European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2017:T070114.20170412 | ||||||||
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Date de la décision : | 12 Avril 2017 | ||||||||
Numéro de l'affaire : | T 0701/14 | ||||||||
Numéro de la demande : | 03292766.7 | ||||||||
Classe de la CIB : | A61K 8/06 A61K 8/41 B01F 17/18 B01F 17/42 |
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Langue de la procédure : | FR | ||||||||
Distribution : | D | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
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Titre de la demande : | Procédé de préparation de nanoémulsion cationique | ||||||||
Nom du demandeur : | L'Oréal | ||||||||
Nom de l'opposant : | Henkel AG & Co. KGaA | ||||||||
Chambre : | 3.3.06 | ||||||||
Sommaire : | - | ||||||||
Dispositions juridiques pertinentes : |
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Mot-clé : | Nouveauté - (oui) Moyens invoqués tardivement - admis (non) objection soulevée pour la première fois durant la procédure orale Activité inventive - (oui) |
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Exergue : |
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Décisions citées : |
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Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
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Exposé des faits et conclusions
I. Le recours a été formé contre la décision de la division d'opposition qui a rejeté l'opposition formée à l'égard du brevet européen n° 1 430 867.
II. L'unique revendication indépendante 1 du brevet tel que délivré a le libellé suivant:
"1. Procédé de préparation d'une nanoémulsion cationique comprenant les étapes suivantes :
(a) mélange sous agitation, d'au moins un composé gras et d'au moins un tensioactif non ionique à une température Tm supérieure à la température de fusion du ou des composés gras et du ou des tensioactifs non ioniques, sous pression atmosphérique normale, le diagramme de phase ternaire composé(s) gras/tensioactif(s) non ionique(s)/eau présentant au moins une zone d'existence d'une phase nanoémulsion de type huile-dans-eau et les concentrations du ou des composés gras et du ou des tensioactifs non ioniques étant choisies de telle sorte que l'on puisse atteindre cette zone de nanoémulsion par simple dilution à l'eau,
(b) ajout de l'eau sous agitation, de manière à atteindre cette zone de nanoémulsion, et
(c) ajout à la nanoémulsion ainsi obtenue, d'au moins un tensioactif cationique."
Les revendications dépendantes 2 à 17 portent sur des modes particuliers de réalisation du procédé faisant l'objet de la revendication 1.
III. Le brevet européen a été opposé dans son intégralité au au titre de l'article 100 a) CBE, pour défaut de nouveauté et manque d'activité inventive.
Les moyens de preuve invoqués comprennent les documents suivants:
D1: DE 4 318 171 A1;
D4: WO 95/31957 A1;
D6: EP 0 490 053 A1;
D8: EP 0 820 758 A2;
D12: "ESSAIS COMPARATIFS" déposés par la titulaire avec son courrier du 4 avril 2011;
D12': "ESSAIS COMPARATIFS" déposés par la titulaire avec son courrier du 10 novembre 2008;
D13: "ESSAI ADDITIONNEL" déposé par la titulaire avec son courrier du 3 octobre 2013.
IV. Dans la décision attaquée, la division d'opposition est entre autre arrivée aux conclusions suivantes:
- Le procédé selon la revendication 1 était nouveau au vu de D1.
- Le procédé revendiqué portait sur la préparation d'une nanoémulsion par une voie alternative au procédé à cisaillement haute pression et au procédé du type dit PIT (inversion de phase par température).
- Les documents D1 à D7 portant soit sur des procédés de préparation de "microémulsions stables", soit sur des procédés de type PIT, et le procédé conduisant à la composition K5 de la Figure 3 de D8 n'étant proche d'un procédé tel que revendiqué qu'en apparence, ce dernier ne pouvait découler de manière évidente de ces documents.
V. Dans son mémoire exposant les motifs du recours, la requérante (opposante) a maintenu une objection de défaut de nouveauté au vu de D1 et des objections de défaut d'activité inventive au vu des documents D4, D8 et D6. En ce qui concerne la signification des termes microémulsion et nanoémulsion, elle a aussi invoqué l'état de la technique suivant (documents renumérotés par la Chambre), en faisant valoir qu'une nanoémulsion ne pouvait pas être clairement distinguée d'une microémulsion à la date de priorité du brevet en cause:
D14: A Wadle et al, PIT-Emulgiertechnologie in der Kosmetik, Parfumerie und Kosmetik, 77. Jahrgang, Nr.4/96, 250-254;
D15: Recueil du premier Congrès Mondial de l'Emulsion, Paris, 19-22 octobre 1993, Volume 1, Fabrication et stabilité des émulsions, Préparation des nanoémulsions, 1-11-162 à 1-11-162/06 ;
D16: Conxita Solans et al, Industrial Appplications of Microemulsions, Chapter 8, Microemulsions in Cosmetics by Hideo Nakajima, Marcel Dekker, Inc., 1997, pages 175-197 ; et
D17: A. Forgiarini et al, Studies of the relation between phase behavior and emulsification methods with nanoemulsion formation, Progr. Colloid Polym.Sci (2000), 115, 36-39.
VI. Dans sa réponse au mémoire de recours, la titulaire/intimée a défendu le brevet tel que délivré (requête principale), rejetant les objections de nouveauté et d'activité inventive. Elle a néanmoins déposé des jeux de revendications modifiées en tant que requêtes subsidiaires.
VII. Les parties ont été convoquées à une procédure orale. Dans sa notification du 8 mars 2017, la chambre a notamment pris position à titre provisoire en ce qui concerne les points suivants:
- Pour l'homme du métier, il était clair, à la date de priorité du brevet litigieux, qu'une nanoémulsion est fondamentalement différente d'une microémulsion.
- D1 ne divulgue pas de manière directe et non ambiguë un procédé de préparation d'une nanoémulsion incluant les étapes (b) et (c) du procédé faisant l'objet de la revendication 1.
- D1 est apparemment la seule antériorité concernant la préparation de nanoémulsions et un procédé tel que décrit dans la partie du brevet mentionnant l'état de la technique (paragraphe [0008]).
- D4 et D8 ne portent pas sur la préparation d'une nanoémulsion et n'abordent pas le même problème technique que le brevet en litige. Aucun de ces documents n'incite, à lui seul, l'homme du métier à concevoir un procédé tel que revendiqué. La combinaison de D8, portant sur une microémulsion, avec D1, portant sur un nanoémulsion, est rétrospective. D6, mentionné dans D8, porte lui-aussi sur des microémulsions, préparées au moyen d'un procédé ne comprenant pas d'ajout de composante cationique après la préparation de la microémulsion.
Le procédé revendiqué n'était donc pas évident au vu de l'état de la technique cité.
VIII. La procédure orale a eu lieu le 12 avril 2017.
- En ce qui concerne l'objection de défaut d'activité inventive, la requérante a indiqué que, contrairement à ce qui était envisagé dans ses écritures, le document D4 ne constituait pas l'état de la technique le plus proche. Elle a en revanche proposé de développer une nouvelle argumentation fondée sur le document D17 (déposé comme "D16") comme état de la technique le plus proche, en faisant valoir que ce document était partie intégrante de la procédure de recours et qu'ayant repris le dossier peu avant la date de la procédure orale, elle n'avait pu soumettre cette objection plus tôt.
- L'intimée a demandé à la chambre de rejeter cette objection en raison de son caractère tardif et de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve d'en conférer avec son client et à titre subsidiaire de renvoyer l'affaire en première instance.
IX. Requêtes
La requérante (opposante) a demandé l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet européen n° 1 430 867.
L'intimée (titulaire du brevet) a demandé le rejet du recours et subsidiairement le maintien du brevet sur la base des requêtes subsidiaires 1 à 5 déposées le 25 septembre 2014.
X. Les arguments de la requérante peuvent être résumés ainsi:
Il est généralement connu (D16, déposé comme D15, page 184, dernier paragraphe, et page 185, premier et deuxième paragraphes) que la méthode de condensation (refroidissement d'une microémulsion) conduit à la formation d'une nanoémulsion, et que ceci s'applique aux modes correspondants de la Figure 3 de D8.
Même en acceptant la différence fondamentale entre nanoémulsion et microémulsion identifiée par la chambre, le procédé faisant l'objet de la revendication 1 du brevet litigieux n'est donc pas nouveau au vu du procédé de D1, portant sur la préparation d'une nanoémulsion comprenant un tensioactif cationique ajouté après la préparation de la nanoémulsion.
Le procédé tel que revendiqué n'implique pas d'activité inventive au vu de D17, pris comme état de la technique le plus proche, en combinaison avec D1.
Cette nouvelle attaque se justifie par le fait que la nouvelle représentante n'a pris en charge l'affaire que peu avant la procédure orale , qu'elle s'était alors aperçu de l'importance de D17, et qu'elle n'avait donc pas pu soulever l'attaque auparavant.
Néanmoins, le procédé tel que revendiqué n'implique pas d'activité inventive au vu de D8 (page 12, à partir de la ligne 8) non plus, pris comme état de la technique le plus proche, en combinaison avec D16 et/ou D1.
Bien que D8 mentionne des microémulsions, ce document ne divulgue pas qu'elles soient thermodynamiquement stables. En fait, il ressort clairement du passage à la page 3, lignes 14-16, qu'en réalité D8 porte sur des nanoémulsions. D8, comme le brevet litigieux (paragraphe [0009]), concerne donc également des nanoémulsions cationiques et vise les mêmes objectifs que le brevet en litige. D8 divulgue aussi des procédés préférés non-PIT pour produire ces nanoémulsions, grâce auxquels on arrive à de telles nanoémulsions (cf. Figure 3; page 3, lignes 14 à 16) par simple dilution (K1 à K5), ou par refroidissement et dilution K2 à K5 (page 12, lignes 32 à 49), comme selon le brevet litigieux.
La seule différence entre le procédé du brevet litigieux et les procédés non-PIT de D8 résulte du fait que D8 ne divulgue pas de manière claire à quel moment du procédé le composant cationique est ajouté à la nanoémulsion.
Aucun effet lié à cette différence n'a été prouvé. D13 ne décrit que des compositions selon le brevet litigieux. D12' montre l'effet produit par l'ajout du composant cationique après la préparation de la nanoémulsion, mais la composition reproduite ne correspond pas à une composition selon D8.
Donc, ni D13 ni D12' comprennent des essais comparatif par rapport à D8.
Par conséquent, le problème effectivement résolu consiste en un procédé alternatif pour la préparation de nanoémulsions comportant un composant cationique.
Ce procédé alternatif est évident déjà au vu de la divulgation spécifique dans D8 (page 12, lignes 27 à 31 en combinaison avec Figure 3, parcours K1), qu'une nanoémulsion peut être produite par simple dilution à l'eau. D16 (déposé comme D15) (paragraphe reliant les pages 184 e 185 et dernier paragraphe de la page 185) illustre les connaissances générales et prouve que D8 concerne bien des microémulsions instables, c'est à dire des nanoémulsions. Enfin, il est connu de D1 d' ajouter la composante cationique à une nanoémulsion déjà formée. Par conséquent, le procédé revendiqué est évident au vu de D8, en tant qu'état de la technique le plus proche, combiné avec D1, et prenant en compte le document D16, qui confirme que D8 concerne des nanoémulsions.
XI. L'intimée a essentiellement retorqué ainsi :
Dans la décision attaquée, la division d'opposition est arrivée à la même conclusion que les chambres de recours dans les décisions D20 et D21. Dans ces décisions, la différence fondamentale entre une nanoémulsion et une microémulsion a été reconnue. Cette différence est en outre confirmée par les documents D14 à D18.
D1 porte sur un procédé PIT, conduisant à des émulsions de granulométrie allant de 100 à 300 nm, dans lequel tous les ingrédients (eau, matières grasses et tensioactifs) sont mélangés, puis chauffés au dessus de la température d'inversion de phase du mélange, sous agitation importante, puis refroidis. L'émulsion ainsi formée est ajoutée à d'autres compositions aqueuses. Les essais de D13 produits par la titulaire, effectués à température ambiante et pression atmosphérique, confirment la différence fondamentale du procédé revendiqué par rapport au procédé PIT de D1. Par conséquent, le procédé faisant l'objet de la revendication 1 est nouveau par rapport à celui de D1.
D17 a uniquement été cité dans le mémoire de recours au soutien de l'argument que pour l'homme du métier la différence entre une nanoémulsion et une microémulsion n'était pas claire. D17 n'a pas été invoqué comme état de la technique le plus proche avant la date de la procédure orale. Donc, la nouvelle objection de manque d'activité inventive au vu de D17, soulevée pour la première fois durant la procédure orale, est une modification tardive et donc irrecevable des moyens invoquées par la requérante.
D8 porte sur des microémulsions. La requérante considère que D8 divulgue des nanoémulsions supposées être produites en partant de ces microémulsions, puisque les nanoémulsions ainsi produites auraient une taille de gouttelettes telle que celle divulguée à la page 3, lignes 7-9 de D8. Toutefois ceci n'est pas déterminant, car mêmes les micelles gonflées d'une microémulsion ont une telle taille, qui peut être mesurée. De plus, la taille des gouttelettes n'est pas un facteur critique de l'invention. Rien ne peut être déduit de l'information à la page 3 de D8, qui n'est qu'un rappel de l'état de la technique.
Enfin, le problème posé dans D8 (page 3, lignes 14 à 16 et 23 à 26) est très différent puisqu'il concerne la réduction de la quantité de tensioactif utilisée dans les microémulsions.
Le problème technique du brevet opposé consiste en la préparation de nanoémulsions comportant un tensioactif cationique, ne requérant pas d'appareillage à haute pression, ni un passage à la température de transition.
Ce problème est résolu, tel que montré par D13 et D12. D13 illustre la faisabilité de la préparation de nanoémulsions cationiques à température ambiante et sous pression atmosphérique. D12, comparant le procédé tel que revendiqué à un procédé dans lequel le tensioactif cationique est ajouté en même temps que les autres ingrédients, montre que la nanoémulsion comparative est moins stable à cause de la taille plus importante de ses gouttelettes.
L'objet du brevet ne saurait découler de manière évidente de l'enseignement des documents D8, D16 et D1 au vu des considérations suivantes.
Le brevet litigieux mentionne au paragraphe [0005] que les nanoémulsions produites selon un procédé incluant une étape PIT ont une granulométrie moins fine. D12 montre que l'ordre d'ajout des composantes de l'émulsion est important.
En outre, la méthode de préparation de la microémulsion de D8 décrite à la page 4, lignes 21 à 25 (aussi page 10, lignes 29 à 35) et page 12, comporte le mélange préalable de tous les ingrédients, suivi par une inversion de phase à atteindre par augmentation de la température et enfin refroidissement (donc une approche PIT). Cette méthode se déroule selon un parcours indiqué dans les figures et la description (page 12) de D8. Il ressort clairement de cette divulgation que même en partant d'une microémulsion déjà formée, par dilution et refroidissement (parcours K2-K5), sans traverser la zone d'inversion de phase, l'on obtient une microémulsion telle que revendiquée dans D8. Comme la page 12 ne mentionne même pas de tailles de gouttelettes, il est clair qu'il ne s'agit pas d'une nanoémulsion. Donc, le parcours K2-K5 ne suggère pas un procédé tel que revendiqué.
Le document D16 (page 185) porte lui aussi sur un procédé PIT, et non pas sur un procédé par simple dilution.
D1 concerne un procédé PIT (page 2, lignes 28 et 35) pour la préparation de nanoémulsions et divulgue aussi l'addition de tensioactifs cationiques après la préparation de l'émulsion (page 3, lignes 56 et suivantes). Il n'incite cependant pas à préparer une nanoémulsion cationique par un procédé tel que revendiqué.
Contrairement à l'enseignement de D1 et/ou D8, dans la présente invention, un mélange de matières grasses et de tensioactifs est dilué avec de l'eau pour ainsi arriver à la formation d'une nanoémulsion, à laquelle l'on ajoute ensuite la composante cationique. L'homme du métier partant de D8 ne trouve donc pas de moyens dans D16 et D1 pour arriver au procédé revendiqué.
Motifs de la décision
Modification des moyens invoqués par la requérante
1. À la procédure orale devant la Chambre, pour la toute première fois, la requérante a soulevé une nouvelle objection d'activité inventive sur la base du document D17 en tant qu'état de la technique le plus proche, en combinaison avec le document D1.
1.1 Le document D17 avait été déposé avec le mémoire de recours, mais il avait été invoqué seulement au soutien de l'argument que pour l'homme du métier la distinction entre nanoémulsion et microémulsion n'était pas claire.
Donc, l'objection d'activité inventive se fondant sur D17 en tant qu'état de la technique le plus proche est nouvelle.
1.2 L'article 13(1) RPCR prévoit que pour l'admission d'une modification des moyens invoqués par une partie après que celle-ci a déposé son mémoire de recours la chambre exerce son pouvoir d'appréciation en tenant compte, entre autres, de la complexité du nouvel objet, de l'état de la procédure, et du principe de l'économie de la procédure (Article 13(1) RPCR). En outre, "des modifications demandées après que la date de la procédure orale a été fixée ne seront pas admises si elles soulèvent des questions que la chambre ou l'autre/les autres parties ne peuvent raisonnablement traiter sans que la procédure orale soit renvoyée" (Article 13(3) RPCR).
1.3 Il est de jurisprudence constante des Chambres de recours de l'OEB (8ème édition 2016, IV.E.4.6.2; cf. par exemple la décision T 1748/08 du 11 juin 2012, Motifs, 3) que le changement du représentant d'une partie résulte de la partie-elle même (circonstance extérieure à la procédure) et ne constitue généralement pas un motif acceptable pour la présentation tardive de nouveaux moyens.
1.4 La surprise de l'intimée, résultant de la tardiveté de la nouvelle objection, ainsi que sa déclaration, selon laquelle elle n'était pas à même de traiter cette modification durant la procédure orale sans instructions de son client, signifient que l'admission de la nouvelle objection nécessiterait un renvoi de la procédure orale à une date ultérieure, afin de permettre à l'intimée de présenter ses observations/requêtes après avoir consulté la titulaire du brevet.
1.5 Par conséquent, la chambre a décidé de ne pas admettre l'objection d'activité inventive fondée sur la combinaison de D17 avec D1 (Article 13(1),(3) RPCR).
Recevabilité de moyens de preuve produits tardivement
2. Le documents D16 soumis en phase d'appel est censé illustrer les connaissances générales dans le domaine des nanoémulsions à la date de priorité du brevet en cause.
La requérante ne s'étant pas opposée à l'admission de ce document, et la chambre, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation (Article 114(2) CBE) n'entrevoit aucune raison pour ne pas admettre D16 dans la procédure.
Signification des termes "nanoémulsion" et "microémulsion"
3. Dans sa communication datée du 8 mars 2017, la chambre a identifié les différences entre une nanoémulsion et un microémulsion. Les différences suivantes entre ces deux type d'émusion étaient déjà connues de l'homme du métier à la date de priorité du brevet en cause:
- Une nanoémulsion est un système multiphasique thermodynamiquement instable, qui ne se forme pas spontanément, et dont les propriétés dépendent non seulement du temps mais aussi de sa méthode de préparation ainsi que de l'ordre de l'addition de ses ingrédients.
- Par contre, une microémulsion est un système thermodynamiquement stable, à l'équilibre, à savoir un système dans lequel la phase dispersée est solubilisée dans des structures (par exemple micelles) existantes dans l'autre phase, se formant spontanément et dont les propriétés ne dépendent ni du temps ni de la méthode de préparation ou de l'ordre d'addition des constituants.
3.1 Lors de la procédure orale, cette position de la chambre n'a pas été remise en cause par les parties et sera donc maintenue.
3.2 Par conséquent, la chambre reste convaincue que l'homme du métier nanti des connaissances générales pertinentes était à même, à la date de dépôt effective du brevet litigieux, d'apprécier si une émulsion décrite dans un document appartenant à l'état de la technique était une microémulsion ou une nanoémulsion.
3.3 Cependant, la question de savoir si D8 divulgue (même en prenant en compte D16) une nanoémulsion reste ouverte à ce stade et sera abordée dans le cadre de la discussion portant sur l'activité inventive (infra).
Brevet tel que délivré - Nouveauté
4. La seule antériorité invoquée à l'encontre de la nouveauté, D1, n'a pas été jugée être destructrice de nouveauté dans la décision contestée. La Chambre est parvenue à la même conclusion pour les raisons suivantes:
4.1 D1 (revendication 6) porte sur un procédé de préparation de compositions aqueuses comprenant un tensioactifs ionique, avec une étape de mélange d'une émulsion fine de matière grasse, avec une taille moyenne des gouttelettes allant de 100 à 300 nm, à une solution aqueuse d'un tensioactif ionique. La préparation de ladite émulsion fine comprend impérativement un réchauffement à sa température d'inversion de phase (PIT).
4.1.1 Les exemples de préparation 1.1 à 1.4 de D1 décrivent la préparation d'émulsions PIT (huile-dans-eau) contenant une matière grasse et un tensioactif non-ionique, mais ne contenant pas de composants cationiques. Tous les ingrédients de l'émulsion sont mélangés puis soumis à une température de 85 ou 90°C (au-dessus ou dans l'intervalle de température d'inversion de phase). Les émulsions ainsi préparées sont enfin refroidies.
4.1.2 D1 (page 4, lignes 32-33 et 49-50) mentionne aussi un mode de réalisation préférable avec incorporation de composants cationiques ("Avivagezusätze") dans l'émulsion, ajoutés de préférence après l'inversion de phase et le refroidissement.
4.1.3 En somme, D1 décrit la préparation d'une émulsion par une méthode de type PIT (inversion de phases à haute température), qui au vu de la taille de moyenne des gouttelettes peut être considérée comme une "nanoémulsion", et comprenant aussi des composants cationiques rajoutés après la préparation de l'émulsion par méthode PIT.
4.2 D1 ne décrit donc pas de manière directe et non ambiguë les étapes (b) et (c) du procédé faisant l'objet de la revendication 1. Ces étapes impliquent une inversion de phase produite par un changement de concentration (PIC, phase inversion concentration en Anglais), plutôt que par passage à la température d'inversion de phase. En d'autres termes, l'ajout de l'eau sous agitation permet d'inverser l'émulsion eau-dans-huile initiale en la nanoémulsion huile-dans-eau finale, même à température ambiante (voir D13).
4.3 Le procédé PIC selon les revendications 1 à 17 telles que délivrées est donc nouveau par rapport au procédé PIT de D1 (Articles 52(1) et 54 EPC).
Brevet tel que délivré - activité inventive
5. Invention
L'invention concerne (paragraphe [0001]) un procédé pour la préparation d'une nanoémulsion cationique.
6. État de la technique le plus proche
6.1 Pour la Chambre, le document D1 représente l'état de la technique le plus proche puisqu'il concerne expressément une méthode de préparation de nanoémulsions cationiques du type mentionné comme art antérieur au paragraphe [0005] du brevet en cause.
6.2 À la procédure orale, la requérante a admis que D4 ne pouvait être l'état de la technique le plus proche, mais a maintenu que D8 représentait l'état de la technique le plus proche pour les raisons suivantes :
- D8 vise de mêmes objectifs que le brevet en litige.
- Bien qu'il mentionne des "microémulsions", il n'est pas dit que celles-ci sont thermodynamiquement stables. Donc, D8 porte aussi sur des nanoémulsions cationiques, ce qui est apparent de la page 3, lignes 14-16.
- Enfin, D8 divulgue aussi des procédés non-PIT de préparation de telles nanoémulsions, ne faisant intervenir ni une homogénéisation à haute pression ni une étape PIT, et grâce auxquels des nanoémulsions peuvent être préparés par simple dilution (voir le parcours K1 à K5 dans la Figure 3 de D8), ou par refroidissement et dilution (voir le parcours K2 à K5 de la même figure). Ces méthodes de préparations, par simple dilution, ou par refroidissement et dilution, sont non-PIT, tels que décrit notamment à la page 12, lignes 32 de 49 de D8. Donc, D8 divulgue ou suggère un procédé du type revendiqué selon le brevet litigieux.
6.3 Pour la Chambre le document D8, qui ne mentionne expressément que des microémulsions, n'appartient pas clairement au domaine technique du brevet litigieux (nanoémulsions cationiques) et n'aborde pas des problèmes similaires à ceux mentionnés dans le brevet litigieux.
6.3.1 Le passage à la page 3, lignes 14 à 16, de D8 mentionne généralement un désavantage (nécessité d'utiliser une quantité importante d'agents émulsifiants) des microémulsions de l'état de la technique à la date de priorité de D8.
6.3.2 Selon le brevet litigieux, en particulier (paragraphe [0008]), le procédé de préparation d'une nanoémulsion cationique doit être plus facile à mettre en oeuvre que les procédés connus, notamment l'homogénéisation sous haute pression (paragraphe [0004]), requérant un appareillage spécifique travaillant à des pressions importantes, et le procédé à température d'inversion de phase (PIT), qui cependant ne conduit pas toujours à des nanoémulsions présentant une granulométrie moyenne en nombre inférieure à 100 nm.
6.3.3 D8 (voir page 3, lignes 22 à 26) aborde, par contre, le problème de la réduction de la teneur en tensioactifs de dispersions fines du type huile-dans-l'eau, et d'élargir les domaines d'application de dispersions fines du type huile-dans-l'eau. Ces dispersions fines sont expressément qualifiées de "microémulsions" (D8, page 4, ligne 7; revendication 1).
6.3.4 D8 (Figure 3, parcours K1 - K5, page 12) divulgue aussi des procédés de préparation de microémulsions qui ne font intervenir ni une homogénéisation à haute pression ni une étape PIT, notamment au moins un procédé de préparation de dispersions fines huile-dans l'eau cationiques, ayant un certain nombre des caractéristiques du procédé selon la revendication 1 du brevet litigieux, y compris une étape de dilution.
Or ces similarités sur le plan de certaines étapes de procédé ne priment pas le fait que D8 ne se préoccupe pas des questions techniques intervenant dans la préparation de nanoémulsions (au sens indiqué au point 3, supra)
6.4 La chambre n'a donc pas retenu D8 comme état de la technique le plus proche, puisqu'une telle approche aurait un caractère rétrospectif.
7. Le problème technique
Il n'est pas discuté qu'à la lumière de D1 le problème technique consiste en la mise à disposition d'un procédé alternatif simple à effectuer pour la préparation de nanoémulsions comportant un tensioactif cationique.
8. Solution
Le brevet litigieux propose le procédé selon la revendication 1, qui est caractérisé entre autres en ce qu'il comprend les étapes suivantes (mise en exergue par la Chambre):
- le "mélange sous agitation, d'au moins un composé gras et d'au moins un tensioactif non ionique à une température Tm supérieure à la température de fusion du ou des composés gras et du ou des tensioactifs non ioniques, sous pression atmosphérique normale, le diagramme de phase ternaire composé(s) gras/tensioactif(s) non ionique(s)/eau présentant au moins une zone d'existence d'une phase nanoémulsion de type huile-dans-eau et les concentrations du ou des composés gras et du ou des tensioactifs non ioniques étant choisies de telle sorte que l'on puisse atteindre cette zone de nanoémulsion par simple dilution à l'eau", et
- l' "ajout de l'eau sous agitation, de manière à atteindre cette zone de nanoémulsion".
9. Succès de la solution proposée
9.1 Les exemples du brevet ainsi que ceux de D12 et de D13 montrent que ces caractéristiques, impliquant un procédé d'inversion de phase induit par une variation de concentration, conduisent à une nanoémulsion sans la nécessité d'employer un appareil à haute pression, ou une montée à la température d'inversion de phase, donc simple à mettre en oeuvre.
9.2 Plus particulièrement, la chambre accepte que D13 montre qu'une nanoémulsion cationique peut effectivement être préparée à température ambiante, sans réchauffement, au moyen de la méthode revendiquée, et que D12 montre l'importance de l'ajout du tensioactif cationique après la préparation de la nanoémulsion.
10. Evidence de la solution
10.1 Il reste donc à déterminer si l'homme du métier partant de l'état de la technique le plus proche (D1) et tâchant de résoudre le problème technique posé serait arrivé de manière évidente au procédé revendiqué au vu de l'état de la technique invoqué.
10.2 Document D1 pris seul
Ce document porte sur la préparation d'une nanoémulsion cationique par inversion de phase à haute température (PIT). D1, à lui seul, ne peut pas inciter l'homme du métier à abandonner une étape impérative du procédé décrit dans D1 dans la conception d'un procédé alternatif, ce qui n'est du reste pas soutenu.
10.3 L'objets des revendication 1 à 17 impliquent donc bien une activité inventive (Article 52(1) et 56 CBE).
10.4 Bien que D8 n'ait pas été considéré comme représentant l'état de la technique le plus proche, la chambre juge approprié d'expliquer pourquoi, même en partant de D8, l'homme du métier ne serait pas parvenu de manière évidente à un procédé tel que revendiqué, même en considérant les autre antériorités invoquées à ce sujet, à savoir D1, D4, D6 et/ou D16.
10.4.1 D8 concerne des "microémulsions" (revendication 1), entre autres cationiques (page 10, ligne 7). D8 décrit la manière de préparer ces microémulsions, notamment l'obtention préalable d'un mélange de tous les ingrédients, y compris le tensioactif cationique en tant qu'actif (page 4, lignes 19 à 25 ; page 10, lignes 29 à 34 ; page 12, lignes 36 à 39), contrairement à l'enseignement du brevet en cause.
10.4.2 Plusieurs méthodes de préparation différente de telles microémulsions sont divulguées dans D8, allant du procédé PIT (Figure 3, parcours K1-K4-K5 et K1-K3-K5 pour le PIT), au procédé PIC (Figure 3, parcours K1-K5), ainsi qu'un procédé se déroulant par une montée en température jusqu'à une temprérature juste en dessous de la température d'inversion de phase et suivie par un refroidissement et une dilution par de l'eau (Figure 3, parcours K2-K5).
10.4.3 Le procédé correspondant au parcours K1-K5 de la Figure 3, décrit à la page 12, lignes 27 à 31, de D8, part d'une "microémulsion" concentrée K1 qui est diluée sans la casser afin d'obtenir la "microémulsion huile-dans-eau de concentration modifiée" K5 (voir aussi la ligne 48). D8 ne divulgue donc aucun rapport de dilution permettant d'arriver, si possible du tout, par ce parcours à simple dilution, à une nanoémulsion telle que revendiquée. Donc, dans les procédés non-PIT de D8, il n'y a en aucun moment formation (implicite) d'une nanoémulsion (cationique).
10.4.4 Le procédé du parcours K2-K5 montré à la Figure 3 de D8, et décrit à la page 12, lignes 32 à 49, de ce document, part d'une émulsion (page 12, lignes 39 à 40) concentrée K2, contenant déjà tous les ingrédients, qui est refroidie et diluée afin d'obtenir la microémulsion K5 (page 12, ligne 48). Ce procédé ne concerne donc pas non plus la formation d'une nanoémulsion cationique.
10.4.5 Dans le cadre de ces parcours de D8, la composante cationique n'est jamais ajoutée après formation de la microémulsion (K5).
10.4.6 D8 pris tout seul ne suggère donc pas une méthode telle que revendiquée.
10.4.7 D16 (page 184 ,dernier paragraphe, et page 185, premier et deuxième paragraphes) concerne la préparation
d' "émulsions ultrafines", qualifiées comme "microémulsions thermodynamiquement instables".
i) Comme le terme "microémulsion" désigne un système thermodynamiquement stable, l'expression "microémulsions thermodynamiquement instables" ne peut que signifier une "émulsion ultra-fine", c'est à dire ayant des gouttelettes extrêmement fines, et étant transparente comme les microémulsions, mais n'étant plus une microémulsion, puisque thermodynamiquement instable (page 184, premier paragraphe).
ii) D16 (page 184, deuxième paragraphe) divulgue entre autres une méthode de condensation pour préparer une telle "émulsion ultrafine". Cette méthode (paragraphe reliant les pages 184 et 185) consiste à refroidir une microémulsion à phase unique, ne pouvant être formé que dans une gamme étroite de températures (élevées), à une température inférieure à sa limite de solubilisation de phase. La préparation illustrée à la page 185 de D16 conduit donc effectivement à une nanoémulsion (ceci résulte du dernier paragraphe de la page 185 de D16).
Par conséquent, D16 divulgue une méthode de préparation d'une nanoémulsion, mais de type PIT.
iii) Les passages de D16 invoqués par la requérante décrivent donc un procédé partant d'une microémulsion déjà formée, contrairement au procédé revendiqué, lequel requiert de partir d'un mélange de phase grasse et de tensioactifs nonioniques. En plus, D16 ne mentionne pas de tensioactifs cationiques.
iv) Le parcours K2-K5 de D8 ne correspond pas à une procédure PIT, et ne part pas d'une microémulsion, mais arrive à une microémulsion par une méthode comprenant aussi une étape de dilution, donc par ajustement de la composition portant le mélange/l'émulsion comprenant tous les composants à la formation (spontanée) de la microémulsion finale. Pour la chambre, une combinaison de la méthode enseignée par D8 avec celle enseignée par D16 pour aboutir une méthode telle que revendiquée ne peut donc que résulter d'une approche rétrospective prohibée.
10.4.8 En fait, D1 portant sur la préparation d'une nanoémulsion cationique par inversion de phase à haute température (PIT), ne saurait inciter l'homme du métier partant de D8 à se passer de l'étape PIT. Donc, une combinaison de D1 et de D8, quel que soit le point de départ, ne saurait conduire de manière évidente à un procédé tel que revendiqué.
10.4.9 De surcroît, la méthode correspondant au parcours K2-K5 de D8 n'incite à l'évidence pas d'ajouter le composant cationique après formation d'une nanoémulsion.
Or, D12 montre que l'ajout du tensioactif cationique avant ou après formation d'une nanoémulsion selon le brevet litigieux joue un rôle sur la structure de la nanoémulsion et sur sa stabilité.
La combinaison de D8 avec un quelconque document, tel que D1, supposé inciter à rajouter le composant cationique après formation de la nanoémulsion, serait donc elle aussi rétrospective.
10.5 Les documents D4 et D6, cités dans le mémoire de recours, n'ont plus été invoqués durant la procédure orale. La chambre n'entrevoit pas de raison d'adopter une position différente de celle exprimée dans sa communication en date du 8 mars 2017 (points 13.4.3 et 13.5), à savoir que ni D4 ni D6 serait de nature à inciter l'homme du métier à concevoir un procédé tel que revendiqué.
10.6 Au vu de ce qui précède, la chambre juge que l'objet des revendications 1 à 17 implique une activité inventive (Articles 52(1) et 56 CBE).
Conclusion
11. Aucun des motifs d'opposition invoqués au titre de l'Article 100(a) CBE ne s'oppose donc au maintien du brevet tel que délivré.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit
Le recours est rejeté.