T 1184/10 (Pâte anhydre de décoloration / L'Oréal) of 20.3.2014

European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2014:T118410.20140320
Date de la décision : 20 Mars 2014
Numéro de l'affaire : T 1184/10
Numéro de la demande : 04292963.8
Classe de la CIB : A61K 8/22
A61K 8/68
A61Q 5/08
Langue de la procédure : FR
Distribution : D
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Titre de la demande : Pâté anhydre de décoloration comprenant au moins un composé de type céramide
Nom du demandeur : L'Oréal
Nom de l'opposant : Kao Germany GmbH
Chambre : 3.3.10
Sommaire : -
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention Art 56
Rules of procedure of the Boards of Appeal Art 13
Mot-clé : Activité inventive - (non)
Objections et arguments produits tardivement - recevables (non)
Exergue :

-

Décisions citées :
-
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
-

Exposé des faits et conclusions

I. La requérante (opposante) a introduit un recours contre la décision de la division d'opposition de rejeter son opposition à l'encontre du brevet européen n° 1 555 013, dont la revendication indépendante 1 s'énonce comme suit:

« 1. Pâte anhydre pour la décoloration des fibres kératiniques humaines, et plus particulièrement des cheveux, comprenant au moins un liquide inerte organique, au moins un sel peroxygéné et au moins un agent alcalin, caractérisée en ce qu'elle comprend au moins un composé de type céramide.»

II. Le brevet avait été opposé au seul motif de manque d'activité inventive (article 100(a) CBE) fondé entre autres sur les documents

(1) WO-A-97/15273,

(2) EP-A-0 882 444,

(3) EP-A-1 308 151,

(4) EP-A-1 034 777.

Selon la division d'opposition, le document (1) représentait l'état de la technique le plus proche de l'invention en raison de la similitude des buts à atteindre. En effet, même si le document (1) n'abordait pas le maintien ou l'amélioration du pouvoir de décoloration, il avait en commun avec le brevet litigieux l'objectif de limiter ou de prévenir la dégradation des fibres kératiniques lors de la décoloration, alors que l'objectif mentionné dans le document (2) était de stabiliser les compositions de décoloration lors de leur stockage. L'exemple 2 du document (1) divulguait une composition oxydante pour la décoloration des cheveux contenant un céramide, un persel et un agent alcalin. La composition objet de la revendication 1 du brevet litigieux se différentiait de la composition de l'art antérieur uniquement par la présence d'un liquide inerte organique. Partant de ce document, le problème technique à résoudre était celui de la mise à disposition de compositions décolorantes qui limitaient ou prévenaient la dégradation de la fibre kératinique, tout en permettant des performances améliorées en matière de décoloration. Les essais comparatifs fournis par la titulaire du brevet avec une lettre datée du 6 novembre 2006 (document (6)) mettaient en ½uvre deux compositions A et B selon l'invention comprenant respectivement comme liquide organique inerte un mélange de cire d'abeille et de myristate d'isopropyle (composition A) et un mélange huile minérale et cire d'abeille (composition B), d'une part, et, d'autre part une composition C selon l'enseignement du document (1) qui différait des compositions A et B uniquement par la présence du liquide inerte organique. La présence de moins de 5% de cire d'abeille dans le liquide inerte organique n'était pas apte à provoquer une solidification du liquide et, par conséquent, ne constituait pas une deuxième différence par rapport aux compositions comparées représentatives du document (1). Ces essais comparatifs démontraient donc bien que l'ajout d'un liquide organique inerte dans une composition oxydante selon le document (1) permettait l'obtention d'une décoloration plus intense et aboutissait à une couleur plus claire des cheveux.

La solution qui consistait à incorporer un liquide inerte organique dans la composition oxydante du document (1) en vue d'améliorer la décoloration n'était pas évidente à la lumière de l'état de la technique. En particulier, les documents (2), (3) et (4) concernaient le problème du maintien du pouvoir de décoloration des compositions oxydantes lors de leur stockage et non pas l'amélioration du pouvoir de décoloration. L'objet des revendications du brevet tel que délivré impliquait par conséquent une activité inventive.

III. Dans son mémoire de recours la requérante a contesté la décision de la division d'opposition uniquement sur l'aspect de l'évidence de la solution proposée dans l'approche problème/solution, c'est-à-dire en partant du document (1) comme état de la technique le plus proche de l'invention et en considérant le problème objectif à résoudre celui de la mise à disposition de compositions ayant un meilleur pouvoir de décoloration. Pendant la procédure orale tenue devant la Chambre le 20 mars 2014 la requérante a soumis que les documents (2) ou (4) pouvaient aussi être considérés comme état de la technique le plus proche de l'invention. De plus, les essais comparatifs fournis par l'intimée (titulaire du brevet) ne démontraient pas un pouvoir de décoloration amélioré des compositions revendiquées par rapport aux compositions du document (1), car les essais comparatifs mettaient en ½uvre des compositions selon l'invention qui contenaient en plus du liquide inerte organique de la cire d'abeille. Ces deux arguments n'avaient pas été soulevés dans le mémoire de recours, mais avaient déjà été présentés devant la division d'opposition. L'intimée ne pouvait donc pas être surprise par ces arguments. Pour justifier la tardivité de ces objections, la requérante a expliqué que sa façon de considérer l'affaire avait évolué depuis le dépôt du mémoire de recours. En partant du document (1) comme état de la technique le plus proche et en considérant que le problème de l'augmentation du pouvoir de décoloration était résolu, la solution proposée consistant à incorporer un liquide organique inerte à la composition du document (1) de manière à former une pâte était évidente à la lecture des documents (2), (3) ou (4). En effet, ces documents enseignaient qu'une composition de décoloration sous forme de pâte avait un meilleur pouvoir de décoloration qu'une poudre. L'objet des revendications manquait donc d'activité inventive.

IV. L'intimée s'est opposée à l'introduction dans la procédure de recours des nouvelles attaques de la requérante consistant à partir d'un autre état de la technique le plus proche de l'invention et à contester la pertinence des essais comparatifs visant à une reformulation du problème technique. Ces nouvelles lignes d'argumentation n'avaient été soulevées que lors de la procédure orale devant la Chambre. Si elles étaient admises à ce stade de la procédure, l'intimée n'avait plus la possibilité d'y répondre par la production de nouveaux essais comparatifs et serait donc privée de son droit à être entendue. Dans l'hypothèse où ces nouvelles lignes d'argumentation étaient admises dans la procédure de recours, un renvoi de l'affaire devant la division d'opposition était nécessaire afin de bénéficier d'un double degré de juridiction.

En partant du document (1) comme état de la technique le plus proche de l'invention, l'homme du métier désirant améliorer le pouvoir de décoloration des compositions du document (1) n'aurait pas considéré les documents (2), (3) et (4). En effet ces documents visaient à résoudre les problèmes de formation de poussière et de désactivation pendant le stockage et il n'enseignait pas qu'une composition sous forme d'une pâte conduisît à une décoloration plus intense plutôt que sous la forme d'une poudre. La solution proposée par le brevet litigieux ne découlait donc pas de l'état de la technique et, par conséquent, impliquait une activité inventive.

V. La requérante a demandé l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet.

L'intimée a demandé au principal le rejet du recours, ou subsidiairement, le maintien du brevet sur la base de l'une des requêtes subsidiaires 1 à 3, déposées avec une lettre du 11 février 2011.

VI. La Chambre a rendu sa décision à la fin de la procédure orale.

Motifs de la décision

1. Le recours est recevable.

2. Nouvelles objections et lignes d'argumentation

2.1 Selon l'article 12(2) RPCR le mémoire exposant les motifs du recours doit contenir l'ensemble des moyens invoqués par la requérante. Les motifs pour lesquels il est demandé d'annuler la décision attaquée doivent y être présentés de façon claire, ainsi que l'exposé de tous les faits, arguments et justification qui sont invoqués. L'article 13(1) RPCR énonce que l'admission et l'examen de toute modification présentée par une requérante après que celle-ci a déposé son mémoire exposant les motifs du recours sont laissés à l'appréciation de la chambre.

2.2 Dans le cas d'espèce, la requérante au cours de la procédure orale devant la Chambre a d'une part considéré pour la première fois lors de la procédure de recours que l'état de la technique le plus proche de l'invention était non pas le document (1), mais le document (2) ou (4). En outre elle a remis en question la pertinence des essais comparatifs qui préalablement n'avait pas fait l'objet d'un contentieux. L'intimée s'est opposée à cette modification des moyens invoqués par la requérante, puisqu'elle n'avait plus la possibilité d'y répondre, notamment par le dépôt de nouveaux essais comparatifs.

En faveur de l'admissibilité de ses nouveaux moyens dans la procédure de recours, la requérante a soumis que l'intimée ne pouvait pas être surprise, puisque ces arguments avaient déjà été présentés devant la division d'opposition. Pour justifier de l'instant choisi pour développer ces lignes d'attaques, à savoir pendant la procédure orale devant la chambre, la requérante a indiqué que sa façon de considérer le cas d'espèce avait évolué depuis le dépôt du mémoire de recours.

2.3 Il est vrai que la requérante avait aussi considéré devant la division d'opposition que le document (2) pouvait représenter l'état de la technique le plus proche de l'invention et que les essais comparatifs ne permettaient pas de conclure que le problème technique avancé par l'intimée était résolu. Ces points ont été traités dans la décision attaquée par la division d'opposition qui a rejeté ces arguments pour conclure que le document (2) était un art antérieur plus éloigné de l'invention que le document (1) et que les essais comparatifs étaient pertinents malgré la présence de cire d'abeille dans le liquide inerte organique.

La requérante n'a pas contesté ces conclusions de la division d'opposition dans son mémoire exposant les motifs du recours laissant ainsi légitimement supposer qu'elle les acceptait et qu'elle renonçait à ces lignes d'argumentation pour justifier un manque d'activité inventive. Ainsi, contrairement à l'opinion de la requérante, le fait de reprendre ces objections pendant la procédure orale devant la chambre est inattendu, à la fois pour l'intimée et la Chambre. De plus, l'argument avancé par la requérante d'une évolution de sa façon de considérer le cas d'espèce pour justifier la tardivité de ces attaques est en contradiction avec le fait qu'elle avait déjà soulevé ces moyens devant la division d'opposition.

L'admission de ces arguments au stade tardif de la procédure orale devant la Chambre aurait eu comme conséquence son ajournement afin de garantir le droit à être entendu de l'intimée en lui permettant notamment de fournir de nouveaux essais comparatifs, ce que l'article 13(3) RPCR tend à interdire.

2.4 Dans ces circonstances particulières, la Chambre décide de ne pas admettre ces nouvelles lignes d'attaque dans la procédure de recours (article 13 RPCR). La requête conditionnelle d'un renvoi de l'affaire en première instance devient subséquemment caduque.

Requête principale: brevet tel que délivré

3. Activité inventive

La modification tardive des moyens invoquée par la requérante n'étant pas admise dans la procédure de recours, la seule question litigieuse est de savoir s'il était évident pour l'homme du métier d'ajouter un liquide inerte organique à la composition du document (1) afin d'intensifier la décoloration sur des cheveux.

Le document (1) divulgue une composition oxydante pour la décoloration des cheveux comprenant notamment des sels peroxygénés (persulfates de potassium et sodium), des agents alcalins (métasilicates de sodium et carbonate de magnésium), de la silice et un composé de type céramide, le N-oléyldihydrosphongosine (voir exemple 2, page 16).

Selon la requérante, le document (2) suggérerait à l'homme du métier d'ajouter un liquide inerte organique à la composition du document (1) entraînant la formation d'une pâte afin d'intensifier la décoloration des cheveux.

Le document (2) concerne des compositions sous forme de poudre comprenant des sels peroxygénés et de sels alcalins destinées à décolorer ou colorer en blond les cheveux (voir revendication 1, exemples). La requérante se réfère particulièrement aux passages de la colonne 1, lignes 32 à 45, de la colonne 2, lignes 38 à 47 qu'elle relie au passage de la colonne 3, lignes 18 à 28. Le paragraphe de la colonne 1 indique qu'un remède à la démixtion des compositions de décoloration résidait dans l'utilisation de particules très fines, mais que cette solution intensifiait cependant les problèmes de formation de poussière et de désactivation de la poudre par prise d'humidité. Le paragraphe de la colonne 2 décrit une solution apportée au problème de formation de poussière pour des compositions de (dé)coloration en blond consistant à ajouter une huile ou une cire liquide, tout en mentionnant comme inconvénient la formation d'un produit instable avec une perte du pouvoir de décoloration due à la teneur en eau et à la compacité de la poudre de départ.

La Chambre constate que les passages cités par la requérante ne font que confirmer l'objectif du document (2) présenté à la colonne 1, lignes 6 à 30, qui est de remédier aux problèmes rencontrés au cours de la manipulation, du transport et du stockage de compositions de décoloration, à savoir la formation de poussière, la formation de couches de densité différente résultant d'une démixtion de la poudre et la désactivation de la poudre par prise d'humidité. Le document (2) n'a pas pour objectif d'améliorer le pouvoir de décoloration et ne propose pas de solution à ce problème. De plus, le document (2) ne contient aucun enseignement suggérant qu'une amélioration du pouvoir de décoloration puisse être obtenue avec une composition sous forme de pâte plutôt que sous forme de poudre.

La requérante a mentionné que, par analogie, les documents (3) et (4) rendaient aussi évidente la solution proposée par le brevet litigieux. Cependant, comme souligné par la requérante, ces documents ont un enseignement très similaire à celui du document (2) et doivent donc être écartés pour les mêmes raisons.

Ainsi l'objet de la revendication 1 et, pour les mêmes raisons, celui des revendications dépendantes 2 à 11 impliquent une activité inventive. L'objet des revendications 12 et 13 concernant en un procédé ou un dispositif mettant en ½uvre les compositions des revendications 1 à 11 implique par conséquent également une activité inventive.

4. La Chambre faisant droit à la requête principale, il n'est point nécessaire de statuer sur les requêtes subsidiaires 1 à 3 de rang inférieur.

Dispositif

Par ces motifs, il est statué comme suit

Le recours est rejeté.

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