European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2008:T138304.20080701 | ||||||||
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Date de la décision : | 01 Juillet 2008 | ||||||||
Numéro de l'affaire : | T 1383/04 | ||||||||
Numéro de la demande : | 00400778.7 | ||||||||
Classe de la CIB : | A61K 7/00 | ||||||||
Langue de la procédure : | FR | ||||||||
Distribution : | D | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
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Titre de la demande : | Composition foisonnée, son procédé de fabrication et son utilisation notamment comme composition cosmétique | ||||||||
Nom du demandeur : | L'ORÉAL | ||||||||
Nom de l'opposant : | Beiersdorf Aktiengesellschaft Henkel AG & Co. KGaA |
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Chambre : | 3.3.07 | ||||||||
Sommaire : | - | ||||||||
Dispositions juridiques pertinentes : |
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Mot-clé : | Clarté des revendications (oui) Suffisance de l'exposé (oui) Activité inventive (oui) - alternative non évidente |
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Exergue : |
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Décisions citées : |
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Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
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Exposé des faits et conclusions
I. L'opposante I (ci-après la requérante) a introduit un recours le 6 décembre 2004 contre la décision de la division d'opposition, remise à la poste le 18 octobre 2004, de rejeter les deux oppositions formées à l'égard du brevet européen nº 1 046 387. La revendication indépendante 1 du brevet tel que délivré s'énonçait comme suit :
"1. Composition foisonnée sous forme d'émulsion huile-dans-eau, comprenant dans un milieu physiologiquement acceptable, une phase huileuse dispersée dans une phase aqueuse, caractérisée en ce qu'elle contient de l'air ou un gaz inerte en une quantité d'au moins 30% en volume par rapport au volume total de l'émulsion, pour avoir une densité allant de 0,2 à 0,8 (g/cm**(3)) cette densité étant mesurée à une température d'environ 25ºC et à la pression atmosphérique, en ce qu'elle contient au moins un polymère amphiphile et au moins un tensioactif anionique et en ce qu'elle comprend au moins un émulsionnant."
II. Les deux oppositions, formées en vue d'obtenir la révocation du brevet en sa totalité, étaient fondées en particulier sur un manque d'activité inventive au vu entre autres des documents suivants :
(3) E. Desmond Godard and David D. Braun, "A New Surface Active Cationic Cellulosic Polymer", Cosmetics & Toiletries, Vol. 100, juillet 1985, pages 41 à 47,
(4) Robert Y. Lochhead "Water-Soluble Polymers, Solution Adsorption and Interaction Characteristics", Cosmetics & Toiletries, Vol. 107, septembre 1992, pages 131 à 156, et
(10) CH-A-674804.
III. Selon la décision contestée, l'homme du métier, partant du document (3) comme état de la technique le plus proche, et cherchant à obtenir une composition sous forme d'une mousse stable pendant plusieurs mois à température ambiante, de texture légère, tout en étant fraîche et non collante, n'aurait pas été incité par l'état de la technique à concevoir la composition selon les revendications attaquées. L'objet revendiqué était donc inventif. La décision mentionnait également que les opposantes avaient retiré leurs objections selon lesquelles l'exposé de l'invention était insuffisant (article 100 b) CBE) et l'objet revendiqué manquait de nouveauté (article 100 a) CBE).
IV. Le mémoire de recours daté du 8 Février 2005 se basait uniquement sur le motif selon lequel l'objet revendiqué n'était pas inventif.
V. En réponse au mémoire exposant les motifs du recours, l'intimée (titulaire du brevet) a soumis par lettre du 16 Août 2005 un rapport d'essais (ci-après dénommé document (23)) et sept requêtes subsidiaires. La requête subsidiaire 1, qui était identique à la requête subsidiaire 2 soumise devant la division d'opposition, différait du jeu de revendications tel que délivré par l'insertion dans la revendication 1 de la définition de l'émulsionnant, celle-ci s'énonçant comme suit :
"1. Composition foisonnée sous forme d'émulsion huile-dans-eau, comprenant dans un milieu physiologiquement acceptable, une phase huileuse dispersée dans une phase aqueuse, caractérisée en ce qu'elle contient de l'air ou un gaz inerte en une quantité d'au moins 30% en volume par rapport au volume total de l'émulsion, pour avoir une densité allant de 0,2 à 0,8 (g/cm**(3)) cette densité étant mesurée à une température d'environ 25ºC et à la pression atmosphérique, en ce qu'elle contient au moins un polymère amphiphile et au moins un tensioactif anionique et en ce qu'elle comprend au moins un émulsionnant choisi parmi les tensioactifs non ioniques ayant un HLB égal ou supérieur à 9 et les émulsionnants siliconés."
VI. Une procédure orale a eu lieu le 1**(er) juillet 2008, de laquelle l'opposante II, partie de droit à la procédure de recours en vertu de l'article 107, 2ème phrase CBE, s'est tenue absente, ainsi qu'annoncé dans sa lettre datée du 14 Mai 2008.
VII. La requérante a demandé l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet.
VIII. L'intimée a demandé au cours de la procédure orale l'annulation de la décision contestée et le maintien du brevet uniquement sur la base de la requête intitulée "requête subsidiaire 1" soumise par lettre du 16 août 2005.
IX. La partie de droit à la procédure n'a soumis aucun argument, ni formulé de requête.
X. La requérante a présenté en relation avec la requête intitulée "requête subsidiaire 1" les arguments suivants :
a) Tout en reconnaissant que l'indice HLB ("Hydrophile Lipophile Balance") définissait de manière usuelle les tensioactifs non ioniques, la revendication 1 n'indiquait pas pour autant par quelle méthode de calcul celui-ci devait être déterminé. Or l'indice HLB pouvait être calculé de deux manières différentes, suivant les méthodes de Griffin ou de Davies. De plus, l'expression "émulsionnants siliconés" n'avait pas une signification reconnue pour l'homme du métier. Il en était donc déduit que l'insertion de la caractéristique "les tensioactifs non ioniques ayant un HLB égal ou supérieur à 9 et les émulsionnants siliconés" conduisait à une ambiguïté quant à la signification de la revendication 1, contrairement aux exigences de l'article 84 CBE.
b) Les compositions foisonnées selon la revendication 1 étaient caractérisées par leur stabilité. Or l'intimée avait montré avec la composition B selon le document (23) qu'une composition comprenant toutes les caractéristiques de la revendication 1, en particulier le sucrose de stéarate comme agent émulsionnant, n'était pas stable. Il en était donc déduit que l'exposé de l'invention était insuffisant pour que l'homme du métier puisse exécuter l'invention sur toute la portée de la revendication 1.
c) La nouveauté de l'objet revendiqué n'était pas mise en cause.
d) L'analyse de l'activité inventive partant comme état de la technique le plus proche des émulsions huile-dans-eau en général, telle qu'elle avait été effectuée dans le mémoire exposant les motifs du recours, n'a plus été poursuivie au cours de la procédure orale. Il a été considéré que l'état de la technique le plus proche était représenté par le document (3) qui divulguait page 47 des émulsions huile-dans-eau contenant le polymère amphiphile Quatrisoft(LM-200, les propriétés moussantes de ce polymère, ainsi que la stabilité des mousses qu'il permettait d'obtenir.
e) Il a été déclaré lors de la procédure orale, que si l'on partait du document (10) comme état de la technique le plus proche, le problème résolu par l'objet revendiqué était la mise à disposition d'une alternative aux compositions foisonnées décrites dans ce document. Le document (10) était considéré divulguer des compositions foisonnées stables comprenant les émulsionnants non ioniques XALIFIN-15 et ISOXAL H, dont les indices HLB étaient supérieurs à 9, ainsi que le polyéther cellulosique HYDRORHAMNOSAN en tant qu'épaississant, qui était un polymère amphiphile. Or, le document (4), qui indiquait que des polymères amphiphiles à base d'hydroxycelluloses comprenant des groupements hydrophobes stabilisaient les mousses (page 153, colonne de gauche, lignes 8-9), décrivait également dans le même passage que cet effet stabilisant était accru par l'addition de tensioactifs, en particulier le dodécylsulfate de sodium, un tensioactif anionique qui appartenait à un groupe préféré de tensioactifs selon le brevet litigieux. De plus, il faisait partie des connaissances générales de l'homme du métier d'utiliser des tensioactifs anioniques pour obtenir un effet moussant. Le document (3) suggérait par ailleurs l'utilisation d'un agent amphiphile et d'un tensioactif anionique pour obtenir des mousses stables. Il était également noté que la revendication 1 du brevet litigieux n'excluait pas l'utilisation d'une protéine animale. Par conséquent, l'homme du métier souhaitant fournir une alternative aux compositions foisonnées décrites dans le document (10), aurait été amené à leur ajouter un tensioactif anionique, arrivant ainsi sans activité inventive à l'objet de la revendication 1 en litige.
XI. L'intimée a présenté en relation avec la requête intitulée "requête subsidiaire 1" les arguments suivants :
a) Il était usuel de définir des tensioactifs non ioniques par leur indice HLB, comme le montraient les documents de l'état de la technique, et les méthodes de calcul selon Griffin ou Davies pour le déterminer ne conduisaient pas pour cette catégorie de tensioactifs à des différences marquées. De plus l'expression "émulsionnants siliconés" signifiait pour l'homme du métier un émulsionnant comprenant des groupements silicones. Par conséquent, l'insertion de la caractéristique "les tensioactifs non ioniques ayant un HLB égal ou supérieur à 9 et les émulsionnants siliconés" ne conduisait pas à un manque de clarté de la revendication 1.
b) La stabilité des compositions foisonnées était une qualité inhérente aux compositions revendiquées, qui résultait des différents composés contenus dans les compositions selon la revendication 1. L'exposé de l'invention était donc suffisant pour que l'homme du métier puisse exécuter l'invention.
c) Le but du brevet en litige était de fournir des mousses cosmétiques qui restent stables pendant leur durée de commercialisation, c'est à dire une stabilité bien plus importante que celle souhaitée pour des mousses de rasage ou des mousses devant être appliquées sur les cheveux.
d) Le document (3) était considéré représenter l'état de la technique le plus proche. Il a cependant été déclaré lors de la procédure orale, que si l'on devait partir des compositions foisonnées divulguées dans le document (10) comme état de la technique le plus proche, le problème résolu par les compositions selon le brevet litigieux était de fournir des compositions foisonnées qui soient stables pendant la durée de leur commercialisation sans pour autant utiliser des protéines d'origine animale, dont on cherchait à éviter l'utilisation. Pour ce faire, les compositions selon l'invention devaient contenir entre autres un agent amphiphile et un tensioactif anionique, dont l'utilisation n'était pas suggérée par le document (10). Contrairement à l'opinion de la requérante, il n'avait pas été montré que le polyéther cellulosique HYDRORHAMNOSAN, mentionné dans le document (10), était de nature amphiphile, le brevet litigieux indiquant au paragraphe [0016] qu'il était requis pour un tel polymère qu'il contienne des substituants hydrophobes. De plus, aucun des documents cités par la requérante ne suggérait l'utilisation d'un tensioactif anionique dans le cadre de compositions foisonnées.
e) Le document (3) ne concernait pas des compositions foisonnées. Les émulsions décrites dans ce document qui comprenaient le polymère cellulosique cationique Quatrisoft(LM-200 n'avaient pas trait à des mousses. Les propriétés de moussage mentionnées dans ce document concernaient les solutions aqueuses dudit polymère en présence d'un gaz propulseur. L'effet recherché, c'est à dire l'aptitude de la composition à mousser, était différent de celui recherché par l'invention présente, qui concernait la stabilisation des bulles de gaz dans l'émulsion. De plus, la stabilité recherchée dans le cadre du brevet attaqué, qui correspondait à la durée de commercialisation des compositions, n'était pas du même ordre de grandeur que celle mentionnée dans le document (3), qui tout au plus était d'environ 24 heures. Par ailleurs, il n'était pas indiqué que les émulsions divulguées dans le document (3) devaient également contenir pour être stables à la fois un tensioactif anionique et un émulsionnant. De plus, le document (3) n'incitait pas à ajouter un émulsionnant à la composition exemplifiée dans ce document. L'invention revendiquée ne pouvait donc découler du document (3) d'une manière évidente.
f) Le document (4) ne concernait pas des compositions foisonnées, mais des aérosols. Ce document incitait certes de manière séparée à utiliser un polymère hydrosoluble hydrophobiquement modifié comme agent moussant ou comme agent stabilisant des émulsions-huile-dans eau, mais il ne suggérerait pas de l'utiliser pour stabiliser des compositions foisonnées. Le document (4) enseignait par ailleurs au premier paragraphe de la page 153 de se méfier des associations entre les hydroxyéthylecelluloses cationiques hydrophobes et les surfactants, dont l'ajout pouvait avoir un effet néfaste sur la stabilité des émulsions.
g) L'objet revendiqué était donc inventif.
XII. La décision a été prononcée à l'issue de la procédure orale.
Motifs de la décision
1. Le recours est recevable.
2. Modifications
Les revendications selon la seule requête intitulée "subsidiaire 1" se différencient des revendications telles que délivrées par l'incorporation dans la revendication 1 de la caractéristique définissant la nature de l'émulsionnant qui est "choisi parmi les tensioactifs non ioniques ayant un HLB égal ou supérieur à 9 et les émulsionnants siliconés". Cette modification, qui se fonde sur la page 7, lignes 40 à 45 et sur la page 8, ligne 4 de la demande de brevet telle que déposée, limite également la protection conférée par le brevet tel que délivré, ne contrevenant pas ainsi aux exigences de l'article 123 (2) et (3) CBE. Ceci n'a pas été contesté par la requérante.
3. Clarté
3.1 La requérante a objecté la définition des émulsionnants introduite dans la revendication 1 au titre de l'article 84 CBE. Selon l'argumentation de la requérante, la définition des émulsionnants ne serait pas claire au vu d'une part que la méthode pour calculer l'indice HLB n'est pas définie et d'autre part que l'expression "émulsionnants siliconés" n'aurait pas de signification reconnue pour l'homme du métier.
3.2 Le texte de la revendication présente s'adresse à l'homme du métier spécialiste du domaine concerné dans le brevet litigieux et donc tout particulièrement au formulateur cosméticien. Lorsque celui-ci a besoin de savoir si un tensioactif non ionique possède l'indice HLB défini dans la revendication 1 présente, il consulte la littérature à sa disposition dans laquelle les indices HBL de différents tensioactifs non ioniques peuvent être trouvés. Il n'a d'ailleurs pas été montré par la requérante qu'il était usuel dans le domaine de la cosmétique de définir à la fois l'indice HLB de tensioactifs non ioniques et la méthode de calcul avec laquelle ils ont été déterminés. Dans la littérature citée par les parties, la manière dont l'indice HLB est calculé n'est par exemple pas indiquée. Par ailleurs, Le formulateur cosméticien, qui souhaite connaître l'indice HLB d'un tensioactif non ionique, pour lequel il ne trouve pas de valeur dans la littérature, tendra de manière naturelle à utiliser la méthode de Griffin, qui est la plus usuelle, car simple à utiliser, nécessitant uniquement le calcul de la masse moléculaire du tensioactif et de l'ensemble des groupements hydrophiles de celui-ci. Le formulateur cosméticien, qui n'est pas un chimiste spécialiste de la détermination de l'indice HLB, ne tend pas par contre à utiliser la méthode de Davies, qui est beaucoup moins usuelle et plus difficile à mettre en oeuvre, car elle requiert la connaissance d'un indice spécifique à chaque groupement hydrophile ou lipophile du tensioactif. Au vu de ce qui précède, la Chambre ne peut qu'arriver à la conclusion que la définition d'un indice HLB supérieur ou égal à 9 pour un tensioactif non ionique est dans le contexte de la revendication 1 présente parfaitement clair.
3.3 L'expression "émulsionnants siliconés" signifie sans ambiguïté selon la Chambre un émulsionnant comprenant des fonctions silicones. La requérante n'a pas indiqué une autre signification possible pour cette expression.
3.4 Par conséquent, les modifications introduites par l'intimée dans la revendication 1, ne sont pas contraires aux dispositions de l'article 84 CBE.
4. Suffisance de l'exposé
Suivant la décision contestée et le procès-verbal de la procédure orale tenue devant la division d'opposition, la requérante a retiré le motif d'opposition au titre de l'insuffisance de l'exposé de l'invention. Ce n'est que lors de la procédure orale devant la Chambre que la requérante a invoqué à nouveau ce motif à l'encontre de la revendication 1. La question devrait donc tout d'abord se poser de savoir si l'objection selon laquelle l'exposé de l'invention est insuffisant peut être formellement soulevée à l'encontre de la revendication 1 présente, compte tenu du fait que la revendication 1 a été modifiée et que le motif d'opposition selon l'article 100 b) CBE a été retiré devant la première instance. Quant au fond, l'objection de la requérante repose sur l'argument selon lequel les compositions foisonnées de la revendication 1 seraient caractérisées par leur stabilité et que la composition B selon le document (23), qui concernait une composition comprenant tous les composés obligatoires suivant la revendication 1, n'était pas stable. La Chambre note cependant que la revendication 1 ne contient aucune caractéristique définissant le degré de stabilité des compositions revendiquées. En conséquence, tout argument quant au fond basé sur l'existence dans la revendication 1 d'une caractéristique qui définirait un quelconque degré de stabilité devant être obligatoirement atteint ne peut qu'échouer. La Chambre étant arrivée à la conclusion que les raisons invoquées par la requérante ne sont pas pertinentes sur le fond, il est superflu de décider si l'objection de la requérante aurait pu tout du moins formellement aboutir.
5. Nouveauté
L'objection pour défaut de nouveauté soulevée dans le mémoire d'opposition a été retirée au cours de la procédure d'opposition, la division d'opposition étant de l'opinion que l'objet revendiqué était nouveau. La requérante n'ayant pas soulevé d'objection au titre d'un défaut de nouveauté au cours de la procédure de recours, il n'est pas nécessaire pour la Chambre d'aborder cette question.
6. Activité inventive
Etat de la technique le plus proche
6.1 Selon la jurisprudence des Chambres de recours de l'OEB, l'état de la technique le plus proche est normalement un document qui divulgue un objet conçu dans le même but ou visant à atteindre les mêmes objectifs que l'invention revendiquée et présentant pour l'essentiel des caractéristiques techniques semblables, à savoir qui appelle peu de modifications structurelles (voir La Jurisprudence des Chambres de recours de l'Office européen des brevets, 5**(ème) édition, 2006, I.D.3.1). Cette façon de déterminer l'état de la technique le plus proche permet de se placer de manière réaliste dans la situation dans laquelle l'inventeur était réputé se trouver à la date de l'invention et évite ainsi de procéder à une analyse rétrospective et artificielle de l'activité inventive en connaissance de l'invention, ce qui serait inadmissible.
6.1.1 Le brevet litigieux concerne des émulsions foisonnées. Les émulsions foisonnées, qui trouvent leur utilité dans le domaine de la cosmétique, sont appréciées pour leur légèreté à l'application. Elles présentent néanmoins l'inconvénient d'être relativement instables du fait de leur faible densité et donc de décanter après un certain temps de stockage (cf. paragraphe [0004] du brevet litigieux). Selon le même paragraphe, la demande de brevet CH-A-674804, c'est à dire le document (10) cité dans la procédure d'opposition, décrit la stabilisation d'une crème cosmétique foisonnée contenant un gaz inerte ou de l'air, par l'ajout d'une solution aqueuse de protéine d'origine animale. Or, selon le paragraphe [0004] du brevet litigieux, on souhaite éviter l'utilisation de telles protéines dans les produits cosmétiques.
6.1.2 La requérante et l'intimée ont néanmoins considéré le document (3) comme état de la technique le plus proche au motif que celui-ci divulguait à la page page 47 des émulsions huile-dans-eau comprenant un tensioactif anionique (l'acide stéarique), un émulsionnant (le stéarate de glycérol) et le polymère cellulosique Quatrisoft(LM-200, qui est un polymère amphiphile susceptible d'être utilisé dans le cadre de l'invention en litige (cf. paragraphe [0016] du brevet litigieux). Selon la requérante, le document (3) divulgue que le polymère Quatrisoft(LM-200 stabilise lesdites émulsions. La requérante a de plus soumis que ce document décrivait les propriétés moussantes de ce polymère et la stabilité des mousses qu'il permettait d'obtenir.
6.1.3 Le caractère moussant du polymère Quatrisoft(LM-200 et la stabilité de la mousse obtenue sont évoqués dans le document (3) seulement dans le cadre de compositions aqueuses contenant uniquement cet additif, éventuellement en présence d'un mélange d'isobutane et de propane comme gaz propulseur (cf. pages 43 et 44, Cylinder shake test, The Draining Lamella Test et The "Mousse" Test). Le document (3) ne concerne pas la stabilisation d'une mousse obtenue à partir d'une émulsion huile-dans-eau. Lorsque le document (3) suggère au vu des propriétés conditionnantes et filmogènes qui caractérisent en général les polymères cellulosiques cationiques, que le polymère cellulosique amphiphile étudié dans le document (3) soit utilisé pour la fabrication d'autres produits sous forme de mousse, il n'indique pas que ces produits puissent prendre la forme d'émulsions huile-dans-eau. Au contraire, la seule évocation du terme "huile" dans le contexte des produits sous forme de mousses, plus particulièrement des mousses conditionnantes pour la peau, est pour indiquer que ceux-ci ne sont pas à base d'huile (page 46, colonne de droite, lignes 3 et 4). En d'autres termes, le document (3) ne divulgue pas que le polymère Quatrisoft(LM-200 possède des propriétés de moussage lorsqu'il est présent dans une émulsion huile-dans-eau. Ainsi, les deux utilisations de ce polymère amphiphile divulguées dans le document (3), d'une part la stabilisation des émulsions huile-dans-eau et d'autre part la fabrication de produits moussants appartiennent à deux cadres différents, indépendants l'un de l'autre.
6.1.4 Par conséquent, considérer que le document (3) représente l'état de la technique le plus proche, car ayant à la fois trait à des émulsions huile-dans-eau et aux propriétés de moussabilité d'un des ingrédients présents dans lesdites émulsions, bien que dans un cadre distinct, revient à créer un lien entre ces deux utilisations qui n'existe pas dans le document (3). Cette lecture du document (3) relève uniquement d'une démarche a posteriori faite en connaissance de l'invention revendiquée, ce qui ne saurait être acceptable.
6.1.5 Le document (10) se rapporte en revanche comme le brevet litigieux à une crème cosmétique foisonnée de densité inférieure à 0,8 g/cm**(3) qui est stable à la conservation (revendication 1). Il divulgue en particulier à l'exemple 1 une composition foisonnée comprenant une émulsion huile-dans-eau, qui est stable au moins deux mois (pages 4 et 5). La composition selon l'exemple 1 contient XALIFIN-15, un tensioactif non ionique dont l'indice HLB est 12 (page 4, lignes 36-40). La stabilité obtenue est apportée par l'ajout d'une solution aqueuse de protéine (page 2, lignes 43-45, revendication 7). Il est donc conclu que le document (10), qui aborde comme le brevet litigieux le problème de la stabilité des compositions foisonnées sous forme d'émulsions huile-dans-eau, ce qui n'est pas le cas du document (3), est au regard du problème technique abordé, plus proche de l'objet du brevet litigieux que le document (3). De plus, les compositions divulguées dans le document (10), qui diffèrent des compositions du brevet litigieux uniquement par l'absence de polymère amphiphile et de tensioactif anionique, sont d'un point de vue compositionnel aussi proches de celles présentement revendiquées que celles divulguées dans le document (3), qui ne sont pas foisonnées et ne contiennent pas un émulsionnant tel que défini dans la revendication 1 en litige. Il est noté dans ce contexte que l'argument de la requérante, selon lequel le polyéther cellulosique HYDRORHAMNOSAN serait un polymère amphiphile, ne repose sur aucune preuve et doit donc être rejeté. La plus grande pertinence du document (3), basée sur la similitude des composantes mises en jeu n'est donc également pas établie.
6.1.6 Par conséquent, ce n'est pas le document (3), mais le document (10) qui constitue l'état de la technique le plus proche sur lequel doit se fonder l'analyse de l'activité inventive.
Problème résolu
6.2 Selon la requérante et l'intimée, le problème résolu vis-à-vis du document (10) par l'objet de la revendication 1 serait la mise à disposition d'une alternative aux compositions foisonnées divulguées dans cet état de la technique.
6.2.1 Selon le paragraphe [0009] du brevet, les compositions foisonnées de l'invention présente restent à température ambiante stables pendant plusieurs mois, c'est à dire une période couvrant leur commercialisation et utilisation. Pour supporter cette allégation, l'intimée s'est référé à l'essai intitulé "essai 2" qui est décrit dans le document (23). Cet essai montre qu'une émulsion huile-dans-eau foisonnée de densité d'environ 0,3 (composition B), qui possède toutes les caractéristiques de la revendication 1 litigieuse, est stable. Le caractère stable de cette émulsion est démontré à l'aide d'un test qui consiste à mesurer la quantité d'émulsion écoulée à travers un entonnoir en 24 heures, qui est de l'ordre de 3%. Lorsque la mousse n'est par contre pas stable au stockage, suite à la séparation des bulles de gaz de l'émulsion huile-dans-eau, la composition s'écoule alors rapidement à travers l'entonnoir. Ceci est illustré dans le document (23) par le même test sur une composition A en dehors du brevet litigieux. Il convient de souligner qu'un écoulement de 3% de la composition dans un tel test n'est pas en contradiction avec le problème formulé par les parties, car d'une part ce test représente uniquement un modèle permettant de manière accélérée d'évaluer la stabilité de la composition foisonnée et d'autre part la stabilité recherchée n'est pas absolue, mais suffisante pour couvrir la période de commercialisation et d'utilisation de ladite composition.
6.2.2 Au vu de ce qui précède et en l'absence de preuve tendant à montrer que des compositions répondant à la définition de la revendication 1 présente, ne seraient pas stables au sens où l'entend le brevet litigieux, la Chambre est satisfaite que le problème tel que formulé par la requérante et l'intimée, c'est à dire la mise à disposition d'une alternative aux compositions foisonnées divulguées dans l'état de la technique le plus proche est résolu.
Evidence de la solution
6.3 Il reste à déterminer si la solution proposée par le brevet litigieux pour résoudre ledit problème, c'est à dire l'utilisation conjointe d'un polymère amphiphile et d'un tensioactif anionique, découle de façon évidente de l'état de la technique disponible.
6.3.1 Selon la requérante, le document (3) suggérerait l'utilisation conjointe d'un agent amphiphile et d'un tensioactif anionique pour obtenir des mousses stables. Or, ainsi qu'il est indiqué au point 6.1.3 ci-dessus, le caractère moussant du polymère amphiphile utilisé dans le document (3) est uniquement évoqué dans le cadre de compositions qui n'ont pas été montrées être des émulsions huile-dans-eau. La seule mention du terme huile dans le passage du document (3) évoquant les mousses conditionnantes pour la peau est pour indiquer que celles-ci n'en contiennent pas. Les deux applications du polymère amphiphile divulguées dans le document (3), c'est à dire la stabilisation d'une émulsion huile-dans-eau et la stabilisation d'une dispersion de bulles de gaz dans une phase liquide, qui ne contient pas d'huile, sont indiquées de manière indépendante, car appartenant à des cadres différents. Le simple fait que ces deux utilisations soient présentées dans le même document ne suffit pas pour suggérer, ces compositions étant de nature différente, que la stabilité de la mousse puisse également être obtenue dans le cadre d'une émulsion du type huile-dans-eau. De plus, l'ordre de grandeur de la stabilité évoquée dans le document (3), qui correspond à celui souhaité lors de l'application sur les cheveux ou la peau, est moindre que celle recherchée dans le cadre du brevet litigieux. L'homme du métier n'est donc pas incité à se tourner vers le polymère amphiphile étudié dans le document (3) pour résoudre le problème de la stabilité au stockage d'une composition foisonnée sous forme d'émulsion huile-dans-eau.
6.3.2 Selon la requérante, la solution proposée par le brevet litigieux serait également évidente pour l'homme du métier au vu du document (4), qui indiquerait que des polymères amphiphiles à base d'hydroxycelluloses comprenant des groupements hydrophobes stabilisent les mousses, cette stabilité étant accrue par l'addition de tensioactifs, en particulier le dodécylsulfate de sodium (page 153, premier paragraphe de la colonne de gauche). Le passage cité par la requérante et le paragraphe qui le précède concernent les polymères amphiphiles. Il est indiqué qu'ils peuvent montrer une forte tendance à la moussabilité, les mousses formées étant généralement extrêmement stables. Ce passage, cependant, n'a pas été montré se rapporter à des émulsions huile-dans-eau. Le seul exemple cité dans ce passage concerne une mousse aérosol formulée par un simple mélange d'eau et d'un polymère cellulosique amphiphile, faisant référence à un article scientifique, qui n'est d'autre que le document (3) cité dans la présente procédure. Or celui-ci ne suggère pas l'utilisation d'un polymère amphiphile pour résoudre le problème de la stabilité au stockage de mousses obtenues à partir d'une émulsion huile-dans-eau (voir point 6.3.1 ci-dessus). De plus, le passage du document (4) cité par la requérante (page 153, colonne de gauche, lignes 8-9), selon lequel l'ajout d'un tensioactif pourrait être soit bénéfique, soit néfaste aux effets observés, ne permet en rien d'entrevoir que l'effet observé puisse concerner la stabilité des mousses. Le seul exemple concret de tensioactif cité, le dodécylsulfate de sodium, est indiqué pour illustrer que son ajout permet d'augmenter le pouvoir solubilisant des polymères amphiphiles pour les substances hydrophobes, en l'occurrence un colorant.
6.3.3 Un autre argument de la requérante, selon lequel il faisait partie des connaissances générales de l'homme du métier d'utiliser des tensioactifs anioniques pour obtenir un effet moussant, ne saurait également convaincre, car rien n'indique que les mousses ainsi obtenues sont nécessairement stables, de plus est pour des périodes couvrant la durée de stockage, tel qu'il est souhaité dans le cadre du brevet litigieux.
6.3.4 Par conséquent, il ne peut donc être conclu de l'art antérieur cité par la requérante, que l'ajout combiné d'un polymère amphiphile et d'un tensioactif anionique permet d'obtenir une composition foisonnée sous forme d'émulsion huile-dans-eau qui est stable au stockage, sans que l'ajout d'une protéine d'origine animale soit nécessaire.
6.3.5 La requérante n'a pas cité d'autre enseignement de l'état de la technique, qui selon elle guiderait l'homme du métier vers la solution proposée par le brevet litigieux. La Chambre, qui n'en a également pas connaissance, est donc satisfaite que l'objet de la revendication 1 ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique.
6.4 Par conséquent, l'objet de la revendication indépendante 1 selon la seule requête intitulée "requête subsidiaire 1" est considéré satisfaire au critère d'activité inventive tel que défini dans l'article 56 CBE. Il s'en suit que l'objet des revendications 2 à 14 et 18 portant sur des compositions particulières de la revendication 1, le procédé selon les revendications 15 à 17 pour leur fabrication, ainsi que le procédé de traitement cosmétique selon la revendication 20 les utilisant ou leur utilisation dans le domaine de la cosmétique selon les revendications 19 et 21 font également preuve d'activité inventive.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision attaquée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la première instance avec l'ordre de maintenir le brevet sur la base des revendications 1 à 21 de la requête subsidiaire 1 soumise par lettre du 16 août 2005 et une description devant y être adaptée.