposé (oui) Renvoi de l'affaire (oui) Remboursement partiel de la taxe de recours (oui) |
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Exergue : |
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Décisions citées : |
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Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
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Exposé des faits et conclusions
I. Le recours a été déposé par la titulaire du brevet (requérante) à l'encontre de la décision de la division d'opposition révoquant le brevet européen n° EP 1 912 517 B1.
II. L'opposante avait fait opposition au brevet dans son ensemble sur la base des motifs visés aux articles 100 a) CBE (nouveauté et activité inventive) et 100 b) CBE.
III. Par sa décision, la division d'opposition, n'ayant pas fait droit à la requête principale telle que déposée le 5 octobre 2017, a révoqué le brevet. Le seul motif de révocation était celui prévu à l'article 100 b) CBE.
IV. Les revendications 1, 19 et 34 de la requête principale s'énoncent comme suit:
"1. Procédé d'obtention d'un produit alimentaire multicouche comprenant au moins une couche inférieure et une couche supérieure, chaque couche étant à base de composants alimentaires thermiquement stables, ledit procédé comprenant les étapes consistant à:
- doser la matière alimentaire constituant la couche supérieure,
- distribuer ladite matière sur la surface d'un produit à recouvrir constituant au moins une couche inférieure préalablement contenu dans un récipient, et
- simultanément, soumettre ledit récipient à une force centrifuge ou alternative,
caractérisé en ce que ladite couche inférieure a une faible viscosité, en ce que la couche inférieure et la couche supérieure présentent une incompatibilité relative à l'étalement de la couche supérieure, en ce que le dosage de la matière alimentaire constituant au moins une couche supérieure est effectué à l'aide d'un piston doseur, la poussée du piston doseur libérant la matière alimentaire constituant au moins une couche supérieure par le seul effet de la force de gravité de ladite matière alimentaire, et en ce que ladite matière est distribuée à l'aide d'un boisseau mécanique rotatif à travers une plaque munie d'orifices multiples."
"19. Produit alimentaire multicouche, susceptible d'être obtenu par le procédé selon l'une quelconque des revendications 1 à 18, comprenant au moins une couche inférieure et une couche supérieure, chaque couche étant à base de composants alimentaires thermiquement stables, dans lequel ladite couche inférieure présente une faible viscosité, et dans lequel la couche supérieure présente une répartition uniforme, caractérisé en ce que ladite couche inférieure présente une consistance Bostwick supérieure à 8 cm."
"34. Dispositif pour la mise en ½uvre du procédé selon l'une quelconque des revendications 1 à 18, comprenant des moyens de dosage de la matière alimentaire constituant la couche supérieure par le seul effet de la force de gravité de ladite matière alimentaire, et des moyens de positionnement et de mise en mouvement du récipient contenant le produit à recouvrir, caractérisé en ce qu'il comprend des moyens de distribution à l'aide d'un boisseau mécanique rotatif à travers une plaque munie d'orifices multiples."
V. La division d'opposition a décidé que l'invention revendiquée n'était pas suffisamment divulguée essentiellement pour les raisons suivantes:
- même si l'homme du métier était capable de déterminer l'épaisseur de la couche supérieure du produit revendiqué, il n'était pas en mesure de déterminer si celle-ci avait une "répartition uniforme" selon la revendication 19; il était donc impossible de constater si le produit satisfaisait aux exigences de cette revendication;
- l'information technique divulguée dans le brevet n'était pas suffisante pour configurer les moyens pour doser et libérer la matière alimentaire de la couche supérieure par le seul effet de la force de gravité. Par conséquent, l'homme du métier n'était pas en mesure d'exécuter le procédé de la revendication 1 et de concevoir le dispositif de la revendication 34.
VI. Dans son mémoire de recours, la requérante a demandé l'annulation de la décision contestée et le maintien du brevet sur la base de la requête principale redéposée avec le mémoire exposant les motifs de recours ou, à titre subsidiaire, sur la base d'un jeu de revendications déposé comme requête subsidiaire avec ledit mémoire. Par ailleurs, la requérante a demandé le renvoi de l'affaire à la division d'opposition afin que celle-ci puisse statuer sur la nouveauté et l'activité inventive.
VII. Avec sa lettre en réponse au mémoire de recours, l'opposante (intimée) a demandé le rejet du recours.
VIII. Dans sa notification en date du 28 mai 2020, émise aux fins de la préparation à la procédure orale, la Chambre a informé les parties de son avis préliminaire selon lequel le brevet contesté expose l'invention revendiquée de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter.
IX. Par leurs lettres datées respectivement du 18 juin 2020 et du 30 juin 2020, la requérante et l'intimée ont retiré leurs requêtes relatives à la tenue d'une procédure orale.
X. Les arguments pertinents pour la présente décision présentés par la requérante peuvent être résumés comme suit:
- Il ressortait clairement du brevet opposé, et en particulier du paragraphe [0028], que la couche supérieure du produit revendiqué avait une valeur unique qui était sensiblement la même en tout point de sa surface. En se fondant sur les informations contenues dans le brevet et sur les connaissances générales courantes, l'homme du métier était capable de mesurer l'épaisseur de la couche supérieure et d'établir si celle-ci avait une épaisseur uniforme telle que spécifiée dans la revendication 19. Les intervalles des valeurs indiquant l'épaisseur et la masse volumique du matériau de la couche supérieure donnaient des indications pour reproduire l'invention. Le fait qu'il n'y avait pas de proportionnalité entre ces valeurs n'était pas pertinent.
- Le brevet, et en particulier les paragraphes [0021], [0032]-[0036], [0075]-[0076], ainsi que les figures 1 et 2, fournissait suffisamment d'informations sur les moyens pour doser le produit de la couche supérieure par le seul effet de la force de gravité selon les revendications 1 et 34.
XI. Les arguments pertinents pour la présente décision présentés par l'intimée peuvent être résumés comme suit:
- La division d'opposition avait correctement décidé que l'invention définie dans la revendication 19 était divulguée de manière insuffisante. Le brevet, et en particulier le paragraphe [0028], ne donnait pas de définition de l'expression "répartition uniforme" et n'indiquait pas la méthode pour déterminer l'épaisseur de la couche supérieure, qui pouvait être fabriquée à partir de différents types de matériaux. En outre, l'expression "sensiblement la même épaisseur" utilisée dans le paragraphe [0028] n'était pas claire. L'épaisseur de la couche supérieure des produits décrits dans le paragraphe [0062] et dans les exemples du brevet, ainsi que dans certains produits fabriqués par le titulaire, variait considérablement dans différents points de la surface. Par ailleurs, il n'y avait pas un lien de proportionnalité entre les valeurs indiquant l'épaisseur et la masse volumique du matériau de la couche supérieure.
- La division d'opposition avait aussi à juste titre conclu que le brevet ne fournissait pas suffisamment d'informations pour configurer les moyens pour doser et libérer la matière alimentaire de la couche supérieure par le seul effet de la force de gravité, selon les revendications 1 et 34. Les passages du brevet mentionnés par le titulaire ne définissaient pas suffisamment ces moyens.
Les requêtes
XII. Les parties ont maintenu leurs requêtes initiales, telles que définies aux points VI et VII ci-dessus, inchangées lors de la procédure de recours.
Par ailleurs, par courrier du 14 mai 2020, l'intimée a également requis à titre subsidiaire le renvoi de l'affaire à la division d'opposition afin que celle-ci traite les motifs d'opposition soulevés mais pas examinés dans la décision contestée.
Par courrier du 18 juin 2020, la requérante a requis le remboursement partiel de la taxe de recours selon la règle 103(4)c) CBE.
Motifs de la décision
Requête principale
1. Suffisance de l'exposé
1.1 La division d'opposition a décidé que le produit défini dans la revendication 19 n'était pas suffisamment divulgué, en raison de la présence dans cette revendication de l'expression "répartition uniforme".
1.2 La Chambre ne partage pas cette opinion. En lisant le brevet opposé, et en particulier le paragraphe [0028], l'homme du métier comprend que, dans le contexte de l'invention revendiquée, l'expression "répartition uniforme" signifie que la couche supérieure a sensiblement la même épaisseur en tous points de sa surface. "Sensiblement" implique qu'il existe une marge de tolérance dans cette épaisseur, qui doit être jugée par l'homme du métier en tenant compte de la méthode de production et des matériaux utilisés pour fabriquer cette couche supérieure. Même à supposer qu'on puisse considérer que les expressions "répartition uniforme" ou "sensiblement la même épaisseur" ne sont pas claires, il est à noter que la clarté n'est pas un motif d'opposition et le supposé manque de clarté ne provient pas de modifications du brevet en cause.
1.3 Par ailleurs, l'homme du métier comprendrait que le paragraphe [0062], selon lequel l'épaisseur de la couche est "de préférence comprise entre 0,3 mm à 6 mm", signifie que cette couche a une seule valeur d'épaisseur comprise entre 0,3 et 6 mm. En outre, il comprendrait que l'affirmation dans les exemples: "on obtient une couche de surface uniforme ayant une épaisseur de 0,5 (ou 0,8) à 3 mm" représente une synthèse de nombreux modes de réalisation mis en ½uvre, qui ont conduit à la fabrication de nombreux produits présentant chacun une épaisseur de la couche ayant une valeur comprise dans la plage indiquée. Donc, il comprendrait que les exemples ne décrivent pas des produits ayant une couche supérieure présentant des variations d'épaisseur de 600%.
1.4 L'intimée a noté qu'il n'y a pas de proportionnalité entre la quantité de matériau utilisée pour préparer la couche supérieure des exemples et son épaisseur. Les tableaux 1-3 montrent que la quantité des différents constituants de la couche supérieure peut varier selon le mode de réalisation considéré. Cependant, il est évident que la masse volumique peut varier en fonction de la quantité des ingrédients utilisée et de la manière dont la composition est préparée. Par conséquent, il n'existe pas forcément de lien de proportionnalité entre l'intervalle d'épaisseur de la couche supérieure et la quantité de matière utilisée.
1.5 Pour ces raisons, la Chambre conclut que l'homme du métier serait en mesure de préparer le produit défini dans la revendication 19.
1.6 La Chambre est également d'avis que les informations techniques présentées dans les parties du brevet opposé mentionnées par la requérante donnent suffisamment d'informations pour que l'homme du métier puisse configurer les moyens de dosage nécessaires pour libérer la matière alimentaire de la couche supérieure par le seul effet de la gravité et, par conséquent, d'exécuter le procédé de la revendication 1 et de concevoir le dispositif de la revendication 34.
1.7 Comme indiqué au paragraphe [0021], le procédé se fonde sur le principe selon lequel "la dépose de la matière alimentaire constituant la couche supérieure" est effectuée "sans apport de pression et sans utilisation d'air comprimé", et il est appliqué "à la couche inférieure une force permettant l'étalement de la couche supérieure". Cela permet d'obtenir "une couche supérieure de matière alimentaire uniforme, continue, en particulier dans le cas où la couche inférieure a une faible viscosité".
1.8 Les figures 1 et 2, qui sont décrites dans les paragraphes [0075] et [0076] du brevet, illustrent un dispositif selon l'invention et la description fournit les informations nécessaires pour construire ce dispositif et le faire fonctionner afin d'obtenir le produit revendiqué. Le "boisseau mécanique" (clapet tournant), la plaque de buse munie d'orifices, les orifices, le piston doseur, le récipient et les moyens de positionnement de ce récipient mentionnés dans les revendications 1 et 34 sont décrits aux paragraphes [0032-0036] et sont bien visibles dans les figures 1 et 2. Même si les figures sont une vue en coupe de l'appareil, compte tenu des indications du brevet et en s'appuyant sur ses connaissances générales, l'homme du métier serait en mesure de déterminer, en fonction du type de matière utilisée, le nombre, la position et la taille des orifices ainsi que la vitesse de rotation du boisseau rotatif. Le paragraphe [0033] indique que la poussée du piston doseur est maîtrisée de manière à ne pas donner d'énergie cinétique aux gouttes à déposer et à permettre la libération de la matière alimentaire constituant la couche supérieure par le seul effet de la force de gravité de cette matière. En s'appuyant sur ces informations techniques, l'homme du métier serait en mesure de mettre en oeuvre l'invention revendiquée.
1.9 Il semble également que l'homme du métier serait à même de mesurer l'épaisseur de la couche supérieure d'un produit alimentaire selon l'invention (ayant une épaisseur d'environ 0.3-6 mm) et de déterminer si cette couche a une "répartition uniforme" au sens de l'invention revendiquée. Aucune preuve n'a été apportée que l'homme du métier ne serait pas en mesure de surmonter les difficultés techniques mentionnées par l'intimée.
1.10 L'intimée a fait valoir que certains produits fabriqués par la requérante comprenant, comme ceux revendiqués, une couche supérieure de chocolat recouvrant une crème dessert à la vanille, ne remplissent pas la condition selon laquelle la couche supérieure présente une répartition uniforme. Cependant, aucune preuve n'a été apportée que ces produits ont été obtenus en utilisant le procédé et l'appareil selon l'invention.
1.11 Selon la jurisprudence des chambres de recours, une objection relative à l'insuffisance de l'exposé de l'invention ne peut aboutir que si de sérieuses réserves ont été formulées, étayées par des faits vérifiables. Il appartient à l'opposante (ici l'intimée) de prouver qu'un homme du métier lisant le brevet serait incapable d'exécuter l'invention à partir de ses connaissances générales de base (voir "La jurisprudence des Chambres de recours", 9e édition, 2019, II.C.9). Dans le cas d'espèce, l'objection d'insuffisance de l'exposé de l'invention n'est pas étayée par des faits vérifiables, aucune preuve y afférente n'ayant été versée au dossier. Par conséquent, l'intimée ne s'est pas acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait à cet égard.
1.12 Par conséquent, la Chambre conclut que le brevet contesté expose l'invention revendiquée de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter (article 83 CBE).
1.13 Vu les conclusions précédentes, il n'est pas nécessaire de statuer sur la requête subsidiaire.
2. Renvoi de l'affaire
2.1 La décision faisant l'objet du recours est limitée à la question de la suffisance de l'exposé. Les parties ont demandé le renvoi de l'affaire à la division d'opposition pour que les autres objections à la brevetabilité de la présente invention (nouveauté et activité inventive) soient examinées.
2.2 Comme indiqué à l'article 12, paragraphe 2 RPCR 2020, l'objet principal de la procédure de recours est de réexaminer de manière juridictionnelle la décision faisant l'objet du recours. Ce principe ne serait pas respecté si la Chambre procédait à un examen complet des questions qui n'ont pas été traitées par la division d'opposition. Il y a donc des raisons particulières justifiant le renvoi de l'affaire (article 11 RPCR 2020 et décisions T 1966/16 et T 731/17).
2.3 Il s'ensuit que la décision attaquée doit être annulée et l'affaire renvoyée à la division d'opposition pour que celle-ci statue sur les autres motifs d'opposition soulevés (article 111(1) CBE).
3. Remboursement partiel de la taxe de recours
3.1 Selon la règle 103(4)c) CBE, la taxe de recours est remboursée à 25 % lorsqu'une requête en procédure orale est retirée dans un délai d'un mois à compter de la signification de la notification émise par la chambre de recours en vue de préparer la procédure orale et qu'aucune procédure orale a lieu. La requérante a retiré sa requête en procédure orale dans ce délai. Suite au retrait de la requête en procédure orale par l'intimée, la Chambre a annulé la procédure orale et rendu la présente décision dans le cadre de la procédure écrite.
3.2 Par conséquent, 25% de la taxe de recours doivent être remboursés.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision attaquée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la division d'opposition afin de poursuivre la procédure sur la base des revendications 1 à 34 de la requête principale déposée avec le mémoire exposant les motifs du recours du 12 février 2019.
4. La taxe de recours est remboursée à 25 %.