T 0217/17 (Ester liquide ramifié/ L'OREAL) of 20.1.2020

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2020:T021717.20200120
Date de la décision : 20 Janvier 2020
Numéro de l'affaire : T 0217/17
Numéro de la demande : 08100319.6
Classe de la CIB : A61K 8/38
A61K 8/19
A61K 8/23
A61K 8/37
Langue de la procédure : FR
Distribution : D
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Titre de la demande : Composition pour la décoloration des cheveux comprenant un ester liquide ramifié non volatile d'acide carboxylique à point de solidification inférieur à 4°c
Nom du demandeur : L'Oréal
Nom de l'opposant : Henkel AG & Co. KGaA
Chambre : 3.3.07
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention Art 100(b)
European Patent Convention Art 100(a)
European Patent Convention Art 56
Mot-clé : Motifs d'opposition - exposé insuffisant (non)
Activité inventive - (oui)
Exergue :

-

Décisions citées :
-
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
-

Exposé des faits et conclusions

I. Le brevet européen N° 1 944 009 a été délivré sur la base de 21 revendications. Le libellé de la revendication indépendante 1 s'énonçait comme suit:

"1. Composition pour la décoloration des fibres kératiniques, sous la forme d'une pâte anhydre, comprenant au moins un sel peroxygéné et au moins un ester liquide ramifié non volatile d'acide carboxylique dont le point de solidification déterminé par DSC, est inférieur à 4 °C choisi parmi les composés de formule (I) suivante:

R1CO-O-R2 (I)

dans laquelle R1 et R2 désignent, indépendamment l'un de l'autre, une chaîne hydrocarbonée en C1-C30 éventuellement interrompue par un ou plusieurs atomes d'oxygène et/ou par un ou plusieurs groupements carbonyle et éventuellement substituée par un ou plusieurs groupements hydroxy, R1 étant ramifié".

II. Le brevet a été opposé aux motifs de l'article 100a) CBE pour manque d'activité inventive, et de l'article 100b) CBE pour divulgation insuffisamment claire et complète de l'invention pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. Les documents suivants, cités au cours de la procédure d'opposition, restent pertinents pour la présente décision:

D1: Pure & Applied Chemistry; 1995, 67, 1789-1800

D2: FR 2 842 099

D3a: JP 2001 342115

D3c: English translation of D3a

D6: Fatty acids in foods and their health implications, 3rd edition, Nov. 2007, pages 30-32 et 42-45

D7: Advances in lipid methodology, 5, 2003, pages 17-22 et 32-42

D8: Essais comparatifs soumis en examen

III. Le présent recours de l'opposante (requérante) est dirigé contre la décision de la division d'opposition de rejeter l'opposition.

Selon la décision de la division d'opposition:

a) La requérante n'avait pas fourni des preuves qui permettaient de soulever de sérieuses réserves quant à la suffisance de l'exposé fait dans le brevet à propos de la procédure de détermination du point de fusion par DSC. Ce paramètre était donc exposé de façon suffisamment claire et complète pour permettre à l'homme du métier de réaliser l'invention.

b) En ce qui concerne l'activité inventive, le document D2 avait été considéré comme état de la technique le plus proche. La composition du brevet différait des compositions du document D2 par la présence d'un ester liquide ramifié non volatile tel que défini dans la première revendication. Le problème technique pouvait être formulé comme étant l'amélioration de la stabilité à basses températures d'une composition décolorante sous forme de pâte anhydre comprenant un persulfate. La solution proposée par le brevet n'était pas déductible de l'art antérieure D4. L'objet du brevet impliquait donc une activité inventive.

IV. Le mémoire exposant les motifs du recours de la requérante était accompagné des documents suivants:

D10: JAOCS, 83(6), 2006, 547-552

D11: Introducing Pemulen® polymeric emulsifiers

D12: Technical data sheet TDS-224 - Lubrizol

V. Dans sa réponse au mémoire exposant les motifs du recours, déposée le 31 juillet 2017, la titulaire (intimée) a demandé le rejet du recours et a soumis deux requêtes subsidiaires

VI. Aux fins de la préparation de la procédure orale, la Chambre a envoyé une notification datée du 6 septembre 2019. Dans cette notification, la Chambre a exprimé un avis préliminaire positif quant à la suffisance du brevet. En ce qui concerne l'activité inventive la Chambre a observé que la composition définie dans la première revendication du brevet se distinguait des compositions divulguées dans D2, choisi comme état de la technique le plus proche, par la présence d'un ester liquide ramifié non volatile dont le point de solidification était inférieur à 4°C. De l'avis de la Chambre les essais de D8 montraient que le remplacement d'un ester linéaire par un ester ramifié améliorait la stabilité de la composition à basses températures. Elle a également observé qu'un tel effet ne serait pas suggéré dans D2.

VII. Par lettre datée du 7 novembre 2019, la requérante a informé la Chambre qu'elle retirait sa requête en procédure orale et qu'elle ne participerait pas à la procédure prévue pour le 16 janvier 2020. Par télécopie du 16 décembre 2019, la Chambre a notifié aux parties que la procédure orale était annulée.

VIII. Les arguments suivants ont été avancés par la requérante:

a) Exposé de l'invention

Comme expliqué dans D1, la mesure du point de solidification par DSC était liée à certains paramètres comme la vitesse de chauffage et de refroidissement. Cela était aussi confirmé par les documents D6 et D10. Le brevet ne donnait pas suffisamment d'information quant au réglage de ces paramètres. L'homme du métier était donc obligé de conduire des essais pour établir si un ester de formule (I) avait un point de solidification inférieur à 4°C comme requis par le libellé de la première revendication. Cela était toutefois contraire aux exigences de suffisance de description.

b) Activité inventive

L'art antérieur le plus proche était le document D2. Les compositions du brevet se distinguaient par rapport à ce document en ce qu'elles contenaient un ester ramifié tel que défini dans la première revendication. Les essais comparatifs D8 de l'intimé n'étaient pas pertinents au motif que les compositions comparatives réalisées par l'intimée ne comprenaient pas de polymère amphiphile non ionique ou anionique comme les compositions exemplifiés dans D2. Le problème technique était donc la mise à disposition de compositions alternatives pour la décoloration des fibres kératiniques. L'utilisation d'esters ramifiés de formule (I) était déjà décrite dans D2 et D4. Le sujet de la première revendication était donc dépourvu d'activité inventive. Les conditions de l'Article 56 CBE n'étaient pas remplies même si le problème technique était formulé comme la mise à disposition de compositions ayant une meilleure stabilité, sur la base des essais de D8. En effet le document D3c montrait que l'utilisation des esters ramifiés tel que définis dans le brevet augmentait la stabilité des compositions cosmétiques.

IX. Les arguments suivants ont été avancés par l'intimée:

a) Exposé de l'invention

La température de solidification était une caractéristique parfaitement claire pour l'homme du métier. En effet, D1 divulguait que la méthode DSC était d'usage courant et que cette méthode donnait des résultats précis dès lors qu'elle était utilisée convenablement. Tous les documents relatifs à la méthode DSC pour la détermination de la température de solidification montraient simplement la nécessité de réaliser cette mesure dans les règles de l'art. Ainsi, l'homme du métier souhaitant réaliser l'invention n'avait pas d'effort déraisonnable à fournir pour identifier les esters ramifiés selon la première revendication du brevet.

b) Activité inventive

L'objet de l'invention se différenciait de D2 par la présence d'un ester d'acide ramifié liquide non volatile, dont la température de solidification était inférieure à 4°C. Comme montré par les essais comparatifs D8, cette différence permettait l'obtention de compositions présentant une meilleure stabilité à basses températures. Le problème technique objectif était d'améliorer la stabilité à basses températures d'une composition décolorante sous forme de pâte anhydre. L'homme du métier partant de D2 n'aurait trouvé dans l'état de la technique aucune incitation à ajouter un ester tel que défini dans le brevet pour résoudre ce problème. Les compositions selon la première revendication impliquaient donc une activité inventive.

X. La requérante demande l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet.

XI. L'intimée demande le rejet du recours ou à défaut le maintien du brevet sur la base de l'une des deux requêtes subsidiaires déposées le 31 juillet 2017 avec la réponse au mémoire exposant les motifs du recours.

Motifs de la décision

Requête principale - Brevet tel que délivré

1. Article 100b) CBE

1.1 Une insuffisance de l'exposé de l'invention a été objectée par la requérante au motif que le brevet ne contiendrait pas d'information pour la détermination du point de solidification par DSC. À son avis, la mesure de cette valeur dépendrait d'une pluralité de paramètres que l'intimée a omis de divulguer dans le brevet.

1.2 La Chambre remarque que le brevet indique au paragraphe [0027] quel appareil de DSC peut être utilisé pour déterminer la température de solidification. Selon D1 les appareils de DSC sont d'usage courant et faciles à utiliser (page 1789, lignes 1 à 4). D7 (page 33, lignes 7-17) confirme que la DSC est une technologie bien établie pour la caractérisation physique de plusieurs matériels. D1 met en garde sur le fait que les mesures par DSC sont influencées par le réglage de certains paramètres de l'appareil (page 1789, lignes 12-19). Toutefois, le sens de ce passage de D1 est simplement celui de souligner l'importance de travailler de façon soigneuse. En fait les auteurs concluent que "...the accuracy of DSC/DTA results is intimately correlated with the individual knowledge and skill of the operator...".

1.3 La requérante a fait référence à D6 pour remarquer que les esters d'acides gras sont souvent sous forme d'un mélange de composés qui n'a pas un point de fusion bien défini mais fond plutôt dans une plage de températures (page 31, sixième paragraphe). Dans ces cas, il ne serait pas possible de déterminer le point de solidification. Toutefois il est également dit dans ce paragraphe de D6 que dans ces cas le point de fusion est la température finale de la plage de fusion.

Quant à D10, la Chambre observe que le passage de la page 551 (colonne de droite) selon lequel la vitesse de refroidissement pourrait influencer le polymorphisme des acides gras, figure dans le contexte d'une méthode particulière d'utilisation de la DSC comprenant plusieurs étapes de chauffage et refroidissement et l'introduction d'une étape définie comme "spéciale" ("...we inserted a special step in the DSC method." - page 551, colonne de gauche). En tout cas ce document n'indique pas que l'homme du métier aurait des difficultés à déterminer un point de solidification par DSC.

1.4 De manière générale, la Chambre partage la conclusion de la division d'opposition selon laquelle la requérante n'a pas fourni de preuves qui permettent de soulever de sérieuses réserves quant à la capacité de l'homme du métier de déterminer le point de solidification par DSC (point II.1 de la décision).

Par conséquent, le motif d'opposition de l'article 100b) CBE ne s'oppose pas au maintien du brevet tel que délivré.

2. Articles 100a) et 56 CBE

2.1 État de la technique le plus proche

2.1.1 Le document D2 a été considéré comme état de la technique le plus proche par la division d'opposition dans sa décision. La Chambre partage ce choix qui n'a été contesté ni par la requérante, ni par l'intimée.

2.1.2 La composition pour la décoloration de fibres kératiniques définie dans la première revendication du brevet se distingue des compositions divulguées dans D2 (voir exemples 1 à 5) par la présence d'un ester liquide ramifié non volatile dont le point de solidification est inférieur à 4°C.

2.2 Problème technique objectif

2.2.1 Selon l'intimée, le problème à la base de la présente invention est d'améliorer la stabilité à basses températures d'une composition décolorante sous forme de pâte anhydre. A cet égard, elle fait référence aux essais comparatifs D8 qui montrent qu'une composition selon l'invention comprenant de l'isononanoate d'isononyle (ester liquide ramifié dont le point de solidification est inférieur a 4 °C) présente une meilleure résistance au froid qu'une composition comparative comprenant la même teneur en poids de myristate d'isopropyle (ester liquide linéaire dont le point de solidification est inférieur a 4 °C). Le myristate d'isopropyle est mentionné dans D2 (page 4, ligne 27) comme l'une des esters préférés.

2.2.2 Selon la requérante, les essais de D8 ne seraient pas pertinents car, contrairement à l'enseignement de D2, les compositions comparatives ne contiennent pas de polymère amphiphile non ionique ou anionique.

La Chambre n'est pas convaincue par cet argument parce que D2 n'indique pas que ces polymères ont un effet stabilisant à basses températures. D11 et D12, mentionnés par la requérante en support du fait que les polymères amphiphiles ont une influence sur la stabilité, ne concernent pas la stabilité à basses températures de pâtes anhydres. De toute façon, la présence de tels polymères dans les compositions selon l'invention est également permise par la première revendication du brevet. En l'absence de toute information sur les effets de ces polymères, il faut supposer qu'ils ont le même effet sur la stabilité des compositions de D2 et sur celle des compositions du brevet.

2.2.3 Puisque les deux compositions testées par l'intimée dans les essais de D8 ne se distinguent que par l'ester utilisé (isononanoate d'isononyle vs myristate d'isopropyle), la Chambre considère que ces essais sont aptes à montrer que le remplacement d'un ester linéaire par un ester ramifié améliore la stabilité des compositions à basses températures. Par conséquent, le problème technique indiqué par l'intimée (voir paragraphe 2.2.1) a été résolu.

2.3 Évidence de la solution

2.3.1 Selon l'enseignement général de D2, les esters des acides gras peuvent être linéaires ou ramifiés (page 4, lignes 20-27). Toutefois ce document n'indique pas que l'utilisation d'esters ramifiés conduit à des avantages en termes de stabilité. Donc l'homme du métier n'arriverait pas, sur la base de l'enseignement de D2, à résoudre le problème technique par la mise à disposition des compositions de la première revendication.

2.3.2 Quant à la possibilité de combiner l'enseignement de D2 avec celui de D3c ou D4, la Chambre observe ce qui suit.

D3c divulgue des compositions de démaquillage à base d'huiles contenant des esters ramifiés (paragraphes [0006] et [0007]). Ces compositions y sont décrites comme ayant une bonne stabilité dans le temps. Toutefois D3c n'adresse pas le problème d'améliorer la stabilité à basses températures. En outre, la Chambre considère que l'homme du métier travaillant dans le domaine des pâtes anhydres pour la décoloration des cheveux ne consulterait pas un document concernant des compositions de démaquillage à base d'huiles.

D4 divulgue la présence optionnelle d'esters ramifiés dans des pâtes décolorantes. Cependant, ce document n'indique pas que ces composés aient une influence sur la stabilité de la composition.

Il s'ensuit que les compositions de la première revendication impliquent une activité inventive également vis-à-vis de D2 combiné à D3c ou D4.

2.4 La Chambre conclut donc que le motif d'opposition du défaut d'activité inventive (article 100a) et 56 CBE) ne s'oppose pas au maintien du brevet tel que délivré.

Dispositif

Par ces motifs, il est statué comme suit

Le recours est rejeté

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