T 0030/15 () of 20.1.2016

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2016:T003015.20160120
Date de la décision : 20 Janvier 2016
Numéro de l'affaire : T 0030/15
Numéro de la demande : 08863664.2
Classe de la CIB : B65B 25/06
B65B 31/00
B65D 81/20
Langue de la procédure : FR
Distribution : C
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Titre de la demande : CONTENEUR RIGIDE DE DENREES ALIMENTAIRES COMPRENANT DU POISSON
Nom du demandeur : Etablissements Paul Paulet
Nom de l'opposant : Princes Limited
Bolton Alimentari S.P.A.
Chambre : 3.2.07
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention Art 83
Rules of procedure of the Boards of Appeal Art 13(3)
European Patent Convention Art 113(1)
Mot-clé : Moyens invoqués tardivement - données expérimentales admises (non)
Preuves produites tardivement - justification du retard (non)
Possibilité d'exécuter l'invention - (non)
Exergue :

Obligation de la requérante de présenter l'ensemble des moyens au début de la procédure de recours.

Obligation aux opposantes devenues intimées de continuer à prouver l'insuffisance de l'exposé de l'invention en cas de révocation du brevet pour ce motif - (non) (voir points 1.4.1 et 1.4.2).

Décisions citées :
-
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
T 1146/17
T 1076/21

Exposé des faits et conclusions

I. La titulaire du brevet (ci-après la requérante) a formé un recours contre la décision de révocation du brevet n° 2 134 607.

II. L'opposition avait été formée contre le brevet dans son ensemble sur la base des motifs selon les articles 100 a), 100 b) et 100 c) CBE.

La division d'opposition a révoqué le brevet pour insuffisance de l'exposé de l'invention selon l'article 100 b) (article 83) CBE.

La décision attaquée mentionne, entre autres, le document suivant:

T4: Compte-rendu de tests réalisés par le "South Ehime Fisheries Research Centre".

III. La requérante a demandé avec son mémoire de recours l'annulation de cette décision et le maintien du brevet sous forme modifiée sur la base de la requête principale ou, subsidiairement, de l'une des trois requêtes subsidiaires déposées avec le mémoire exposant les motifs du recours.

D'autre part, avec son mémoire de recours, elle a introduit les documents T9 à T16 suivants:

T9: Conserves de produits de la mer [1989];

T10: Attestation de Monsieur Eric Muckensturm [2015];

T11: Contrat d'achat de longes de thon précuit [2014];

T12: "Semi-finished goods specification, Frozen tuna loins & flakes" [2014];

T13: "Precooking and Cooling of Skipjack Tuna: A Numerical Simulation" [2002];

T14: Thèse d'Elisabeth Lynn Webb sur "Process control parameters for Skipjack tuna precooking" [2003];

T15: Rapport de tests mis en oeuvre par le Laboratoire national métrologique et d'essais (LNE);

T16: Extrait du manuel scolaire "Le repaire des sciences".

La requérante a demandé, d'autre part, le renvoi de l'affaire à la division d'opposition pour discussion des motifs selon les articles 100 a) et 100 c) CBE non encore été traités dans la décision attaquée.

IV. L'intimée I (opposante I) et l'intimée II (opposante II) ont demandé le rejet du recours.

Par lettre en date du 13 mai 2015, l'intimée I a également demandé le traitement accéléré du recours.

V. La Chambre a informé les parties dans son avis préliminaire en annexe à la citation à la procédure orale que les inventions revendiquées n'étaient pas exposées de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse les exécuter.

VI. En réaction à cet avis préliminaire, la requérante a déposé avec courrier en date du 21 décembre 2015 des requêtes subsidiaires 4, 5 et 6 et a retiré les requêtes subsidiaires 1 et 2.

Elle a soumis, d'autre part, les documents suivants:

T17: Attestation de M. Bruno le Fur;

T18: Rapport d'analyse des essais réalisés par la "Plate-forme d'Innovation Nouvelles Vagues", les instructions pour la réalisation de ces essais et des pièces annexes.

VII. Une procédure orale a eu lieu le 20 janvier 2016. Au cours de la procédure orale, la requérante a retiré les requêtes subsidiaires 4 et 5 et a demandé l'annulation de la décision contestée et le maintien du brevet européen sur la base de la requête principale présentée avec le mémoire exposant les motifs du recours ou de la requête subsidiaire n° 6 soumise par lettre en date du 21 décembre 2015, ou sur la base de la requête subsidiaire n° 3 présentée avec le mémoire exposant les motifs du recours.

Les intimées ont confirmé leurs requêtes initiales, à savoir le rejet du recours.

Les points suivants ont été discutés lors de la procédure orale:

- admissibilité de T18;

- conformité aux exigences de l'article 83 CBE de l'objet de la revendication 1 de la requête principale et des requêtes subsidiaires n° 6 et n° 3.

La présente décision a été prononcée à la fin de la procédure orale.

VIII. La revendication indépendante 1 de la requête principale s'énonce comme suit:

"Conteneur rigide (10) pour la conserve de denrées alimentaires (12), le conteneur comprenant un réceptacle (14) et un couvercle (16) et étant réalisé en acier ou en aluminium, le couvercle (16) étant serti sur le réceptacle (14), ou bien le conteneur étant réalisé en matière plastique étanche à l'oxygène, le couvercle (16) étant scellé sur le réceptacle, les denrées alimentaires (12) étant constituées de thon précuit sous forme solide, comprenant éventuellement un additif, un conservateur, un peu d'huile ou un peu d'eau,

caractérisé en ce que

- le conteneur fermé (10), après stérilisation, ne présente sensiblement pas de liquide, c'est-à-dire qu'il comprend une teneur en liquide inférieure ou égale à 10% de la masse totale du contenu du conteneur, et

- le conteneur contient uniquement les denrées alimentaires (12) et un gaz (22), la teneur volumique du dioxygène par rapport à la quantité de l'autre gaz étant inférieure à 15%, le gaz étant de l'azote (N2(g))".

La revendication indépendante 1 de la requête subsidiaire n° 6 s'énonce comme suit:

"Procédé de réalisation d'un conteneur rigide (10) pour la conserve de denrées alimentaires (12), le conteneur comprenant un réceptacle (14) et un couvercle (16) et étant réalisé en acier ou en aluminium, le couvercle (16) étant serti sur le réceptacle (14), ou bien le conteneur étant réalisé en matière plastique étanche à l'oxygène, le couvercle (16) étant scellé sur le réceptacle (14), les denrées alimentaires (12) étant constituées de thon précuit sous forme solide, comprenant éventuellement un additif, un conservateur, un peu d'huile ou un peu d'eau,

caractérisé en ce que

- le conteneur fermé (10), après stérilisation, ne présente sensiblement pas de liquide, c'est-à-dire qu'il comprend une teneur en liquide inférieure ou égale à 10% de la masse totale du contenu du conteneur, et

- le conteneur contient uniquement les denrées alimentaires (12) et un gaz (22), la teneur volumique du dioxygène par rapport à la quantité de l'autre gaz étant inférieure à 15%, le gaz étant de l'azote (N2(g));

ledit procédé comportant une étape (28) de remplissage des denrées alimentaires (12) dans le conteneur et une étape (30) d'élimination de l'air présent dans le conteneur."

La revendication indépendante 1 de la requête subsidiaire n° 3 s'énonce comme suit:

"Procédé de réalisation d'un conteneur rigide (10) pour la conserve de denrées alimentaires (12), le conteneur comprenant un réceptacle (14) et un couvercle (16) et étant réalisé en acier ou en aluminium, le couvercle (16) étant serti sur le réceptacle (14), ou bien le conteneur étant réalisé en matière plastique étanche à l'oxygène, le couvercle (16) étant scellé sur le réceptacle (14), les denrées alimentaires (12) étant constituées de thon précuit sous forme solide, comprenant éventuellement un additif, un conservateur, un peu d'huile ou un peu d'eau,

caractérisé en ce que

- le procédé comporte une étape (24) de pré-cuisson (sic!) des denrées (12)suivie par un (sic !) étape (26) de filetage du poisson, comprenant un dépeçage, un désarétage et une découpe du poisson, suivie d'une étape de remplissage du conteneur, suivie de l'élimination (30) de l'air présent, avec les denrées, à l'intérieur du réceptacle (30), l'étape d'élimination de l'air comportant une étape d'introduction d'azote liquide dans le réceptacle et une étape d'expansion de l'azote liquide, lequel se vaporise en chassant l'air présent dans le réceptacle (14), l'étape (30) d'élimination de l'air étant rapidement suivie d'une étape (32) de fermeture de la boîte, au cours de laquelle le couvercle est fixé de façon définitive et hermétique sur le réceptacle, le conteneur étant ensuite stérilisé, et en ce que

- le conteneur fermé (10), après stérilisation, ne présente sensiblement pas de liquide, c'est-à-dire qu'il comprend une teneur en liquide inférieure ou égale à 5% de la masse totale du contenu du conteneur, et

- le conteneur contient uniquement les denrées alimentaires (12) et un gaz (22), la teneur volumique du dioxygène par rapport à la quantité de l'autre gaz étant inférieure à 15%, le gaz étant de l'azote (N2(g))".

IX. La requérante a développé les arguments suivants:

L'introduction tardive de T18 dans la procédure de recours est justifiée. T18 n'a pas pu être soumis avec le mémoire de recours, car le dépôt de ce document n'est qu'une réaction à l'avis préliminaire de la Chambre annexé à la convocation à la procédure orale, lequel formulait des objections concernant la suffisance de description qui n'avaient pas été traitées dans la décision attaquée.

L'introduction de T18 à ce stade de la procédure est aussi compatible avec le respect de l'article 113(1) CBE, car les intimées auraient du en réponse au mémoire de recours, déposer des moyens de preuve que l'invention et les revendications à présent limitées à du thon précuit ne sont pas suffisamment exposées.

L'exigence de suffisance de description est satisfaite au regard de l'objet de la revendication 1 de la requête principale pour les raisons suivantes:

Il suffit de substituer l'étape de remplissage du conteneur par du liquide de couverture par une étape d'introduction uniquement d'azote en vue d'éliminer l'air présent dans le conteneur, sans modifier les autres paramètres du procédé traditionnel de mise en conserve du thon précuit.

Le raisonnement de la division d'opposition quant à l'insuffisance de description ne s'appuie que sur le document T4. T4 décrit qu'avec un type particulier de poisson (le balaou) le conteneur mentionné dans les revendications n'est pas obtenu.

Avec les revendications soumises avec le mémoire de recours, le type de poisson n'est plus un paramètre variable, puisqu'elles sont toutes limitées à du thon précuit. La manière dont le poisson est précuit n'est pas non plus un paramètre à maîtriser, car le thon précuit est un constituant de départ standardisé.

Avec ce produit standardisé l'identification des paramètres de précuisson permettant de réaliser l'invention n'est plus un souci, et ne doit pas être décrite en détail pour remplir les conditions exigées par l'article 83 CBE.

La forme du thon, une fois précuit, le type et la quantité de liquide rajouté, et le barème de stérilisation sont les seuls paramètres à maîtriser pour réaliser l'invention.

La définition de conditions appropriées de stérilisation du thon précuit (température et durée) est à la portée de l'homme du métier, ne nécessite pas d'instructions particulières et permet aussi de régler la teneur de liquide libre dans le conteneur fermé.

La forme du poisson (filets, miettes ou pièces) déjà précuit n'a pas d'influence sur la quantité de liquide, libre à égoutter.

L'homme du métier est capable aussi de régler le type et la quantité du liquide à ajouter pour obtenir la teneur de liquide libre dans le conteneur fermé revendiquée.

L'objet des requêtes subsidiaires n° 6 et n° 3 est aussi suffisamment décrit dans le brevet, car "l'homme du métier" à considérer, pour ces revendications de procédé est un groupe d'experts spécialisés dans toutes les étapes nécessaires à la fabrication du thon emboîté revendiquée.

X. L'intimée I a développé les arguments suivants:

T18 ne peut être admis dans la procédure de recours, car il a été soumis tardivement.

Sa pertinence est aussi en cause, car les instructions données pour effectuer ces essais donnent des indications supplémentaires qui ne figurent pas dans le brevet.

L'objection, contenue dans la décision attaquée, que l'exposé est insuffisant et ne permet pas d'atteindre, dans le conteneur fermé et après stérilisation, une teneur en liquide libre inférieure ou égale à 10% de la masse totale du contenu du conteneur, s'applique à toutes les requêtes de la requérante.

L'homme du métier trouve dans le brevet des instructions contradictoires et insuffisantes en ce qui concerne cette teneur en liquide.

XI. L'intimée II a développé les arguments suivants:

Les intimées n'ont pas eu suffisamment de temps ni pour préparer une réponse à ces essais fournis le 21 décembre 2015 ni pour soumettre des contre-essais pouvant être présentés au plus tard à la procédure orale fixée au 20 janvier 2016, de sorte que, si T18 devait être admis sans report de la procédure orale, le droit d'être entendu prévu à l'article 113(1) CBE ne serait pas respecté.

Les considérations préliminaires de la Chambre exposées dans l'avis annexé à la convocation à la procédure orale n'étaient pas nouvelles, car celles-ci avaient déjà été exposées dans la décision attaquée.

L'objection telle que figurant dans la décision attaquée selon laquelle l'exposé est insuffisant et ne permet pas d'atteindre dans le conteneur fermé, après stérilisation, une teneur en liquide libre inférieure ou égale à 10% de la masse totale du contenu du conteneur s'applique à toutes les requêtes de la requérante.

Même si le type de poisson est à présent défini, le défaut d'un exposé suffisant persiste, car l'expression "thon précuit" ne permet pas à l'homme du métier d'établir des limites et précisions suffisantes pour exécuter l'invention, les conditions de précuisson ainsi que les caractéristiques obtenues restant ambiguës.

Motifs de la décision

1. Admission de T18

1.1 La requérante justifie l'introduction tardive de T18 en faisant valoir que, comme il ne s'agit que d'une réaction à l'avis préliminaire de la Chambre, elle n'aurait ni pu ni du soumettre ce document auparavant.

La division d'opposition a révoqué le brevet en raison d'une insuffisance de divulgation de l'objet de la revendication principale (un conteneur rigide fermé et stérilisé, contenant du poisson en général).

La décision attaquée n'est fondée que sur le document T4 divulguant un conteneur rigide contenant du poisson (balaou) dans lequel, après stérilisation, la teneur en liquide dépasse la limite de 10% de la masse totale du contenu du conteneur.

Dans toutes les revendications des requêtes soumises en procédure de recours, le contenu de la boite est désormais limité au thon précuit, ce qui a comme conséquence que les motifs de la décision attaquée ne sont, de ce fait, plus applicables.

La requérante fait valoir que dans l'avis préliminaire de la Chambre au point 1.1.5 une nouvelle objection a été formulée à l'égard de la suffisance de la description pour les revendications à présent limitées au thon précuit, notamment qu'il n'y aurait aucune garantie que même ce type de poisson "absorberait ou perdrait des liquides d'une façon prévisible et répétitive, permettant d'obtenir, seulement en utilisant les connaissances générales de l'homme du métier, les teneurs de liquide libre telles que revendiquées".

La requérante n'aurait pris connaissance de cette nouvelle objection de la Chambre qu'à la réception de l'avis préliminaire daté du 12 octobre 2015.

C'est pour cette raison qu'elle a déposé le plus rapidement possible c'est-à-dire le 21 décembre 2015 cette nouvelle pièce (T18) attestant que dans le cas du thon précuit, même changeant la forme du poisson, le type et la quantité de liquide rajouté, et le barème de stérilisation n'empêchent pas l'obtention d'une teneur en liquide libre inférieure ou égale à 10%.

1.2 La Chambre ne partage pas l'analyse de la requérante selon laquelle le raisonnement de la division d'opposition quant à la suffisance de description des revendications de la requête principale s'appuierait uniquement sur le document T4.

Le libellé de la décision attaquée, au point 1.2.1 (page 4) se lit comme suit:

"Toutefois, la quantité de liquide "libre" contenu dans le conteneur suite à l'étape de stérilisation dépend de beaucoup de paramètres. Il s'avère qu'entre autre le type de poisson (chaque type de poisson ayant une quantité d'eau intrinsèque différente), la manière dont le poisson est précuit (température et durée), la forme du poisson introduit(sous forme de tranches, de filets, de miettes ou encore hachée),le type et la quantité d'additif et/ou liquide rajoutés dans le conteneur, les conditions de stérilisation (température et durée) constituent des paramètres qui ont une influence directe sur la quantité de liquide libre contenue dans le conteneur après stérilisation.

Ceci est confirmé par le brevet lui même qui par exemple au paragraphe [0025] mentionne que du liquide peut être absorbé par le poisson au cours de l'étape de stérilisation ou encore au paragraphe [0038] divulgue un tableau dans lequel le phénomène inverse se produit, à savoir que du liquide est émis par le poisson".

Toujours au point 1.2.1, à la page 5, en haut, il est mentionné que:

"Pour la Division d'Opposition, il est clair que si l'homme du métier veut contrôler la quantité de liquide libre finale contenue dans le conteneur après stérilisation, il doit être en mesure de contrôler tous ces différents paramètres" (soulignement ajouté par la Chambre). Or la description est totalement silencieuse à ce sujet. La Division d'Opposition est donc de l'avis que la description du brevet n'est pas suffisamment claire et complète pour que l'homme du métier puisse arriver de manière contrôlée et répétitive à une teneur en liquide libre inférieure ou égale à 10% dans le conteneur après stérilisation...".

Ces passages correspondent au point 1.1.5 de l'avis préliminaire de la Chambre selon laquelle, sans que ne soit indiqué d'autres paramètres, même si on n'emboîte que du thon précuit, il n'y aurait aucune garantie que ce produit naturel absorberait ou perdrait des liquides d'une façon prévisible et répétitive, permettant d'obtenir, seulement en utilisant les connaissances générales de l'homme du métier, les teneurs de liquide libre telles que revendiquées.

L'objet de la revendication 1 de la requête principale en recours correspond à celui de la troisième requête subsidiaire en opposition.

Au point 2 de la décision attaquée, la division d'opposition explique que les objections formulées à l'encontre de la requête principale en opposition s'applique également aux objets revendiqués dans les requêtes subsidiaires.

Par conséquent, le libellé du point 1.1.5 de l'avis préliminaire de la Chambre n'est pas une nouvelle objection, car il ne s'agit que d'un résumé des objections des points 1.2.1 et 2 de la décision attaquée. Le dépôt de T18 n'est, de ce fait, pas justifié en réaction à l'avis préliminaire de la Chambre.

1.3 D'autre part, en l'espèce, T18 a été déposé le 21 décembre 2015, soit après que la date de la procédure orale a été fixée avec la convocation en date du 12 octobre 2015.

T18 soulève des questions (l'influence de la forme du thon précuit, du type et de la quantité de liquide rajouté, et du barème de stérilisation) qui ne peuvent pas être traitées sans que la procédure orale soit renvoyée, car les intimées n'ont pas eu le temps, même en tenant compte du fait que T18 a été envoyé immédiatement aux intimées le 22 décembre 2015, pour préparer une réponse à ces essais et/ou présenter des contre-essais au plus tard à la procédure orale devant la Chambre.

L'admission de ce document sans report de la procédure orale ne serait donc pas compatible avec le respect du droit d'être entendu des intimées, tel que garanti par l'article 113(1) CBE.

1.4 Devoir de prouver l'insuffisance

1.4.1 La requérante fait valoir qu'il appartenait aux intimées, en tant qu'opposantes, de prouver en réponse au mémoire de recours qu'un lecteur averti du brevet serait incapable d'exécuter, à partir de ses connaissances générales, cette nouvelle invention limitée au thon précuit. Les intimées n'ont tout simplement qu'affirmé les difficultés qu'on pourrait rencontrer en réalisant les inventions, objets des revendications soumises en recours, mais n'ont fourni aucun moyen de preuve que ces objets n'étaient pas réalisables. Elles auraient donc du soumettre leurs commentaires dans leurs écritures à un stade bien antérieur de la procédure de recours, et non les présenter comme une réponse nécessaire à T18.

La requérante, quant à elle, n'avait pas à soumettre ces moyens de preuve avec son exposé des motifs du recours, car c'est aux seuls opposants qu'il incombe, quels que soient les cas de figure, de prouver que l'exposé de l'invention n'est pas suffisant. Ceci s'applique également en recours suite à une décision de révocation du brevet pour insuffisance de description, et notamment lorsque les motifs de la décision attaquée ne sont plus censés faire grief à la requérante suite à une modification de l'objet revendiqué.

1.4.2 La Chambre ne partage pas les positions exprimées par la requérante pour les raisons suivantes:

Le mémoire exposant les motifs du recours doit contenir, selon l'article 12 (2) RPCR, l'ensemble des moyens invoqués par la requérante, notamment tous les faits, arguments et justifications qui sont invoqués au soutien de la demande d'annuler ou de modifier la décision attaquée.

Les intimées ont apporté pendant la procédure d'opposition des éléments apparemment suffisamment crédibles sur l'impossibilité de réaliser l'invention d'une façon systématique et répétitive en suivant les informations contenues dans le brevet; celles-ci seraient, de plus, trop limitées et contradictoires.

Ceci a conduit la division d'opposition à rendre la décision attaquée qu'elle a dûment motivée. Cette décision non seulement clôture la procédure d'opposition, mais a comme conséquence d'attribuer des rôles différents aux parties en cause pour la phase de recours. Une fois le brevet révoqué, c'est à la titulaire du brevet en sa qualité de requérante qu'il incombe de prendre une position plus active et de présenter, dans un premier temps, une argumentation détaillée dans son mémoire de recours et ce, même si par un nouveau jeu de revendications les motifs à la base de la décision attaquée semblent être surmontés. Elle ne peut plus se contenter d'attendre des intimées qu'elles démontrent la non validité du brevet.

La titulaire du brevet, en tant que requérante, doit, de ce fait, agir à l'encontre de la décision qu'elle conteste, c'est-à-dire qu'elle est tenue, en l'espèce, de démontrer que les connaissances générales de l'homme du métier permettraient effectivement de réaliser l'invention sur la base du brevet. Cette démonstration doit être complète et non sélective, et sans attendre que la Chambre ou les intimées l'invitent à le faire plus en avant.

La procédure de recours, à cet égard, n'est pas une continuation de la procédure d'opposition, mais une nouvelle procédure engagée par la requérante. De ce fait, les principes qui, dans un premier temps gouvernaient la procédure d'opposition ne sont plus nécessairement applicables au stade du recours, ceux énoncés dans le règlement de procédure des chambres de recours leur étant substitués, notamment l'obligation de fournir l'ensemble des moyens pour lesquels la décision ne peut pas être maintenue.

Une titulaire qui pense pouvoir écarter le fondement de la décision attaquée par des motifs de recours uniquement limités à un seul aspect de ladite décision prend le risque d'être ultérieurement au cours de la procédure de recours dans une situation telle que le dépôt de motifs ou de moyens de preuve supplémentaires soit considéré comme tardif en application des articles 13 (1) et/ou 13 (3) RPCR.

1.5 Au vu de ce qui précède, la Chambre juge, par conséquent, de ne pas admettre T18 dans la procédure de recours, en application de l'article 13(3) RPCR.

2. Requête principale - Exposé insuffisant

2.1 Selon la décision attaquée (point 1.2.1) l'homme du métier n'a pas d'informations suffisantes pour réaliser une boite, même contenant du thon précuit (voire le point 2 de la décision attaquée), dans laquelle la quantité de liquide libre contenu dans le conteneur est inférieure ou égale à 10% de la masse totale du contenu du conteneur.

Les considérations suivantes de la Chambre corroborent ce motif de la décision attaquée (article 83 CBE).

2.2 Thon précuit

2.2.1 La requérante fait valoir que l'objet de la revendication 1 de la requête principale est suffisamment décrit. Le brevet enseigne que la conservation du thon précuit est possible même sans liquide de couverture, alors que ce type de poisson était historiquement conservé avec du liquide. Ce liquide étant considéré comme nécessaire à la conservation, les inventeurs vont contre les idées reçues en supprimant le liquide de conservation.

La description indique tout ce qu'il faut faire, à partir du procédé d'emboîtage traditionnel du thon précuit, pour obtenir dans le conteneur, après stérilisation, une teneur de liquide libre inférieure ou égale à 10%.

En effet, il suffit de substituer l'étape traditionnelle de remplissage du conteneur par un liquide de couverture, par une étape d'introduction uniquement d'azote en vue d'éliminer l'air présent dans le conteneur, sans modifier les autres paramètres.

Avec les revendications soumises au stade du recours, le type de poisson n'est plus un paramètre variable, puisqu'elles sont toutes limitées à du thon précuit. La manière dont le poisson est précuit n'est pas non plus un paramètre à maîtriser car le thon précuit est un constituant de départ standardisé.

Avec ce produit standardisé l'identification des paramètres de précuisson permettant de réaliser l'invention n'est pas un souci, et ne doit pas être décrite en détail pour remplir les conditions de l'article 83 CBE.

2.2.2 La Chambre ne partage pas ce point de vue.

Ce "liquide libre" est mentionné aux paragraphes [11] et [17] du brevet attaqué.

Il s'agit soit du liquide ajouté avant fermeture du conteneur (paragraphe [25]), soit du liquide perdu par le thon au cours d'un chauffage ou d'un stockage du conteneur (c'est-à-dire du fait de ne pas ajouter de liquide, ce qui découle du paragraphe [37]), soit ce qui reste du liquide ajouté après absorption par le thon (paragraphe [25]) ou ensemble avec une perte de liquide par le thon (paragraphes [15] et [38]).

Le brevet contient des instructions contradictoires en relation avec les effets d'un chauffage (pendant la stérilisation) sur le thon précuit:

- selon l'exemple présenté au paragraphe [25], lignes 13 et 14, le poisson absorbe du liquide au cours d'un chauffage;

- selon les exemples présentés au paragraphe [38], et selon le paragraphe [15], le poisson exsude du liquide au cours d'un chauffage.

En d'autres termes, le brevet même enseigne qu'il n'y a aucune garantie que ce produit naturel contenant de l'humidité, mis dans une boite sans liquide de couverture, absorberait ou perdrait, pendant un chauffage au cours de la stérilisation, du liquide d'une façon prévisible et répétitive.

Cela ne permet pas d'obtenir, en appliquant le procédé autrement utilisé avec liquide de couverture, et les connaissances générales de l'homme du métier, la faible teneur de liquide libre revendiquée.

Le fait d'utiliser du thon précuit ne change rien à cette conclusion.

La teneur d'humidité du thon précuit est variable, mais normalement très haute et proche à celle du thon cru (environ 70%, voire le paragraphe [15] du brevet, voire aussi le premier tableau à la page 7 du document T12).

Une précuisson du thon, sans en spécifier les conditions, ne permet pas en soi et toute seule, de réduire les différents types et découpes de thon existant sur le marché à un seul type de produit standardisé, avec lequel on obtiendrait à coup sûr et de façon répétitive l'objet de la revendication 1 de la requête principale, tout en acceptant des échecs occasionnels.

De plus, ni les revendications, ni la description ne contiennent des références à un thon précuit "standardisé", c'est-à-dire selon des normes particulières, telles que, par exemple, celles contenues dans T12.

Au contraire, les documents introduits par la requérante (T7, T8, T13 et T14, voire aussi le tableau à la page 9 du mémoire de recours) attestent que le terme "précuisson" est utilisé pour une multitude de traitements, à températures comprises entre 100° et 105°C pendant des durées variables entre 1 heure et 12 heures, selon la taille du poisson.

L'identification des paramètres correctes de précuisson (en combinaison avec les formes du poisson précuit) est donc nécessaire pour réaliser l'invention, et aurait du être suffisamment décrite.

2.3 Liquide à ajouter

2.3.1 La requérante fait valoir que l'homme du métier est capable de déterminer le type et la quantité du liquide à ajouter pour obtenir la teneur souhaitée de liquide libre dans le conteneur fermé, car, selon la description (paragraphe [25]), ce conteneur ne présentera plus de liquide à l'intérieur après stérilisation, le liquide ayant été absorbé au cours d'un chauffage pendant la stérilisation.

2.3.2 La Chambre ne partage pas ce point de vue.

L'addition éventuelle d'un peu d'huile ou d'un peu d'eau, prévue à la revendication 1 de la requête principale, est notamment effectuée pour aromatiser le contenu, mais aussi pour éviter que le thon se sèche.

Les indications données à l'homme du métier en relation à cette quantité de liquide ajoutée ont déjà été discutées au point 2.2.2 ci-dessus.

Selon le paragraphe [25] du brevet on peut ajouter ce liquide (de l'huile ou un peu d'eau, dans une quantité comprise entre 2 et 10% du poids du poisson) et on obtient toujours un conteneur qui, une fois fermé, ne présente sensiblement pas de liquide, car le liquide est absorbé au cours du chauffage.

Par contre, selon le paragraphe [15], dans une boite sans liquide de couverture, le liquide est exsudé par le thon précuit au cours du chauffage.

Dans ce passage est expliqué que le liquide nécessaire au transfert de chaleur, par exemple lors d'une stérilisation à 121 °C, est fournie directement par le poisson, car le thon, même précuit, peut fournir une quantité de liquide suffisante pour assurer ce transfert de chaleur.

Le brevet n'explique pas les mesures nécessaires pour garantir que ce liquide ajouté (jusqu'à 10% du poids du poisson) soit absorbé par le thon précuit d'une façon prévisible et répétitive, et cela, dans une boite sans liquide de couverture.

Les informations contenues dans le brevet en relation à la quantité de liquide à ajouter ne sont par conséquent pas suffisantes pour garantir l'obtention, après stérilisation, de la teneur de liquide libre revendiquée.

2.4 Stérilisation

2.4.1 La requérante fait valoir qu'une fois le conteneur fermé, l'homme du métier est capable de régler la teneur en liquide (libre) en utilisant les conditions de stérilisation (temps et température).

La définition des conditions de stérilisation du thon précuit (température et durée) appropriés serait à la portée de l'homme du métier, ne nécessiterait pas d'instructions particulières dans le brevet et permettrait aussi de régler la teneur de liquide libre dans le conteneur fermé.

2.4.2 La Chambre ne partage pas cet avis. La stérilisation des conserves de thon traditionnelles, pratiquée depuis longtemps, n'a jamais posé le problème de régler la teneur de liquide libre, car on a toujours utilisé suffisamment de liquide de couverture pour transmettre la chaleur et en même temps éviter la détérioration du poisson. L'homme du métier n'a pas dans ses connaissances générales les informations lui permettant d'obtenir du thon avec une teneur d'humidité suffisante, dans un conteneur sans liquide libre, ou avec une teneur spécifique de liquide libre, au-dessous de 10%.

2.4.3 En conclusion, l'invention de la revendication 1 de la requête principale ne remplit pas les conditions de l'article 83 CBE.

3. Requête subsidiaire n° 6

L'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire n° 6 contient aussi la caractéristique selon laquelle

le conteneur fermé, après stérilisation, ne présente sensiblement pas de liquide, c'est-à-dire qu'il comprend une teneur en liquide inférieure ou égale à 10% de la masse totale du contenu du conteneur.

Comme discuté ci-dessus, la Chambre est de l'avis qu'un lecteur averti du brevet serait incapable de réaliser cette invention à partir de ses connaissances générales.

3.1.1 La requérante fait valoir que, dans le cas d'une revendication de procédé, l'exposé est suffisant, car l'homme du métier est à présent un groupe d'experts spécialisés dans toutes les étapes nécessaires à la fabrication du thon emboîté.

3.1.2 La Chambre rejette aussi cette argumentation.

La méthode revendiquée par la revendication 1 de la requête subsidiaire n° 6 va à l'encontre des idées reçues, à savoir supprimer le liquide de conservation, normalement utilisé au cours de la production des conserves de thon traditionnelles pratiquée depuis longtemps.

Ce procédé traditionnel n'a jamais posé le problème de régler la teneur de liquide libre.

Pour cette raison, même une équipe constituée par des spécialistes des différentes étapes de production de boites de thon traditionnelles doit trouver les informations nécessaires dans le brevet, liées aux différentes étapes. Comme expliqué ci-avant, ces informations sont manquantes.

Aussi il ne peut être fait appel aux connaissances générales de ces spécialistes, car celles-ci ne portent que sur le procédé traditionnel.

4. Requête subsidiaire n° 3

La discussion de l'insuffisance de l'exposé en relation avec la revendication 1 de la requête principale s'applique aussi, mutatis mutandis, à l'objet de la revendication 1 de la revendication subsidiaire n° 3.

Selon le libellé de cette revendication le conteneur fermé, après stérilisation comprend une teneur en liquide inférieure ou égale à 5% de la masse totale du contenu du conteneur.

L'homme du métier n'ayant pas d'informations suffisantes pour réaliser une boite dans laquelle la quantité de liquide est inférieure ou égale à 10% de la masse totale du contenu du conteneur, est a fortiori incapable de réaliser une quantité de liquide inférieure ou égale à 5%. 5. Insuffisance de l'exposé Les requêtes subsidiaires n° 6 et n° 3 ne peuvent, de ce fait, pas résoudre le problème d'insuffisance tel que discuté pour la requête principale. 6. Autres requêtes de la requérante La requérante demande le renvoi en première instance pour la discussion des motifs selon les articles 100 a) et 100 c) CBE qui n'ont pas été traités dans la décision attaquée. La Chambre estime qu'une fois établie l'insuffisance de l'exposé des objets revendiqués dans toutes les requêtes de la requérante, il n'y a pas lieu d'examiner les autres motifs d'opposition et questions soulevées par la requérante. La requête en renvoi de l'affaire est refusée.

Dispositif

Par ces motifs, il est statué comme suit

Le recours est rejeté.

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