T 1804/18 () of 5.11.2021

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2021:T180418.20211105
Date de la décision : 05 Novembre 2021
Numéro de l'affaire : T 1804/18
Numéro de la demande : 12815737.7
Classe de la CIB : F25J 3/04
Langue de la procédure : FR
Distribution : D
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Titre de la demande : PROCEDE ET APPAREIL DE SEPARATION D'AIR PAR DISTILLATION CRYOGENIQUE
Nom du demandeur : L'Air Liquide Société Anonyme pour l'Etude et
l'Exploitation des Procédés Georges Claude
Nom de l'opposant : Linde GmbH
Chambre : 3.2.03
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention Art 56 (2007)
European Patent Convention Art 100(b) (2007)
Rules of procedure of the Boards of Appeal Art 12(4) (2007)
RPBA2020 Art 012(2) (2020)
RPBA2020 Art 013(2) (2020)
Mot-clé : Faits produits tardivement - auraient pu être produits en première instance (oui)
Objet premier de la procédure de recours - moyens de recours invoqués portant sur les objections sur lesquelles la décision était fondée (non)
Modification après signification - prise en compte (oui)
Motifs d'opposition - exposé insuffisant (non)
Activité inventive - (oui)
Exergue :

-

Décisions citées :
T 0409/91
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
-

Exposé des faits et conclusions

I. Le brevet européen N° 2 795 215 B1 (ci-après "le brevet") concerne un procédé et un appareil de séparation d'air par distillation cryogénique.

Une opposition avait été formée contre le brevet dans son intégralité et était basée sur les motifs selon les articles 100a) CBE (manque d'activité inventive) et 100b) CBE (insuffisance de la divulgation).

La Division d'Opposition a décidé de rejeter l'opposition.

L'opposante a formé recours contre cette décision dans les formes et les délais prescrits.

II. La Chambre a informé les parties avec la notification du 29 juin 2020 conformément à l'article 15(1) du règlement de procédure des chambres de recours (RPCR 2020) de son opinion provisoire selon laquelle le recours devrait être rejeté.

En réaction la requérante a fourni avec ses courriers du 16 février 2021 et 22 mars 2021 des informations complémentaires relatives aux dates de publication des documents FW06 à FW09.

Une procédure orale a eu lieu le 5 novembre 2021. Pour plus de détails sur les points de fait et de droit qui ont été discutés lors de la procédure orale il est fait référence au procès-verbal.

Le dispositif de la présente décision a été annoncé à la fin de la procédure orale.

III. Requêtes

L'opposante (ci-après "la requérante") requiert

l'annulation de la décision de la Division d'Opposition et la révocation du brevet.

La titulaire (ci-après "l'intimée") requiert

le rejet du recours et, subsidiairement, le maintien du brevet sous forme modifiée sur la base d'un des jeux de revendications modifiées déposés en tant que première à quatrième requêtes subsidiaires avec la réponse au mémoire exposant les motifs du recours.

IV. Les documents cités lors de la procédure d'opposition et pertinents pour la décision sont les suivants:

E1: US 5 329 776 A;

E2: Document de la base de données accessible par

internet sur le site www.ip.com, "Multiple Compressors for Medium and Large Air Separation Plants", numéro IPCOM000181382D, mis en ligne le 31 mars 2009, 2 pages;

E4: H. Hausen, H. Linde "Tieftemperaturtechnik",

Springer-Verlag, Berlin, Allemagne, deuxième édition, 1985, page 453;

E5: EP 1 120 616 A;

FW02*: A. Binder, "Elektrische Maschinen und Antriebe

- Grundlagen, Betriebsverhalten", Springer-

Verlag, Berlin, Allemagne, 2012, pages 8-9 et

298-299; et

FW04: H.-W. Häring, "Industrial Gases Processing",

Wiley-VCH Verlag GmbH & Co. KGaA, Weinheim,

Allemagne, 2008, pages VII-XII et 45-47.

*Le document FW02 présente la date d'édition de 2012, c'est-à-dire une date postérieure à la date de priorité du 21 décembre 2011 du brevet contesté. La titulaire du brevet n'a pas contesté que son contenu faisait partie des connaissances générales de la personne du métier avant la date effective en question. La Chambre ne voit pas de raisons de le considérer autrement, en particulier au vu des dates auxquelles il est fait référence dans le texte en question de FW02 (cf. aussi points 3.9 et 3.10 des motifs de la décision attaquée qui font référence directement ou indirectement à FW02).

La requérante a cité pour la première fois les documents suivants avec son mémoire exposant les motifs du recours:

E4+: H. Hausen, H. Linde "Tieftemperaturtechnik",

Springer-Verlag, Berlin, deuxième édition, 1985,

pages 449-454 (en supplément de la page 453 de E4

déposé en procédure d'opposition);

FW06: K. G. Bush, "Regelbare Elektroantriebe", Pflaum,

1998, pages 26-27;

FW07: K. Hofer, "Drive Control - Regelung elektrischer

Antriebe", VDE Verlag GmbH, 2017, deuxième

édition, page 35;

FW08: J. Weidauer, "Elektrische Antriebstechnik,

Grundlagen, Auslegung, Anwendungen, Lösungen",

Publicis Publishing, deuxième édition, 2011, page

22; et

FW09: R. Richardson, "Coega air séparation plant", E+C

SPOT ON, juillet 2013, 2 pages.

La requérante a déposé avec son courrier du 2 novembre 2021 un schéma (FW10).

V. La revendication 1 de la requête principale (brevet tel que délivré) s'énonce comme suit:

"Procédé de séparation d'air par distillation cryogénique dans lequel :

i) on envoie N débits d'air à environ la pression ambiante chacun à un des N compresseurs d'air (C1, C2, C3, C4, C5),

ii) chacun des N compresseurs comprime l'air à une première pression supérieure à 12 bars absolus et inférieure à 35 bars absolus, N étant égal ou supérieur à 3 et la puissance totale des N compresseurs étant supérieure à 10MW,

iii) on envoie l'air à la première pression des N compresseurs à une seule unité d'épuration (E) pour éliminer l'eau et le dioxyde de carbone et on refroidit l'air épuré dans l'unité d'épuration avant de l'envoyer à un seul système de colonnes dans une seule boîte froide (BF) où l'air est séparé par distillation cryogénique,

iv) on extrait un débit enrichi en oxygène et/ou un débit enrichi en azote (9) du système de colonnes, et

v) on envoie de l'air de chacun des N compresseurs au système de colonnes à travers l'unité d'épuration, sans envoyer de l'air à la première pression à un surpresseur d'air entraîné par un moteur ou une turbine à vapeur, et

vi) les N compresseurs étant chacun entraîné par un seul moteur, ces N moteurs (M1, M2, M3, M4, M5) étant asynchrones et ayant chacune une puissance maximale en dessous de 25MW."

La revendication 10 de la requête principale (brevet tel que délivré) s'énonce comme suit:

"Appareil de séparation d'air par distillation cryogénique comprenant un seul système de colonnes contenu dans une seule boîte froide (BF), N compresseurs d'air (C1, C2, C3, C4, C5), reliés pour recevoir de l'air à la pression ambiante et conçus pour produire de l'air à une première pression supérieure à 12 bars absolus et inférieure à 35 bars absolus, N étant au moins égal à 3, chacun des compresseurs étant entraîné par un seul moteur asynchrone (M1, M2, M3, M4, M5), la puissance totale des N compresseurs étant au moins égale à 10MW, une seule unité d'épuration (E) pour épurer de l'air à la première pression provenant des N compresseurs, des conduites pour envoyer de l'air épuré de l'unité d'épuration au système de colonnes, une conduite pour soutirer un débit enrichi en azote du système de colonnes, une conduite pour soutirer un débit enrichi en oxygène du système de colonnes, l'appareil ne comprenant pas de moteur ou de turbine à vapeur entraînant un surpresseur d'air."

Au vu de la présente décision sur la requête principale les énoncés des revendications indépendantes des première à quatrième requêtes subsidiaires sont inutiles.

VI. Les arguments de la requérante sont brièvement résumés comme suit (une discussion plus détaillée est fournie si besoin dans les motifs de la décision):

Documents déposés tardivement - recevabilité

Les documents E4+ et FW06 à FW09 ont été déposés en réaction à la décision attaquée et représentent les connaissances générales de la personne du métier. Ils devraient donc être admis dans la procédure de recours.

Même si FW09 a été publié postérieurement à la date de priorité du brevet, son contenu devrait être considéré comme faisant partie des connaissances générales de la personne du métier antérieurement à la date de priorité du brevet au vu de la lenteur des développements technologiques dans le présent domaine technique.

Requête principale - suffisance de la divulgation

Dans le cas où l'invention consisterait en l'utilisation usuelle de moteurs asynchrones, celle-ci pourrait effectivement être mise en ½uvre. Cependant, une telle utilisation ne pourrait alors pas justifier un quelconque effet technique, à moins qu'il ne s'agisse de l'utilisation d'un moteur asynchrone de conception particulière voire d'une connexion entre le moteur asynchrone et le compresseur aussi de conception particulière. Ces deux possibilités n'étant pas décrites dans le brevet, les exigences de l'article 100b) CBE ne sont pas remplies.

Requête principale - activité inventive

L'objet de la revendication 1 de la requête principale manque d'activité inventive à partir de E5 comme art antérieur le plus proche en combinaison avec l'enseignement du document E2 et les connaissances générales de la personne du métier telles qu'illustrées par E4+, FW02, FW04, FW06, FW07 et FW09.

La revendication 1 diffère de la divulgation de E5, figure 2, par les caractéristiques suivantes:

(I) on envoie N débits d'air chacun à un des N

compresseurs d'air, N étant égal ou supérieur à

3;

(II) les N compresseurs étant chacun entraîné par un

seul moteur;

(III) ces N moteurs étant asynchrones et ayant chacune

[sic] une puissance maximale en dessous de 25MW;

et

(IV) la puissance totale des N compresseurs étant

supérieure à 10MW.

L'installation de séparation d'air revendiquée couvre trois domaines techniques distincts de telle sorte que la personne du métier est en fait une équipe composée d'une personne du métier dans chacun des trois domaines techniques correspondants:

- un ingénieur en procédés cryogéniques qui détermine par exemple le volume d'air, la pression d'air et le système de colonnes;

- un ingénieur en construction mécanique qui conçoit la configuration du compresseur en fonction des spécifications de pression et de volume fournis par l'ingénieur en procédés cryogéniques et qui détermine le type d'entraînement (moteur électrique) ainsi que la puissance d'entraînement; et

- un ingénieur en électrotechnique qui sélectionne le type de moteur spécifique et conçoit sa commande.

La personne du métier faisant alors face au problème de standardisation déduit de l'effet technique lié à la caractéristique (I) considérerait E2 et y trouverait la solution revendiquée. Au vu de la diminution des puissances consécutive à la séparation en plusieurs petits compresseurs standard telle que proposée par E2 elle penserait immédiatement sans faire preuve d'activité inventive à utiliser des moteurs asynchrones selon les caractéristiques (II) et (III). La caractéristique (IV) ne peut pas justifier une activité inventive.

L'objet de la revendication 1 de la requête principale manque d'activité inventive également à partir de E2 comme art antérieur le plus proche en combinaison avec l'enseignement du document E5 (ou E1) et les connaissances générales de la personne du métier telles qu'illustrées par E4+, FW02, FW04, FW06, FW07 et FW09, ou encore à partir de E1 comme art antérieur le plus proche de façon identique à l'objection à partir de E5.

L'objet de la revendication 10 de la requête principale manque d'activité inventive pour les mêmes raisons que celles fournies à l'encontre de la revendication 1.

VII. Les arguments de l'intimée sont brièvement résumés comme suit (une discussion plus détaillée est fournie si besoin dans les motifs de la décision):

Documents déposés tardivement - recevabilité

Les documents E4+ et FW06 à FW09 auraient pu être produits en première instance. Ils ne devraient donc pas être admis dans la procédure de recours.

FW07 et FW09 ont été publiés après la date de priorité du brevet. Leur contenu ne peut pas être considéré comme faisant partie de l'art antérieur.

Requête principale - suffisance de la divulgation

L'invention selon les revendications indépendantes 1 et 10 de la requête principale consiste en la multiplication des compresseurs d'air de sorte que la puissance requise tombe dans une gamme pouvant être produite par un moteur asynchrone classique. Les éléments en eux-mêmes ainsi que la connexion entre ces éléments sont connus de la personne du métier, ce qui ne lui pose pas de problème pour la mise en ½uvre de l'invention.

Requête principale - activité inventive

Comme indiqué par la requérante, la revendication 1 diffère de la divulgation du document E5, figure 2, pris comme art antérieur le plus proche par les caractéristiques (I), (II), (III) et (IV). La personne du métier ne chercherait pas à combiner l'enseignement de E2 avec le dispositif de la figure 2 de E5. Elle n'y trouverait de toute façon aucune divulgation ou suggestion quant à l'utilisation de moteurs asynchrones. Aucun des documents disponibles n'indique l'utilisation de tels moteurs dans des installations de séparation d'air avant la date de priorité du brevet. L'objet de la revendication 1 de la requête principale présente donc une activité inventive.

Une objection de manque d'activité inventive à partir de E2 comme art antérieur le plus proche n'a pas été formulée en procédure d'opposition et n'est pas traitée dans la décision attaquée. Elle n'est donc pas recevable en procédure de recours.

E1 divulgue l'usage d'un compresseur unique. Son enseignement est donc incompatible avec celui de E2.

L'objet de la revendication 10 de la requête principale présente une activité inventive pour les mêmes raisons que celles fournies pour la revendication 1.

Motifs de la décision

1. Documents déposés tardivement - recevabilité

1.1 Documents E4+ et FW06 à FW09

1.1.1 La version révisée du Règlement de Procédure des Chambres de Recours (RPCR) est entrée en vigueur le 1er janvier 2020 et, sous réserve des dispositions transitoires (article 25 RPCR 2020), s'applique à tout recours en instance à sa date d'entrée en vigueur, y compris donc à la présente affaire.

1.1.2 Le mémoire exposant les motifs du recours ayant été déposé avant le 1er janvier 2020, l'article 12(4) à (6) RPCR 2020 ne s'applique pas mais, en lieu et place, l'article 12(4) RPCR 2007 continue à s'appliquer (article 25(2) RPCR 2020).

L'admission des documents E4+ et FW06 à FW09 cités pour la première fois par la requérante avec son mémoire exposant les motifs du recours est ainsi sujette aux conditions spécifiées à l'article 12(4) RPCR 2007.

1.1.3 La requérante argue que les documents E4+ et FW06 à FW09 auraient été déposés en réaction à la décision attaquée qui ferait implicitement état d'un préjugé à l'encontre de l'utilisation de moteurs asynchrones dans le domaine technique de la séparation d'air. Ce préjugé infondé aurait été utilisé pour justifier l'activité inventive des objets revendiqués sur la base de la caractéristique distinctive (III).

1.1.4 La Chambre ne partage pas l'avis de la requérante.

Il n'apparaît pas de la décision attaquée que la Division d'Opposition aurait fait valoir un préjugé à l'encontre de l'utilisation des moteurs asynchrones dans le présent domaine technique. Elle s'est simplement bornée à constater que la requérante n'avait pas apporté de moyens de preuve qui auraient permis de conclure que les moteurs asynchrones étaient effectivement utilisés pour entraîner des compresseurs dans une installation de séparation d'air avant la date de priorité du brevet, cf. décision attaquée, point 3.12, dernier paragraphe. En l'absence de moyens de preuve de cette pratique ou des connaissances générales de la personne du métier à ce sujet dans ce domaine technique, la Division d'Opposition a conclu à la présence d'activité inventive au vu des caractéristiques distinctives. La raison invoquée pour le dépôt tardif au stade du recours n'est donc pas justifiée sur la base de la décision attaquée.

Par conséquent, au vu du déroulement de la procédure d'opposition dans son ensemble et du fondement de la décision attaquée il n'existe aucune raison valable qui permettrait de justifier que les documents E4+ et FW06 à FW09 n'auraient pas pu être produits en première instance.

En fait, suite à l'avis préliminaire de la Division d'Opposition concernant le prétendu défaut d'activité inventive annexé à la convocation à la procédure orale du 13 novembre 2017 (point 8), il existait déjà une incitation à soumettre des moyens de preuves supplémentaires à l'appui de cette objection. C'est d'ailleurs ce que la requérante a compris puisqu'elle a soumis les documents FW01, FW02, FW04 et FW05 avec sa réponse du 21 février 2018 pour étayer l'absence d'activité inventive. Les nouveaux documents E4+ et FW06 à FW09 auraient également pu être présentés à ce stade de la procédure.

1.1.5 La Chambre note que les documents E4+ et FW06 à FW08 ne produisent de toute façon pas les éléments de preuve manquant en question relatifs à l'utilisation des moteurs asynchrones dans le présent domaine technique, qui demeure non étayée en procédure de recours. A ce titre, la requérante tente de renverser la charge de la preuve en invoquant un soi-disant préjugé, ce qui n'est pas admissible.

La Chambre note de surcroît que des documents justifiant les connaissances générales de la personne du métier peuvent suivant le cas être considérés comme recevables, même produits tardivement, en particulier lorsque ces connaissances générales sont initialement contestées par la partie adverse. Les documents E4+ et FW06 à FW08 qui auraient pu effectivement être considérés comme représentant les connaissances générales de la personne du métier ne rentrent cependant pas dans cette catégorie, car leur contenu est soit incontesté par l'intimée, soit déjà justifié par un autre document déjà versé au dossier.

Le document FW09 quant à lui consiste en un article d'information sur un développement d'usine spécifique comme indiqué par l'intimée. Il n'entre pas dans la catégorie des moyens de preuve des connaissances générales de la personne du métier.

1.1.6 En plus, comme discuté à la procédure orale, la date de publication des documents FW07 et FW09 est postérieure à la date de priorité du brevet. À ce titre ils ne font donc pas partie de l'art antérieur selon l'article 54(2) CBE.

La Chambre ne partage pas l'avis de la requérante selon lequel le contenu de FW09 devrait quand même être considéré comme faisant partie de l'art antérieur, voire même des connaissances générales de la personne du métier antérieurement à la date de priorité du brevet, car les développements dans le présent domaine technique seraient lents et la date de publication de FW09 (juillet 2013) serait très proche de la date de priorité du brevet (21 décembre 2011). Une telle allégation qui a été contestée par l'intimée n'a été étayée par aucun moyen de preuve.

1.1.7 Les documents E4+ et FW06 à FW09 ne sont donc pas admis dans la procédure de recours (article 12(4) RPCR 2007).

1.2 Schéma FW10

Le schéma FW10 a été déposé par la requérante avec son courrier du 2 novembre 2021, c'est-à-dire après signification de la citation à la procédure orale en date du 12 avril 2021. Par conséquent l'article 13(2) RPCR 2020 s'applique pour statuer sur son admission dans la procédure (article 25(3) RPCR 2020).

Comme indiqué par la requérante le schéma FW10 consiste simplement à retranscrire les arguments mis en avant au point 2.1 du mémoire exposant les motifs du recours. À ce titre il ne s'agit pas d'une modification des moyens présentés par la requérante mais d'un simple développement. Le schéma FW10 est donc admis dans la procédure de recours (article 13(2) RPCR 2020), ce qui n'a pas été contesté par l'intimée.

2. Requête principale - suffisance de la divulgation

2.1 La requérante conteste les conclusions de la décision attaquée, point 2 des motifs, et considère que la divulgation est insuffisante pour que la personne du métier puisse mettre en ½uvre l'invention.

D'après la requérante, dans le cas où l'invention telle que définie dans les revendications de la requête principale, en particulier les revendications indépendantes 1 et 10, consisterait en l'utilisation usuelle de moteurs asynchrones, celle-ci pourrait effectivement être mise en ½uvre. Cependant, une telle utilisation ne pourrait alors pas justifier un quelconque effet technique, à moins qu'il ne s'agisse de l'utilisation d'un moteur asynchrone de conception particulière voire d'une connexion entre le moteur asynchrone et le compresseur aussi de conception particulière. Ces deux possibilités n'étant pas décrites dans le brevet, les exigences de l'article 100b) CBE ne sont pas remplies.

Soit il existe un empêchement technique pour connecter des moteurs asynchrones avec des compresseurs d'une installation de séparation d'air et le fait de le surmonter impliquerait une activité inventive. Le brevet ne divulgue cependant pas comment cet empêchement serait surmonté. La requérante fait référence à cet égard à la réponse de l'intimée au mémoire exposant les motifs du recours, point 2.2.3.2, premier paragraphe, qui supporterait l'idée que les moteurs asynchrones devraient être "adaptés", c'est-à-dire modifiés d'une façon non divulguée, pour pouvoir entraîner un compresseur d'un appareil de séparation d'air. Cette adaptation nécessaire des moteurs asynchrones ne serait cependant pas décrite dans le brevet tel que délivré.

Soit un tel empêchement technique n'existe pas de telle sorte qu'aucune activité inventive ne peut être reconnue, les connaissances générales de la personne du métier suffisant pour réaliser l'invention. La requérante fait référence à cet égard à la réponse de l'intimée au mémoire exposant les motifs du recours, point 1.2, qui reconnaîtrait que les moteurs asynchrones seraient bien connus et que l'invention ne résiderait pas en une connexion innovante entre le compresseur et le moteur asynchrone.

Toujours d'après la requérante, il est spécifié au point 2.3 des motifs de la décision attaquée pour justifier l'aptitude de la personne du métier à mettre en ½uvre l'invention que l'invention consisterait en l'utilisation de moteurs (asynchrones) et de compresseurs standard. Au point 3.12 des motifs de la décision attaquée il est cependant allégué que la simple connexion de ces composants standard justifierait l'activité activité de l'objet revendiqué car elle ne serait pas divulguée dans les documents disponibles. Si l'invention est si triviale qu'il n'est pas nécessaire de fournir des modes de réalisation de l'invention dans le brevet contesté pour que la personne du métier puisse la mettre en ½uvre, elle ne peut pas impliquer une activité inventive (cf. T 409/91 et la Jurisprudence des Chambres de Recours, 9ème Edition 2019, I.D.1).

2.2 La Chambre ne partage pas l'avis de la requérante.

Comme indiqué par l'intimée, l'invention selon les revendications indépendantes 1 et 10 de la requête principale consiste en la multiplication des compresseurs d'air de sorte que la puissance requise tombe dans une gamme pouvant être produite par un moteur asynchrone classique. Les éléments en eux-mêmes ainsi que la connexion entre ces éléments sont donc connus de la personne du métier, ce qui dans ce cas de figure ne lui pose pas de problème pour la mise en ½uvre de l'invention, comme d'ailleurs admis par la requérante elle-même.

En revanche, la conclusion en ce qui concerne l'activité inventive des objets revendiqués et leur éventuelle trivialité ne peut être tirée qu'à la lueur de l'approche problème-solution discutée ci-après au vu des soumissions des parties.

Le lien juridique rappelé par la requérante entre la suffisance de la divulgation et l'activité inventive pour justifier l'attribution d'un monopole au brevet au vu de T 409/91 et de la Jurisprudence des Chambres de Recours, 9ème Edition 2019, I.D.1, n'est en rien en contradiction avec l'application de l'approche problème-solution ci-après. Il n'existe pas non plus, contrairement à ce que semble suggérer la requérante, un principe d'automaticité qui consisterait en ce que lorsqu'une invention peut être mise en ½uvre sur la base de composants standard connus, i.e. sans adaptation spécifique, elle manquerait systématiquement d'activité inventive.

La Chambre partage l'avis de l'intimée que le premier paragraphe au point 2.2.3.2 de la réponse au mémoire exposant les motifs du recours ne consiste pas à faire référence à une adaptation nécessaire des moteurs asynchrones pour entraîner un compresseur d'un appareil de séparation d'air mais plutôt à un manque de moyen de preuve de la part de la requérante quant à l'utilisation de moteurs asynchrones à cet effet dans le présent domaine technique.

2.3 Au vu des raisons ci-avant, l'invention telle que définie dans les revendications de la requête principale est suffisamment décrite pour que la personne du métier puisse la mettre en ½uvre (article 100b) CBE).

3. Requête principale - activité inventive

La requérante conteste que l'objet de la revendication 1 de la requête principale présente une activité inventive

- à partir de E5 comme art antérieur le plus proche en combinaison avec l'enseignement du document E2 et les connaissances générales de la personne du métier (ou plutôt d'une équipe composée d'une personne du métier dans chacun des domaines techniques couverts par l'invention) telles qu'illustrées par E4+, FW02, FW04, FW06, FW07 et FW09;

- à partir de E2 comme art antérieur le plus proche en combinaison avec l'enseignement du document E5 (ou E1) et les connaissances générales de la personne du métier (ou plutôt d'une équipe composée d'une personne du métier dans chacun des domaines techniques couverts par l'invention) telles qu'illustrées par E4+, FW02, FW04, FW06, FW07 et FW09; et

- à partir de E1 comme art antérieur le plus proche de façon identique à l'objection à partir de E5.

En ce qui concerne les documents E4+ et FW06, FW07 et FW09, il est fait référence au point 1.1 ci-avant relatif à leur irrecevabilité dans la procédure.

3.1 À partir de E5

3.1.1 Les parties s'accordent sur le fait que E5, figure 2, représente un art antérieur le plus proche plausible et que les caractéristiques distinctives de la revendication 1 par rapport à la divulgation de E5 sont celles identifiées au point 3.3 des motifs de la décision attaquée (cf. aussi point 3.7). La Chambre partage cet avis.

3.1.2 Les caractéristiques distinctives de la revendication 1 par rapport à E5 sont donc:

(I) on envoie N débits d'air chacun à un des N

compresseurs d'air, N étant égal ou supérieur à

3;

(II) les N compresseurs étant chacun entraîné par un

seul moteur;

(III) ces N moteurs étant asynchrones et ayant chacune

[sic] une puissance maximale en dessous de 25MW;

et

(IV) la puissance totale des N compresseurs étant

supérieure à 10MW.

3.1.3 Effet(s) technique(s) - problème(s) technique(s) objectif(s)

La requérante conteste le problème technique objectif établi dans la décision attaquée, point 3.11 des motifs, sur la base de ces caractéristiques distinctives qui serait de fournir un dispositif de distillation cryogénique dont le système de compression présente un gain en standardisation et en fiabilité [lire ici "flexibilité" comme indiqué au deuxième paragraphe du point 3.11 des motifs de la décision attaquée] combiné à un accroissement de la robustesse et de la fiabilité (cf. brevet contesté, paragraphes [0011], [0013] et [0027]).

La requérante considère que:

- la caractéristique (I) a pour effet technique la standardisation et la flexibilité, voire également la fiabilité, la flexibilité et la fiabilité pouvant être vues comme un effet bonus résultant de la standardisation;

- la caractéristique (II) est une trivialité qui représente une conséquence immédiate de la standardisation mais n'est liée en elle-même à aucun effet technique;

- la caractéristique (III) est liée à la robustesse et la fiabilité, la fiabilité étant le résultat de la robustesse des moteurs asynchrones; et

- la caractéristique (IV) n'est liée à aucun effet technique.

La requérante en conclut que l'invention résout deux problèmes techniques objectifs partiels indépendants :

- le premier, en lien avec la caractéristique (I), consistant en la standardisation du compresseur d'air du dispositif de E5; et

- le deuxième, en lien avec les caractéristiques (II) et (III), consistant en la sélection d'un moyen d'entraînement robuste pour le compresseur d'air dans le dispositif de E5.

3.1.4 La Chambre n'est pas convaincue que l'on puisse séparer le gain en standardisation du gain en robustesse, car l'un et l'autre sont liés. Il est en effet possible d'utiliser des éléments standards dont la robustesse a été établie, même à faible puissance totale.

Cependant, comme l'intimée, la Chambre reprend ci-après les problèmes partiels définis par la requérante pour la discussion de l'activité inventive.

3.1.5 La Chambre ne partage pas l'avis de l'intimée que la personne du métier ne chercherait pas à combiner l'enseignement de E2 avec le dispositif de la figure 2 de E5.

En effet, même s'il n'est pas fait mention explicite que la figure 2 de E5 concerne la fourniture d'oxygène et d'azote à une installation CCGI ("Cycle Combiné à Gazéification Intégrée", en anglais : IGCC, "Integrated Gasifier Combined Cycle power plant"), celle-ci divulgue un procédé de séparation d'air par distillation cryogénique comme dans E2 ("Air Separation Unit (ASU)"). Le seul fait que dans E2, les gaz tels que l'air, l'oxygène et l'azote sont fournis à une installation IGCC ne change rien à cela, d'autant plus que E2 se concentre dans sa description détaillée sur l'ASU (cf. aussi décision attaquée, point 3.12 des motifs).

3.1.6 La Chambre partage l'avis de la requérante que la personne du métier faisant face au premier problème partiel relatif à la standardisation trouverait dans E2 à la fois ledit problème partiel (cf. lignes 1 à 3 de la partie "Design challenges") et la solution revendiquée (cf. lignes 1 à 5 de la partie "Detailed description"), i.e. une séparation du compresseur en trois plus petits compresseurs "standard". La caractéristique (I) ne permet donc pas de justifier l'activité inventive de l'objet de la revendication 1.

3.1.7 Cependant, comme indiqué par l'intimée, la personne du métier faisant face au deuxième problème partiel, ne trouverait dans le document E2 aucune divulgation ou suggestion quant à l'utilisation de moteurs asynchrones. La personne du métier n'y trouverait donc pas d'incitation vers la solution revendiquée (caractéristiques (II) et (III)). En fait, aucun des documents disponibles n'indique l'utilisation de tels moteurs dans de telles installations avant la date de priorité du brevet, ni FW02 qui concerne la puissance des moteurs asynchrones en général (cf. page 9, premier paragraphe), ni FW04 qui fait simplement référence aux moteurs asynchrones (cf. page 45, avant-dernier paragraphe) et ni E4 qui concerne un autre domaine technique, en l'occurrence les installations de séparation d'air. Dans le contexte des moteurs pour compresseurs, FW02 fait même référence explicitement aux moteurs synchrones (cf. page 8, point b)).

Il ne s'agit pas ici, comme le fait valoir la requérante, de montrer qu'il existerait un préjugé à cela, c'est-à-dire que l'intimée serait dans l'obligation d'apporter la preuve d'un tel préjugé pour justifier une activité inventive, mais à l'inverse que la requérante apporte les moyens de preuve nécessaires pour établir un manque d'activité inventive. En l'absence de tels moyens de preuve relatifs à une incitation pour la personne du métier à utiliser les moteurs asynchrones dans de telles installations de séparation d'air par distillation cryogénique, la Chambre ne voit pas de raison de statuer différemment de la décision attaquée.

3.1.8 Lors de la procédure orale devant la Chambre la requérante a fait valoir que l'utilisation de trois ou plus compresseurs d'air de conception standard comme divulgué dans E2 ("by three or more air compressors of a standard design", première ligne de la partie "Detailed description") permettrait à la personne du métier en charge de la sélection des moyens d'entraînement de ces compresseurs, un ingénieur en électrotechnique (cf. FW10, "Motor(s)"), de penser immédiatement à utiliser des moteurs asynchrones car ces derniers représenteraient un choix évident (caractéristiques (II) et (III)) qui s'imposerait dès lors que la puissance nécessaire pour chaque compresseur serait inférieure à 25 MW. D'ailleurs les moteurs asynchrones seraient utilisés de façon standard dans toutes les applications industrielles.

3.1.9 La Chambre ne partage pas l'avis de la requérante.

E2 ne divulgue pas la puissance totale de l'installation de séparation d'air et encore moins celle des compresseurs d'air "standard" utilisés. La séparation en trois compresseurs d'air enseignée par E2 vise à adapter la puissance de la centrale dans son ensemble aux besoins (cf. E2, figure 1 et tableau). E2 ne fournit donc aucune indication voire motivation quant à des compresseurs de puissance inférieur à 25 MW. La personne du métier ou encore l'équipe de personnes des différents métiers concernés telle que décrite par la requérante devrait à ces fins altérer ou compléter la divulgation de E2. De plus, contrairement à l'allégation de la requérante, E2 n'exclut en rien l'utilisation de turbines à gaz ou à vapeur pour l'entraînement des compresseurs. Le prix de telles turbines n'est en lui-même pas un frein à leur utilisation qui dépend plus de la pertinence technique en fonction des besoins spécifiques. La personne du métier n'aboutirait donc pas de manière évidente à l'utilisation de moteurs asynchrones à partir de E2.

Finalement, la Chambre note qu'il est incontestable et incontesté que des applications industrielles font bien usage de moteurs asynchrones. L'affirmation que ce serait le cas dans toutes les applications industrielles est cependant une allégation infondée.

3.1.10 La requérante a aussi argumenté lors de la procédure orale devant la Chambre que la revendication 1 concernait des installations de faibles puissances totales comme par exemple 11 MW (cf. caractéristique (IV)). Dans le cas d'une telle installation le choix d'un moteur asynchrone serait évident pour la personne du métier, c'est-à-dire un ingénieur en électrotechnique (cf. FW10, "Motor(s)"), puisque la puissance nécessaire serait de facto inférieure à 25 MW (cf. brevet, paragraphe [0007]). Les caractéristiques (II) et (III) ne pourraient ainsi pas justifier une activité inventive. Comme aucun effet technique ne serait associé à la répartition de puissance via trois ou plus compresseurs d'air (caractéristique (I)), l'objet de la revendication 1 manquerait d'activité inventive.

3.1.11 La Chambre ne partage pas l'avis de la requérante.

Ni la puissance des compresseurs ni leurs moyens d'entraînement peuvent être déduits de façon directe et non-ambiguë des documents E5 et E2. La seule combinaison des divulgations des documents E5 et E2 ne permet donc pas d'aboutir à la revendication revendiquée de manière évidente puisque l'affirmation de la requérante que la personne du métier penserait immédiatement à sélectionner des moteurs asynchrones n'y est pas étayée. De plus, comme déjà indiqué au point 3.1.7 ci-avant, la requérante n'a pas produit les moyens de preuve nécessaires pour établir qu'il existerait une incitation pour la personne du métier à utiliser les moteurs asynchrones dans de telles installations de séparation d'air par distillation cryogénique, et ce même dans le cas d'installations de faibles puissances. L'affirmation de la requérante étant infondée elle n'est pas convaincante.

3.2 À partir de E2

Comme spécifié à l'article 12(2) RPCR 2020, la procédure de recours a pour objet premier une révision de nature juridictionnelle de la décision attaquée, de telle sorte que les moyens invoqués par une partie dans le cadre du recours doivent porter sur les requêtes, les faits, les objections, les arguments et les preuves sur lesquels la décision attaquée était fondée.

Cependant, une objection de manque d'activité inventive à partir de E2 comme art antérieur le plus proche n'a pas été formulée en procédure d'opposition de telle sorte qu'elle n'est pas traitée dans la décision attaquée, contrairement aux exigences de l'article 12(2) RPCR 2020.

La requérante n'a pas fait valoir de raisons valables qui permettrait de justifier de soulever cette objection qu'au moment du recours, et la Chambre n'en voit aucune.

Par conséquent, l'objection à partir de E2 comme art antérieur le plus proche n'est pas recevable conformément à l'article 12(4) RPCR 2007.

3.3 À partir de E1

Les arguments fournis par la requérante pour l'objection de manque d'activité inventive à partir de E1 comme art antérieur le plus proche étant identiques à ceux fournis pour l'objection à partir de E5, les raisons et les conclusions fournies au point 3.1 ci-avant s'appliquent mutatis mutandis.

3.4 Revendication indépendante 10 de dispositif

Les arguments fournis par la requérante à l'encontre de la revendication 10 de dispositif étant identiques à ceux fournis à l'encontre de la revendication 1 de procédés, les raisons et les conclusions fournies ci-avant pour la revendication 1 s'appliquent mutatis mutandis.

3.5 Au vu des raisons ci-dessus, les objets des revendications 1 et 10 de la requête principale présentent une activité inventive.

4. Première à quatrième requêtes subsidiaires

Etant donné les conclusions sur la requête principale, il est inutile de traiter les requêtes subsidiaires dans la présente décision.

Dispositif

Par ces motifs, il est statué comme suit

Le recours est rejeté.

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