European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2008:T028206.20080306 | ||||||||
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Date de la décision : | 06 Mars 2008 | ||||||||
Numéro de l'affaire : | T 0282/06 | ||||||||
Numéro de la demande : | 98917226.7 | ||||||||
Classe de la CIB : | D04H 13/00 | ||||||||
Langue de la procédure : | FR | ||||||||
Distribution : | D | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
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Titre de la demande : | Procédé pour la réalisation de nappes fibreuses multiaxiales | ||||||||
Nom du demandeur : | SOCIETE NATIONALE D'ETUDE ET DE CONSTRUCTION DE MOTEURS D'AVIATION "SNECMA" | ||||||||
Nom de l'opposant : | Liba Maschinenfabrik GmbH SAERTEX GmbH & Co. KG |
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Chambre : | 3.2.06 | ||||||||
Sommaire : | - | ||||||||
Dispositions juridiques pertinentes : |
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Mot-clé : | Activité inventive (oui) Saisine de la Grande Chambre de recours (non) |
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Exergue : |
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Décisions citées : |
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Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
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Exposé des faits et conclusions
I. Par décision remise à la poste le 30 décembre 2005, la division d'opposition a rejeté l'opposition formée à l'encontre du brevet européen nº 0 971 102, délivré sur la base de la demande de brevet européen nº 98 917 226.7, car elle a considéré que les motifs d'opposition au titre de l'article 100(a) CBE (défaut de nouveauté et défaut d'activité inventive) ainsi qu'au titre de l'article 100(b) CBE (insuffisance de l'exposé de l'invention) ne s'opposaient pas au maintien du brevet.
II. Le libellé des revendications indépendantes 1, 44 et 57 du brevet tel que délivré est le suivant :
« 1. Procédé de réalisation d'une nappe fibreuse multiaxiale ayant une direction longitudinale, le procédé comprenant les étapes qui consistent à superposer au moins deux nappes unidirectionnelles amenées dans des directions différentes sur un support mobile dans une direction d'avance parallèle à la direction longitudinale de la nappe multiaxiale a réaliser, au moins l'une des nappes unidirectionnelles étant amenée transversalement à la direction d'avance en segments successifs formant un même angle choisi par rapport à la direction d'avance, et lier les nappes superposées entre elles, caractérisé en ce que l'une au moins des nappes unidirectionnelles, est formée par étalement d'au moins un câble de filaments de manière a obtenir une nappe d'épaisseur sensiblement uniforme, ayant une largeur au moins égale à 5 cm et une masse surfacique au plus égale à 300g/m**(2) et on confère à la nappe unidirectionnelle formée une cohésion transversale lui permettant d'être manipulée préalablement a sa superposition avec au moins une autre nappe unidirectionnelle. »
« 44. Nappe unidirectionnelle fibreuse cohérente formée d'au moins un câble de filaments étalé ayant un nombre de filaments au moins égal à 12K, la nappe étant caractérisée en ce qu'elle est formée de filaments discontinus et a une masse surfacique au plus égale à 300g/m**(2) et une largeur au moins égale à 5 cm. »
« 57. Procédé de réalisation d'une nappe fibreuse unidirectionnelle cohérente à partir d'au moins un câble de filaments continus ayant un nombre de filaments au moins égal à 12K, caractérisée en ce que le ou chaque câble est étalé et soumis à un étirage-craquage pour obtenir une bande unidirectionnelle de filaments discontinus, une nappe unidirectionnelle de filaments discontinus ayant une largeur au moins égale à 5 cm et une masse surfacique au plus égale à 300g/m**(2) est formée à partir d'au moins une bande unidirectionnelle, et une cohésion transversale est conférée à la nappe unidirectionnelle. »
III. Les requérantes I et II (opposantes I et II) ont formé un recours contre cette décision respectivement le 28 février 2006 et le 2 mars 2006. Les mémoires exposant les motifs des recours ont été déposés respectivement le 27 et le 29 avril 2006.
IV. Avec sa réponse aux mémoires de recours datée du 17 novembre 2006, l'intimée (propriétaire du brevet) a demandé le rejet des recours et le maintien du brevet tel que délivré, et elle a déposé de nouveaux documents, notamment le document
D12 : déclaration de M. Dominique Coupé datée 16 novembre 2006 et ses annexes 1 et 2.
Elle a ensuite déposé, avec lettre datée du 16 octobre 2007, des requêtes subsidiaires I à VIII au cas où la Chambre n'estimerait pas possible le rejet des recours.
V. Dans l'annexe à la convocation à la procédure orale, remise à la poste le 10 janvier 2007, la Chambre a indiqué que la procédure de recours se fondait uniquement sur le motif d'opposition de défaut d'activité inventive et pas sur les motifs d'opposition d'insuffisance de la description et de manque de nouveauté qui n'avaient pas été invoqués par les requérantes. La Chambre a en outre exprimé l'opinion préliminaire selon laquelle le document
D2 : DE-A-2 337 130
représentait l'état de la technique le plus proche pour l'objet de la revendication 1 et le document
D1 : DE-A-2 320 133
représentait l'état de la technique le plus proche pour l'objet des revendications indépendantes 44 et 57. La Chambre a ensuite indiqué qu'en ce qui concernait l'objet de la revendication 1, il semblait que la question à discuter était si l'homme du métier y serait arrivé en combinant D2 et D1, et, en ce qui concernait l'objet des revendications 44 et 57, si l'homme du métier y serait arrivé en combinant D1 et
D10 : EP-B2-0 272 088.
VI. Une procédure orale, à l'issue de laquelle la Chambre a rendu sa décision, a eu lieu le 6 mars 2008.
Les requérantes ont demandé l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet européen et, à titre auxiliaire, que la question de droit suivante soit soumise à la Grande Chambre de recours :
« Darf ein Parteigutachten als entscheidungserhebliches Beweismittel bezüglich des mit einer eingeschränkten Anzahl von Versuchen geführten angeblichen Beweises des Unvereinbarkeit zweier Dokumente des Standes der Technik für eine Entscheidung seitens der Beschwerdekammer herangezogen werden ? ».
L'intimée a demandé le rejet des recours ou le maintien du brevet sur la base d'une des requêtes subsidiaires I à VIII soumises avec la lettre du 16 octobre 2007.
VII. Au soutien de leurs requêtes, les requérantes ont développé pour l'essentiel les argumentations suivantes :
Le document D2 divulguait toutes les caractéristiques de la revendication 1 du brevet en cause à l'exception de la caractéristique selon laquelle l'une au moins des nappes unidirectionnelles était formée par étalement d'au moins un câble de filaments de manière à obtenir une nappe d'épaisseur sensiblement uniforme, ayant une largeur au moins égale à 5 cm et une masse surfacique au plus égale à 300g/m**(2). Cette caractéristique était divulguée par le document D1, qui, comme D2, concernait des matériaux composites constitués par plusieurs nappes fibreuses unidirectionnelles, chacune ayant une cohésion transversale, et disposées selon des directions différentes. D1 décrivait que cette caractéristique apportait les mêmes avantages que ceux décrits dans le brevet en cause, notamment une meilleure qualité de surface, une bonne déformabilité, et un poids réduit de la nappe. L'homme du métier aurait donc été incité à combiner les enseignements de D2 et D1. La prétendue incompatibilité entre le matériau d'encollage utilisé dans D1 pour conférer à la nappe une cohésion transversale et l'aiguilletage utilisé pour lier les nappes individuelles n'aurait pas détourné l'homme du métier de cette combinaison. En réalité l'encollage en soi n'était pas incompatible avec l'aiguilletage. La titulaire n'avait pas apporté de preuve objective qu'une nappe traitée avec la résine époxyde divulguée par D1 ne pouvait pas être aiguilletée, le document D12 n'étant qu'une déclaration émanant d'une partie. La question à soumettre à la Grande Chambre de recours portait justement sur ce dernier point et était donc pertinente pour la décision à prendre. Par ailleurs, l'enseignement de D1 n'était pas limité à la résine époxyde comme matériau d'encollage et l'homme du métier aurait donc pu choisir un matériau d'encollage convenant pour l'aiguilletage. En outre, D2 n'était pas limité à l'aiguilletage comme moyen de liaison des nappes superposées.
La nappe fibreuse selon la revendication 44 était évidente soit au vu du document D1 et des connaissances générales de l'homme du métier, telles que décrites par exemple par le document
D3b : extrait de « Faserverbundbauweisen, Halbzeuge und Bauweisen », par M. Flemming et autres, Springer-Verlag 1996, pages 51,52, 54-57, 71, 106, 108 et 115,
soit au vu des documents D1 et D10. En effet, il était bien connu que les nappes formées de filaments discontinus avaient une déformabilité meilleure que celles formées de filaments continus telle que la nappe divulguée par D1. Par ailleurs, ceci était spécifiquement divulgué par D10. L'homme du métier voulant augmenter la déformabilité de la nappe connue de D1 aurait donc été incité à y prévoir des filaments discontinus. Ceux-ci pouvaient être obtenus en particulier par étirage-craquage des filaments continus, de la manière décrite par D10. Ici aussi, le fait que selon l'enseignement de D1 il était conféré aux filaments de la nappe une cohésion transversale au moyen d'un matériau d'encollage, n'aurait pas empêché à l'homme du métier de combiner D1 et D10, car il aurait pensé à utiliser un matériau d'encollage compatible avec l'étirage-craquage. D12 ne prouvait pas que la résine époxyde spécifiquement divulguée par D1 comme exemple d'un matériau d'encollage, était incompatible avec l'étirage-craquage.
L'objet de la revendication 57 concernait un procédé de réalisation d'une nappe unidirectionnelle de filaments discontinus selon lequel des filaments continus étaient soumis à un étirage-craquage qui, de manière analogue à l'objet de la revendication 44, était rendu évident par la combinaison de D1 et D10.
VIII. L'intimée a argumenté en substance comme suit :
Le document D1 divulguait un produit fini qui était une nappe unidirectionnelle de haute performance obtenue par étalement de câbles de filaments continus. Après étalement, chaque câble était traité avec un matériau d'encollage qui servait pour effectuer le calibrage du câble étalé et pour maintenir sa forme après le calibrage. Plusieurs câbles étaient ensuite disposés côte à côte et rendus solidaires par l'application d'un fil thermofusible. Plusieurs couches de cette nappe pouvaient être superposées et croisées pour obtenir un matériau composite très résistant. Selon le procédé connu du document D2, les nappes unidirectionnelles ne constituaient pas des produits finis mais des produits intermédiaires qui n'avaient pratiquement pas de cohésion transversale. En effet, l'aiguilletage effectué sur une nappe ne servait pas à conférer une cohésion transversale mais uniquement à faire sortir des fibrilles pour améliorer l'accrochage mécanique des nappes qui viendraient se superposer.
L'homme du métier n'avait aucune raison de penser à remplacer le produit intermédiaire utilisé dans le procédé de D2 par le produit fini indéformable à haute performance de D1. Par ailleurs, l'homme du métier aurait remarqué que si on utilisait les nappes de D1 dans le procédé de D2, non seulement l'aiguilletage n'était pas applicable à cause du matériau d'encollage, comme démontré par les résultats des essais annexés à la déclaration D12, mais aussi que l'aiguilletage des nappes superposées aurait dégradé les performances des nappes individuelles. Cela n'avait pas de sens car impliquait de méconnaître l'enseignement spécifique de D1 prévoyant une nappe indéformable à haute performance.
Au vu de cet enseignement spécifique de D1 il n'y avait pas non plus de sens à considérer le problème d'augmentation de la déformabilité de la nappe selon D1. Appliquer l'enseignement de D10, consistant à former des filaments discontinus par craquage, à la nappe de D1, signifiait renoncer aux performances de la nappe. En outre, la présence d'un matériau d'encollage, tel qu'une résine époxyde, était incompatible avec le craquage parce ce qu'en pareil cas on ne pouvait pas obtenir une nappe exploitable, comme démontré également par les résultats des essais annexés à la déclaration D12. Le document D3b divulguait des nappes formées de filaments discontinus obtenues par des techniques propres de l'industrie papetière et n'était donc pas pertinent.
Motifs de la décision
1. Les recours sont recevables.
2. La requête principale de l'intimée étant le rejet des recours et par conséquent le maintien du brevet tel que délivré, la seule question à considérer pour statuer sur la requête principale, est si le motif d'opposition de manque d'activité inventive s'oppose au maintien du brevet sans modifications (voir point V ci-dessus).
3. Revendication indépendante 1
3.1 Lors de la procédure orale les requérantes ont déclaré qu'elles ne contestaient pas l'opinion de la Division d'opposition (voir point III.2 de la décision faisant l'objet du recours), suivie provisoirement par la Chambre dans la notification annexée à la convocation à la procédure orale (voir point V ci-dessus), selon laquelle le document D2 représente l'état de la technique le plus proche pour le procédé selon la revendication 1 du brevet en cause. De l'avis de la Chambre D2 représente effectivement l'état de la technique le plus proche. Il concerne un procédé très similaire de réalisation d'une nappe fibreuse multiaxiale, qui est conçu dans le même but que le brevet en cause, à savoir abaisser le coût de fabrication de nappes réalisées avec des fibres réputées onéreuses, telles que les fibres de carbone (voir par. [0021] du brevet en cause et le 2**(ème) par. de la page 3 du document D2).
En utilisant la terminologie du brevet en cause, D2 divulgue un procédé de réalisation d'une nappe fibreuse multiaxiale ayant une direction longitudinale, le procédé comprenant (voir figure 2) les étapes qui consistent à superposer au moins deux nappes unidirectionnelles (30, 34) amenées dans des directions différentes sur un support mobile dans une direction d'avance parallèle à la direction longitudinale de la nappe multiaxiale a réaliser, au moins l'une des nappes unidirectionnelles (34) étant amenée transversalement à la direction d'avance en segments successifs formant un même angle choisi par rapport à la direction d'avance, et à lier les nappes superposées entre elles (par aiguilletage au moyen du dispositif 14). Etant donné que la nappe unidirectionnelle (30) est soumise à aiguilletage préalablement à sa superposition avec l'autre nappe unidirectionnelle (34 ; voir fig. 1, page 4, le 3**(ème) par. de la page 9, le 2**(ème) par. de la page 13), et que l'aiguilletage comporte nécessairement un entremêlement des fibres, il s'ensuit que ladite nappe unidirectionnelle (30) a une cohésion transversale lui permettant d'être manipulée préalablement à la superposition avec l'autre nappe unidirectionnelle. Par ailleurs, ladite nappe (30) est effectivement manipulée en ce qu'elle est d'abord enroulée sur une bobine (voir Fig. 1) puis déroulée de la bobine (voir Fig. 2).
D2 ne divulgue pas la caractéristique de la revendication 1 du brevet en cause selon laquelle l'une au moins des nappes unidirectionnelles est formée par étalement d'au moins un câble de filaments de manière à obtenir une nappe d'épaisseur sensiblement uniforme, ayant une largeur au moins égale à 5 cm et une masse surfacique au plus égale à 300 g/m**(2).
3.2 Cette caractéristique distinctive permet de réaliser des nappes multiaxiales dépourvues de défauts de surface, tels que des trous ou ondulations, et d'aspect de surface lisse (voir par. [0036] du brevet en cause), et de manière plus économique (voir par. [0031] et [0032] du brevet en cause).
Le problème objectif à résoudre en partant du document D2 consiste donc à réaliser de manière plus économique des nappes multiaxiales ayant une meilleure qualité de surface.
3.3 Le document D1 décrit un procédé de réalisation d'une nappe fibreuse ayant une direction longitudinale, dans lequel une nappe unidirectionnelle est formée par étalement de plusieurs câbles de filaments (voir le deuxième paragraphe de la page 3) de manière à obtenir une nappe d'épaisseur sensiblement uniforme, ayant une largeur supérieure à 5 cm (voir l'exemple 1 dans lequel on utilise 180 câbles) et une masse surfacique inférieure à 300g/m**(2) (page 3, 3**(ème) par.). Selon l'enseignement de D1 (voir les revendications 1, 7 et la page 4, 3**(ème) et dernier paragraphes), on dispose côte à côte plusieurs câbles étalés pour former une nappe et l'on dépose un fil thermoplastique qu'on fait fondre pour maintenir les filaments parallèles et jointifs. Grâce au fil thermoplastique on confère donc à la nappe unidirectionnelle ainsi formée une cohésion transversale.
D1 divulgue que chaque câble étalé doit être calibré avant formation de la nappe, pour pouvoir atteindre le poids final désiré de la nappe (voir page 5, dernier paragraphe - page 6, premier paragraphe). Pour effectuer le calibrage dans de bonnes conditions et le conserver jusqu'à la fabrication de la nappe, D1 enseigne qu'il est nécessaire d'utiliser un matériau d'encollage, par exemple une résine époxyde (voir page 6, 2**(ème) par.).
D1 divulgue en outre qu'on peut superposer plusieurs couches de nappes, orientées dans des directions différentes, pour obtenir un matériau composite très résistant (voir page 7, 3**(ème) alinéa).
D1 ne concerne donc pas un procédé de réalisation d'une nappe multiaxiale par superposition de nappes du type décrit par D2, mais un procédé de réalisation d'une nappe unidirectionnelle, qui a un poids, une direction des filaments à haute performance et une tenue désirés (voir page 8, 3**(ème) par.), et une très bonne tenue aux manipulations ultérieures qu'elle peut subir (voir page 8, 2**(ème) paragraphe), par exemple lors de la fabrication de matériaux composites stratifiés (voir page 8, 4**(ème) paragraphe).
Etant donné que :
a) D1 divulgue un produit fini (comme l'a par ailleurs justement remarqué la Division d'opposition, voir page 6 de la décision contestée) qui est dimensionnellement précis et très stable,
b) que les nappes unidirectionnelles utilisées dans le procédé selon D2 ne sont que des produits intermédiaires constitués de filaments liés par aiguilletage (page 9, 3**(ème) par.),
c) que les nappes unidirectionnelles de D2 ne nécessitent pas la précision et la stabilité dimensionnelle du produit fini de D1, car elles ne doivent pas subir de manipulation particulière autre que l'enroulement et le déroulement d'une bobine, laquelle en soi assure déjà le maintien des filaments en position sans besoin ultérieur de moyens,
d) que les filaments des nappes unidirectionnelles de D2, contrairement aux filaments du produit fini de D1, ne doivent pas avoir une cohésion trop élevée afin de permettre le déplacement des filaments lors de l'aiguilletage des nappes superposées (voir page 4, dernière et avant dernière phrases),
e) que ledit aiguilletage est une étape nécessaire, selon l'enseignement de D2 relatif à la réalisation d'une nappe multiaxiale, pour lier les nappes unidirectionnelles (voir revendication 1 ; l'utilisation d'une résine pour lier les filaments décrite à la page 6 ainsi qu'à la page 19 est prévue comme mesure additionnelle pour lier ultérieurement les filaments des nappes),
la Chambre estime qu'il ne serait pas venu de manière évidente à l'esprit de l'homme du métier que le produit fini divulgué par D1 aurait pu être utilisé au lieu des produits intermédiaires (nappes unidirectionnelles) dans le procédé selon D2. En effet, non seulement il aurait considéré que la précision et stabilité dimensionnelle du produit fini de D1 serait inutile et donc superflue pour le procédé de D2 (points a) à c) ci-dessus), mais aussi que la cohésion élevée des filaments dudit produit fini aurait représenté un désavantage technique pour le procédé de D2 en particulier lors de l'étape d'aiguilletage (points d et e ci-dessus).
3.4 Il est vrai que D1 décrit que la nappe présente une texture très close, c'est-à-dire que les filaments sont disposés les uns contre les autres substantiellement sans laisser d'interstices entre eux (voir page 4, 2**(ème) paragraphe), donc que la nappe a une bonne qualité de surface. Ceci n'est toutefois pas le résultat direct de la caractéristique selon laquelle les nappes sont formées par étalement de plusieurs câbles de filaments, mais aussi des caractéristiques selon lesquelles les filaments sont liés par le matériau d'encollage et par les fils thermoplastiques. L'homme du métier n'aurait donc aucune raison d'extraire uniquement la caractéristique relative à l'étalement de plusieurs câbles de filaments de la globalité de l'enseignement de D1 dans le but de résoudre le problème technique objectif ci-dessus mentionné.
3.5 Les autres documents cités pendant la procédure de recours ne fournissent eux non plus aucune indication pouvant suggérer à l'homme du métier la solution du problème technique susmentionnée telle que définie par la revendication 1 du brevet en cause. Par ailleurs les requérantes n'ont plus fait référence à des documents autres que D1 et D2 lors de la procédure orale.
4. Revendication indépendante 44
4.1 En ce qui concerne l'objet de la revendication 44, l'état de la technique le plus proche est incontestablement représenté par le document D1, qui divulgue une nappe unidirectionnelle fibreuse cohérente formée de plusieurs câbles de filaments étalés ayant une masse surfacique inférieure à 300g/m**(2) et une largeur supérieure à 5 cm (voir point 3.3 ci-dessus).
L'objet de la revendication 44 s'en distingue en ce que le câble a un nombre de filaments au moins égal à 12K et en ce que la nappe est formée de filaments discontinus.
4.2 Grâce à l'utilisation de gros câbles (nombre de filaments égal ou supérieur à 12K) la nappe a un coût contenu (voir par. [0029] à [0031] du brevet) et grâce à l'utilisation de filaments discontinus (au lieu des filaments continus de la nappe selon D1) la nappe a une meilleure déformabilité.
Le problème objectif à résoudre en partant du document D1 consiste donc à réaliser une nappe ayant une meilleure déformabilité et un coût contenu.
4.3 La Chambre suit les requérantes dans leurs argumentations selon lesquelles il est connu en général, et en particulier des documents D10 et D3b, que les nappes formées de filaments discontinus sont, en principe, plus déformables que celles formées de filaments continus. La Chambre est toutefois d'avis que les argumentations des requérantes selon lesquelles il serait évident pour l'homme du métier de modifier, en particulier par étirage-craquage comme divulgué par D10, les filaments de la nappe selon D1, en les rendant discontinus, ne découle pas logiquement de l'état de la technique mais relève d'une analyse a posteriori.
En effet, comme expliqué ci-dessus au point 3.3, D1 concerne une nappe de dimensions précises et très stables, dans laquelle les filaments continus sont maintenus jointifs et parallèles, la nappe ayant poids, direction des filaments à haute performance et tenue désirés, ainsi qu'une très bonne tenue aux manipulations ultérieures qu'elle peut subir. Le but général du document D1 est de réaliser une nappe très performante en particulier pour la confection d'organes devant présenter une grande résistance aux contraintes et aux chocs mécaniques et thermiques (voir page 8, 4**(ème) par.). Il s'agit donc essentiellement d'une nappe qui est intentionnellement peu déformable mais très résistante. Ce serait donc aller à l'opposé de l'enseignement de D1 que de vouloir modifier la nappe en y prévoyant des fibres discontinues car, même si cela aurait pour effet de la rendre plus déformable, la nappe perdrait ses caractéristiques de résistance. En réalité, de l'avis de la Chambre, si, face au problème d'amélioration de la déformabilité de la nappe de D1, l'homme du métier devait envisager d'utiliser des nappes formées de fibres discontinues, il ne penserait pas à prévoir une étape de transformation des fibres continues en des fibres discontinues dans le procédé selon D1, mais plutôt à utiliser directement une nappe unidirectionnelle connue constituée de fibres discontinues, telle que celle divulguée par D10 (voir page 2, lignes 23 à 25). En effet, l'introduction d'une telle étape de transformation dans le procédé selon D1 pose plusieurs problèmes pratiques dont la solution n'est pas immédiate (par exemple à quel moment prévoir l'étape d'étirage-craquage, en particulier avant ou après le dépôt du fil thermoplastique), et il n'est pas non plus directement évident qu'un étirage craquage soit compatible avec les filaments de la nappe de D1 qui sont maintenus jointifs et parallèles par un matériau d'encollage, qui ne correspond pas au matériau « finish » utilisé dans D10, lequel a une consistance visqueuse suffisante pour conserver une cohésion au ruban sans être collant (voir D10, page 2, lignes 50 à 55).
À ce sujet la Chambre remarque qu'il n'est pas exclu qu'en pratique le matériau d'encollage divulgué par D1 ne soit pas incompatible avec l'étirage-craquage, ou que seulement certains matériaux particuliers ne le soient pas. Ce qui compte toutefois en ce qui concerne le raisonnement ci-dessus, est que les requérantes n'ont pas démontré que l'homme du métier à la base de ses connaissances générales et au vu de la fonction du matériau d'encollage divulguée par D1, ne verrait a priori aucune difficulté technique à effectuer une étape d'étirage-craquage sur la nappe de D1. Par ailleurs, les requérantes n'ont pas non plus démontré que le matériau « finish » utilisé dans D10 serait un matériau d'encollage au sens de D1. Au vu des différentes conditions de liaison des filaments continus dans D1 et D10, l'homme du métier ne pourrait donc conclure que l'étirage-craquage selon D10 serait directement applicable à la nappe selon D1.
4.4 La Chambre ne peut donc suivre les requérantes dans leur argumentation selon laquelle l'objet de la revendication 44 n'implique pas d'activité inventive.
5. Revendication 57
La conclusion exposée ci-dessus pour la revendication 44 s'applique aussi à la revendication 57 de procédé, du fait qu'elle concerne la fabrication d'une nappe comportant toutes les caractéristiques de la revendication 44 et que les requérantes ont soumis à l'égard de la revendication 57 des arguments analogues basés sur la combinaison de D1 avec D10.
6. Question de droit
La question posée par les requérantes dans leur requête subsidiaire en vue de saisir la Grande Chambre de recours (article 112(1)a) CBE), à savoir si la Chambre peut considérer comme moyen de preuve essentiel pour statuer sur une affaire une expertise produite par une partie, qui se base sur un nombre limité d'essais et sert à démontrer une prétendue incompatibilité entre deux documents de l'état de la technique, rentre dans la cadre général de l'appréciation des moyens de preuve de la part d'une instance de l'Office Européen des brevets. Selon la jurisprudence constante et bien établie des Chambres de recours (voir « La Jurisprudence des Chambres de recours de l'Office européen des brevets », 5**(ème) édition 2006, VI.K.4, voir aussi en particulier T 482/89, JO 1992, 646) on applique à cet effet le principe de la libre appréciation des preuves. Ceci veut dire que l'instance qui doit rendre la décision tient compte de l'ensemble de l'instruction et de la procédure, selon sa libre conviction, sans être liée par des règles d'application légales, pour déterminer la réalité d'un fait invoqué par les parties.
La Chambre ne peut donc qu'immédiatement remarquer indépendamment de toute autre considération que la question posée ne concerne pas une question de droit non résolue d'importance fondamentale. Par conséquent, il n'y a pas lieu de soumettre à la Grande Chambre de recours la question formulée par les requérantes en tant que requête subsidiaire.
7. Pour les raisons données ci-dessus il s'ensuit que les argumentations avancées par les requérantes ne peuvent convaincre la Chambre de remettre en question la décision de la Division d'opposition.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
La requête visant à soumettre une question à la Grande Chambre de recours et les recours sont rejetés.