European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2013:T020211.20130305 | ||||||||
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Date de la décision : | 05 Mars 2013 | ||||||||
Numéro de l'affaire : | T 0202/11 | ||||||||
Numéro de la demande : | 06290889.2 | ||||||||
Classe de la CIB : | F41H 1/02 | ||||||||
Langue de la procédure : | FR | ||||||||
Distribution : | D | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
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Titre de la demande : | Gilet pare-balles | ||||||||
Nom du demandeur : | Compagnie Europeene de Developpement Industriel (C.E.D.I.) | ||||||||
Nom de l'opposant : | Teijin Aramid GmbH E.I. DU PONT DE NEMOURS AND COMPANY |
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Chambre : | 3.2.03 | ||||||||
Sommaire : | - | ||||||||
Dispositions juridiques pertinentes : | |||||||||
Mot-clé : | Requête principale : critères formels, nouveauté, activité inventive : oui Remboursement de la taxe de recours de la titulaire après retrait du recours : non |
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Exergue : |
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Décisions citées : |
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Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
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Exposé des faits et conclusions
I. La titulaire et l'opposante OII ont formé le 14 janvier 2011, respectivement le 18 février 2011, sous paiement simultané de la taxe correspondante, recours contre la décision de la division d'opposition, signifiée le 10 décembre 2010, de maintenir le brevet Nº 1 729 084, délivré sur la base de la demande européenne EP06290889.2, sous la forme modifiée basée sur les documents d'une requête subsidiaire 3 déposée le 17 novembre 2010.
Les mémoires de recours ont été déposés respectivement le 19 avril 2011 et le 15 avril 2011.
II. Dans sa décision intermédiaire, la division d'opposition est arrivée aux conclusions suivantes:
- la requête subsidiaire 3 soumise lors de la procédure orale est admise à la procédure;
- les revendications 1 et 7 de cette requête satisfont aux critères des articles 123(2), 83 et 84 CBE;
- l'objet y revendiqué est nouveau par rapport à l'état de la technique connu de WO-A-00/61435 (E5) et implique une activité inventive par rapport aux documents E5 et WO-A-99/21446 (D4).
III. Dans l'annexe à la convocation en procédure orale, la chambre a communiqué son avis provisoire quant aux différents points de droit abordés par les parties.
La chambre y a notamment indiqué que le recours formé par la titulaire semblait être irrecevable, car la titulaire n'était pas qualifiée pour déposer un recours aux termes de l'article 107 CBE au motif qu'elle avait, lors de la procédure orale du 17 novembre 2010 devant la division d'opposition, retiré toutes les requêtes de rang inférieur à la requête subsidiaire 3, afin que le brevet fut maintenu sur la base de celle-ci, devenant ainsi requête principale.
IV. La procédure orale devant la chambre, conformément aux dispositions de la règle 115(2) CBE, fut tenue le 5 mars 2013 en l'absence de l'opposante OI dûment citée. Auparavant, l'opposante OI avait informé la chambre par courrier du 23 janvier 2013 qu'elle n'y serait point représentée.
En début de la procédure orale, la titulaire a déclaré qu'elle retirait son recours, perdant ainsi, de fait, son statut de requérante pour passer à celui de partie intimée.
A l'issue de la procédure orale, la chambre a prononcé sa décision.
V. Requêtes
L'opposante OII (unique requérante), a demandé l'annulation de la décision intermédiaire et la révocation du brevet.
Elle avait par ailleurs demandé originellement dans son mémoire de recours:
- que soit rejeté le recours de la titulaire car irrecevable, et
- que soit corrigé le libellé de la revendication 1 tel qu'énoncé dans le texte de la décision contestée au titre de la règle 140 CBE.
La titulaire (intimée après le retrait de son recours) a formulé lors de la procédure orale les requêtes suivantes:
- au principal, l'annulation de la décision intermédiaire et le maintien du brevet sous forme modifiée sur la base des revendications 1 à 6 déposées lors de la procédure orale du 5 mars 2013;
- à titre subsidiaire le maintien du brevet sur la base de l'une des requêtes subsidiaires 1 à 4 déposées par courrier du 5 novembre 2012;
- le remboursement de la taxe de recours au motif du retrait de son recours.
L'opposante OI a requis dans son unique écrit du 23 janvier 2013 le rejet du recours de la titulaire au motif de son irrecevabilité; aucune requête et aucun argumentaire ne furent présentés quant au fond.
VI. La revendication 1 de la requête principale a le libellé suivant:
"Gilet pare-balles, comprenant une pile de panneaux en tissu d'aramide, comportant au moins un premier panneau du côté extérieur, de préférence une pluralité de premiers panneaux, et une pluralité de seconds panneaux du côté du corps, tel que:
- chaque second panneau est formé d'un tissu de fibres d'aramides noyées dans un film thermoplastique; et
- chaque second panneau comporte au moins un fil (3) de renforcement, de préférence une pluralité de fils de renforcement, le fil ou chaque fil de renforcement étant piqué pour passer alternativement d'un côté et de l'autre de chaque second panneau, sans passer à travers ledit au moins un premier panneau; le ou les fils (3) d'un second panneau donné de la pluralité de seconds panneaux ne passe pas a travers les autres seconds panneaux; et
- chaque premier panneau comprend un tissu constitué de plis de fibres aramides, notamment quatre plis, pris en sandwich dans un film de matière thermoplastique."
VII. La requérante (opposante OII) se fonde principalement sur l'argumentaire suivant:
- Les modifications apportées à la revendication 1 introduiraient de la matière nouvelle par rapport à la divulgation d'origine (article 123(2) CBE), du fait:
i) d'une généralisation non admissible de la caractéristique définissant que les fibres d'aramide du tissu des seconds panneaux sont noyées dans un film thermoplastique, dans la mesure où le paragraphe [0010] servant de base à cette caractéristique exigerait, dans une et même phrase, cf. colonne 1, lignes 47 à 53, la présence combinée de plusieurs fils de renforcement d'orientation parallèle,
ii) de la définition non-divulguée à l'origine d'un nouveau sous-groupe revendiqué de gilets pare-balles ayant une structure comprenant, à la fois, des seconds panneaux constitués de fibres noyées dans un matériau thermoplastique, d'une part, chacun desdits seconds panneaux étant traversé par un fil de renforcement et, d'autre part, des premiers panneaux dont le tissu de fibres serait pris en sandwich dans un film thermoplastique; la revendication 4 telle que délivrée, ne distinguant pas les panneaux en fonction du mode d'enrobage des fibres de leur tissu (par imprégnation ou pris en sandwich) indiquerait au contraire qu'un gilet selon l'invention décrite à l'origine ne comprendrait qu'un seul de ces deux types alternatifs de panneaux et non point une combinaison des deux et encore moins dans un ordre très spécifique par rapport au corps à protéger par le gilet.
- La revendication 1 ne satisferait pas à l'exigence des articles 83/84 CBE car les expressions "noyés dans un film" et "pris en sandwich dans un film" n'auraient pas de signification claire; elles ne sembleraient d'ailleurs ne pas être suffisamment distinctives quant aux particularités physiques qu'elles définiraient, dans la mesure où le degré d'imprégnation des fibres aramide du tissu par la matière thermoplastique dans chacune des alternatives (sandwich, imprégnation) se situerait dans des plages de valeurs tellement étendues, qu'elles se recouperaient de manière significative.
- Le gilet pare-balles revendiqué serait anticipé par E5.
Comme aucune différenciation claire n'existerait entre des tissus pris en sandwich ou noyés dans un matériau thermoplastique, la distinction revendiquée entre des panneaux dits premiers ou seconds ne serait en rien justifiée. Toute combinaison de panneaux 205,405 (figures 2 à 4 de E5) pour former une plaque 550 comme illustrée à la figure 5 (page 9, linge 14 et suivantes) correspondrait ainsi à un panneau, dont l'empilement (voir figure 7) constituerait alors un gilet conforme à celui de la définition de la revendication 1.
En outre, E5 divulguerait également différents types de panneaux comprenant des tissus en fibres aramide pris en sandwich entre deux films thermoplastiques (voir notamment figure 2, page 6, lignes 21 à 24) ou noyés dans une matière thermoplastique (voir notamment figure 3, page 8, lignes 13 à 17), ces panneaux étant ensuite combinés pour former la structure du gilet.
Enfin, chaque panneau 550, constitué par des sous-ensembles 205,405, serait piqué par un fil de liaison par couture 560 passant alternativement d'un côté et de l'autre du panneau 550. Les fils 560 amélioreraient les propriétés balistiques du gilet en terme de résistance à la pénétration des projectiles (page 10, lignes 3 à 5, 15 à 23) et permettraient ainsi de réduire le poids du gilet (page 10, lignes 24 à 26).
- Le critère d'activité inventive ne serait pas non plus satisfait parce que:
i) le positionnement du côté interne, c'est-à-dire du côté du corps de l'utilisateur à protéger, des seconds panneaux, donc ceux comprenant un tissu de fibres noyées et des passements de fils de renforcement, n'aurait aucun effet technique particulier; la réduction du traumatisme due à l'onde de choc telle qu'alléguée par la titulaire serait d'ailleurs corroborée par aucun résultat d'essai et donc non prouvée objectivement (cf. T 355/97);
ii) l'homme du métier aurait à l'évidence placé les panneaux comprenant des tissus pris en sandwich entre des films de matière thermoplastique du côté extérieur pour absorber l'impact des projectiles incidents et ainsi améliorer les propriétés balistiques du gilet. Ce choix lui serait suggéré par D4 (figures 4 et 5A), où les panneaux constitués avec des fibres en aramide prises en sandwich dans des films thermoplastiques seraient de préférence situés du côté extérieur du gilet; le matériel utilisé dans D4 pour la confection de ces panneaux serait le Goldflex® (page 12, dernière ligne) identique au matériau cité dans le brevet attaqué (cf. paragraphe [0009]).
- La décision contestée, où aurait été retranscrit de façon erronée le texte de la revendication 1 telle que maintenue, devrait être corrigée en vertu de la règle 140 CBE.
VIII. Les arguments de la titulaire-intimée peuvent se résumer comme suit:
- La revendication 1 de la requête principale satisferait à l'article 123(2) CBE). Le transfert de la totalité des caractéristiques décrites au paragraphe [0010] du brevet dans la revendication 1 ne serait pas nécessaire, car la présence de plusieurs fils de renforcement orientés parallèlement constituerait à l'évidence qu'un mode de réalisation préféré. La combinaison de deux types de panneaux distincts et leur agencement seraient indubitablement divulgués par la description de l'unique exemple de réalisation de l'invention.
- Les articles 83 et 84 CBE seraient satisfaits; l'homme du métier comprendrait du brevet que, contrairement aux panneaux avec un tissu pris en sandwich, il ne subsisterait aucun espace vide ou aucune poche d'air dans le cas où les fibres du tissu seraient noyées dans un film thermoplastique, ce qui constituerait une distinction significative et claire.
- Le gilet pare-balles revendiqué serait nouveau par rapport à E5. Les différentes options de réalisation des panneaux 205,305 se baseraient toutes non pas sur un tissu mais sur un voile de fibres 120,130 (figure 1), dont certaines (130) ne seraient même pas en aramide.
En outre, les panneaux 305 réalisés par imprégnation des fibres (figure 3) seraient explicitement décrites comme non appropriées pour la confection de gilet pare-balles car au final trop rigides pour ce type d'application, cf. page 1, lignes 16 à 24 et page 8, lignes 18 à 23.
En outre, E5 resterait totalement muet quant au choix éventuel parmi ces deux types de panneaux (imprégnation, sandwich) des panneaux à placer à proximité du corps ou du côté extérieur incident du gilet.
Enfin les éléments de E5 correspondant à la définition des panneaux de la revendication 1 seraient assurément les éléments de base 205,305 illustrés aux figures 2 et 3. Des points 560 de couture solidariseraient ensuite un ensemble de ces éléments de manière à former les plaques 550 de panneaux (figure 7); les coutures 560 de solidarisation différant foncièrement des fils de renforcement piqués dans un seul panneau tels que revendiqué.
- Le gilet pare-balles selon l'invention apporterait comme effet technique particulier une diminution du risque de traumatisme physique pouvant être occasionné par l'impact de l'onde de choc traversant le gilet dans la zone d'impact de balles. Ni l'objet revendiqué ni son effet technique résultant ne découleraient à l'évidence de la combinaison E5 et D4.
Le seul enseignement pertinent de D4 résiderait dans l'utilisation du matériau Goldflex® du côté extérieur du gilet. L'homme du métier n'aurait dès lors toujours pas d'incitation à utiliser du côté intérieur des seconds panneaux obtenus par imprégnation et renforcés par des fils passant. Par ailleurs, l'argumentaire de l'opposante OII, de toute évidence, ne suivrait aucunement une analyse problème-solution mais reposerait purement sur une approche ex post facto.
- La taxe de recours devrait être remboursée en conséquence du retrait du recours de la titulaire suite à l'avis préliminaire de son irrecevabilité en annexe à la convocation.
Motifs de la décision
1. Le recours de l'opposante OII est recevable.
La chambre n'a pas à se prononcer sur la recevabilité du recours déposé à l'origine par la titulaire puisque retiré en début de procédure orale.
La titulaire, originellement requérante, prend ainsi la qualité d'intimée.
2. Requête principale - Conditions de forme
2.1 Article 123(2) CBE
2.1.1 Revendication 1
La revendication 1 de la requête principale ne contient pas de matière nouvelle au sens de l'article 123(2) CBE).
Elle est formée essentiellement de la combinaison des revendications 1 et 2 telles que délivrées complétée par les caractéristiques i) et ii) suivantes issues de la description:
i) "chaque second panneau est formé d'un tissu de fibres d'aramides noyées dans un film thermoplastique"; [extraite de la première phrase du paragraphe [0010] de la description du brevet (colonne 1, lignes 47 à 53), respectivement [0011] de la demande EP-A (colonne 1, lignes 43 à 49)]
ii) "chaque premier panneau comprend un tissu constitué de plis de fibres aramides, notamment quatre plis, pris en sandwich dans un film de matière thermoplastique".
[extraite du paragraphe [0007] du brevet, respectivement [0008] de la demande EP-A]
Contrairement à l'assertion de la requérante, la deuxième partie de la première phrase du paragraphe [0010] du brevet définissant la présence de plusieurs fils de renforcement parallèles n'est pas étroitement liée à la caractéristique i) et ne forme pas avec celle-ci un concept unique et indivisible. On ne peut pas se fonder uniquement sur la syntaxe d'une phrase, dans laquelle deux caractéristiques sont présentes conjointement, pour en conclure que celles-ci sont nécessairement étroitement liées ou en interaction fonctionnelle. Or, aucun élément ne suggère un tel lien indissociable entre les deux caractéristiques de ladite phrase. L'homme du métier considèrerait plutôt que la seconde caractéristique relative aux fils de renforcement ne décrit dans le fond qu'un aspect supplémentaire et purement optionnel.
Par ailleurs, une analyse détaillée de la syntaxe de la première phrase ("et qui comportent chacune des fils ...") conduirait au résultat que la pluralité des fils de renforcement est attribuée, non pas à un second panneau unique, mais à la série (colonne 1, ligne 48 du brevet) de seconds panneaux. Cette lecture épouse en parfait accord la particularité essentielle de l'invention consistant à piquer par un (ou plusieurs) fil(s) de renforcement un seul second panneau, voir à cet endroit colonne 1, ligne 54 à colonne 2, ligne 2 du fascicule de brevet (colonne 1, lignes 49 à 56 dans la demande publiée EP-A).
L'ajout de la seule caractéristique i) ne définit ainsi aucune généralisation de l'objet revendiqué qui ne soit pas divulguée à l'origine.
Quant à la caractéristique ii), elle ne fait que reprendre une autre particularité essentielle de l'invention, à savoir la présence combinée de deux types distincts de panneaux agencés différemment selon le côté (intérieur, extérieur) du gilet pare-balles.
Cet agencement est expliqué en détail par la description du mode de réalisation, cf. figures 1 et 2, paragraphes [0007], [0009] et [0010] du brevet ([0008], [0010] et [0010] de la demande EP-A). On recommande dans cet exemple de confectionner un gilet pare-balles au moyen, d'une part, de seconds panneaux 2 constitués de fibres noyées dans un matériau thermoplastique du côté du corps (côté intérieur) et, de premiers panneaux 1 dont le tissu de fibres est pris en sandwich par un film thermoplastique du côté tourné vers extérieur, donc du côté des impacts balistiques.
Le fait que la revendication 4 telle que délivrée ne distinguait pas les panneaux en fonction du mode d'enrobage (par imprégnation ou pris en sandwich) de leurs fibres constitutives ne permet pas d'en déduire que le gilet selon de l'invention tel que divulgué à l'origine devait être systématiquement et entièrement constitué par des panneaux d'un seul type.
Au demeurant, la revendication 4, au libellé certes très général, n'entre pas pour autant en contradiction avec le mode de réalisation décrit caractérisé par l'utilisation conjointe des deux types de panneaux.
2.1.2 Autres amendements
Les revendications dépendantes 2 à 6 correspondent respectivement aux revendications 3 et 5 à 8.
Les modifications apportées au libellé de la revendication 6, qui reprend en substance la revendication 8 délivrée, se basent sur la description, cf. paragraphe [0012] du brevet, [0013] de la demande EP-A.
La description, déposée lors de la procédure orale devant la division d'opposition a été modifiée de manière à l'harmoniser à la définition de l'invention selon les revendications amendées.
2.2 Articles 84/83 CBE
Les motifs établis à cet égard par la division d'opposition dans la décision contestée (cf. paragraphe 5.2.3 à la page 9) sont pertinents et justifiés.
La chambre estime que la description de l'invention telle que définie dans le brevet est claire et de divulgation suffisante pour permettre à l'homme du métier de la réaliser.
Contrairement à l'affirmation de la requérante, il en fait aucun doute pour l'homme du métier que les deux types de panneaux se différencient clairement entre eux. Pour des panneaux comprenant un tissu pris en sandwich (premiers panneaux), il subsiste en effet un espace vide ou une poche d'air emprisonné (e) entre les deux films thermoplastiques de la structure, tandis que dans les panneaux (seconds panneaux) le tissu de fibres est totalement noyé dans le matériau thermoplastique.
2.3 Prohibitio reformatio in pejus
La revendication 1 de la requête principale correspond en substance à la revendication 1 maintenue par la décision intermédiaire de la division d'opposition.
Elle ne s'en distingue que formellement par la suppression de l'expression "caractérisé en ce que", c'est-à-dire par sa rédaction en une partie unique; le champ de protection conférée en reste ainsi indéniablement inchangé. La requête principale ne contrevient pas à l'interdiction de reformatio in pejus.
3. Requête principale - Brevetabilité
3.1 L'invention selon le brevet
Le brevet attaqué se propose de réaliser un gilet pare-balles comprenant une pile de panneaux en tissu d'aramide qui soit léger et permette d'absorber le choc des impacts de balles de façon à éviter tout traumatisme du corps (cf. paragraphe [0002]).
La solution suggérée repose sur la combinaison des concepts suivants:
a) le choix délibéré de deux types différents de panneaux, à savoir des premiers panneaux comprenant chacun un tissu constitué de plis de fibres aramides pris en sandwich dans un film de matière thermoplastique et des seconds panneaux formés chacun d'un tissu de fibres d'aramides noyées dans un film thermoplastique;
b) le placement sélectif des deux types de panneaux, à savoir les premiers panneaux du côté extérieur de la structure du gilet et les seconds du côté intérieur, côté du corps à protéger; et
c) chaque second panneau comporte au moins un fil de renforcement piqué pour passer alternativement et exclusivement d'un côté à l'autre dudit second panneau.
Comme décrit aux paragraphes [0013] et [0014] du brevet, les premiers panneaux remplissent la fonction d'arrêter les balles, les seconds permettent, grâce aux lignes de piqûre de renforcement, de répartir/diffuser l'onde de choc transmise par la couche des premiers panneaux sur toute la surface. De par sa diffusion au travers de la succession de seconds panneaux, l'onde de choc arrivant au corps est fortement diminuée de manière à éviter tout traumatisme que pourrait subir autrement le corps portant le gilet.
Selon une allégation de la requérante, il manquerait dans le brevet, tout comme d'ailleurs dans les écrits de la titulaire, tout élément probant, comme par exemple des résultats d'essai, qui permettrait de corroborer un tel effet technique. La chambre n'a à ce sujet aucun élément apparent et immédiat à disposition, qui puisse l'inciter à mettre en doute les informations données dans le brevet, d'autant que dans une procédure d'opposition ou de recours subséquente il incombe à l'opposante d'apporter la preuve d'un manque voire d'une insuffisance de description.
De par la définition même de leur constitution, les panneaux selon l'invention sont les composants élémentaires de la structure du gilet. Ils sont formés d'une pièce de tissu (avec ou sans plis) de fibres d'aramide et d'un film de matière thermoplastique qui imprègne ou prend en sandwich le tissu de façon à créer un panneau monobloc.
Force est de noter par ailleurs que, contrairement à la réalisation des seconds panneaux, le tissu des premiers panneaux n'étant pas imprégné par le matériau plastique mais simplement pris en sandwich, il subsiste au niveau du tissu des premiers panneaux une fine couche d'air emprisonnée par les surfaces extérieures du film thermoplastique. Cette particularité directement liée au mode réalisation des tissus pris en sandwich est d'ailleurs corroborée par E5, cf. page 7, lignes 18 à 21.
3.2 Nouveauté par rapport à E5
Quand bien même des composants décrits dans E5 présentent une similarité avec ceux utilisés dans le gilet selon le brevet, l'objet de la revendication 1 de la requête principale n'en est pas pour autant anticipé au vu des considérations suivantes.
En effet, une analyse approfondie de l'enseignement de E5 aboutit au résultat, qu'aucun des concepts a), b) et c) définis ci-avant, et a fortiori pas non plus leur combinaison, ne sont divulgués dans E5.
3.2.1 Contrairement aux motifs exposés dans la décision contestée, la chambre estime que le correspondant technique du panneau selon l'invention, c'est-à-dire du composant élémentaire comme défini ci-avant du gilet pare-balles, ne peut pas être le paquet 550 ("packet", page 9, lignes 18 à 19). Cette distinction est bien évidemment déterminante pour la suite de l'analyse comparative comme suit.
Selon la chambre, l'état de la technique décrit par E5 divulgue deux types de panneaux élémentaires 205 et 305 illustrés respectivement par les figures 2 et 3.
Le tissu 110 du panneau 205 comprenant des fibres d'aramide 120 (page 5, ligne 9) est pris en sandwich entre deux films 240,242 de matériau thermoplastique sans en être totalement imprégné, cf. figure 2 et page 6, lignes 21 à 24 et 29 à 30. La présence additionnelle dans le tissu de fibres 130 de maillage faites dans un autre matériau que l'aramide et entrelacées avec les fibres 120 en aramide n'est pas significatif et ne disqualifie point les panneaux 205 en qualité de panneaux formés de tissu de fibres d'aramide comme revendiqué. Selon une variante, les films 240,242 peuvent toutefois être fondus de manière à imprégner le tissu de fibres, cf. page 7, lignes 27 à 30.
Quant aux panneaux 305 de la figure 3, ils ne se distinguent de ceux (205) vus précédemment que par l'absence de fibres de maillage. Le voile 310 fait de fibres en aramide unidirectionnelles constitue bien un tissu, d'autant que le brevet attaqué qualifie également de tissu un ensemble de fibres unidirectionnelles, cf. paragraphes [0007] et [0010]. Le tissu 310 est soit imprégné soit pris en sandwich par deux films de matière thermoplastique, voir page 8, lignes 10 à 13 et 15 à 17.
3.2.2 Il n'est pas inutile de noter que le document E5 enseigne tout au long de sa description, à la manière d'un fil rouge, que les deux types de panneaux ont des propriétés physiques différentes et sont par conséquent à utiliser pour la confection d'objets différents, à savoir:
- que l'imprégnation du tissu de fibres produit un panneau rigide ou semi-rigide alors que la prise en sandwich par laminage de deux films thermoplastiques donne des panneaux plus flexibles, voir page 7, lignes 27 à 30, page 8, lignes 11 et 17, et
- que par conséquent, pour la confection de gilets pare-balles, il est très fortement suggéré, sinon imposé, d'utiliser les panneaux flexibles réalisés par laminage de deux films de matériau thermoplastique sur un tissu de fibres; les panneaux rigides ou semi-rigides caractérisés par une imprégnation du tissu étant à préférer pour d'autres applications, voir notamment page 1, lignes 16 à 24, page 3, lignes 20 à 22 (figure 7), page 6, lignes 25 à 27, page 7, lignes 24 à 26, page 8, lignes 1 à 5, et particulièrement encore les lignes 18 à 23 de la page 8.
3.2.3 Par ailleurs, E5 ne prévoit aucunement un fil de renforcement piqué dans chacun des panneaux élémentaires 205,305 quelque soit leur type.
Certes, E5 prévoit également des points de couture 560, mais ceux-ci servent à solidariser un certain nombre de panneaux 205,305,405 et au final à réaliser des paquets 550 de panneaux, cf. figure 5, page 9, lignes 18 à 19.
Outre la solidarisation des panneaux les points de couture 560 peuvent encore présenter l'avantage inattendu aux dires de E5 (cf. page 10, lignes 3 à 28), avantage issu d'une résistance accrue en termes de pénétration balistique combinée à un poids du gilet pare-balles. Ce résultat est expliqué à la page 11, lignes 4 à 7, comme étant du à la solidarisation des plaques 205,305,405 constituant le paquet 550 au moyen des points de couture (560), la couture augmentant la dureté/rigidité par rapport à la somme des duretés de chaque constituant pris séparément.
Le concept développé dans ces termes dans E5 va ainsi totalement à l'encontre de la solution suggérée par la revendication 1 de la requête principale (caractéristique c) comme notée ci-avant).
Les points de couture 560, qui traversent plusieurs panneaux pour les solidariser ensemble et qui en forment des paquets 550, n'ont, de fait, aucune analogie avec un fil de renforcement (3) piqué uniquement dans un seul second panneau comme l'exige la revendication 1 (voir également colonne 2, paragraphe [0012] de la description du brevet).
Par contre ils sont parfaitement identiques sur le plan fonctionnel aux fils 4 de couture piqués dans les bords du gilet pour le maintien de l'ensemble des panneaux formant le gilet pare-balles selon le brevet (paragraphe [0012]).
3.2.4 Enfin, force est de constater que le document E5 ne contient aucune recommandation particulière en ce qui concerne une quelconque sélection des panneaux 205,305,405 constituant les paquets 550 ou 650 pour la confection la structure pare-balles 704 du gilet 802, voir figures 6 et 7. Au contraire l'homme du métier apprend à la page 12, lignes 1 à 3, que toutes les combinaisons des panneaux élémentaires 205,305 ou intermédiaires 405 sont finalement envisageables.
Le document E5 laisse ainsi non seulement le choix de la composition des panneaux totalement ouvert mais reste également muet quant au type de panneaux (fibres noyées ou prises en sandwich) qu'il conviendrait le cas échéant à positionner du côté extérieur ou intérieur du gilet pare-balles.
Le seul indice que suggère E5 à l'homme du métier est de préférer les panneaux flexibles, réalisés avec des fibres prises en sandwich, à proximité du corps, c'est-à-dire du côté intérieur du gilet (page 8, lignes 18 à 23).
3.2.5 Conclusion
Il apparait de l'analyse de l'enseignement divulgué dans E5 que le gilet pare-balles selon l'invention se distingue par les trois concepts a), b) et c), qui combinés définissent la solution proposée par l'invention:
a) le choix délibéré de deux types différents de panneaux, à savoir des premiers panneaux comprenant chacun un tissu constitué de plis de fibres aramides pris en sandwich dans un film de matière thermoplastique et des seconds panneaux formés chacun d'un tissu de fibres d'aramides noyées dans un film thermoplastique;
b) le placement sélectif des deux types de panneaux, à savoir les premiers panneaux du côté extérieur de la structure du gilet et les seconds du côté intérieur, c'est-à-dire du côté du corps à protéger; et
c) chaque second panneau comporte au moins un fil de renforcement piqué pour passer alternativement d'un côté et de l'autre de ce second panneau exclusivement, c'est-à-dire sans passer à travers d'un quelconque autre panneau constitutif du gilet.
L'objet de la revendication 1 est ainsi nouveau par rapport à E5 (articles 100a), 52(1), 54(1) CBE).
3.3 Activité inventive par rapport à la combinaison E5 et D4
Comme établi précédemment, les caractéristiques distinctives a), b) et c) de la revendication 1 ont pour effet, entre autre, d'éviter tout traumatisme sévère du corps portant le gilet pare-balles.
Le document E5 ne contient aucune indication de ce problème et encore moins par quelle combinaison de moyens, notamment par quelle structure particulière des paquets 550,650, l'homme du métier pourrait confectionner un gilet pare-balles moins traumatisant pour l'organisme soumis à des impacts balistiques.
En l'espèce, l'enseignement pertinent du document D4 se limite à l'utilisation d'un paquet 55 de panneaux réalisés en Goldflex®, cf. page 12, troisième paragraphe à page 13, premier paragraphe, c'est-à-dire le même matériau que celui préféré dans le brevet attaqué pour les premiers panneaux du côté extérieur du gilet (paragraphe [0009]). Le paquet 55 est situé du côté extérieur du gilet comme illustré aux figures 5A-5C, alors que deux autres paquets 36,38 de panneaux 58,60 sont placés tournés vers l'intérieur.
Rien n'indique cependant dans le document D4 que les panneaux 58,60 soient formés, comme pour les seconds panneaux de l'invention, d'un tissu de fibres d'aramide noyées dans un film thermoplastique et piqué par un fil de renforcement.
Quand bien même l'homme du métier venait à considérer la combinaison de E5 et D4 dans le but d'améliorer les propriétés balistiques du gilet pare-balles de E5, il pourrait tout-au-plus être conduit à placer des panneaux en Goldflex® du côté extérieur de la structure.
Pour ce qui est de la composition particulière des seconds panneaux du côté intérieur, l'homme du métier ne trouverait aucune incitation dans D4 allant dans le sens de l'objet du brevet.
Le gilet défini par la revendication 1 de la requête principale implique par conséquent une activité inventive au sens des articles 100a)/52(1) et 56 CBE.
4. Requête en remboursement de la taxe de recours
Dans l'annexe à la citation en procédure orale, la chambre avait indiqué que le recours formée par la titulaire ne semblait pas recevable car contraire à l'article 107 CBE, dans la mesure où la titulaire n'était pas lésée par la décision intermédiaire contestée. Lors de la procédure orale, la titulaire a déclaré le retrait de son recours mais a maintenu la requête en remboursement de la taxe acquittée à cet endroit.
Les seules circonstances, au nombre de trois, qui pourraient justifier que soit ordonné le remboursement d'une taxe de recours, sont celles énumérées à la règle 103 CBE. Aucune d'entre elles n'est cependant vérifiée dans l'affaire en jugement pour les considérations suivantes:
i) en cas de révision préjudicielle:
ceci ne s'applique pas à la présente affaire inter partes issue d'une procédure d'opposition;
ii) lorsque la chambre fait droit au recours et si le remboursement est équitable en raison d'un vice substantiel:
aucune de ces deux conditions n'est à l'évidence remplie dans la présente affaire;
iii) lorsque le recours n'est pas formé, c'est-à-dire lorsqu'il est retiré avant le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours:
cette circonstance n'est pas non plus vérifiée dans le cas soumis à la chambre, puisque le recours a été retiré au cours de la procédure suite à l'avis provisoire de la chambre quant à son irrecevabilité car estimé non conforme aux exigences de l'article 107 CBE.
La décision de la chambre n'aurait d'ailleurs pas non plus ordonné le remboursement de la taxe de recours si celui-ci avait été maintenu.
En accord avec la jurisprudence établie (cf. "La Jurisprudence des Chambres de Recours" de l'OEB, 6º édition 2010, VII.E.17.1, dernier paragraphe de la page 1023), le remboursement ne peut se justifier du seul fait de l'irrecevabilité du recours formé, voir aussi l'exergue de la décision T 1142/04-3.4.2 du 4 mars 2005.
Au vu de ces considérants, la requête en remboursement de la taxe de recours formulée par la titulaire reste manifestement sans fondement.
5. Correction de la décision contestée
En guise de préliminaire, il convient de rappeler que l'instance compétente pour une correction est celle qui a rédigé la décision, en l'occurrence dans cette affaire, la division d'opposition. La chambre n'a ni compétence ni autorité en la matière, quand bien même force est de constater que la division d'opposition n'a jusqu'à lors pas réagi à cette requête en correction.
Indépendamment de ces constations, la requête en correction au titre de la règle 140 CBE de la décision contestée telle que formulée par l'opposante OII dans son courrier en date du 15 février 2011 est devenue caduque du fait de l'annulation de la décision contestée et de la présente décision qui s'y substitue.
Un traitement de la requête est dès lors sans fondement.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision contestée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la division d'opposition afin qu'elle maintienne le brevet européen nº 1729084 sous forme modifiée sur la base des documents suivants de la requête principale:
- les revendications 1 à 6,
déposées lors de la procédure orale du 5 mars 2013 devant la chambre de recours;
- les colonnes 1 et 2 de la description,
déposées en tant que description pour la requête subsidiaire 3 lors de la procédure orale du 17 novembre 2010 devant la division d'opposition;
- figures 1 et 2 du fascicule de brevet.
3. La requête en remboursement de la taxe de recours acquittée par la titulaire est rejetée.